Google
This is a digital copy of a book thaï was preservcd for générations on library shclvcs before il was carcfully scanncd by Google as part of a projecl
to makc the workl's books discovcrable online.
Il lias survived long enough for the copyright lo expire and the book to enter the public domain. A publie domain book is one thaï was never subjeel
lo copyright or whose légal copyright lerni lias expired. Whether a book is in the public domain may vary country locountry. Public domain books
are our gateways lo the past. representing a wealth of history. culture and knowledge thafs oflen dillicull to discover.
Marks, notations and other marginalia présent in the original volume will appear in this lile - a reminder of this book's long journey from the
publisher lo a library and linally to you.
Usage guidelines
Google is proud to partner with libraries lo digili/e public domain malerials and make ihem widely accessible. Public domain books belong to the
public and wc are merely iheir cuslodians. Neverlheless. ihis work is ex pensive, so in order lo keep providing ihis resource, we hâve taken sleps to
prevent abuse by commercial parties, iiicluciiiig placmg lechnical restrictions on aulomaied querying.
We alsoasklhat you:
+ Make non -commercial use of the files We designed Google Book Search for use by individuals. and we reuuest lhat you use thesc files for
pcrsonal, non -commercial purposes.
+ Refrain from autoiiiatcil (/uerying Donot send aulomaied uneries of any sort lo Google's System: If you are conducting research on machine
translation, optical characler récognition or other areas where access to a large amount of texl is helpful. please contact us. We encourage the
use of public domain malerials for thèse purposes and may bc able to help.
+ Maintain attribution The Google "watermark" you see on each lile is essential for informing people about this projecl and hclping them lind
additional malerials ihrough Google Book Search. Please do not remove it.
+ Keep it légal Whatever your use. remember thaï you are responsible for ensuring lhat whai you are doing is légal. Do not assume that just
becausc we believe a book is in the public domain for users in the Uniied Staics. thaï the work is also in ihc public domain for users in other
counlries. Whelher a book is slill in copyright varies from counlry lo counlry. and we can'l offer guidanec on whelher any spécifie use of
any spécifie book is allowed. Please do not assume thaï a book's appearance in Google Book Search means it can be used in any manner
anywhere in the world. Copyright infringemenl liabilily can bc quite severe.
About Google Book Search
Google 's mission is lo organize the world's information and to make it universally accessible and useful. Google Book Search helps readers
discover ihe world's books wlulc liclpmg aulliors and publishers reach new audiences. You eau search ihrough llic lïill lexl of this book un ilic web
al|_-.:. :.-.-:: / / books . qooqle . com/|
Google
A propos de ce livre
Ceci est une copie numérique d'un ouvrage conservé depuis des générations dans les rayonnages d'une bibliothèque avant d'être numérisé avec
précaution par Google dans le cadre d'un projet visant à permettre aux internautes de découvrir l'ensemble du patrimoine littéraire mondial en
ligne.
Ce livre étant relativement ancien, il n'est plus protégé par la loi sur les droits d'auteur et appartient à présent au domaine public. L'expression
"appartenir au domaine public" signifie que le livre en question n'a jamais été soumis aux droits d'auteur ou que ses droits légaux sont arrivés à
expiration. Les conditions requises pour qu'un livre tombe dans le domaine public peuvent varier d'un pays à l'autre. Les livres libres de droit sont
autant de liens avec le passé. Ils sont les témoins de la richesse de notre histoire, de notre patrimoine culturel cl de la connaissance humaine cl sont
trop souvent difficilement accessibles au public.
Les notes de bas de page et autres annotations en marge du texte présentes dans le volume original sont reprises dans ce fichier, comme un souvenir
du long chemin parcouru par l'ouvrage depuis la maison d'édition en passant par la bibliothèque pour finalement se retrouver entre vos mains.
Consignes d'utilisation
Google est fier de travailler en partenariat avec des bibliothèques à la numérisation des ouvrages appartenant au domaine public cl de les rendre
ainsi accessibles à tous. Ces livres soni en effet la propriété de tous et de toutes cl nous sommes tout simplement les gardiens de ce patrimoine.
Il s'agit toutefois d'un projet coûteux. Par conséquent et en vue de poursuivre la diffusion de ces ressources inépuisables, nous avons pris les
dispositions nécessaires afin de prévenir les éventuels abus auxquels pourraient se livrer des sites marchands tiers, notamment en instaurant des
contraintes techniques relatives aux requêtes automatisées.
Nous vous demandons également de:
+ Ne pas utiliser les fichiers à des fins commerciales Nous avons conçu le programme Google Recherche de Livres à l'usage des particuliers.
Nous vous demandons donc d'utiliser uniquement ces fichiers à des lins personnelles. Ils ne sauraient en ell'et être employés dans un
quelconque but commercial.
+ Ne pas procéder à des requêtes automatisées N'envoyez aucune requête automatisée quelle qu'elle soit au système Google. Si vous effectuez
des recherches concernant les logiciels de traduction, la reconnaissance optique de caractères ou tout autre domaine nécessitant de disposer
d'importantes quantités de texte, n'hésite/ pas à nous contacter. Nous encourageons (tour la réalisation de ce type de travaux l'utilisation des
ouvrages et documents appartenant au domaine public et serions heureux de vous être utile.
+ Ne pas supprimer l'attribution Le filigrane Google contenu dans chaque fichier est indispensable pour informer les internautes de notre projet
et leur permettre d'accéder à davantage de documents par l'intermédiaire du Programme Google Recherche de Livres. Ne le supprimez en
aucun cas.
+ Rester dans la légalité Quelle que soit l'utilisation que vous comptez faire des fichiers, n'oubliez pas qu'il est de votre responsabilité de
veiller à respecter la loi. Si un ouvrage appartient au domaine public américain, n'en déduisez pas pour autant qu'il en va de même dans
les autres pays. La durée légale des droits d'auteur d'un livre varie d'un pays à l'autre. Nous ne sommes donc pas en mesure de répertorier
les ouvrages dont l'utilisation est autorisée et ceux dont elle ne l'est pas. Ne croyez pas que le simple fait d'afficher un livre sur Google
Recherche de Livres signifie que celui-ci peut être utilisé de quelque façon que ce soit dans le monde entier. La condamnation à laquelle vous
vous exposeriez en cas de violation des droits d'auteur peut être sévère.
À propos du service Google Recherche de Livres
En favorisant la recherche et l'accès à un nombre croissant de livres disponibles dans de nombreuses langues, dont le franoais. Google souhaite
contribuer à promouvoir la diversité culturelle grâce à Google Recherche de Livres. En effet, le Programme Google Recherche de Livres permet
aux internautes de découvrir le patrimoine littéraire mondial, tout en aidant les ailleurs cl les éditeurs à élargir leur public. Vous pouvez effectuer
des recherches en ligne dans le texte intégral de cet ouvrage à l'adressefhttp : //books .qooql^ . ■:.■-;. -y]
. 1
.A4H
)
ANNUAIRE
HISTORIQUE UNIVERSEL
OU
HISTOIRE POLITIQUE'.
t
POIS&Y. — TTPOCIUM1E ARfilEU,
ou
HISTOIRE POLITIQUE
POUR
1849
Avec un Appendice contenant les actes publics, traités, notes diplomatiques,
tableaux statistiques financiers, administratifs et judiciaires, documents
historiques officiels et non officiels, et un artlcie Yariélii renfermant des
chroniques des événements les plus remarquables, des travaux publics,
des lettres, des sciences et des arts, et des notices bibliographiques,
et nécrologiques;
RÉDIGÉ PAR A. FOUQUIER
FONDÉ PAR
G.-L. LESUR
Prix : 18 fr.
. PARIS
THOISNIER DESPLACES, ÉDITEUR
ME DE L1LLB, 5.
1849.
trente-deux ans, président à notre œuvre, et aussi que
ces révélations tardives qui éclairent les événements les
. » .««.• •* » * •■• .. • .'.*. .<•••••*•.
plus graves nous missent à même de dire toute la
vérité*
L'étendue déjà exceptionnelle de l'année \ 848 a donc -
été de beaucoup dépassée dans ce nouveau volume. -
Histoire et documents ofOcicls s'y présentent dans des
proportions inusitées. Telles sont les causes d'un retard
qui ne se renouvellera plus.
L'année A 850, sous presse aujourd'hui, se rétrécit,
on le sait, dans le cadre ordinaire des autres années po-
litiques. Nous pouvons donc annoncer avec certitude
l'apparition de ce volume pour le mois de septembre
prochain , ainsi qu'un retour aux anciennes propor-
tions normales de notre ouvrage, qui reprendra égale-
ment son ancien prix.
-TABLE CHRONOLOGIQUE
DES
ÉVÉNEMENTS LES PLUS REMARQUABLES
18 —
16 —
DE L'ANNÉE 1*4».
* •
1er janvier. Autriche. — Prise de Pesth par Tannée impériale. 495
2 — Gaandb-BretA£NE (Indes-Orieptales.) — Prise de
Moultan. 655
2 — Portugal. —Ouverture de la session des Cor tes. 644
10 — TOSCANE. — Réunion du Parlement. 585
13 — Grande-Bretagne. — (Indes-Orientales.) Dé-
• -• • • faite de l'armée anglaise ô Djelam. 6*55
20 — FRANCE. — Élection de M. Boulay (de la Meurthe)
comme vice-président da la République. 1 0
21 — Et ATS romains. — Élections pour l'Assemblée •
constituante. 584
29 — • France. — Conspiration démagogique. 102
31 — Toscane. — Fuite du grand-duc Léopold. • 586
1* février. Néerla.nde.— Ouverturede la session des États-
Généraux. 484
id. — Piémont» — Ouverture du Parlement. 587
4 • m *
id. — Deux-SiCiLEs. — Ouverture du Parlement napo-
litain. S14
id — Grande-Bretagne; — Ouverture du Parlement. 049
5 — États romains! — - Réunion de V Assemblée consti-
tuante. 584
9 — États Romains. — Pr«Jaa«tion 4e la République. 588
14 — États-Unis d'Amérique — Proclamation officielle
du président Zacharie Taylor. t>03
Etats romains. — ■ Occupation de Ferrare par les
Autrichiens. 501
Toscane; —. Proclamation dejia .République. ... . . «J&80L
VIII
21 février. Grande-Bretagne (Tndes orientales). -— Victoire des
Anglais à Goudjerat. 658
24 -* France. — Agitation et désordre à l'occasion de l'an-
niversaire de la Révolution. 136
26 — • PftUSSB. — Ouverture des Chambres. . 632
27 — Autriche. — Bataille de Kapolna. 503
4 mars. Autriche. — Promulgation d'une charte à Olmûtz. 507
9 — Grande-Bretagne (Antilles). — Révolte de noirs
à Sainte-Lucie. 606
I 1 — Perse. — Insurrection a Téhéran. * 573
12 — Piémont. — Dénonciation de l'armistice. 593
1 5 — NÉERLANDE. — Mort de S. M. Guillaume H. 484
19 — Deux-Siciles. — Dénonciation de l'armistice sicilien. 617
21 — Néerlande. — Avènement au trône de S. M. Guilr
laume Ht. — * * 485
2 1 — Piémont. — Bataille de Mortara. 623
23 — Piémont. — Bataille de Novarre, abdication du roi
Charles-Albert. 598—601
27 — Piémont. — Nomination d'un nouveau ministère. 603
31 — Piémont. — Insurrection de Gênes. 609
3 avril. Danemark. — Reprise des hostilités. 555
4 — Danemark. — Perte de deux vaisseaux. 555
4 — Deux-Siciles. — Prise de Catane par le général
Filangierî, 617
10 — Toscane. — Réaction à Florence en faveur du Grand-
Duc. Fuite de Guerrazzi. 612
II — Piémont. — Prise de Gènes par le général LaMar-
mora. 610
13 — Danemark. — Bataille de Dnppeln. 556
14 — Autriche. — Déclaration d'indépendance par* la
diète de Debreczin. 513
16 — ' Néerlande. — Expédition de BaJi. Prise de Djaga-
Raga. . 487
iO — Danemark. — Invasion du Jutland par Tes troupes
allemande/i. 557
22 — Btats romains. — Départ de l'expédition française
contre Rome. ... ^^
.23. — ? , .Danemark. — Bataille de. Kolding. 558
24 — AUTRionE. — Evacuation de Petch par les troupes im-
' pérîales. 509
24" — Etats romains. — Débarquement de l'expédition
française à Civita-Vecchia. 61 G
26 — HANOvnt. — Dissolution et ajournement des cham-
• -— -■ — fcw»» .... . . . .55.6
IX
71 avril. Prusse. — Dissolution et prorogation des chambres.
Emeute de Berlin. 537
30 — Etats romains. — Combat de la porte San-Pancrazio. 623
ô mai ■ Saxe ROYALE Insurrection de Dresde. 527
7 — France. Italie. — Vote de l'Assemblée nationale rela-
tif aux affaires d'Italie, 624
11 — Toscane. — Prise de Livourne par le général autri-
chien baron d'Aspre. 614
15 — Etats Romains. — Prise de Bologne par les Autri-
chiens. 623
«
20 — Autriche. — Prise de Bude par Georgey. 512
2 S — France. — Fin de l'Assemblée constituante , ouver-
ture de l'Assemblée législative. 29 1 -297
31 — Etats Romains. — Rappel de M. de Lesseps.
Reprise des hostilités contre Rome. 628
3 juin. Etats Romains. — Prise de la villa Panfili. 629
H — Bavière. — Dissolution du Parlement. 547
13 — France. — Journée insurrectionnelle à Paris. 317
15 — " France. — Insurrection à Lyon. 325
23 — Grand duché de Bade. — Défaite des insurgés.
Prise de Rastadt. 544
28 — Autriche. — Batailles de Raab et d'Acs. 516
30 — Etats Romains. — Assaut et prise du bastion de
Rome n° 8. 63 1
1er juillet. Mexique. — Ouverture dn Congi es. 609
3 ~ . Ï.TATS ROMAINS.'— Ocuupation de Konif prrr les trou-
pes françaises. 622
6 — Danemark. — Victoire des Danois à Frédéiiuia. 559
10* — ' ' Danemark. -*- Armistice.- - 5£0 .
15 — États romains. — Rétablissement solennel de l'au-
torité pontificale. » 633
28 — Piémont. — Mort du roi Charles-Albert. 636
1* août. Grande-Bretagne. — Clôture du parlement. -• • 651
2 — EGYPTE. — Mort de Méhémet- Ali. 573
7 — Prusse. — Ouverture du nouveau Parlement. 553
9 — France. — Renvoi du 13 juin devant la haute Cour
de justice. 355
12 — Portugal. — Assassinat par les Chinois du gouver- *
neur de Macao, M. Do'Amarul. 645
13 — • France. — Prorogation, de l'Assemblée .législative^ 387
13 — Autriche. — Georgey se rend aux Russes. 520
20 — Piémont. — Dissolution de la Chambre des députés. 636
26^ — Haïti. — Proclamation de Soulouque comme empe-
reur. " ~ ** «7*
062.
4 septembre. Grande-Bretagne (lies Jonnienes). — Défaite des
paysans insurgea.
Espagne. — Àrr^tion dute iroupe d'aventuriers
qfti préparaient une expédition contre Cul*a. &4 4 — 6*05*
Etats Roua INS. — Lettre du président de la Répu-
blique française au colonel Eâgar Ney.
Bavière. — Ouverture 4e la session parlementaire.
France. — Réouverture de l' Assemblée législative.
Autriche. — Prise de Komorn et fin de ta guerre de
Hongrie.
Espagne* — Ministère Cleonard.
Espagne. — Ouverture de la session des Certes.
France.— Message du président de la République, mi-
nistère nouveau. '
3 novembre. Frange. Institution solennelle de la magistrature.
e —
8 —
19 —
l*r octobre.
2 —
18 —
30 —
31 —
13 —
13 —
3 décembre.
23 —
Suisse. — Elections tumultueuses.
Franck. — Verdict rendu par la baute Conr da justice
dans l'affaire du 43 juin.
Etats-Unis d'Amérique. — Ouverture du Congrès/
Wurtemberg. « — Dissolution.de l* Assemblée.
034
547
393
522
042
638
402
404
580
402
CC6
552
» •** f • 1
ANNUAIRE
HISTORIQUE UNIVERSEL
POUR 4849.
*amumm
PREMIÈRE PARTIE.
HISTOIRE DE FRANCE.
CHAPITRE PREMIER.
LES PREMIERS JOURS DI LÀ PRÉSIDENCE.
SiTCàTiOH. — Sens do l'élection du 10 Matqbn. — . L'industrie et la Révolu-
tion. — M. le maréchal Bugeaad et l'armée des Alpes. — M. Carlier et la
préfecture de police. — Programme du nouveau cabinet, M. Odilon Barrot*
— Premier engagement, interpellations, double commandement de M. Cban-
garnier, M. Ledru-Rollin. — Modification ministérielle, retraite de MM. do
Malevilte et Bixio, dosûers de Strasbourg et de Boulogne, M. Germain Sarrut
et ses cent quatorze conspirations, avances faites an président par l'extrême
gaaehe. — Viee-présidence, candidatures, traitement du vice-président,
M. Boulay (de la Nearthe).
Cette année, qui avait soumis la France i tant d'épreuves, la
laissait, en finissant, en présence de difficultés encore redouta-
bles. Le Pouvoir exécutif puisait sans doute une grande force
dans la majorité immense d'où il était sorti. Mais il était
placé sur le terrain nouveau pour lui, nouveau pour tons, d'une
constitution imparfaite dans quelques-unes de ses parties, et dont
l'application rigoureuse était temporairement suspendue, préci-
1
2 HISTOIRE DE FRANGE. (1949.)
sèment dans celles de ses dispositions qui réglaient les relations
du Pouvoir législatif avec le Pouvoir exécutif.
La nouvelle administration constituée, la France se trouvait ei
fece de cette question terrible : La société française est-elle encore
capable d'enfanter et de supporter un gouvernement? Déjà. trois
pouvoirs avaient été élevés et renversés en dix mois. Aujourd'hui
commençait une nouvelle épreuve, et celle-là durerait quatre ans
à peina. Le pays pourrait-il souffrir cette instabilité normale f
Ses forces vives ne se perdraient-elles pas dans ces agitations
maladives, dans ces convulsions répétées?
Puisque la nation avait dft être consultée pour le choix d'un
chef temporaire, c'était au moins un symptôme rassurant que de la
voir se prononcer d'une manière aussi claire et presque unanime.
Si ce n'était pas une solution de l'avenir, an moins c'en était une
du présent. L'entraînement, et en quelque sorte l'enthousiasme
de la France pour un nom, constituait, au profit du pouvoir
nouveau, une force morale incontestable.
Ce qu'il était encore impossible de ne pas voir dans le scrutin
du 10 décembre, c'était un jugement porté par le pays sur l'œu-
vre de dix mois. Gouvernée depuis lors comme au hasard, me-
nacée, par l'anarchie et par des théories désorganisatrices, dans
sa fortune et même dans sa vie, la société française manifestait
ses rancunes. Les auteurs p la Révolution de Février, ceux-là
même qui avaient le plus énérgiquement combattu la démagogie,
étaient repoussés par elle avec colère, et M. de Lamartine ,
pesé dans sa balance, était trouvé plus léger même que II. Ledru-
Rollin. Malgré d'incontestables services, malgré une modération
qui l'affciL, dans une certaine mesure, rapproché du parti de
l'ordre, M. Gavaignac avait été également écarté. G'est que par
ses antécédents, par ses doctrines, par ses amitiés, il appar-
tenait à la fraction militante de parti révolutionnaire.
Sans doute il fallait avouer que l'union qui s'était manifestée
pour le vote dans la nation, n'existait pas au même degré dans
la représentation nationale. Ce vote, qui, aux yeux de beaucoup,
signifiait le i^tatyissement de Tordre et la condamnation d'une
anarchie de dix mois, appliqué cependant à m nom, se prétait
aux plus dangereux commentaires des partis*
LES PREMIERS JOURS DE LA PRÉSIDENCE. 3
L'Assemblée, après avoir terminé l'œuvre de la Constitution,
s'était néanmoins réservé tons les droits d'un pouvoir constituant»
situation exceptionnelle, anomale, qui pouvait faire craindre de
graves conflits d'attributions entre elle et Je Pouvoir exécutif, si
une grande modération, une grande sagesse ne réglaient pas
des deux côtés l'exercice de deux prérogatives parallèles » sinon
rivales.
Malgré ces germes de désordre, le pays se rassurait SoUidtéé
par d'inexorables besoins, la consommation semblait vouloir m*
prendre son cours régulier et rendre au travail national uneaeti*
vite depuis longtemps perdue. Les entrepôts, surchargés jusqu'a-
lors, commençaient à écouler le trop plein de leurs marchandieest
dans la plupart des centres industriels, les métiers se remontaient,
les usines se rallumaient, les commandes arrivaient» l'ouvrier
reprenait le chemin de l'atelier. Tout, ente, satorisait A espérer
«ne reprise sérieuse de travail et d'affaires, si quelque nouvel in»
aident politique ne venait entraver ce premier essor, encore feibU
et incertain.
Les premiers choix du Pouvoir présidentiel forent à la fine un
gage de conciliation et l'indice d'une heureuse fermeté* Le mi*
nistère une fois constitué (1), il fallnt songer aux antres parties
de l'administration publique. M. le maréchal Bugeand fut nommé
an commandement en chef de l'armée des Alpes. La création de
cette armée remontait aux premiers jours de mars J046» Elle ne
devait d'abord être composée que de trots divisions d'infanterie
et d'nue division de cavalerie. L'effectif était fixé 150,000 hom-
mes et i 4,000 chevaux. Elle avait été successivement portée,
par l'accroissement des cadres et par l'adjonction de deui divi-
sons d'infanterie, dites de réserve, à 72,000 hommes et à 0,000
chevaux. Cette belle armée, admirablement organisée par le
général Oudinot, avait rendu dans plusieurs circonstances gravée
d'émine*** services an pays. C'est à elle qu'il fallait attribuer le
maintien de l'ordre à Lyon ; une de ses divisions était arrivée
de Màcon, 4 marches forcées, sur Paria, à la première nouvelle
des événements de juin. C'est elle enfin qni, par son attitude
<l) Vofe* VAnmmhrt précédent, ptge 344.
4 HISTOIRE DE FRANGE. (1849.)
imposante et énergique sur la frontière, avait empêché les sol-
dats de l'Autriche de franchir le Tessin et d'envahir le Piémont.
A cette force, destinée à agir contre l'anarchie du dedans et
contre les ennemis du dehors, s'ajoutait une organisation vigou-
reuse de l'administration générale.
M. Carlier, précédemment chargé au ministère de l'intérieur
d'importantes fonctions dans la direction de la police générale,
était installé comme chef de la police municipale, avec extension
d'attributions en ce qui concernait la partie politique, jusqu'à
ce jour réservée au cabinet particulier du préfet.
Le programme du nouveau cabinet, porté à la tribune par
M. Odilon Barrot, ressembla à tous les programmes des admi-
nistrations régulières. Il est vrai que depuis longtemps le pays
était déshabitué du langage des politiques calmes et normales*
Rétablir la sécurité, rendre par là à l'industrie, au commerce et
à l'agriculture la liberté et la fécondité des transactions ; en un
mot, constituer l'ordre matériel et l'ordre moral, telles étaient
les loyales intentions exprimées par M. Barrot. Rude tâche sans
doute ! Que de ruines, en effet, ne s'était-il pas fait en France !
Que de maux à réparer depuis le banquet de Février ! Le ministre
du 23 février 48-48 se retrouvait au pouvoir dix mois après, non
plus cette fois pour réformer, mais pour reconstruire.
Le premier engagement entre le nouveau ministère et l'oppo-
sition eut lieu à propos d'une ordonnance qui investissait le gé-
néral Changarnier du double commandement des Gardes natio-
nales du département de la Seine et des troupes de ligne com-
prises dans la 1" division militaire. M. Ledru-Rollin adressa, à
ce sujet, des interpellations au cabinet. L'orateur démontra aisé-
ment l'irrégularité d'une ordonnance semblable, et alla jusqu'à
dire qu'un pereil arrangement détruisait la responsabilité du mi-
nistre et violait la Constitution.
Le ministre interpellé répondit que, quant à la responsabilité,
le tait même de la délégation maintenait sous la responsabilité du
cabinet les actes du délégué. Sans doute te général Changarnier
était investi da pouvoirs extraordinaires. Il était contraire, non-
seulement à la loi de 4831 sur la Garde nationale, mais aux
principes de la prudence et de la saine politique des tempe
LES PREMIERS JOURS LE LA. PRÉSIDENCE. 5
réguliers, que le même officier réunît le commandement des
troupes et celui delà Garde nationale, et eût sous la main une
armée à sa disposition, sous la seule condition de prévenir dans
les vingt-quatre heures le ministre de la guerre des dispo-
sitions qu'il jugerait convenable de prendre. Mais M. Ledru-
Rollin pouvait-il affirmer que, cinq mois après la plus terrible
guerre civile, lorsque 60,000 hommes bivouaquaient encore dans
Paris, la situation de la capitale pût être considérée comme régu-
lière? Cette armée toujours prête, contre la révolte, il lui fallait
un chef, et l'unité de commandement exigeait que ce chef fût en
même temps chef de la Garde nationale. Nécessité n'est pas léga-
lité. Telle fut la réponse de M. Odilon Barrot, réponse plus em-
barrassée peut-être et moins claire qu'il ne l'eût fallu.
La discussion se prolongea entre M. Ledru-Rollin et le minis-
tre de l'Intérieur, M. de Maleville. Un ordre du jour motivé im-
pliquant un blâme contre le Gouvernement fut proposé par
MM. Degousée et Ducoux. La Chambre préféra Tordre du jour
pur et simple. Ce fut laie premier succès de la nouvelle adminis-
tration (26 décembre 1848).
Le cabinet subit, après quelques jours de durée, deux modi-
fications significatives. M. Bixio fut remplacé par M. Buffet au
ministère de l'Agriculture et du Commerce ; M. Léon de Ma-
leville quitta le ministère de l'Intérieur, auquel fut appelé M. Léon
Faucher, qui céda à M. Lacrosse le ministère des Travaux publics
(30 décembre). La retraite de M. Bixio ne pouvait étonner. Son
nom avait été une tentative de conciliation : démocrate sincère,
mais trop engagé avec les partis extrêmes, M. Bixio ne pouvait
rester dans un cabinet conservateur et réparateur. La retraite de
M. de Maleville avait plus de gravité. On s'accordait à l'attribuer
à une lettre qui lui aurait été adressée par M. Louis Bonaparte.
Dans cette lettre, disait-on, M. le Président de la République au-
rait rédamé du minisire de l'Intérieur la remise de dossiers re-
latifs à l'affaire de Strasbourg et de Boulogne, et aurait exprimé
en des termes asses vifs son mécontentement du retard apporté
à l'accomplissement de son désir.
Si l'on écartait la question de procédés, ce premier défaut
d'entente paraissait n'être que le résultat des rapports nouveaux
« HISTOIRE DE FRANCE. (1849.)
établis entre le chef do Gouvernement responsable et ses minis-
tres, responsables comme lui. II ne pouvait paraître surprenant
que cette complication fficheose, que cet état mal défini amenât
des difficultés faciles à prévoir. Le Président de la République,
pénétré de sa propre responsabilité, décidé par conséquent &
gouverner lui-même, rencontrait, dès ses premiers pas* des ré-
sistances'chez des hommes politiques habitués aux anciennes
évolutions du gouvernement constitutionnel. L'opinion publique
elle-même comprenait mal le jeu de ces rouages nouveaux, et
cherchait k la modification du cabinet des motifs plus secrets et
plus personnels.
Une lettre de M. Germain Sarrut, publiée le 6 janvier, dans le
journal la Liberté, et formulant une accusation précise de détour-
nement des dossiers des affaires de Strasbourg et de Boulogne,
les insinuations répandues depuis plusieurs jours contre M. de
Maleville à l'occasion de son différend avec M. le Président de la
République} amenèrent à la tribune l'ex-ministre de l'Intérieur.
Après avoir exprimé le sentiment de surprise que cette étrange
accusation lui causait, il procéda comme on le fait sous l'inspira-
tion d'une conscience qui n'a point de reproche à s'adresser. 11
voulut avant tout établir que l'acte qu'on semblait ainsi lui prêter
était matériellement impossible, et il en fournit la preuve irré-
cusable en constatant, par un document authentique, qu'au mo-
ment de son entrée au ministère, et le jour même de l'installation
du Président de la République, les seize cartons contenant les
pièces relatives aux affaires de Strasbourg et de Boulogne avaient
été, après inventaire dressé en présence de témoins, mis sous le
scellé, avant même la nomination de M. de Maleville, et que des
mesures avaient été prises pour qu'ils demeurassent en lieu
sûr. Aujourd'hui encore ces cartons, ces dossiers étaient sous le
scellé ; personne ne les avait ouverts, personne ne les avait dé-
placés. Après avoir ainsi détruit le grief et enlevé tout prétexte h
l'insinuation, M. de Maleville, s'abandonnant au sentiment d'in-
dignation qu'il s'était appliqué jusque-là à contenir, s'écria :
« Oui, sur mon honneur et à la face de cette Assemblée, quicon-
que dira que le ministre de l'Intérieur, M. de Maleville, a touché
â res papiers, les a fouillés, les a vus, les a retenus, en a détourné
LES PREMIERS JOURS DE LA PRÉSIDENCE. ?
iiM pièce, Pa rétabli», oeluiJà a lâchement menti. » La ia|lê ra»
tentit d'applaudissements.
M. Léon Faucher, nouveau ministre de l'Intérieur, confirma de
tous points Jes déclarations de son prédécesseur. Force Ait à
M. Sarrut de venir expliquer sa lettre, mais ses eiplioatiom fo-
rent embarrassées, vagues et diffuses. D'abord il n'avait jamais
entendu accuser M. de Malevllle, et oe qu'il réclamait, ce n'était
pas d'ailleurs le dossier de Strasbourg ou celui de Boulogne,
mais oelui (fane conspiration de 485t, conspiration mi-partie
bonapartiste, mi-partie républicaine, Tune des cent quatorze
auiqoelles M. Sarrut se vantait d'avoir pris part. La question se
trouvait par là réduite à des proportions indignes d'arrêter un
instant l'attention de l'Assemblée. M. Barrot le fit sentir. En
quelques paroles simples et fermes, il montra que si M. Sarrut
avait prodoit dans ee procès des pièces qui lui appartinssent en
propre, il y avait des voies légales ouvertes pour les réclamer ;
que les antres documents, appartenaient à l'État et ne pouvaient
être communiqués; que toute cette affaire ne touchait en rien
les Intérêts publics.
M. Dupont (de Bussac) insista à son tour pour que M. de Maie-
ville eipllquftt sa retraite et pourquoi il avait refusé à M. Louis
Bonaparte la communication des pièces de Strasbourg et de Bou-
logne. M. de Maleville donna avec délicatesse une explication dif-
ficile < il n'avait refusé aucune communication, mais seulement
un déplacement de dossiers; quant à sa retraite, elle n'avait été
motivée, après les témoignages qui avalent désintéressé sa suscep-
tibilité, que par la crainte qu'un souvenir de froissement n'attérÂt
la confiance dont 11 avait besoin pour demeurer utilement.
Ce qu'il y avait de plus remarquable dans cet Incident, c'était
la recherche de certains scandales, l'affectation à rappeler cer-
tains souvenirs, la prétention à établir une solidarité ftcheuse
entre l'élu de la nation et l'anarchie. M. Dupont (de Bussac) dé*
masqua complètement l'Intrigue dont il se faisait l'instrument
en développant une doctrine en vertu de laquelle la responsabi-
lité du président de la République, absorbant la responsabilité
des ministres, ceui-ci devenaient de purs commis. La France était
8 HISTOIRE DE FRANCE. (1849.)
ainsi placée, à ses yeux, sous un Gouvernement personnel, électif
tous les quatre ans.
A ces flatteries, adressées par la Montagne à celui qu'elle pour-
suivait naguère de ses sarcasmes et de ses calomnies, on pot de-
viner l'intention de diviser et de partager le pouvoir. M. de
Maleville fit justice en quelques mots spirituels des flatteurs in-
attendus qui se pressaient dans les antichambres de la Présidence,
M* Faucher caractérisa avec finesse ceux qui, à défaut des fonc-
tions élevées qu'ils ne possédaient plus, persistaient à maintenir
et à introduire tous leurs amis dans les fonctions secondaires»
mais politiques, afin d'avoir les bénéfices du Gouvernement sans
la responsabilité (6 janvier).
Cependant, l'organisation du pouvoir nouveau était encore
incomplète.
Aux termes de la Constitution, le président de la République
devait, dans le mois qui suivrait son élection, présenter une liste
de trois candidats parmi lesquels l'Assemblée choisirait le vice-
président. Le vice-président, disait encore la Constitution, prête
le même serment que le Président. Il ne peut être choisi parmi
les parents et alliés du président, jusqu'au sixième degré inclusi-
vement. En cas d'empêchement du président, le vice-président
le remplace. Si la Présidence devient vacante par décès, démis-
sion du Président, ou autrement, il est procédé dans le mois
à l'élection d'un président. Le vice-président, disait encore l'ar-
ticle 71 , préside le Conseil d'État.
Conformément à ces dispositions, le cabinet présenta, le 18
janvier, la liste des trois candidats à la vice-présidence. Ces trois
candidats étaient : MM. Boulay (de la Meurthe), le général Bara-
guey d'Hilliers et Vivien. Ces deux premiers noms excitèrent dans
l'Assemblée des exclamations inconvenantes et des rires indé-
cents. M. le président de la Chambre dut rappeler aux interrup-
teurs le respect auquel avait droit la prérogative présidentielle.
En même temps, M. Etienne déposa une proposition tendante
i faire déterminer le traitement affecté à la vice-présidence avant
la nomination du vice-président. 11 demandait aussi que les
bâtiments du Petit-Luxembourg lussent affectés au logement du
LES PREMIERS JOURS DE LA PRÉSIDENCE. 9
vice-président. M. Etienne avait laissé en blanc le chiffre do liai*
tement. L'urgence fut décidée, et la nomination du vice-prési-
dent remise jusqu'après le vote de la proposition.
Le projet de décret, présenté, le 19 janvier, par M. Gouin, au
nom du comité des finances, se composait de deux articles. Le
premier fixait le traitement du vice-président à 60,000 fr. Trois
amendements produits par M. Gent, M. Aniony Thouret et
M. Charassin proposèrent de réduire le traitement, l'un à
24,000 fr., l'autre à 40,000 fr., et le troisième à 48,000 fr. Ce-
dernier chiffre fut adopté dans un serutin de division, i la majo-
rité de 516 voix contre 233. Le chiffre de 60,000 fr., proposé
par le comité des finances, avait d'abord été rejeté par 372 voix
contre 270. Une discussion animée précéda ce vote. Les uns pen-
saient qu'il n'était pas nécessaire que le régime républicain fût
tnauguré avec cette mesquinerie qui n'aurait pour résuîtat que de
rendre plus brusque la transition du passé au présent. Selon eux,
une grande nation devrait foire à ceux qu'elle met à sa tête une situa-
tion en rapport avec sa propre grandeur. Telle était l'opinion de
M. Perrée qui s'étonnait encore qu'on pût pensera mettre le second
grand fonctionnaire de l'État sur la même ligne que le* ministres,
c'est-à-dire au-dessous du rang qu'il occupe d'après la Constitu-
tion. MM. Babaud-Laribière, Gent et Aniony Thouret comprirent
d'une autre façon la dignité de la République. Le premier de ces
orateurs définit le vice-président de la République un surnumé-
raire, et pensa que 'lui donner une liste civile élevée serait en
faire un aristocrate.
Le second article du projet avait pour but d'affecter le Petit-
Luxembourg au logement du vice-président. M. Gent, à son tour,
irouva eette résidence trop arùtocraUqueret proposa de loger ce
haut dignitaire dans le bâtiment occupé par le conseil d'Élat. Le
ministre des Travaux publics, M. Lacrosse, trancha la question
par un moyen terme qui réduisait l'article du projet à cette simple
disposition : « Le vice-président de la République sera logé aux
frais de l'État. » Ainsi le Gouvernement aurait le choix de la ré-
sidence qui serait assignée au vice-président.
La situation du vice-président étant déterminée , l'Assem-
blée eut à choisir entre les trois candidats. M. Boulay (de la Meur-
10 HISTOIRE DE FRANCE. (1849.)
Oie), porté le premier sur la liste, fût élu à la majorité de 447
voix contre 277 données à M. Vivien. M. Boulay (de la Meurthe),
après avoir prêté serment, prononça un discours modeste et con-
venable, plein de respect pour les institutions républicaines, de
reconnaissance pour le Président, son ancien ami, et pour lf As-
semblée qui l'bonorait de ses suffrages (10 janvier).
Ainsi était complété le gouvernement du 10 décembre.
LA POLITIQUE DANS LE8 FINANCES. il
CHAPITRE II.
LA POLITIQUE DANS LIS FINANCES.
Lois DE FINANCES (1). — Réforme de l'impôt du sel, discussion, caractère po-
litique du vote, précipitation malheureuse, l'épreuve des trois leetnres jugée
nécessaire. — Jugement dn vote par le paya. — Sels étrangers, dnoit proht*
m'tif, enquête parlementaire. — Projets d'impôts nouveaux, revenu mobilier,
exemption de l'agricuHnre, réclamations du commerce et de l'industrie, cham-
bre de commerce de Lille, critique du projet, M. Passy le retire. — Projet
d'impét sur les successions et les donations, projet primitif de M. QoiioV
chaux, l'impôt progressif et le communisme, la propriété personnelle et la
propriété héréditaire, amendements de la commission, M. Billault et
M. Passy, tactique transparente, faut-il désarmer la France? seconde délibé-
ration. — Douanes, révision des valeurs. — Projet de taxe sur les biens
de maie-snorte. — Conséquences financières de la Révolution de Février,
crédits irréguliers, liquidation des ateliers nationaux. — Esquisse dn budget*
— Conspiration financière, propositions dirigées contre le cabinet, examen
du budget par une commission, proposition de M. Billanlt pour le règlement
dn budget des recettes avant le budget des dépenses, vote snr l'urgence.
On se rappelle qu'au moment oh la monarchie de Juillet avait
disparu sous les ruines de ia vieille société française, le Gouverne*
ment allait réaliser progressivement et sans efforts une des réfor-
mes matérielles les plus désirables, oelle de Pimpôt sur le sel. Le
5. janvier 1848, M. Dumon, ministre des Finances, avait présenté
un projet réduisant le prix du sel à 50 centimes par kilogramme.
(I) Le nombre et la diversité singulière des projets de loi, propositions, in-
terpellations et incidents qni ont occupé cette année la législature, nons a, plus'
encore qu'à l'ordinaire, imposé l'obligation d'un ordre artificiel mais inévitable.
Une Chambre unique, divisée en comités nombreux, en sous-comités et en com-
missions, a pu, à toutes les heures de son existence, diviser ses travaux et par-
tager ses efforts sur cent objets différents. L'analyse ne peut, sous peine de con-
12 HISTOIRE DE FRANCE. (1849.)
Pendant les dix moi* d'agitation profonde qui avaient suivi la Ré*
volution de Février, aacun des gouvernements qui s'étaient suc-
cédé n'avait jugé opportune la réduction, encore moins l'aboli-
tion de cet impôt. Si, en effet, le Gouvernement provisoire l'avait
sérieusement voulue, s'il y avait vu autre chose qu'une flatterie
d'un moment adressée aux classes pauvres, il eût décrété l'abo-
lition de l'impôt à partir du 1er juillet 1848. Le décret qui porta
abolition de l'impôt i partir du 1er janvier i 849, et cela à la veille
des élections du mois d'avril, ne fut évidemment qu'une manœu-
vre électorale. Le gouvernement qui se retirait devant le résultat
du scrutin du 10 décembre, n'avait pas voulu cette réforme d'une
manière plus sérieuse : autrement, il eût, lui aussi, proposé un
terme plus rapproché, et non pas le 1er avril 1850.
L'Assemblée nationale fut saisie , le 27 décembre, de la dis-
cussion des différents projets relatifs à l'impôt du sel. Un premier
projet, présenté le 28 août par M. Goudchaux , rapportait le dé-
cret du Gouvernement provisoire, en date du 15 avril, et ordon-
nait que la taie actuelle continuerait à être perçue. Un second pro-
jet, présenté par M. Trouvé-Chauvel, le 23 novembre, portait qu'à
partir du 1 • avril 1 850, l'impôt du sel serait réd uit des deux tiers.
Enfin, M. Lagarde, rapporteur d'une commission spéciale, pré-
sentait cette disposition principale : « A partir du i«r juillet 1849,
l'impôt du sel est réduit à 10 centimes par kilogramme. »
Le principal argument de M. Passy contre la réduction fut tiré
de la situation financière. Pouvait-on porter une pareille atteinte
au Trésor dans un moment où la fortune publique était encore
menacée par des déficits trop réels? Jamais, même aux jours de
la plus grande prospérité, on n'avait vu le budget des recettes at-
teindre 1 milliard 400 millions ; dans le dernier projet de budget
présenté par le gouvernement de Juillet, il ne s'élevait qu'à un
milliard 370 millions, chiffre auquel on n'était jamais parvenu.
fusion, reproduire les complications de ces travani divers et parallèles. Oo ne
s'étonnera donc pas si des discassions de natures opposées se rencontrent et se
commandent quelquefois dans notre résumé, ou si des projets financiers, ad mi- *
nistratifs ou purement politiques se dédoublent dans notre récit, bien qu'ils
aient été réunis dans les émotions et dans les débats de l'Assemblée consti-
tuante.
LA POLITIQUE DANS LES PINANCES. 13
Il ne serait que de 4 milliard 200 millions en 4 848, si l'on défal-
quait le produit des 45 centimes. Il faudrait s'estimer heureux
s'il atteignait un milliard 500 millions en 1849 » en supposant
qu'on n'imposât pas an pays la charge d'impôts nouveaux. Quel
était, au contraire, le budget des dépenses? Le dernier» celui qui
finissait avec l'année, dépassait 1 milliard 800 millions. Celui qui
avait été présenté récemment par M. Trouvé-Chauvel allait à un
milliard 660 millions. Ainsi, on avait d'un côté 1 milliard 300
millions de ressources régulières fournies par l'impôt ; de l'autre,
des charges obligées pour une somme de 4 milliard 600 ou 700
millions. Et c'est ce moment qu'on choisissait pour diminuer les
ressources ! On allait terminer l'exercice de 4848 avec un déficit
de 250 millions, et commencer celui de 4849 avec un déficit de
£00. Et on parlait de réduire un impôt qui fournissait 70 millions
au Trésor, et de faire de galté de cœur l'abandon des deux tiers
de son produit.
La Chambre commença par repousser, à la majorité de 447
voix contre 556, un amendement de M. Saint-Romme, portant
que le décret du 15 avril conserverait sa force première, c'est-à-
dire que l'impôt du sel serait entièrement aboK à partir du l0' jan-
vier 4849. Elle adopta ensuite l'art. 1er du projet de la commis-
sion, qui abrogeait ce décret (11 décembre).
Restait le projet de la commission, contenu dans l'article S.
M. Àoglade vînt l'aggraver encore par un amendement qui fixait
au 4«r janvier 4849 la réduction des deux tiers* Le scrutin de
division qui eut lieu sur cet amendement donna une majorité de
405 voix contre 860. Une disposition relative au droit différentiel
acquitté par les sels étrangers ayant été votée ensuite, nonobstant
l'opposition des représentants de l'Ouest, un nouveau vote sur
l'ensemble de la loi modifia le résultat définitif; néanmoins la
réduction fut encore votée au scrutin secret par 572 voix con-
tre 565.
Ou pensa qu'il fallait attribuer à ce vote un caractère politique»
et que la majorité avait voulu faire ainsi un acte d'hostilité contre
le nouveau Gouvernement. Peut-être quelques-uns de ceux qui
avaient ainsi porté un coup terrible aux finances du pays avaient*
ils été conduite par la pensée secrète de se donner une popula-
14 HISTOIRE DE FRANGE. (1849)
rite toile aux dépens du Gouvernement, ani dépens des intérêts
véritables de la Frante. Quoi qu'il en soit, ce vole imprudent
n'étaitàl pas une preuve nouvelle des dangers d'une Chambre
unique et des erreurs difficilement réparables d'un pouvoir lé*
gislatif sans contrepoids? (*8 décembre.) Dans l'état actuel des
choses, l'Assemblée se trouvait engagée par un premier vote et ne
pouvait rien changer à ses propres décisions. Le droit de veto du
Président n'était pas applicable à l'Assemblée constituante. Il y
avait là un péril trop grand pour que l'Assemblée ne cherchât
pas, bien qu'un peu tard, à prendre des précautions contre elle*
même. Le lendemain de ce vote regrettable, qui enlevait 46 mil-»
lions au Trésor obéré, un rapport fut fait sur un projet qui devait
combler la lacune et mettre en garde l'Assemblée contre la pas»
sion et la précipitation des votes. L'art. 44 de la Constitution,
relatif au mode de délibération des Assemblées législatives futu-
res, soumettait chaque décision de ces Assemblées, qui ne serait
pae prise d'urgence, à l'épreuve de trois lectures successives. La
Commission du règlement proposa, le 2 janvier, que l'Assemblée
actuelle, qui n'avait plus de Constitution à faire, mais seulement
des lois, s'appliquât à elle-même les règles qu'elle avait tracées
au* Assemblées à venir, et n'adoptât désormais aucun projet de
loi, sauf les cas d'urgence, qu'après trois délibérations, séparées
par des intervalles d'au moins cinq jours. La discussion de cette
proposition rut tumultueuse, empreinte de passion. Plusieurs
membres défendirent la réduction de l'impôt du sel avec aigreur.
Toutefois, la proposition Ait adoptée.
Le vote sur l'impôt du sel fut considéré par toute la France
comme une atteinte portée au crédit, comme une menace d'ag-
gravation pour les autres impôts. La Chambre avait du même
coup enlevé au pays 80 millions et la confiance ; elle avait frappé
les finances publiques par la diminution des ressources et par l'af-
faiblissement du crédit; elle avait porté un grave préjudice à
l'industrie, en faisant renaître le doute et l'inquiétude dans les
esprits, au moment où ils s'ouvraient à l'espérance. L'Assem-
blée, qui comptait sur cette mesure pour rétablir sa popularité
ébranlée, s'était, au contraire, aliéné les populations par ce faux
calcul. On vk dans ee vote, non-seulement une recherche trop
LA POLITIQUE DANS LES FINANCES. 15
ardent* de popularité au* dépens du budget, maie encore une
aorte de disposition à la latte contre le nouveau Pouvoir.
L'Assemblée eut à revenir, dans les premiers jours de janvier,
aur la loi malencontreuse votée le 26 décembre. Ce n'était plus
de l'impôt du sel qu'il s'agissait cette fois ; la proposition nou-
velle avait pour but de relever le tarif adopté à l'importation des
sela étrange» dans les ports de l'Océan et de la Manche. Dans la
précipitation apportée au vote de la loi sur le sel, une erreur
grave avait été commise. On avait méconnu ieê dispositions qui
devaient garantir la production indigène contre la production
étrangère; jusqu'ici les sels étrangers avaient été frappés de
prohibition. La commission avait proposé de remplacer cette
mesure par des droits qui variaient suivant les sones d'importa-
tion; ainsi elle avait présenté un tarif de 2 fr. 50 sous pavillon
français et de 3 fr, sous pavillon étranger par le littoral de la
Manche et de l'Océan ; mais l'Assemblée, qui avait adopté le droit
de 2 fr. à l'entrée par terre et par les frontières de Belgique, ré-
duisit le droit sur la Méditerranée et l'Océan à 50 centimes et
1 fr. suivant le pavillon.
Or, ce sont les sels anglais qui doivent également venir faire
concurrence aux sela indigènes, soit par la frontière de la Belgi-
que, soit par le littoral de U Manche et de l'Océan. Mais, d'après
le système de tarifs adopté par l'Assemblée, ils ne pouvaient en*
trer qu'au droit de % fr. par la frontière de Belgique, tandis qu'ik
pouvaient être importés au droit de 50 c. par le littoral ; quelle
cause assigner à l'excessive inégalité de ces droits sur les mimas
produits ayant la même origine? U n'y en avait qu'une, la con-
fusion qui avait présidé i la discussion et aui votes*
Aussi, à peine la loi était-elle votée que cinq représentants dé-
posèrent une proposition pour rehausser les droits i l'importation
par nos frontières de la Manche et de l'Océan ; le comité de l'a*
grieulture, auquel elle fut renvoyée, reconnut qu'en effet le droit
de 50 centimes livrerait notre marché intérieur au* sels étrange**
et porterait nn coup funeste à la production sur nos côtee de
l'Ouest ; il résulta des recherches, auxquelles il se livra, que le
prix du quintal de sel de l'Ouest, rendu à Rouen, pouvait être en
moyenne de 3 fir. tfft c*, tendis que le pria du eel portugais,
16 HISTOIRE DE FKANCE. (1849.)
rendu à la même destination, serait de 5 fr. 50, et celui du sel
anglais de S fr. 63 ; de telle sorte qu'il y avait une différence de
2 fr. 08 c. au profit du sel portugais, et de 1 fr. 99 c. au profit du
sel anglais ; la commission fut ainsi conduite à proposer un droit
de 2 fr. et de 2 fr. 50, suivant le pavillon ; ce droit de î fr., s'é-
tevant à 2 fr. 20 avec le décime, laissait à nos produits un avan-
tage de 25 c. sur le sel anglais et de 42 c. sur le sel de Por-
tugal.
Le tarif de la commission fut vivement attaqué et, malgré l'ap-
pui que lui donna M. le ministre des Finances, le chiffre proposé
fut rejeté au scrutin de division par 3S5 votans contre 344. C'est
qu'il était difficile, en effet, de s'expliquer le décret proposé, si
Ton se rappelait que le principal argument des partisans de la
réduction du sel avait été celui-ci : La réforme ne coûtera rien au
trésor; l'augmentation de la consommation sera considérable, et
le fisc retrouvera sur la quantité ce qu'il perdra sur la quotité de
perceptions. Mais si la consommation devait augmenter, il fallait
aussi dès lors permettre l'entrée des marchés français aux sels
étrangers. Sans cela, il était évident que les producteurs fran-
çais élèveraient leur prix de vente, et que le consommateur ne
profiterait pas de la réduction dont le Trésor public paierait tous
les frais. Tels furent les arguments de MM. Dezeimeris et Frédé-
ric Bastiat. Ce que Ton proposait aujourd'hui, selon eux, c'était,
au lieu de la prohibition, un droit prohibitif. D'où il suivait qu'en
volant la réduction des deux tiers sur l'impôt du sel, l'Assemblée
avait travaillé bien moins dans l'intérêt des consommateurs que
dans celui des propriétaires de marais salants.
On avait, il est vrai, l'air de croire que le droit de 2 fr., pro-
posé par le décret, permettrait l'entrée des sels étrangers et con-
cilierait tous les droits engagés dans le débat. Mais sur quoi se
fondait celte opinion? Il résultait, au contraire, des documents
et des chiffres que le rapport avait réunis i l'appui de cette thèse,
que ce n'était pas à 2 fr., mais à 4 fr. ou à 5 fr. qu'il faudrait
fixer le droit pour établir une transaction équitable entre les sels
français de l'Ouest et ceux de Liverpobl ou du Portugal.
Le droit de 2 fr. une fois repoussé par la Chambre, M. Passv
insista pour qu'on ne compromît pas, toute d'une protection suf-
LA POLITIQUE DANS LES FINANCES. 17
Osante, l'existence d'une industrie qui, selon M. le ministre, oc-
cupait* plus de 100,000 ouvriers, et qui procurait «un. transport
de {dus de 100,000 tonneaux à notre marine côtière. Le ministre
n'établit par aucuns documents officiels la vérité de ces chiffres
évidemment exagérés.
Après lui, M. Dufaure s'attacha à montrer les conséquences
funestes qui résulteraient de l'abandon des marais salants, dont
les exhalaisons pestilentielles porteraient la mort dans le voisi-
nage et décimeraient toute la population du littoral de l'Ouest.
Ces arguments, plus spécieux que solides, parurent remporter
sur la majorité qui, faute d'études suffisantes sur la question,
semblait surtout préoccupée de la crainte de se déjuger. L'Assem-
blée adopta un amendement de M. Sautayra, qui fixait le droit
d'importation dans les ports de la Manche et de l'Océan à
1 fr. 75 sous pavillon français, et % fr. 25 sous pavillon étranger.
C'était une diminution de 25 centimes sur le droit proposé par
la commission (11 janvier).
Sur la proposition de M. Fould, appuyée par M. Demesmay,
l'Assemblée, reconnaissant implicitement son ignorance de la
question, décida qu'il serait fait, en 1849, une enquête parlemen-
taire sur la production et le commerce du sel en France. Ce se-
rait peut-être un correctif du vote imprudent qui avait prononcé
la réduction ; cette résolution signifiait que la question restait
encore à l'étude, et que si la réduction ne tenait pas ce qu'elle
avait promis, l'Assemblée prochaine pourrait corriger Terreur de
sa devancière (15 janvier).
La réduction des deux tiers de l'impôt sur le sel avait naturel-
lement ramené l'attention vers les projets d'impôts nouveaux sou-
mis à l'Assemblée nationale; malheureusement ces nouveaux
impôts seraient loin de pouvoir combler le déficit considérable
de l'année qui commençait; ils soulevaient d'ailleurs, soit en prin-
cipe, soit relativement à l'application, des difficultés non encore
résolues.
Parmi ces impôts nouveaux, celui dont on espérait tirer le
produit le plus élevé devait atteindre le revenu mobilier; l'an-
cien ministre des finances, estimant l'ensemble des revenus mo-
biliers de la France à 3 milliards, avait proposé de fixer l'impôt
2
/
16 HISTOIRE DE FttANC*
rendu i la même destination, serait et
anglais de 3 fr. 63 ; de telle sorte qu' K
2 fr. 08 c. au profit du sel portugais ^
sel anglais ; la commission fut aim ^
de 2 fr. et de 2 fr. 50, suivant le ï 1
levant à 2 fr. 20 avec le décim* [ \\
tage de 25 c. sur le sel angi
tugal.
Le tarif de la commissi' |
pui que lui donna M. le f \
fut rejeté au scrutin df i *
t
ire ua
elet
'^pdt
^o],i^
mais
t*
Je
reveïïi
.e la contribua
4 la rente du sol
jxploitation agricole!
. l'agriculture avaient été
yon voulait atteindre, pour
jpôt, elle proposait de porter la
qu'il était difficile, f
Ton se rappelait cj
réduction du sel v ?
trésor; l'itogme' t iCe sur lesquels on cherchait à retrou-
le fisc retrouv * oduit occasionnée par Pexemption de l'a-
perceptions, tendre, à leur tour, leurs réclamations.
aussi dès I' iC commerce de Lille, entre autres, après avoir
étrangers qu'il y aurait de danger à frapper le commerce et
çais élr ^ au sortir d'une épreuve aussi douloureuse que celle
P10*1* ^afent subie depuis quelques mois, s'attacha à démontrer
,08 * //création de l'impôt proposé, même dans les temps calmes,
rf° ait itnpolitique, parce qu'il atteint l'activité humaine dans ses
? %rts Pour a»gme3ter le capital social, et qu'il entrave l'esprit
j$ spéculation sans lequel il ne peut y avoir de travail. On com-
prend l'impôt s'appliquant à des capitaux réalisés, à une terre, à
une maison : mais comment l'asseoir par avance sur des bénéfi-
ces d'une réalisation aussi problématique que ceux du commerce
et de l'industrie? N'avait-on pas fait, d'ailleurs, tout ce qu'on
pouvait faire, en les frappant du droit de patente qui pèse sur
l'habitation du commerçant et de l'industriel? On disait que l'im-
pôt sur les bénélîces de l'agriculture ferait double emploi avec
l'impôt foncier : mais ne pouvait-on objecter également qu'il y
aurait double emploi à soumettre à un impôt nouveau les bénéfi-
ces du commerce et de l'industrie, qui, outre la contribution fon-
cière ot celle des portes et fenêtres, supportaient déjà tout le poids
delà patente, dont l'agriculteur est exempt. On disait, il est vrai,
/
/
LA. POUT1QUÏ l*ES FINANCES. 23
•>* bénéfice» «eraierf ^ I» différence dans les
- compris la par naeubles est très-consi-
> le bénéfi^ ; rapprocher sur plu»
■», quart a * ■
*,tar 1 \ ^ repoussée par
' \ \«ae catégorie
tierce et deTn**^ i gnatrième
"^ -^ ^porteur,
/ que folhrit-îl entendre par le bénéfice du *^ V doc-
.«justrieî II n'est pas on établissement qui, avant n*w fr*-
ation, paisse fixer l'importance de ses bénéfices : les btaftfo^ "*»
en effet, dépendent toujours de la rentrée des créances ou foy*
réalisation des marchandises, et, s'ils ne peuvent être déterminée
par le commerçant lui-même, ils pourraient l'être encore bien
moins par une commission administrative étrangère aux affaires
commerciales. On citait, comme preuve de la difficulté d'appré-
ciations semblables, l'estimation même donnée par le ministre des
Finances, qui évaluait la production manufacturière à 5 milliards,
tandis que M. Cunin-Gridaine ne l'avait évaluée qu'à 2 milliards,
et qui portait ses bénéfices à 1 milliard 100,000 fr., c'est-à-dire
un peu plus haut que lés bénéfices de la production agricole, qui
cependant est généralement évaluée à 7 milliards.
Appellerait-on le commerçant ou le manufacturier à déclarer
le chiffre de son bénéfice? Mais comment contrôler ses déclara-
tions? Wétait-il pas à craindre qu'elles n'occasionnassent un ren-
versement total des situations vraies ; que les maisons prospères,
par exemple, ne dissimulassent l'importance de leurs bénéfices,
tandis que les négociants gênés seraient conduits à accuser des
bénéfices fictifs pour ne pas dévoiler leur position et compromet-
tre leur crédit.
Et puis, que de difficultés dans l'application! Quoi! chacun
serait obligé d'exposer au percepteur l'état de ses affaires? Le fisc
aurait le droit d'entrer ainsi de gré ou de force dans les secrets
de chacun, de fouiller dans les livres du négociant, de supputer les
bénéfices, de calculer les profits du médecin, les honoraires de
l'avocat ou du notaire? Mais, disait-on, cela se passe en Angle-
terre, et l'impôt sur le revenu s'y perçoit régulièrement. Qui
pouvait affirmer qu'il en serait de même en France
20 HISTOIRE DE FRANCE. {1849.)
M. Passy 6e refusa à assumer la responsabilité du projet, et il
le retira dans la séance du 16 janvier. M. Goudchaux déclara
qu'il le reprenait en vertu de son initiative parlementaire.
La première loi de finances soumise ensuite aux délibérations de
l'Assemblée fut un projet d'impôt sur les successions et sur les
donations. Ce projet» présenté six mois auparavant par M. Goud-
chaux, avait pour but d'appliquer le principe progressif à l'impôt
sur les successions et sur les donations, et d'introduire en outre,
dans l'assiette de cet impôt, différentes innovations» la plupart
inspirées par les doctrines plus ou moins socialistes avec lesquels
les on croyait alors devoir pactiser. Le projet de M. Goudchaux
avait une telle portée économique et sociale, que l'Assemblée,
malgré toute sa confiance dans le comité spécialement chargé
des questions financières, crut devoir en renvoyer l'examen à ses
bureaux, afin qu'il fût étudié par une commission qui résumât
en quelque sorte les principes de l'Assemblée tout entière; la
commission remplit sa mission avec zèle ; son rapport, rédigé par
M. de Parieu, fut déposé dès Je 1er septembre, et il était permis
de croire que, si la discussion n'en était pas venue plus tôt mal-
gré Ja situation de nos finances, c'est que le gouvernement de
cette époque ne se souciah pas de soulever les questions d'impôts
nouveaux avant la grande élection du 10 décembre.
Est-il besoin de dire que le projet de M. Goudchaux avait été
modifié radicalement et de fond en comble par la commission à
laquelle il avait été renvoyé? La commission avait fait justice de
ce principe progressif qu'on proposait d'introduire dans l'impôt
des successions, pour en faire ensuite la base de tout notre sys-
tème d'impôts. La théorie de la progression n'avait pu résister à
l'examen. La minorité de la commission avait essayé de la défen-
dre, sous prétexte que certains impôts pesaient, toute proportion
gardée, d'une manière plus lourde sur le pauvre que sur le riche,
de telle sorte que, suivant elle, l'impôt progressif devait compen-
ser ces injustices et rétablir la proportionnalité. Or, n'était-ce
pas, suivant la remarque de M. de Parieu, condamner l'impôt pro-
gressif en principe , que de l'admettre seulement comme un
moyen de ramènera la loi de proportionnalité notre système ac-
tuel de contributions? Ajoutons que, si l'impôt proportionnel
peut entraîner des charges et des privations inégalement senties,
LA POLITIQUE DANS LES FINANCES. 21
cela tient à l'inégalité des fortunes mêmes. D'où il suit que, si
Fou voulait amener l'impôt à se faire également sentir partout,
il faudrait faire disparaître l'inégalité des richesses et passer sur
le pays le nifeaa da communisme.
Le nivellement des fortonesfttel est en effet le terme naturel,
la conséquence logique de l'impôt progressif. On frappe d'une sorte
de pénalité l'accumulation du capital. On attaqoela propriété dans
sa formation et dans son développement. On entre dans une voie
arbitraire et Ton détruit toute espèce de garantie; si Ton arrête
la progression, on n'atteint pas les fortunes les plus élevées» et
l'on manque au principe, précisément lorsqu'en vertu delà théo-
rie l'application en semblerait le plus joste; si on n'arrête pas la
progression, on arrive alors plus ou moins promptement à l'ab-
sorption du capital imposable, c'est-à-dire à la spoliation. Ce
n'est pas par de semblables moyens qu'on opérera un morcelle-
ment fécond dans les fortunes, c'est par l'action naturelle des
lois civiles sur les successions et par le mouvement du travail.
La commission avait donc rejeté, à une majorité considérable,
le principe de l'impôt progressif, comme étant contraire à la jus-
tice, dangereux pour la société, nuisible i l'activité humaine,
dont il tend à paralyser les développements*
Est-il vrai, comme le prétendait M. Goudchaux dans son exposé
des motifs, quel1 impôt progressif, fût-il vicieux dans son applica-
tion à la propriété personnelle , s'adapterait particulièrement à
la matière des successions? Distinguer entre la propriété person-
nelle et la propriété acquise par l1héré(|ité, présenter cette der-
nière comme due seulement au hasard de la naissance ou au ca-
price des affections privées, n'était-ce point donner gain de cause
à ces sophistes qui prêchaient l'abolition de l'hérédité, et, par là,
la destraction de fa famille?
D'ailleurs, loin que l'impôt suc les successions se prête à une
application exceptionnelle du principe progressif, il s'y refuse au
contraire plus que toute autre nature d'impôt. D'une part, l'impôt
sur les successions est calculé, non pas sur le chiffre de la fortune
totale de celui qui hérite, chiffre qui, étant la seule mesure de
l'aisance, pourrait seul former la base de la progression, mais
sur le chiffre, de la succession même qui peut échoir à un homme
22 HISTOIRE DE FRANCE. (1819.)
plus ou moins pauvre, plus ou moins riche; D'autre part, il est
j>ereu, par suite des nécessités fiscales et pour éviter les fraudes,
non pas sur l'actif net, mais sur F actif brut, sans déduction des
dettes et des charges, de telle sorte que la surtaxe progressive au-
rait soutent pour base une non-valeur. Aussi la minorité même
de la commission, qui s'était attachée à défendre le principe abs-
trait de la progression, avait-elle reconnu presque tout entière
que ce principe était complètement inapplicable à l'impAtsur les
successions et donations.
Restaient les autres innovations que le projet apportait dans
l'assiette de l'impôt ; la première était relative à l'élévation géné-
rale des droits ; la commission n'avait pas admis pour bases de
ses tarifs des chiffres qui s'approchassent des maximum de pro-
gression posés dans le projet ; mais elle avait consenti cependant
des augmentations notables et qui modifiaient sur presque tons
les points l'échelle des droits actuels; elle avait pris, pouf maxi-
mum des droits, le chiffre de 12 p. 0/0, qui, ainsi que le faisait
remarquer le rapporteur, entamait déjà profondément le capital
immobilier, objet de la mutation; ce maximum, dans le projet,
s'élevait jusqu'à 20 0/0.
Le projet accordait une immunité complète pour toutes les suc-
cessions d'une valeur moindre de 500 ft\; la commission objectait
fort sensément que cette disposition n'avait qu'une apparence
démocratique, car un legs, une quote-part héréditaire deBOOfr.
de valeur peut échoir à des citoyens déjà fort riches ; où donc se
trouveraient, en pareil cas, la moralité et la justice de l'indemnité 1
Si l'on considérait, en outre, que l'administration est dans l'usage
d'accorder des dispenses aux indigents, on reconnaîtrait que l'a-
doption de cette mesure causerait une perte réelle au Trésor,
sans compensation pour la population pauvre, et l'on compren-
drait que la commission en proposât le rejet.
La commission avait également repoussé l'assimilation absolue
que le projet établissait, sous le rapport des droits, entre les meu-
bles et les immeubles ; les valeurs mobilières, généralement pé-
rissables et quelquefois non productives, lui avaient semblé, par
cela même, devoir être taxées moins fortement ; d*ailleur3, comme
elles sont plus faciles à dissimuler, des droits élevés ne feraient
LA POLITIQUE DANS LES FINANCES. 23
qu'encourager la fraude ; toutefois, comme la différence dans lee
tarifs actuels sur les meubles et sur les immeubles est très-consi-
dérable, la commission avait cru devoir les rapprocher sur plu-
sieurs points.
Une autre disposition du projet qui était encore repoussée par
la commission, était celle qui réunissait dans la même catégorie
le parent au quatrième degré, le paretit au delà du quatrième
degré et l'étranger à la famille; on serait» disait le rapporteur,
tenté de voir dans cette disposition le corollaire fiscal de ces doc*
Urines, qui, ôtant plus à la famille qu'elles ne doanept à la fra-
ternité civique, réclament, au profit de l'État, une modification
profonde de la loi sur les héritages : l'assimilation de parents à
divers degrés avec les étrangers dépourvus de toute vocation hé-
réditaire, semblerait en effet une mise en question des droits lé-
gaux des premiers; la commission proposait donc le maintien de
la classification du tarif actuel, déjà ancienne dans nos habitudes,
et qui est d'accord avec les lois ordinaires de l'affection naturelle
aussi bien qu'avec le droit civil.
Enfin, la commission rejetait aussi la proposition de soumettre
aux droits de mutation par décès les rentes sur l'État et lee va-
leurs mobilières situées à l'étranger* Le droit dont on frapperait
les rentes retomberait sur le crédit de l'État, qu'il importait, au-
jourd'hui surtout, de soutenir avec tant de sollicitude ; un seul
pas dans cette voie occasionnerait une alarme dont le eeurs des
fonds publics ne tarderait paa à se ressentir; l'impôt serait d'ail-
leurs fraudé facilement et produirait peu. Quant aux valeurs mo-
bilières situées en pays étranger, il ne serait pas juste de les
frapper d'un impôt au profit de l'Etat qui n'en protège qu'impar-
faitement l'acquisition et la jouissance.
On le voit, la commission avait apporté au projet des modifi-
cations fondamentales. Le principe de la progression, ainsi que
toutes les dispositions inspirées par un socialisme plus ou moins
avoué, avaient complètement disparu. La commission estimait
que le rehaussement des droits proposés par elle produirait une
plus-value d -environ 49 millions; mais il paraissait difficile que,
celte année, il pût en sortir pins de 9 ou 40.
La discussion fut ouverte le 15 janvier. Bien que le projet
21 HISTOIRE DE FRANCE. (t849.)
émanât d'un représentant de l'opposition, comme il se trouvait
aujourd'hui présenté par le Gouvernement, l'opposition crut de-
voir l'attaquer. M. Stourm insista pour qu'on opérât des écono-
mies héroïques dans le budget. L'orateur voulait qu'on réduisit
la marine, l'administration, qu'on supprimât l'armée. C'est aussi
le désarmement de la France qu'indiqua M. Billault comme
grande ressource économique. Déjà, dans quelques autres circon-
stances, M. Billault avait paru afficher la prétention de représen-
ter l'opposition dans la Chambre, croyant sans doute qu'aujour-
d'hui, comme avant février 4848, un chef d'opposition n'était
autre chose qu'un chef futur de cabinet. La gauche encourageait
secrètement ces doctrines arriérées, sauf à rejeter, au jour du
triomphe, celui qui parlait en son nom. M. Billault laissa voir
avec quelque complaisance ses prétentions nouvelles, et crut les
justifier en disant que le niveau du Pouvoir n'était pas tellement
élevé qu'il né fût permis d'y atteindre. Que les choses fussent
changées aujourd'hui, qu'il n'y eût plus de place pour une oppo*
sition constitutionnelle, qu'il n'y eût plus que deux camps, celui
des amis, celui des ennemis de la société, c'est ce que l'orateur,
aveuglé par le désir du Pouvoir, ne paraissait pas comprendre.
Aussi, sur les bancs de la droite, comme sur ceux de la gauche,
on apprécia facilement ies. déclamations de l'orateur contre un
ministère de quinae jours qu'il cherchait à rendre responsable
des prodigalités du passé.
M. Passy n'eut pas de peine à répondre à des attaques inspi-
rées par une tactique si transparente. La France était-elle seule
dans le monde ? Le Gouvernement avait-il à maintenir le respect
du nom français au milieu des agitations de l'Europe, et le meil-
leur moyen di prévenir les hostilités, était-ce de déposer les ar-
mes? Quand viendrait la question extérieure, l'Assemblée aurait
à examiner si elle prétendait continuer à suivre la ligne politique
qui avait été suivie jusqu'ici, si elle entendait maintenir ou
retirer ses paroles engagées. Ce serait seulement alors que la ques*
tion du désarmement pourrait être traitée d'une manière utile.
Quant aiii réformes administratives, disait encore M. le ministre,
elles ne s'improvisent pas; il y en a de mauvaises : ce sont celles
qui désorganisent les services. Parmi celles qui avaient été vo-
LA POLITIQUE DANS LES FINANCES. 25
té>s récemment, M. Passy en signalait une comme particulière-
ment malheureuse, celle qui avait atteint l'administration des
forêts.
M. Billault avait espéré entraîner l'Assemblée en l'effrayant
sur l'impopularité qu'elle pourrait exciter contre elle par le vote
de nouveaux impôts : on connaît les arguments d'usage en pa-
reils cas. M. le ministre des Finances répondit que, sans doute,
ce n'est pas sans regrets qu'un Gouvernement se décide à récla-
mer du pays de nouveaux sacrifices; mais, enfin, le véritable
homme d'État accepte courageusement la responsabilité des me-
sures qui lai- paraissent nécessaires*
M. Billault, et, après lui, M. Servières, ayant paru douter des
loyales intentions de l'administration, M. Passy termina par ces
mots significatifs : « Ou rendes-moi ma mission possible, ou je
la résigne. »
La Chambre décida, à une très-forte majorité, qu'elle passerait
à une seconde délibération (15 janvier).
Un projet de décret sur les douanes, soumise l'Assemblée na-
tionale dans les derniers joute de 1848, avait été la consécration
pare et simple des diverses mesures antérieurement arrêtées par
le Pouvoir exécutif, et n'offrait dès lors rien de véritablement
important. Les dispositions principales de ce projet concernaient,
d'une part, quelques marchandises d'importation, dont le tarif
était modifié, de l'autre, les exportations sous bénéfice de primes*
La prohibition i l'entrée des nankins de l'Inde, importés par
navires étrangers, était remplacée par un droit de 5 fr. par kil,,
et ce même droit de 5fr., qui frappait les nankins venus direc-
tement de l'Inde sous pavillon français, était réduit à 1 fr. Les
glaces non étamées étaient prohibées à l'entrée, tandis que les
glaces étamées ne Tétaient pas. Le décret faisait cesser cette sin-
gulière anomalie de tarif en soumettant les premières à des
droits spécifiques variant de 10 à 50 fr., selon la superficie des
glaces»
Le sol de l'Algérie est, on le sait, riche en minerais donnant
d'excellentes fontes aciéreuses, propres à la fabrication des outils
et des lames fines. Déjà des compagnies se sont formées pour les
exploiter ; mais, sans débouchés certain*, ces établissements ne
26 HISTOIRE DE FRANGE. (1849.)
pourraient prospérer. Le décret ouïrait aux fontes d'Algérie le
marché métropolitain en toute franchise de droit. Des facilités,
es outre, étaient accordées à l'introduction des fontes de Styrie
et de Carinthie, dont la qualité est également estimée. C'étaient
là des mesures réellement prolectrices de l'industrie du fer» de la
quincaillerie, de la coutellerie, etc.
Enfin, le décret proposait la ratification d'une mesure appli-
quée déjà depuis les six derniers mois de 4848 : à savoir les pri-
mes à l'exportation, dont un arrêté du 10 juin 1848 avait doublé
le chiffre, en y ajoutant les soieries et les toiles. Ce secours tem*
poraire accordé à l'industrie française lui avait été iaeontesta*
blement favorable ; les exportations y avaient gagné de ne pas
succomber tout à fait sous le poids du discrédit commercial.
Déjà, depuis longtemps, la science économique réclamait con-
tre la fixité des valeurs que la douane, dans ses tableaux annuels
du commerce, applique aux marchandises importées ou expor-
tées. De ce maintien, en effet, d'une quotité officielle immuable,
résultait nécessairement, au bout de quelques années, une appré-
ciation fort inexacte de la valeur réelle des échanges; et, comme
la statistique, si bien faite qu'elle soit, ne saurait offrir par elle-
même une complète garantie de certitude, il n'en était que (dus
urgent de réviser les valeurs qui, depuis plus de vingt ans, ser-
vent de base à celles des tableaux du commerce. L'administra-
tion, par un arrêté du 13 décembre 1848, était enfin entrée dans
cette voie qui devait rapprocher les chiffres de douane de la vé-
rité, et montrer plus clairement l'importance des achats et des
ventes à l'étranger.
Déjà cette révision des anciennes valeurs avait été opérée dans
le tableau public de 1847, qui toutefois les avait conservées en
regard des valeurs nouvelles. Il est curieux de voir ce que, par
suite de ce rapprochement, étaient devenus certains chiffres offi-
ciels. En coton importé, par exemple, la France achetait officiel-
lement à l'étranger pour 81 millions; la valeur actuelle abaissait
ce chiffre à 67. Les tabacs, de 2ft millions et demi , tombaient
àlO. Les bois, au contraire, montaient! de 43 millions à 61 . A
l'exportation, les disparates étaient souvent plus marquées en-
core; officiellement, on livrait à l'étranger, en 1847, pour
LA POLITIQUE DANS LES FINANCES. 27
1 &$ millions de cotonnades sortant des fabriques françaises ; la
valeur actuelle n'était plus, que 55 millions* environ le tiers. Les
tissas de laine tombaient de 101 à 70 millions; les toiles, de M
à SI ; les soieries, de tô6 à 140. En somme, la valeur totale et
otfeiolle des exportations <eommerce spécial) se réduisait de
&91 millions i une taieur réelle de 710 millions ; et encore allait*
il remarquer que la révision n'avait pas» pour 1847, porté sur
tontes les marchandises.
H. Tourret, par son arrêté du 15 décembre, établit une corn*
mission permanente des valeurs.
Un antre projet proposait une taie annuelle snr les biens de
main-morte, taie représentative des droits de transmission entre
vife'Bt par décès; Les biens dé mainmorte, on le sait, appartien-
nent à un être moral qui ne meurt jamais ; Us ne changent pas
de propriétaire, comme ceux que la mort fait passer de l'un à
l'autre par héritage. Ces sortes de biens n'acquittaient pas, jus-
qu'à présent, les droits de mutation qui atteignent les autres
biens à l'ouverture de chaque succession. Il y avait, sans doute,
de graves inconvénients à laisser jouir d'une semblable immunité
une niasse de biens qui restent dans une infériorité de produc-
tion telle, que, représentant près de 5 millions d'hectares, ou le
dixième des propriétés imposables de la France, ils ne donnent
cependant qu'un revenu de 64 millions, c'est-à-dire le trente-et-
nnième du revenu général.
Les biens qui devaient être atteints par le nouvel impôt étaient
les biens immeubles passibles de la contribution foncière, appar-
tenant aux départements, communes, hospices, séminaires, fabri-
ques, congrégations religieuses, consistoires, établissements de
charité, bureaux de bienfaisance, sociétés anonymes et tous éta-
blissements publics légalement autorisés.
On voit que, parmi les établissements de main-morte qui al-
laient se trouver imposés, il y en avait un certain nombre qui ne
se soutenaient qu'à l'aide de subventions accordées par l'État ;
MM. Grellet et Besnard en tirèrent un argument contre le projet
de loi, parce qu'on serait obligé d'augmenter ces subventions en
raison du nouvel impôt, c'est-à-dire qu'on prendrait d'une main
pour rendre de l'autre; ils objectèrent, en outre, qu'il était im-
38 HISTOIRE DE FRANGE. (1849.)
politique d'imposer les hospices et les établissements de charité ;
mais MM. Passy, Grévy .et Dupin réfutèrent ces objections; ils
répondirent que l'impôt était juste ; qu'il avait pour but de Caire
disparaître un privilège en matière d'immeubles; qu'il ne porte-
rait que fort peu sur les fondations charitables; qu'il n'y avait,
d'ailleurs, rien de contradictoire entre la subvention et l'impôt,
et que, quant aux hospices et aux établissements de charité,
comme ils sont a la charge des communes, les pauvres ne sau-
raient en souffrir.
Le projet primitif assujétissait également à la nouvelle taxe les
droits d'usage en bois appartenant à des communautés d'habi-
tants dans les forêts des particuliers et de l'État; mais la commis-
sion avait considéré que ces droits constituaient une servitude et
non une propriété, que, d'ailleurs, ils étaient incessibles, et que,
par conséquent, ils ne pouvaient être passibles d'un impôt qui
prend sa source dans la transmission; elle proposait donc de ne
leur rien demander.
La taxe annuelle à percevoir sur les biens de main-morte de-
vait être de 5 Ojô du revenu, taxe un peu moins élevée que le
montant des droits de mutation qui grèvent les biens des particu-
liers; nous avons dit que le revenu des biens de main-morte était
estimé à 64 millions; l'impôt rendrait donc plus de 3 millions;
mais il faudrait en distraire l'augmentation de secours qu'il serait
nécessaire d'accorder aux établissements subventionnés.
L'Assemblée décida qu'elle passerait à une seconde délibéra-
tion (16 janvier).
Parmi les conséquences financières de la Révolution de Fé-
vrier, il fallut placer un projet de loi tendant à ouvrir un crédit
de 584,000 fr. au ministère de l'Intérieur pour dépenses diverses
effectuées sans crédits réguliers à la suite de la Révolution;. le
rapport, présenté par M. Lempereur, au nom du comité des fi-
nances, contenait de curieux renseignements.
Le chapitre qui fixait principalement l'attention contenait une
demande de 180,000 fr. pour traitements et indemnités aux pré-
fets. 11 résultait, disait le rapport, des documents fournis au co-
mité des finances, qu'en évaluant à une période moyenne de trois
mois la durée de la mission des commissaires du Gouvernement
LA POLITIQUE DANS LES FINANCES. 29
provisoire, leur traitement pendant cetle période se serait életé
à 455, 000 fr;, tandis qte le traitement des préfets pendant la même
période n'aurait coûté, conformément au budget, que 426,000 fr-
Ainsi, le traitement des commissaires du Gouvernement provi-
soire avait eicédé de 29,000 fr. celui qui avait été affecté au trai-
tement des préfets;
Mais ce n'était pas tout. On réclamait, en outre, pour dépenses
diverses faites par les commissaires, sous le titre d'indemnités
extraordinaires, une somme de 242,000 fr. De telle sorte que le
montant total des dépenses relatifes aux commissaires du Gou-
vernement provisoire en traitements et indemnités extraordi-
naires, indépendamment du. traitement alloué aux préfets, était
de 274,000 fr. Et encore, ce chiffre n'était pas définitif, et il ne
serait possible de le connaître exactement, que lorsque le minis-
tère de l'Intérieur aurait reçu les tableaux qui devaient lui être
envoyés par les différentes préfectures à la fin de chaque année
pour l'exercice terminé.
On retrouvait encore dans le projet d'autres traces du désordre
linancier de cette époque. M. Ledru-Rollin n'avait pas fait moins
de 60,000 fr. de dépenses extraordinaires en têtes de lettres, en
habillements de gens de service, en mobilier de bureau, et autres
menus frais. L'impression et l'affichage de ces fameux Bulletins
de la République, qui avaie.nl eu tant de retentissement, figuraient
pour 40,000 fr. 11 [y avait, en outré, près de 9,000 fr. pour im-
pressions et publications extraordinaires faites dans les départe-
ments.
Le rapport disait encore qu'à la suite du 24 février, 551 ,000 fu-
sils, 8,000 mousquetons, 456,000 sabres avaient été pris dans
les arsenaux et distribués à Paris et dans les départements. Com-
bien de ces fusils étaient entre les mains des insurgés de juin?
Un des premiers soins du Gouvernement, à la suite de ces dé-
plorables journées, avait dû être de retirer la plus grande partie
des armes, et de les réintégrer dans les arsenaux.
Enfin, le projet de loi renfermait un chapitre par lequel un
crédit de 60,000 fr. était demandé pour secours de route à
des ouvriers et à des réfugiés étrangers,- a L'emploi de cetle
somme, disait le rapport, n'est justilié que par une lettre
30 HISTOIRE DE FRANCE. (18490
du citoyep Flocon, l'un des membres de Gouvernement,
adressée au ministère de l'Intérieur. Le citoyen Flocon déclare
que la somme lui a été versée en trois paiements, et qu'elle a été
employée par lui à faciliter le départ des réfugiés et ouvriers po-
lonais, allemands et italiens. Cette somme de 60,000 fr. a été
versée au citoyen Flocon, par ordre du Gouvernement provisoire,
qui lui en a confié la distribution. Le comité des finances croit
que Ton doit accepter la déclaration du citoyen Flocon, autorisé
par le Gouvernement provisoire à agir comme il l'a fait, s
Dans la séance suivante (18 janvier), M. Flocon crut devoir se
plaindre de ce que le comité des finances ne l'eût paa fait appeler
pour lui demander les comptes de ces 60,000 fr., et il ajouta
qu'il était prêt à les rendre. M. Deslongrais lui fit observer que le
comité des finances n'avait pas été chargé de demander la justifi-
cation des dépenses, mais seulement d'examiner si des dépenses
extraordinaires avaient eu lieu ; M. Gréton de son côté insista
pour qu'il fût bien entendu qu'il s'agissait d'une loi de simples
crédits, et non d'une loi apprôbative d'une partie quelconque
de la gestion du Gouvernement provisoire. Les comptes généraux
du Gouvernement provisoire ne seraient discutés que lorsque
l'Assemblée serait appelée à se prononcer sur le projet de crédit.
Notons encore un projet portant ouverture d'un crédit de
2 millions 720,000 fr. pour la liquidation des ateliers nationaux.
Un excellent rapport de M. Etienne, contenait des renseigne-
ments curieux sur cet abtme non encore comblé. Déjà M. Gréton
avait déposé un amendement à ce sujet. On se souvient qu'il y
avait eu 42 millions de votés pour cet objet; avec les 2 millions
720,000 fr. dont il s'agissait aujourd'hui, la liquidation allait à
15 millions, et rien ne prouvait que ce dût être la fin des crédits
à cette destination. L'Assemblée indiqua une seconde délibéra-
tion (16 janvier).
Voici, d'après les documents officiels distribués, le 22 janvier,
à l'Assemblée nationale, l'état comparatif du budget de 1849 avec
celui du budget rectifié de 1848 :
Les recettes de 1849, comparées à celles de 1848, se
trouvaient diminuées, d'une part, de la somme importante
de 437,718,732 fr.
LA POLITIQUE DANS LES FINANCES. 81
provenant de la suppression de la contribution extraordinaire
des 45 centimes additionnels pour 191 millions 260,000 fr., de
divers produits éventuels pour 42 millions 480,000 fr., et du
retranchement d'une ressource extraordinaire de 232 millions
60,000 fr. procurée par l'emprunt du 24 juillet et par celui qu'a-
vaient souscrit les porteurs d'actions du chemin de fer de Paris à
Lyon*
D'une antre part, les recettes s'étaient augmentées de 243 mil-
lions 716,503 fr., résultant d'un produit présumé de 99 millions
230,000 fr. attendu de l'impôt sur les revenus mobiliers et des
droits additionnels proposés sur les donations et successions,
d'une amélioration d'environ 83 millions 873,000 f. sur les im-
pôts et revenus indirects, d'un accroissement de 35 millions
44,000 fr. sur la réserve de l'amortissement, et de 9 millions
de francs sur les versements de la Compagnie du chemin de fer
du Nord.
La diminution des recettes de 1849 pouvait donc être évaluée
à 194,002,229 fr.
Quant aux dépenses, elles étalent d'une part, diminuées
de 219,985,329 fr., laquelle somme représentait toutes les ré-
formes et réductions introduites ou projetées dans les différents
services publics, notamment dans les ministères îles Travaux pu-
blics, de la Guerre et de la Marine.
D'une autre part, elles étaient augmentées, par suite de l'ac-
croissement de la dette publique, d'une somme de 41,493,952 fr.
Là réduction des dépenses était ainsi, en résultat, de 178
millions 491,377 fr., et le découvert du budget de 1849, rap-
proché de celui del848, présentait une augmentation finale de
15/510,852 fr.
Le budget des dépenses présentait des réductions notables
dans toutes les parties des services publics, à l'exception du bud*
get de l'instruction publique et de celui des cultes qui s'étaient
accrus de près de 3 millions, et de la dette flottante qui avait
augmenté de 41 millions 493,952 fr. les charges de l'État,
Le budget de la guerre présentait une diminution de 76 mil-
lions 111,450 fr. L'effectif de l'armée qui, au 1« décembre de
l'année précédente, était de 502,196 hommes et 100,432 che-
32 HISTOIRE DE FRANCE. (1849.)
vaux, se trouverait réduit de 121,372 hommes et 8,022 chevaux.
Il ne serait plus, à la fin de cette année, que de 580,824 hom-
mes et 92,410 chevaux, dont 78,000 hommes et 15,490 chevaux
seraient employés en Algérie.
Le budget de la marine était diminué de 22 millions 73,029 fr.
La flotte activé se composerait de 10 vaisseaux, dont 2 à batteries
flottantes; de 8 frégates, 'de 18 corvettes, de 24 bricks, de 12
transports et de 24 goélettes et cutters montés par 20,000 mate-
lots environ. 11 y aurait en outre 2 vaisseaux et 5 frégates en dis-
ponibilité de rade et 8 vaisseaux et 10 frégates en commission de
port.
Les bâtiments à vapeur appartenant à la flotte active se com-
poseraient de 10 frégates, 12 corvettes et 54 avisos. Vingt et an
bâtiments, dont 9 frégates, 6 corvettes et 6 avisos, resteraient en
outre en commission de port.
Il y avait à peine trois semaines que le Cabinet du 10 décem-
bre était en possession du pouvoir, et déjà ses adversaires dans
la Chambre, le sommaient de réduire les dépenses et d'apporter
un budget en équilibre* Us lui demandaient compte .des amélio-
rations réalisées dans ce court espace de temps. Cette espèce de
conspiration financière se manifesta par deux propositions dépo-
sées le 22 janvier. L'une, signée par quatre-vingts membres,
avait pour but de renvoyer l'examen du budget à une commission
de trente membres; l'autre, présentée par M. Billault, voulait
que l'Assemblée, après avoir réglé immédiatement le budget des
recettes par un décret spécial, invitât le ministère à apporter un
budget des dépenses mis en rapport avec le chiffre des receltes,
tel qu'il aurait été arrêté.
La première de ces propositions présentait, à ce qu'il parut
plus tard, une rédaction plus étrange. Il y était dit que la com-
mission serait chargée, non pas d'examiner, mais d'établir le
budget. Or, M. le président de l'Assemblée prit sur lui de rem-
placer le dernier de ces mots par le premier, et c'est dans ces
termes que la question fut votée, sur la déclaration de M. le
ministre des Finances qu'il n'y avait là qu'une question de
forme intéressant seulement l'Assemblée et non le Cabinet. C'é-
tait, en effet, l'annulation du comité des Finances. Maisqu'im-
LA POLITIQUE DANS LES FINANCES. 33
portait au ministère? Toutefois, après le vote, MM. Deslongrais et
Larochejaquelein, ayant demandé qu'on s'entendît bien sur les
termes, M. Gent, l'un des quatre-vingts signataires, dît que le
mot établir avait été employé à dessein dans renoncé de la pro-
position. Le mot examiner, ayant seul été mis aux voix, le vote
devait être considéré comme nul.
Quant à la proposition de M. Billault, M. le ministre des Fi-
nances déclara que, lorsqu'elle viendrait à discussion, il aurait de
graves objections à faire valoir contre elle ; mais il ne s'agissait
aujoijrd'hiii que de la question d'urgence, et, comme le Cabinet
était au moins aussi intéressé que l'Assemblée à ce qu'aucun re-
tard ne fût apporté à l'examen du budget de 1849, M. Passy ap-
puya la demande. L'Assemblée vota donc l'urgence, et une com-
mission dut être nommée.
Toutefois, à y regarder de plus près, la proposition collective
qui détruisait le comité des Finances, donnait une singulière
portée à la proposition de M. Billault. Il semblait que Tune fût le
corollaire de l'autre, et que toutes deux constituassent une seule
et unique machine de guerre.
Le budget de 4849 avait été présenté, dans le courant de dé-
cembre, par M» Trouvé-Chauvel ; l'Assemblée en avait renvoyé
l'examen au comité des finances, qui avait commencé ce vaste tra-
vail à l'aide des lumières acquises par quatre mois d'études sur
le budget de 1848. M. Billault et ses auxiliaires voulaient aujour-
d'hui remplacer à la fois le ministre des Finances et le comité par
une commission extraordinaire qui établirait un nouveau budget,
6ans s'arrêter à l'examen de l'ancien, et qui présenterait à la fois
à la Chambre et le projet et le rapport. La commission commen-
cerait par un budget des recettes très-réduit; puis, s'arrétant au
milieu de son œuvre, elle laisserait au Gouvernement la tâche
impossible d'une immédiate réduction des dépenses nécessaires
aux divers services. Telle était la combinaison inventée. Le
comité, expression de la majorité, repoussait la proposition
par les raisons suivantes. Premièrement, pensait-il, on voulait
recueillir une grande popularité des réductions ou suppres-
sions d'impôt dont on se proposait de prendre l'initiative. En
second lieu> on mettrait le Gouvernement dans la fâcheuse alter-
S
34 HISTOIRE DE FRANCE, (t84fc)
native ou de combattre énergiquement ces ruineuses réformes, ou
de désorganiser les services et de se heurter contre d'insurmon*
tables difficultés par des réductions de dépenses irréalisables*
Enfin, on prolongerait d'autant l'existence de l'Assemblée. Si on
ne pouvait dire que ce plan fût loyal, au moins était-il habile.
Mais déjà, peut-être, le pays commençait à s'éclairer sur la mora-
lité de ces calculs.
Et d'ailleurs, qui attaquait-on aujourd'hui ? Le budget ou le
ministère ? Le budget ! Mais n'était-il paa l'œuvre du Cabinet pré-
cédent, dont M. Trouvé-Chauvel était ministre des Finances. Ce
qui avait paru irréprochable, proposé par l'administration des
républicains de la veille, devenait inacceptable depuis que l'ad-
ministration nouvelle en avait reçu l'héritage. Et encore, à qui
convenait-il aujourd'hui de déclamer contre les lourds budgets?
Les charges qui pesaient sur la France n'étaient-eUes pas le fruit
de dix mois de désordres. Diminuer indéfiniment les recettes,
accroître démesurément les dépenses, tel avait été le système
financier de ces mêmes politiques qui parlaient aujourd'hui d'é-
quilibre financier.
Comment se faisait-il qu'on persistât à indiquer comme faciles
des économies assez larges pour équilibrer le budget, tandis
qu'on ne pouvait en formuler aucune. Pressait-on les réforma*
teurs de sortir du vague, et de préciser quelque réforme pratique,
il devenait impossible d'en tirer une réponse. On les voyait alors
se rejeter sur ces expédient si chers aux utopistes, la réduction,
par exemple, ou même la suppression de l'effectif militaire. On
citait, à ce sujet, ce qui se passait de l'autre côté de la Manche*
On parlait avec éloge de 31. Cobden et de ses utopies préchées
dans les meetings. M. Cobden, disait-on, n'hésitait pas à deman-
der que les dépenses militaires et navales de l'Angleterre fussent
ramenées à ce qu'elles étaient en 1835, ce qui procurerait une
économie annuelle de 250 millions. On se gardait bien d'ajouter
qu'au moment même où M. Cobden prêchait ces séduisantes ré-
formes, l'Angleterre augmentait ses dépenses navales. Telles fu-
rent les objections présentées contre la proposition de M. BtUault
Cependant il fallait revenir sur le vote annulé par suite de la
confusion des deux mots examiner et étabUn M. Gent, an nom
LA POLITIQUE DANS LES FINANCES. 35
de ro collègues, vint, le 14. janvier, déclarer que la proposition.
des quatre-vingts membres n'avait d'autre but que de faire nom-
mer une commission chargée d'examiner le budget de 1849.
Réduit à ces termes, le vote de la veille ne portait plus que sur le
comité des finances ; la prérogative du Pouvoir exécutif demeu-
rait intacte.
Le rapport sur la proposition de M. Billault avait à décider sur
ia question d'urgence. L'organe de la commission» M. Dezeimeris,
oubliant, sans doute, k question à résetdrc, ceaeluL à l'adoption
de la proposition. C'était démasquer trop clairement le but de la
proposition, et montrer, par cette précipitation malheureuse,
qa'vn ne pensait, au fond, qu'à renverser un ministère* A cet
excès de sèle de la commission s'ajoutait une autre imprudence,
i savoir, une accusation éloquente contre les dilapidations du
budget monarchique. Était-ce bien à ceux-là même dont l'admi-
listration avait surchargé d'un déficit immense la fortune publi-
que, de calomnier les prospérités de temps meilleurs? L'Asêem-
blée vota seulement l'urgence, et cela sur la demande même de
M. le ministre des Finances. Quant au fond, la proposition, con-
formément au règlement^ fut renvoyée dans les bureaux pour un
nouveau rapport.
C'çsl là qu'en était arrivé le conflit dans la Chambre, quand
des événements d'une gravité singulière en amenèrent la se-
lation.
36 HISTOIRE DE FRANCE. (1849.)
CHAPITRE III.
TRAVAUX StMICX. ADMIHIBTEATION.
Lots AMHfUSTaÀTiVBS. — Loi relative au travail dans les prisons. — Sup-
pression imprudente. — Les droits du traçai) libre. — Rapport de M. Roaber.
— Système da Gouvernement et de la commission, intervention dn ministère
de la Guerre, MM. Ba/aguay-d'Hilliers et de Lamoriàère, adoption da projet,
ses imperfections. - Question des coalitions, proposition de M. Morin, ten-
tative de conciliation entre les patrons et les ouvriers, avortement de la
proposition.' — L'enseignement public et M. Csrnot, nouveau plan d'insti-
tutions primaires, commissions uoinmées par M. de Falloux, conflit élevé par
MM. Repellinet Bartfaélemy-Saint-Hilaire, M. Dupont (de Bossac), décret
sur les lois organiques, ordre du jour motivé, I* Assemblée refuse d'infliger
un blâme au ministère. Organisation de l'assistance dans la ville de Paris,
adoption du projet du Gouvernement. — Modification de l'art. 1781 du Code
civil. — Mariage civil, publicité du contrat. — Projet de loi sur les chambres
consultatives d'agriculture, M. Tourret. — Retrait du projet de loi sur l'école
d'administration, projet nouveau, l'ancien projet repris par M. Bourbeau.
L'Assemblée s'occupa, dans les premiers jours de l'année,
d'une loL relative au travail dans les prisons, si imprudemment
aboli par le Gouvernement provisoire. L'immoralité engendrée
par le désœuvrement ne permettait pas de laisser subsister plus
longtemps le décret dicté par le Luxembourg. La disposition es-
sentielle de la loi nouvelle portait que les produits fabriqués par
les détenus des maisons centrales, de force et de correction, ne
pourraient pas être livrés sur le marché en concurrence avec coup
du travail libre. La conséquence de cette innovation serait d'ap-
pliquer désormais les détenus à la confection des effets d'habille-
ment et de chaussure à leur propre usage, à celle des effets de
même nature destinés à la troupe, aui hospices et aux bureaux
TRAVAUX SÉRIEUX. ADMINISTRATION. 37
de bienfaisance. Les produits du travail des prisonniers seraient,
autant que possible, consommés par l'État. Mais l'application de
cette nouvelle législation serait graduelle et subordonnée à l'expi-
ration des contrats qui, pour quelques années encore, liaient
l'administration envers un certain nombre d'entrepreneurs.
Tel était le projet sur lequel s'ouvrit, le 4 janvier, la discussion
générale. Les différents points de vue de la question furent ex-
posés avec une remarquable lucidité par le rapporteur de la com-
mission, M. Rouher.
L'organisation du travail dans les prisons excitait, depuis long-
temps, de vives réclamations de la part de l'industrie libre, lors-
q n'éclata la Révolution de Février ; le Gouvernement provisoire,
voulant venir en aide aux ateliers qui se fermaient de tous côtés,
suspendit, par un décret du 24 mars 1848, le travail des détenus;
le ±8 août, le Gouvernement proposa un décret qui tendait à ré-
tablir le travail, en laissant aux préfets le soin de déterminer la
nature et les tarifs des fabrications qui pourraient être exécutées
dans les prisons, et en leur donnant, en outre, la (acuité d'inter-
dire la mise en vente, dans certaines villes, des objets manufac-
turés.
La commission à laquelle ce projet fut renvoyé, tout en recon-
naissant la nécessité de rétablir le travail dans les prisons, soit
comme moyen de discipline et de moralisation, soit comme moyen
d'alléger les charges de l'État, fut cependant d'avis de repousser
l'expédient proposé par le Gouvernement, parce qu'il lui sem-
blait impropre à combattre le mal auquel on voulait remédier ;
on ne ferait, suivant elle, que déplacer la difficulté : car rentre-
preneur, ne pouvant exercer une industrie acclimatée dans le
pays, organiserait une concurrence à celle d'un département
plus éloigné, et, en réalité, plus digne de protection, puisque ce
département ne profiterait pas des débouchés que procure le voi-
sinage d'une maison centrale.
Mais la commission ne se borna pas à rejeter la solution qui
était proposée; elle en formula une autre qui lut parut de nature
i concilier des élémebts en apparence inconciliables ; le moyen
proposé consistait à faire consommer par l'État, et principalement
par les armées de terre et de mer, les produits fabriqués dans les
38 HISTOIRE DE FRANCE. (1849.)
maisons de force et de correction. Sans doute, par cette combi-
naison, la lutte cesserait entre le travail libre et le travail des pri-
sons, le produit confectionné par le détenu ne pouvant plus être
mis en vente à côté d'un article similaire confectionné par l'ou-
vrier libre et venir en déprécier la valeur.
La point important était de savoir si ce nouveau système pou-
vait ^harmoniser avec notre organisation administrative. La
commission s'entendit, à ce sujet, avec les ministres de la Guerre
et de la Marine, et elle se convainquit de la possibilité de réser-
ver aux condamnés la confection des vêtements et des chaussures
destinés aux armées. Ce système présenterait, en outre, l'avan-
tage de supprimer les compagnies hors-rang, chargées, jus-
qu'alors, de confectionner ces différents objets, ce qui permet-
trait, en rendant au service les soldats qui les composent, de
diminuer l'effectif, et, pat suite, le budget militaire*
Après la lecture du consciencieux rapport de M. Routier, la dis-
cussion s'engagea (5 janvier) entre M. le ministre de la Guerre et
M. la général Baraguay-d'Hilliers, qui soutint la nécessité des
compagnies hors-rrfng pour la confection de beaucoup d'ob-
jeU autres que des vêtements. La solution proposée par la
commission présentait donc quelques difficultés, et H. de Lamo-
ricière ne parvint pas à les résoudre. Aussi, M, le ministre de
l'Intérieur, tout en déclarant que la pensée de faire consommer
par l'État les produits du travail des détenus, était susceptible
d'être appliquée dans certaines limites, s'éleva contre ce que le
projet de la commission présentait d'impératif.
En résumé, deux systèmes se trouvaient en présence.
Le premier, proposé par le Gouvernement, tendait à mettre
entra les. mains des préfets des pouvoirs suffisants pour empêcher
les conflits entre le travail des détenus et le travail libre. Ainsi,
on ne permettrait pas, dans les villes où il existe une industrie
qui fait vivre une partie de la population, d'introduire cette in-
dustrie dans la maison centrale. On fixerait le salaire des détenus
de telle façon qu'il ne fût pas assez abaissé pour faire une concur-
rence dangereuse au salaire des ouvriers libres ; enfin, on interdi-
rait la vente , dans certaines villes , des produits qui pourraient
se présenter en rivalité avec les produits de l'industrie locale,
TRAVAUX SÉRIEUX. ADMINISTRATION. 39
Le second système, proposé par la commission, était plus ra-
dical : il consistait à taire consommer par l'État les produits fa-
briqués par les détenus dans les maisons centrales, de force et de
correction ; de telle sorte que ces produits ne pussent plus venir
faire concurrence aux produits de l'industrie libre sur nos mar-
chés.
Voici maintenant les objections que soulevait chacun de ces
systèmes.
Au système du Gouvernement, la commission reprochait de
déplacer le mal au lieu d'y remédier. L'économie du projet con-
sistait surtout à pouvoir interdire la vente des objets confection-
nés par les détenus, dans les localités mêmes, après avoir consulté
les représentants des industries locales. On dirait à l'entrepre-
neur : Ce que vous fabriquerez dans la maison centrale, vous ne
pourrez le vendre qu'à vingt ou trente lieues. Qu'en résulte-
rait-il? Que l'entrepreneur serait grevé de frais de transport, qui
retomberaient sur nos finances, puisqu'il devrait les faire entrer
dans ses calculs; mais qu'en réalité l'industrie libre n'y gagnerait
rien. Ainsi, par exemple, on fabrique de I'ébénisterie dans la
maison de Poissy; les articles qui en sortent sont vendus sur le
marché delà capitale ; que Ton consultât les industriels de Poissy,
ils ne réclameraient en aucune façon contre une fabrication qui
ne lèse en aucune manière leurs intérêts, et, cependant, l'indus-
trie parisienne continuerait à souffrir de cette concurrence.
An système de la commission, le Gouvernement reprochait de
manquer d'élasticité, et d'être trop impératif; de placer l'admi-
nistration dans la nécessité de suspendre le travail, si la fabrica-
tion des objets, que l'on peut utilement confectionner dans les
maisons centrales pour le compte de l'État, n'était pas reconnue
suffisante pour occuper partout les détenus ;' enfin, de mettre ob-
stacle à certaines améliorations qui peuvent être tentées, telles
que l'application des prisonniers aux travaux agricoles, qui avait
été indiquée plusieurs fois, et qui était essayée, en ce moment,
à la maison centrale de Fontevrault.
Le système du Gouvernement fut défendu par M. Grellet; celui
de la. commission fut soutenu avec talent par M. Rouher. Un
nouveau système proposé par M. Charamaule, et consistant à faire
40 HISTOIRE DE FRANCE. (1849.)
porter le travail des détenus sur des produits destiné? à l'exporta-
tion ou non encore obtenus en France, fut rejeté sur l'observation
faite par M. Rouher que ce système n'irait qu'à déplacer la con-
currence faite à l'industrie libre en la dirigeant contre les fabri-
ques qui alimentent l'exportation.
Enfin, le système de la commission triompha; il fut décidé
que les produits confectionnés par les détenus ne pourraient plus
être apportés sur le marché en concurrence avec les produits de
l'industrie libre. Toutefois, l'Assemblée, corrigeant ce que ce sys-
tème avait de trop exclusif, ne voulut pas statuer que les produits
du travail des détenus seraient uniquement consommés par l'État.
Cette règle, d'après les amendements adoptés sur la proposition
de MM. Deslongrais et Stourm, devrait être suivie autant que
possible et conformément à des règlements d'administration publi-
que; cet expédient mettait sans doute l'administration à son aise :
mais comment en irait-il dans les maisons centrales? Que de-
viendraient les produits de la prison, entre l'article 2, portant
qu'ils ne pourraient jamais être conduits sur le marché, et la
restriction improvisée de l'article 3, qui donnait à l'administration
la faculté de les repousser? Comment ferait le règlement d'ad-
ministration publique, d'ailleurs ingénieusement inventé' par
M. Stourm, pour lever la contradiction flagrante qui existait entre
les deux articles de la loi?
Les autres dispositions du projet n'avaient qu'un intérêt régle-
mentaire. Elles furent successivement adoptées sans contestation
sérieuse.
Malgré les imperfections dé la loi, adoptée, enfin, dans son en-
semble, le 9 janvier, ce qu'on pouvait trouver de mieux à dire
en faveur du système consacré, c'est qu'il n'était pas une théorie
pure. U était déjà, en effet, appliqué en Hollande, en Belgique et
en Bavière. U était également adopté dans certains établissements
charitables de l'Italie, notamment à Gênes.
L'Assemblée nationale aborda, le 3 janvier, mais sans la ré-
soudre, la question des coalitions, depuis longtemps soumise à ses
délibérations par l'initiative de M. Morin, représentant de la
Drorae. M. Morin, qui s'est fait connaître dans le monde savant
par un remarquable volume sur les questions du travail, avait
TRAVAUX SÉRIEUX. ADMINISTRATION. 41
pensé que la justice républicaine devait traiter les ouvriers de la
même manière que les patrons, et il avait proposé l'abrogation
des articles 414 et 415 du Gode pénal, qui ne sont ni conformes
à F égalité, ni efficaces dans la pratique ; et qui sont dans nos lois
comme une provocation permanente à la haine des ouvriers en-
vers les chefs d'entreprise et aux coalitions soutenues par |a vio-
lence.
Deux comités s'étaient occupés de la proposition de M. Morin.
Le comité du travail avait voulu maintenir le délit de coalition ;
seulement il avait cherché à traiter également les ouvriers et les
maîtresse coalisant, comme dit Fart. 41 4, pour influer injuste-
ment^ et abusivement sur le taux des salaires.
L'Assemblée ayant compris que les tribunaux, pour appliquer
une pareille loi, seraient obligés de décider que tel ou tel salaire
est plus juste et moins abusif que tel ou tel autre, renvoya le pro-
jet au comité de législation.
Celui-ci, après avoir bien cherché, ne vit de solution que dans
la liberté, et ne modifia la proposition de M. Morin, que pour as-
similer aux cas de violence, menaces, ou intimidation, seuls pu-
nissables, le fait de la part des patrons, d'avoir renvoyé les
ouvriers, et, de la part des ouvriers, d'avoir abandonné les ate-
liers, sans observer respectivement les délais d'avertissement et
de congé qui sont établis, soit par la convention des parties, soit
par les règlements et usages. Cet essai de conciliation, tenté par
le comité de législation, donnait, dans sa pensée, des garanties
i la sécurité de l'industrie sans constituer les magistrats arbitres
du taux des salaires.
Hais le comité de législation effaçait de notre législation le dé*
lit de coalition, en sorte que toute coalition devenait immédiate-
ment licite. M. Léon Faucher n'eut point de peine à montrer tout
le danger de cette innovation ; il fut soutenu énergiquement par
MM. Baroche et Rouher.
M. Corbon insista pour défendre la proposition du comité de
législation. M. le ministre de l'Intérieur remonta à la tribune, et
dans une rapide argumentation, il établit qu'il y avait contradic-
tion complète entre les conclusions du comité de législation et
celles do comité des travailleurs ; que l'Assemblée était en réalité
40
HISTOIRE MB FRA? - gA.0)
porterie travail des détenus sur d' , et ] M^
tion ou non encore obtenus en F tfMh\ A *•
faite par M. Rooher que ce sy? ^ t, qui r °
currence faite à l'industrie \Y . A . j^r
ques qui alimentent l'expor y
Enfin, le système de i v * *" y^kp
que les produits confect: f, »t ' e*«
être apportés sur lem 'i
l'industrie libre. Ton " ?» 1 A88emblé* HafiûllAl
terne avait de trop " h. ^<*; ■* ce projeta
du travail des dét< ^tl0*8- « <W» â htoij*
Cette règle, d'à ^ de Vue &n™ie*> 0 iêtmJt?
de MM. Deslc udu Tré80r ' »*** de ** des prin!!*
possible et ce * arbitrairement l'État au père de famille f ,
que ; cet ex ' Purement administrative à l'autorité de la com
mais coït A * de Fa,loDX crut-n de¥oir char^r trois commît
viendra #?«** des ,ois re,atives à différentes branches de l'en
qu'ils M#^ *» méme ^P8' le mini8lre retira la loi présenté.
rest^^0l(4Janvier)-
la & cette déclaration, M. Barthélémy- SainNHilaire, président
r Wi*/>P*rteur de,,a commi88ÎOD chargée d'examiner le projet de
jpttt relatif à renseignement primaire, exprima le regret qu'un
ir^rail de quatre mois, accompli par la commission parlement
tt;re dont il était membre, se trouvât perdu par suite du retrait
je la loi. Et pourtant, ajoutait M. BarthéJemy-Saint-Hilaire le
projet amendé ne laissait rien survivre du projet primitif. Mde
Falloux chercha à rassurer l'orateur en répondant que le travail
de la commission resterait comme document précieux, et peut-
être comme guide. '
Mais ici s'éleva un conflit. M. Repellin, s'appuyant sur le dé-
cret relatif aux lois organiques, lequel comprenait la loi sur l'en-
seignement, conteste au Gouvernement le droit, sinon de retirer
la loi dont l'Assemblée était saisie, au moins de nommer des
commissions administratives chargées d'étudier cette matière. Se-
lon lui, et selon M. Dupont (de Bussac), qui vint développer k
même thèse, le décret sur les lois organiques avait fait de la loi
sur l'enseignement le monopole de l'Assemblée, Aussi, M. Re-
pellin proposait-il, pour donner une leçon au ministère' de voter
\
TRAVAUX 8 DMIMS1KA1Î0N. 45
•nise à l'ordre du * uiance, comme le propo-
n chargée dr je d'un conseil d'admi-
* i. L'ancien et le nou-
Bar ^ J , M. Léon Faucher,
^ f « Boulatignier pré-
« Assembla, ' « étions. Ils insig-
., de justice et de conu. * ; ms les incon-
nu se reproduire, lorsqu'il y aura». • 'nant encore
réviser la Constitution. Mais la Constu*. habilité an
prévu cette anomalie inévitable, et elle avait eu <mt gain
drir, en lui assignant des limites de temps très-étrc. *é : la
Ion Barrot demandait par là à la Chambre de s'inspu 'elle
propre sagesse, en limitant sa propre durée. ^ts
M. de Falloux vint prouver 'à son tour, qu'en exerçants* ^
rogative, il n'avait en rien empiété sur celle du parlement. ^
d'abord, l'Assemblée voulait-elle sérieusement, irrévocablement
faire toutes les lois organiques portées dans le décret? Sur la seule
expression de ce doute, une effroyable tempête éclata dans l'As-
semblée. On demanda le rappel à l'ordre du ministre. Lorsque
le silence fut enfin rétabli : « Ce n'est pas moi qu'il faut rappe-
ler à Tordre, dit spirituellement M. de Falloux, c'est le re-
présentant qui a déposé une proposition tendante à réduire à
cinq les lois organiques à voter par l'Assemblée. Celui-là expri-
mait plus qu'un doute sur l'exécution irrévocable du décret (1). »
M. Dupont (de Bussac) présenta vainement un ordre du jour
motivé formulant un blâme implicite contre le ministère. La
Chambre repoussa le blâme par 442 voix contre 50$. Alors
M. Pascal Duprat, tout en protestant avec chaleur de son dévoue-
ment pour le président de la République, proposa de mettre
à Tordre du jour suivant, la nomination d'une commission pour
la loi organique de l'enseignement. L'Assemblée ayant reconnu
par Tordre du jour pur et simple le droit du Gouvernement, le
Gouvernement n'avait plus à s'opposer à ce que TAssemblée
exerçât de son côté sa prérogative (4 janvier).
Le 10 janvier, TAssemblée eut à délibérer sur un projet de loi
(1) Voye* le chapitre V.
42 HISTOIRE DE FRANGE. (1849.)
placée non pas en face d'un projet de loi, mais en présence de
deux propositions diamétralement contraires. Il conclut à ce que
la proposition fût renvoyée à l'examen des bureaux, qui nomme-
raient une commission spéciale chargée défaire un rapport et de
- formuler un projet de loi.
L'Assemblée donna gain de cause à M. Léon Faucher en votant
le renvoi aux bureaux.
M. Carnot avait saisi, le 50 juin 1848, l'Assemblée nationale
d'un nouveau plan d'institutions primaires ; mais ce projet de
loi avait soulevé les plus graves objections. II était à là fois trop
vaste et trop restreint ; au point de vue financier, il dépassait de
beaucoup les ressources du Trésor ; au point de vue des principes
sociaux, il substituait arbitrairement l'État au père de famille, et
la centralisation purement administrative & l'autorité de la com-
mune. Aussi, M. de Fallonx crut-il devoir charger trois commis-
sions de préparer des lois relatives à différentes branches de l'en-
seignement. Ep même temps, le ministre retira la loi présentée
par M. Carnot (4 janvier).
Sur cette déclaration, M. Barthélémy- Saint-Hilaire, président
et rapporteur de la commission chargée d'examiner le projet de
décret relatif à l'enseignemenc primaire, exprima le regret qu'un
travail de quatre mois, accompli par la commission parlemen-
taire dont il était membre, se trouvât perdu par suite du retrait
de la loi. Et pourtant, ajoutait M. Barthéiemy-Saint-Hilaire, le
projet amendé ne laissait rien survivre du projet primitif. H. de
Falloux chercha à rassurer l'orateur en répondant que le travail
de la commission resterait comme document précieux, et peut-
être comme guide.
Mais ici s'éleva un conflit. H. Repellin, s'appuyant sur le dé-
cret relatif aux lois organiques, lequel comprenait la loi sur ren-
seignement, contesta au Gouvernement le droit, sinon de retiter
la loi dont l'Assemblée était saisie, au moins de nommer des
commissions administratives chargées d'étudier cette matière. Se-
lon lui, et selon M. Dupont (de Bussac), qui vint développer la
même thèse, le décret sur les lois organiques avait fait de la loi
sur l'enseignement le monopole de l'Assemblée. Aussi, H. Re-
pellin proposait-il, pour donner une leçon au ministère, de voter
TRAVAUX SERIEUX. ADMINISTRATION. 4'i
la mise à l'ordre du jour suivant de la nomination d'une com-
mission chargée de préparer la loi organique sur l'enseigne*
ment.
M. Odilon Barrot exposa, en réponse à cette déclaration de
guerre, les difficultés de la situation exceptionnelle du Pouvoir
yis~à-yi8 de l'Assemblée, et fit appel, pour les appléntr, aux sen-
timents de justice et de concorde. Une situation analogue pour-
rait se reproduire, lorsqu'il y aurait des assemblées chargées de
réviser la Constitution. Mais la . Constitution elle-même avait
prévu cette anomalie inévitable; et elle avait cherché à l'amoin-
drir, en lui assignant des limites de temps très-étroites. M. Odi-
lon Barrot demandait par là à la Chambre de s'inspirer de sa
propre sagesse, en limitant sa propre durée.
M. de Palloux vint prouvera son tour, qu'en exerçant sa pré-
rogative, il n'avait en rien empiété sur celle du parlement. Et
d'abord, l'Assemblée voulait-elle sérieusement, irrévocablement
faire toutes les lois organiques portées dans le décret? Sur la seule
expression de ce doute, îine effroyable tempête éclata dans l'As-
semblée. On demanda le rappel i Tordre du ministre. Lorsque
le silence fut enfin rétabli :' a Ce n'est pas moi qu'il faut rappe-
ler à Tordre, dit spirituellement M. de Palloux, c'est le re-
présentant qui a déposé une proposition tendante à réduire à
cinq les lois organiques à voter par l'Assemblée. Celui-là expri-
mait plus qu'un doute sur l'exécution irrévocable du décret (1). »
M. Dupont (de Bussac) présenta vainement un ordre du jour
motivé formulant un blâme implicite contre le ministère. La
Chambre repoussa le blâme par 442 voix contre 502. Alors
M. Pascal Duprat, tout en protestant avec chaleur de Bon dévoue-
ment pour le président de la République, proposa de mettre
à Tordre du jour suivant, la nomination d'une commission pour
la loi organique de l'enseignement. L'Assemblée ayant reconnu
par Tordre du jour pur et simple le droit du Gouvernement, le
Gouvernement n'avait plus à s'opposer à ce que TAssemblée
exerçât de son côté sa prérogative (4 janvier).
Le 40 janvier, TAssemblée eut à délibérer sur un projet de loi
(1) Voye* le chapitre Y.
44 HISTOIRE DE FRANCE. (1849.)
ayant pour bat de réorganiser l'administration de l'assistance
dans la ville de Paris.
L'administration des établissements hospitaliers et des secours
à domicile dans la capitale, embrasse un service qui, en recettes
et en dépenses, ne comporte pas moins de 15 à 16 millions; il y
a i Paris quinze hôpitaux recevant 90,000 malades par an, quatre
grands hospices et sept maisons de retraite pour 8,000 vieillards
et infirmes, une organisation des secours à domicile qui vient en
aide à plus de 100,000 personnes ; on comprend tout ce qu'une
pareille administration présente de difficultés; confiée, au moment
de la Révolution de Février, à un conseil général qui avait la di-
rection des hôpitaux et qui en réglait le service, et en même
temps à une commission administrative chargée de l'exécution
des arrêtés du conseil général, il* résultait de cette organisation
vicieuse qu'il n'y avait pas d'unité d'action possible, et que, par
cela même, toute responsabilité devenait illusoire.
Un des premiers actes du Gouvernement provisoire fut de sup-
primer le conseil général des hôpitaux ; mais ce n'était là qu'un
état de choses provisoire, qui laissait d'ailleurs subsister les mê-
mes inconvénients ; il y avait donc nécessité de procéder sur de
nouvelles bases et de réorganiser l'administration ; c'est ce que
fit M. Dufaure en présentant un projet de loi en huit articles, qui
plaçait cette administration sous l'autorité du préfet de la Seine
et du ministre de l'Intérieur, et qui la confiait à un directeur
responsable sous la surveillance d'un conseil dont on détermi-
nait les attributions.
Ce projet fut profondément modifié par la commission à la-
quelle il fut renvoyé ; au lieu d'un comité de surveillance appelé
à contrôler le directeur, elle proposa d'établir près de lui un con-
seil d'administration ; de plus, elle s'engagea dans le dédale des
dispositions purement réglementaires ; elle entreprit de définir
les pouvoirs, de déterminer les attributions, le mode d'élection
et la composition de ce conseil ; aussi, le projet nouveau qu'elle
substitua à celui du Gouvernement ne renfermait pas moins de
trente-deux articles.
Le débat entre les deux projets, s'établit dès le premier arti-
cle ; il s'agissait de savoir si le directeur responsable serait placé
TRAVAUX SÉRIEUX. ADMINISTRATION. 45
sous le contrôle [d'an comité de surveillance, comme le propo-
sait le Gouvernement, ou s'il serait assisté d'un conseil d'admi-
nistration, comme le voulait la commission. L'ancien et le nou-
veau ministre de l'Intérieur, M. Dufaure et M. Léon Faucher,
défendirent le projet du Gouvernement. M. Boulatignier pré-
senta, dans le même sens, de judicieuses observations. Ils insis-
tèrent notamment sur ce qu'on retomberait dans tous les incon-
vénients du système qu'on avait détruit, en reconstituant encore
une administration collective et en divisant la responsabilité au
lieu de la concentrer sur le directeur. Ces raisons obtinrent gain
de cause; l'article du projet de la commission fut rejeté : la
commission déclara alors qu'elle renonçait à tout le projet qu'elle
avait rédigé, et l'Assemblée adopta successivement, sans débats
importants, les Irait articles qui composaient le projet primitif do
Gouvernement (10 janvier).
L'art. 1781 du Code civil dispose qu'en cas de contestation en-
tre un maître et son domestique, « le maître est cru sur son affir-
mation » en ce qui regarde la quotité des gages, le paiement du
salaire de Tannée échue, et les à-comptes donnés pour l'année
courante. Un projet, présenté par M. Lemonnier, et modifié par
le comité de législation, avait pour but de faire disparaître cette
inégalité ; il portait qu'à défaut de preuve écrite, toutes contesta-
tions entre le maître et les domestiques ou les ouvriers, serait
décidée sur l'affirmation de celle des parties à laquelle le juge
aurait cru devoir déférer le serment. L'Assemblée décida qu'elle
passerait à une seconde délibération (16 janvier).
Un autre projet de l'ordre administratif portait qu'il serait fait
mention dans l'acte de mariage, passé devant l'officier de l'état
civil, du contrat contenant les conventions matrimoniales des
époux ; il s'agissait par là de mettre les tiers à iriéme de savoir,
par exemple, si le mari pourrait aliéner les biens de sa femme,
si Ja femme pourrait disposer de sa dot en totalité ou en partie,
et c'est ce qu'on proposait de faire en imposant à l'officier civil,
l'obligation de faire connaître la date du contrat, ainsi que le
nom et la résidence du notaire qui l'aurait reçu.
Une seconde délibération fut décidée par la Chambre (i 6 janvier) .
Un projet de loi sur les chambres consultatives! présenté par
46 HISTOIRE DE FRANCK. (1849.)
M. Tourret, lorsqu'il était ministre, et renvoyé au comité d'agri-
culture où il avait été plusieurs fois l'objet de discussions appro-
fondies, sérieuses, animées même, avait été, une première fois
amendé par Ja commission présidée par M. Dezeimeris. Cette com-
mission en avait changé la disposition principale, celle del'organi*
sation par arrondissement, qu'elle avait abandonnée pour la porter
an département. Mais le comité, repoussant ce principe, avait de
nouveau renvoyé la loi 1 l'étude de la commission, en la priant d'ap-
porter un travail conforme an vœu du comité. La commission vint
soumettre son nouveau travail au comité qui le discuta pendant
deui séances.
Les débats furent vifs, car on revenait d'une manière détournée
au principe du département, en disant que chaque année les
chambres consultatives des divers arrondissements se réuniraient
au chef-lieu.
Il fut difficile aussi de bien préciser les conditions qu'il fallait
réunir pour être électeur. La nomenclature des objets à traiter
par ces chambres, fut également discutée soigneusement.
Enfin le projet, contenant 29 articles, fut définitivement adopté
et déposé sur le bureau de l'Assemblée.
M. le ministre de l'Instruction publique vint, le 12 janvier,
retirer, au nom du Gouvernement, le projet de loi sur l'école
d'administration. A la place de ce projet, M. de Falloux en pré-
senta un autre qui pourvoirait à renseignement du droit adminis-
tratif dans la Faculté de Paris et dans les Facultés des départe*
ments. Mais M. le ministre demandait que ce projet fût renvoyé
au comité d'instruction publique et au comité de législation :
aussi l'opposition fit-elle les plus grands efforts pour faire déci-
der que le projet serait renvoyé dans les bureaux et soumis à une
commission spéciale. Voici le texte du nouveau projet :
« AH. 1*. Il est fondé dan* toutes \m Facultés de dreitde la ReptbUqoe
on enseignement de droit publie et administratif.
» Cet enseignement sera complété à la Faculté de droit de Paris, et organisé
dans le pras bref délai pris les facultés de droit des départements, conformé-'
ment aux articles ci-après.
i» Art 3« L'enseignement de droit public et administratif comprend deux
années.
TRAVAUX SÉRIEUX. ADMINISTRATION. 47
v Art. 3. Après la seconde anuée d'études, les élèves inscrits pourront ob*
ternir le grade de licencié en droit pnblic et administratif.
v Art. 4. Nnl n'est admis à s'inscrire s'il n'est pourvu du diplôme de bâche
lier en droit, sauf l'exception spécifiée pins bas.
» Art* 5. Des règlements d'administration publique détermineront les fonc-
tions administratives par lesquelles le grade de licencié en droit pablie et admi-
nistratif sera exigé.
» Art. 6. Les élèves faisant actuellement partie de l'école d'administration,
annexée as Collège de France, par le décret du Gouvernement provisoire da
8 mars 1848, seront admis à se Caire inscrire pour les cours de droit public,
sans avoir à justifier du diplôme de bachelier en droit.
» lis seront également admis à suivre les cours ordinaires des Facultés de droit
et de médecine, annuel cas le temps qu'ils ont passé à l'école d'administration
sera essspéé ptsjr quatre inseriptiens m» élèves de In première promotion, et
peur deux ans uns élèves de la seconde.
» Art. 7. Il est ouvert un crédit de 20,000 fr. sur le budget de 1848, pour
être affecté aux dépenses de l'école d'administration, pendant le second semestre
de 1848.
* Art. S* H est ouvert, sur le budget de 1849, un crédit de A, 000 fr. pour
In création d'une seconde chaire de droit administratif à la Faculté de droit de
Paris, a
L'hostilité qui se manifestait dans l'Assemblée contre le mi-
nistère se signala encore dans cette occasion par une proposition
de M. Bourbeau, qui reprit le projet primitif retiré par H. le mi-
nistre de l'Instruction publique. La majorité des commissaires
nommés pour examiner la proposition lui fut favorable*
48 HISTOIRE DE FRANCE. (1849.)
CHAPITRE IV.
CONSEIL D'ÉTAT.
Décret fur les lois organiques, loi relative mi conseil d'État, erganisatMB et at-
tributions du conseil, questions diverses, étude du projet, discussion, adop*
tion de la loi.
On se Je rappelle, dans les derniers jours de. l'année qui ve-
nait de finir, l'Assemblée constituante avait cru devoir détermi-
ner le nombre et la nature des lois qui seraient appelées organi-
ques et qu'elle aurait à discuter et i voter après l'installation du
Président de la République. Il y avait derrière cette décision une
grave question sous-entendue, celle de la durée et de la prolon-
gation éventuelle de l'Assemblée constituante. Le 9 décembre,
c'est-à-dire la veille de l'ouverture de ce grand scrutin qui devait
donner un chef à la République, la Chambre de i 848 s'était créé
une longue et laborieuse tâche* Voici la nomenclature des lois
dites organiques qu'elle avait résolu de discuter.
1° Loi sur la responsabilité des dépositaires de l'autorité pu-
blique ;
2° Loi sur le conseil d'État ;
3° Loi électorale ;
4° Loi d'organisation départementale et communale ;
5° Loi d'organisation judiciaire;
6° Loi sur l'enseignement;
7° Loi sur l'organisation de la force publique (Garde natio-
nale, armée) ;
8° Loi sur la presse ;
9° Loi sur l'état de siège ;
iù° Loi sur l'organisation 'de l'assistance publique.
CONSEIL D'ÉTAT. 4»
Une disposition spéciale, portant que des commissions seraient
immédiatement nommées pour' préparer ces lois, avait été aussi
adoQtée^et l'ensemble du décret avait réuni, le 11 décembre,
une majorité de 405 Voix contre 4ft8.
La discussion des lois organiques s'ouvrit, le 15 janvier, par
la loi du conseil d'État. Celte loi était-elle la plus urgente, celle
dont r ajournement eût été le plus regrettable? Non, sans doute;
mais le rapport de M. Vivien s'était trouvé prêt le premier.
Les questions soulevées par le projet étaient de deux sortes,
celles qui avaient rapport à l'organisation même du conseil d'É-
tat Vt celles qui concernaient ses attributions. Les questions fon-
damentales de ces deux catégories avaient été presque toutes ré-
solues par la Constitution .
. La première de ces questions organiques était celle qui concer-
nait le mode de nomination des membres du conseil d'État. L'ar-
ticle 72 de la Constitution portait qu'ils seraient nommés pour
six ans par l'Assemblée nationale. L'art. 78 ajoutait que ceux des
membres dn conseil d'État qui auraient été pris dans le sein de
l'Assemblée nationale seraient immédiatement remplacés comme
représentants du peuple. En d'autres termes, les fonctions de
conseiller d'État étaient déclarées incompatibles avec le mandat
de représentant du peuple. Cette disposition souleva les objec-
tions les plus graves et les mieux fondées. Il était évident qu'avec
un pareil système, le recrutement du conseil d'État se ferait dans
les conditions les plus désavantageuses. On ne pouvait espérer
que ces fonctions importantes seraient recherchées par les hom-
mes qui en seraient les plus dignes quand on commençait par
fermer devant eux la carrière législative. Les hommes de mérite
et de talent ne sacrifieraient pas volontiers les chances de succès
W d'élévation que leur offrait la tribune parlementaire à l'hon-
neur obscur et subalterne du eonseil d'État. Pour tous ceux qui
pourraient opter, l'option ne serait jamais douteuse. La pépi-
nière du conseil d'ÉUHerait donc forcément restreinte aux vain-
cus des collèges électoraux.
Par une contradiction assez choquante, on confiait au Pouvoir
législatif le soin de nommer les membres d'un corps qui, mémn
dans son organisation nouvelle, demeurait à certains égards l'a-
4
50 HISTOIRE DE FRANCE. (1849)
gent et l'auxiliaire du Pouvoir exécutif, ce qui renversait et con-
fondait tous les principes admis en matière de responsabilité mi-
nistérielle (1). . "
La question relative à Ja composition du conseil d'État, c'est--
à-dire au nombre et à la classification de ses membres, n'avait
pus été tranchée par la Constitution. Elle était une des plus im-
portantes qui fussent à décider par la loi organique. La solution
proposée dans le projet de loi ne paraissait pas à l'abri de la cri-
tique. L'ancien conseil d'État se composait, sous le dernier ré-
gime , de cinquante conseillers d'État, dont trente en service
ordinaire, et vingt en service extraordinaire. Après la Révolution
de Février, le service ordinaire avait été réduit à vingt-quatre con-
seillers d'État, et le service extraordinaire avait été supprimé. La
commission qui avait préparé le projet de loi organique avait
considéré ce nombre de vingt-quatre conseillers d'État comme
rigoureusement indispensable, eu égard aux seules attributions
dont le conseil d'État était actuellement investi. Puis elle avait
cru nécessaire de doubler ce nombre, pour le mettre en rapport
avec les attributions nouvelles que le conseil d'État avait reçues
de la Constitution. Il faut donc voir en quoi consistaient ces at-
tributions nouvelles, en apprécier le caractère et l'importance,
pour décider si l'augmentation proposée dans le personnel était
justifiée.
(1) Un Important témoignage sur cette matière est celui de M. Dupin aîné,
l'un des membres de la commission de Constitution, qui, dans tine remarquable
étude sur la Conttilution dé la République française, juge ainsi le cotseil
d'État s
a Quant au conseil d'État, j'attendrai qu'il soit définitivement organisé potf
comprendre la pensée de ceux qui ont cru voir là le germe d'une fecontfo Cham-
bre, d'un sénat, l'espérance d'un contre-poids efficace.
» Je conçois le conseil d'État tel qu'il était précédemment organisé, avec ses
attributions administratives et le travail hiérarchique de ses ooneelUerm, de sut
maîtres des requêtes et de ses auditeurs. Comme IsJ, c'est un instrument etctl*
lent.
» Je ne vois pas au juste ce qu'il sera avec les trente membres que l'Assemblée
lui a donnés au scrutiu de liste, et les attributions purement facultative» et «uses
insignifiantes qui leur sont départies quant à préseat.
» C'est certainement un des points sur lesquels devra porter la future révision
de la Constitution, v
CONSEIL D'ÉTAT ' 51
Le conseil d'État, tel qu'il existait encore, réunissait des attri-
butions très-complexes. Cependant ott pouvait le considérer
conitne*un corps essentiellement administratif. La Constitution
avait voulu changer ce caractère, en donnant an conseil d'État une
partcasentielle dans le pouToit* législatif, en l'érigeant, autant qnlf
avait dépendu d'elle, au rang de seconde Chambre législative* À*
ce titre, le conseil d'État serait nécessairement consulté sur les
projets de loi du Gouvernement et sur les projets d'initiative
parlementaire qui lui seraient renvoyés paf l'Assemblée. De pins,
il était chargé de préparer les règlements d'administration pu*
bfique, espèce de lois secondaires, disait le rapport, qal ont pont
bat d'assurer l'exécution des lois générales. H n'y avilit là riefl dé
nouveau ; sous la monarchie, le conseil d'État jouissait déjà de
ces attributions. Peut-être n'étaient-elles qu'une sinécure. Mais
en serait-il autrement sous la République ? Pensait-on que le
conseil d'État interviendrait plus sérieusement et plus activement
dans l'étude et la préparation des lois? On pouvait craindre,
au contraire , que le caractère législatif du conseil d'État fût
moins.sérieux et moins respecté sous le Gouvernement républi-
cain que «ous le Gouvernement monarchique. Sans doute il pour-
rait arriver jusqu'à lui quelques rares projets de loi adressés par
le Pouvoir exécutif; mais espérait-on que l'Assemblée nationale
serait souvent disposée à lui renvoyer les projets émanés de
l'initiative parlementaire? L'Assemblée n'avait-elle donc pas ses
bureaux, ses comités, ses commissions? C'est là que seraient na-
turellement préparés, élaborés tous les projets de loi. L'accrois-
sement d'attributions sur lequel on se fondait pour augmenter
le personnel do conseil d'État n'était donc pas sérieux, et l'aug*
ffleutation du personnel n'était pas justifiée.
Là plus importante de toutes les questions que la Constitution
avait laissées indécises était celle qui concernait la juridiction
administrative du conseil d'État, lo jugement des affaires et des
contestations connues sous le nom de contentieux administratif»
Aujourd'hui c'était lé conseil d'État qui connaissait de ces Sortes
d'fllfeifes, après toutefois que ses décisions avaient été préparées
par? tin cotaité constitué dans son sein, sous le nom de comité du
ttmtefatteu*. Mais le conseil d'État n'ayant pas de juridiction
52 HISTOIRE DE FRANCE. (1849.)
propre, indépendante, et ne donnant que dès avis, il y avait
longtemps que ce régime était critiqué comme ne donnant pas
aux justiciables toutes les garanties d'un véritable tribanal et
d'une justice régulière. C'est pour cela que le projet de Consti-
tution avait enlevé la juridiction du contentieux au conseil g'État
«t proposé d'établir un tribunal administratif supérieur entière-
ment distinct et indépendant du conseil d'État. Ce projet avait
l'inconvénient de dépouiller te conseil d'État de l'une de ses
attributions essentielles, et il n'avait pu soutenir l'épreuve de la
discussion. Cette grave question avait donc été renvoyée à la dé-
cision de la loi organique. La commission chargée de préparer
le projet de loi l'avait résolue d'une manière satisfaisante. Elle
attribuait le jugement du contentieux administratif à une juri-
diction spéciale qui serait créée au sein du conseil d'État. En
même temps elle proposait deux innovations importantes au ré-
gime actuel. D'abord, elle donnait au conseil d'État une juridic-
tion propre, indépendante, c'est-à-dire le caractère d'un véritable
tribunal ; ensuite elle confiait à une section distincte, et non
à l'assemblée générale do conseil d'État, la décision des af-
faires.
Les autres dispositions du projet de loi n'avaient guère qu'un
intérêt réglementaire.
Ce projet vint à l'ordre du jour du 15 janvier. C'était la pre-
mière fois que la Chambre appliquait la disposition du règlement
concernant les projets de loi et les propositions. Ancun orateur
ne demanda la parole. M. Crémieui et M. Vivien, rapporteur,
tirent observer que l'Assemblée, en nommant une commission
pour préparer un projet de loi sur cette matière, avait implicite-
ment décidé la question de principe, Va seule qui dût être l'objet
de la première délibération prescrite par le règlement. Une se-
conde délibération fut donc purement et simplement indiquée et
la discussion renvoyée à cinq jours, selon les termes du règle-
ment.
La commission de Constitution, on se le rappelle, s'était forte-
ment prononcée en faveur d'une Assemblée unique : puis, ef-
frayée elle-même des inconvénients d'une trop grande précipita-
tion dans les décisions, «Ile avait présenté le conseil d'État
1
CONSEIL D'ÉTAT. 53
comme devant être le rouage modérateur de la machine législa-
tive et gouvôtnemeotale.
« A cM6 de l'Aaseablée «nique (disait |e rapporteur de le Cettstitatioti) la
Coattituiitj» pièce «n oonteil d'État choisi par elle, émanation de ta votante,
délibèrent à part, en debore des mouvements qui peuvent agiter les grandes
réunions. C'est là que la loi se prépare, c'est là qu'on renToie pour la mûrir
toute proposition d'initiative parieaien take qai parait trop hâtive au Pouvoir
législatif. Ce corps, compote d'boaunet éuunent*, et pincé entre l'A attablée
qui fait la loi et le Pouvoir qoi l'exécute, tenant an premier par ta racine, an
second par son contrôle sur l'administration, aura natareUement une autorité
qoi tempérera ce que l'Assemblée «nique pourrait avoir de trop hardi, ce que
le Gouvernement pourrait avoir d'arbitraire.
. L'Assemblée, on le sait, an moment de la crise ministérielle
qui amena M. Dufanre aa pouvoir, avait voté, malgré de sages
observations présentées par quelques membres, les articles 71 et
suivante de la Constitution qoi consacraient le projet de la com-
mission (i).
An termes de ces articles, les membres do conseil d'État sont
nommés pour six ans par l'Assemblée nationale. Ils sont renou-
velés par moitié dans les deux premiers mois de cbaque législa>
lure, an scrutin secret et à là majorité absolue ; ils sont indéfini-
ment rééligibles. Les membres do conseil d'État ne peuvent être
révoqué* que par l'Assemblée et sur la proposition du président
de la République;
Le conseil d'État est consulté sur les projets de loi du Gouver-
nement, qui, d'après la foi, devront être soumis à son examen
préalable, et sur les projets d'initiative parlementaire que l'Aév
semblée loi aura renvoyés.
Telles sont les dispositions générales de la Constitution, dont
la loi sur l'organisation du] conseil d'État avait à taire l'applica-
tion.
Sans comparer la situation nouvelle dite au conseil d'État avec
ces temps glorieux où il résumait réellement tous les pouvoirs,
au moins Mait-il reconnaître que, depuis l'établissement même
du régime constitutionnel en France, il avait eu encore un grand
rtle dans les affaires administratives du pays* Sous la Restaura-
(1) Voyez V Annuaire précédent, p. 325»
M HISTOIRE. M FRANCK. (1849.)
tien et soi» la monarchie de Juillet, il était l'expression la plus
élevée de l'administration. Il était tout à la fois la tradition
intelligente, la pratique éclairée et la théorie prévoyante qui se te-
nait toujours au niveau de la fcienee, quelquefois même la devan-
çait. Voilà ce que, par une habile combinaison du servi* toatra-*
ordinaire {composé des chefs de l'administration active) et du
service ordinaire (où se trouvaient nécessairement d'anciens ad*
minfotrateurs, des jurisconsultes consommés), voilà ce que la loi
de 1845, en sanctionnant uniquement les dispositions les plus
sages des décrets, des ordonnances rendus depuis cinquante ans,
avait fait du conseil d'État.
Pour appeler cette institution à rendre de plus importants ser-
vices» il suffisait peut-être de quelques règlements, de quelques
lois qui imposassent aux ministres (car toujours les bureaux ont
été hostiles i ce contrôle) l'obligation de soumettre certaines af-
faires, aux délibérations des comités; enfin, il fallait lui faire une
part plus grande dans l'administration proprement dite. Peut-
être, après la révolution qui faisait de la France une république,
et qui doit fatalement avoir pour conséquence de relâcher le lien
de la centralisation administrative, de grandir les institutions dé-
partementales, dans un moment où il serait si nécessaire de poser
tt de maintenir d'une main habile et ferme la limite entre l'au-
torité centrale et l'autorité locale, de faire à chacune sa grande et
légitime part, c'était plus que jamais le cas de conserver dans son
organisation, et comme auxiliaire du Gouvernement, un corps
asaes haut placé pour embrasser et mesurer les intérêts nou-
veaux de la société qu'on voulait fonder, asses instruit pour y ap-
porter l'expérience qui seule prévient de dangereuses innova-
tions» enfin, aseet permanent pour y conserver la tradition sans
laquelle il ne peut y avoir de fixité. La Constitution en avait dé-
cidé autrement ; et elle avait peut-être, sans le vouloir, dépouillé
cette grande institution de ses attributions les plus importantes.
Corps indépendant, par son origine, du Pouvoir exécutif, ce
Pouvoir serait obligé de le consulter pour ses actes les plus gra-
ves. Produit électoral pour moitié d'une Assemblée qui bientôt
aurait disparu, H conserverait peut*être en face dune Assemblée
nouvelle et du Gouvernement lui-même les vues hostiles d'un par-
CONSEIL D'ÉTAT. 55
lement remplacé. Cet antagonisme était non-seulement possible»
mais probable, puisqu'il est dans le jeu ordinaire de nos institu-
tions que les renouvellements des Assemblées produisent des ma-
jorités nouvelles. Quelle serait donc la position des ministres ve-
nant discuter leurs projets de loi devant un conseil d'État ainsi
organisé? Ces projets, devrarent-ils les porter à l'Assemblée tels
qu'ils seraient sortis du conseil, ou bien pourraient-ils les modi-
fier? La loi se taisait à ce sujet* Mais n'était-il pas évident que
le conseil d'État ne serait que consulté ? Les ministres seraient
donc toujours maîtres d'adopter ou de repousser l'avis qui leur
serait donné ; autrement, ils ne pourraient être responsables.
La loi organique pouvait, peut-être, tout en respectant le prin-
cipe posé par la Constitution, en amoindrir les dangers. C'est ce
que n'avait jtos fait, le travail de la commission, qui n'avait pas
paru apercevoir les inconvénients de l'organisation nouvelle, qui
les avait peut-être même aggravés. Ainsi, pour la nomination des
conseillers d'État, l'art. 72 de la Constitution se bornait à dire que
les membres du conseil seraient nommés par l'Assemblée; évi-
demment la loi organique pouvait, par un mode de présentation»
donner au Pouvoir exécutif une part légitime dans les choix des
hommes qui doivent, en définitive, composer son conseil; loin de
là, le projet voulait que ce fût une commission de trente mem-
bres, choisis par- les bureaux de l'Assemblée, qui lit une liste de
présentation, liste en dehors de laquelle, il est vrai, l'Assemblée
pourrait choisir, mais que cette commission aurait bien quelque
peine à former d'une manière convenable en présence des am-
bitions et des. combinaisons de partis de toutes sortes. Ainsi,
pour les présidents de- sections, dont les choix sont si importants,
la Constitution avait gardé le silence; le projet voulait qu'ils
fussent élus par chaque section. N'était-ce pas enlever encore au
Pouvoir exécutif une part légitime d'influence dans la direction
des travaux du conseil d'État?
Autre exemple. L'article 75 de la Constitution avait dit : « Le
conseil d'État est consulté sur les projets de loi du Gouverne*
ment, qui, d'après la loi, devront être soumis à son examen, »
D appartenait donc à la loi organique de déterminer la nature
56 HISTOIRE DE FRANCE. (1849.)
des lois sur lesquelles le conseil d'État devaUt être consulté. Or
l'article 1er du projet était aussi général que possible ; il portait :
u Le conseil d'État est consulté sur tous Ut projeté de loi du Gouverne-
ment.
» Néanmoins» le Gouvernement pourra se dispenser de consulter le conseil
d'État sur les projets de loi suivants:
v !» Budget des receties.ei dépenses ;
». 2o Crédits supplémentaires. et extraordinaires;
» 3<> Règlement définitif du budget ;
» 4o Fixation du contingent de l'armée ;
s 5o Ratification des traités et conventions diplomatiques ;
» 6° Les projets de loi d'urgence. »
Et l'article ajoutait : or L'Assemblée nationale renverra à l'exa-
men du conseil d'État les projets qui ne rentreraient pas dans
les catégories précédentes, et dont elle aurait été saisie par le
Gouvernement, sans que le conseil d'Élal eût été consulté. »
De telle sorte que, excepté quelques lois, le conseil d'État devrait
être consulté sar tous les projets du Gouvernement, et les procès-
verbaux transmis à l'Assemblée nationale. (Art. 60.) Évidemment
c'était là une extension considérable donnée au principe de l'ar-
ticle 75 de la Constitution. Mais ce n'était pas tout. La section de
législation que le projet de loi organisait, et Hont le président
serait le président réel et sérieux du conseil d'État, absorbait sin-
gulièrement cette attribution quasi législative dévolue au conseil
d'État. Aux termes de l'article 50, en effet, le conseil d'État ne
délibère nécessairement en assemblée générale que sur tous les
projets de lois organiques de la Constitution et sur les projets de
règlement d'administration publique pour lesquels il a reçu la
délégation spéciale de l'Assemblée nationale. C'est donc dans la
section de législation, dans laquelle précisément on déclarait
vouloir faire entrer spécialement les hommes politiques, et où
pourraient, dès lors, se rencontrer les pensées qui lui seraient
le moins favorables, que le Pouvoir exécutif devrait porter toutes
ses lois. Mieux vaudrait pour lui, peut-être, avoir à discuter de-
vant toutes les sections réunies. Là, du moins, il retrouverait les
magistrats du contentieux, les administrateurs de la section ad*
CONSEIL D'ÉTAT. 57
ministrative, et il ne serait pas exposé à foir ses projeta inces-
samment modifiés dans un esprit s^stématkpe, qui aurait pu
prévaloir dans la section de législation. Au contraire, dans cette
section, an président de laquelle on réservait des pouvoirs éten-
dus, dans cette section, la situation d'un ministre, obligé de dis-
cuter ses lois, pouvait devenir des plus fausses, des moins dignes,
placé qu'il serait devant un président élu par la section, maître
de la direction des travaux, et devant une majorité qui pourrait
être complètement hostile à la politique ministérielle. Si Ton
voulait absolument que toutes les lois fussent discutées dans le
conseil, que ne déelarait-on que ce serait devant tout le conseil
d'État, sections réunies. Ainsi, du moins, le Pouvoir eût échappé
i ces combinaisons de. coterie, à ces influences personnelles qui
pourraient lui être si funestes.
Au point de vue du personnel, le projet renfermait une impor-
tante innovation. De très-larges attributions y étaient accordées à
un nouveau fonctionnaire, le commissaire général près le conseil
d'État. « Le commissaire général, disait le rapport, est nommé
par le président de la République ; il peut faire partie de l'As-
semblée. 0 (Art. 46.) Peut-être eût*il été naturel que les conseil-
lers d'État qui auraient pris part à la discussion d'un projet de
loi pussent être choisis par le Pouvoir- exécutif, par le conseil
d'État lui-même, pour défendre les projets dans la commission
de l'Assemblée, sinon dans l'Assemblée elle-même. Or, ce rôle,
le projet de loi semblait le réserver uniquement au commissaire
général. Voici seulement ce que contenait l'article 36 :
« Sut la demande des commissions des comités de P Assemblée nationale, la
section de. législation, désigne des conseillers d'État on des maîtres des requêtes
pour exposer Paris du conseil d'État dont les comités ou commissions de l'As-
semblée. »
Ces dernières expressions étaient singulièrement restrictives,
surtout en présence de ce passage qui décelait la pensée du rap-
port (pag. 19 et 20) :
« An commissaire général de la République est accordée nne prérogative
spéciale. Il peut faire partie de l'Assemblée nationale. Quand il réunira ce double
58 HISTOIRE DE FRANGE. (1849.)
caractère, il sera an besoin, dans le sein de l'Assemblée, l'organe du conseil
d'État, et, dans le sein dn conseil d'État» f organe de f Assemblée. Tenant ai
Pouvoir exécutif par son origine, eu pouvoir législatif par ton titre paries*»
taire, a» conseil d'État f>ar «es fonctions, il «en comme I'aomm doitinâ à les
rapprocher, à les unir. »
Non, le commissaire général ne serait pas, dans le sein du con-
seil d'Étal, l'organe de l'Assemblée, qui ne l'aurait pas élu. U ne
serait pas davantage, dans l'Assemblée, l'organe du conseil d'É-
tat, dont il ne partagerait peut-être pas l'option, et qui ue l'au-
rait pas choisi pour son interprète.
Sur le personnel encore, le projet contenait une disposition
contraire aux véritables principes constitutionnels, celle qui ré-
servait pour les auditeurs un quart des places de sous-préfets qui
viendraientà vaquer. Le choix de ces fonctionnaires serait donc im-
posé par les présidents de section aux ministres, seuls pourtant
responsables. Toute la partie du projet qui se rapportait au con~
tentieux désorganisait un admirable service. Ce qu'il y avait
d'excellent dans le mode de procéder du conseil d'État, en ma-
tière contentieuse, c'est que le comité du contentieux, faisant
l'instruction, offrait aux parties, comme au conseil lui-même,
toutes les garanties d'un examen préalable approfondi ; c'était
une . sorte de rapporteur, collectif qui donnait à l' instruction des
affaires un soin justement apprécié. Tout cela disparaissait dans
le projet. Avec l'organisation nouvelle, il faudrait des. plaidoieries
presque pour chaque, acte de procédure ; les procès deviendraient
plus longs, plus dispendieux. Enfin, la section du contentieux se-
rait, pour certaines causes, dans la situation difficile des tribunaux
ordinaires, qui souvent sont obligés de renvoyer devant arbitres,
précisément parce que l'examen préalable n'est pas et de peut
pas être, à raison de l'organisation même de ces tribunaux, con-
fié à un comité instructeur.
En résumé, la loi et le rapport aggravaient encore les consé-
quences d'un mauvais principe.
La discussion générale, ouverte avec la seconde délibération,
ne présenta qu'un médiocre intérêt. MM. Sainte-Beuve et Déchard
firent une critique approfondie du projet de la commission. Les
deux orateurs prouvèrent surabondamment qu'il était difficile de
« # CONSEIL D'ÉTAT. 59
concilier la nouvelle organisation du conseil d'État, soit avec les
attributions anciennes qui lui étaient maintenues, soit avec les
attributions nouvelles qui lui étaient conférées, ces attributions,
très-complexes, à la fois législatives, administratives et judi-
ciaires Le conseil d'État serait consulté sur les projets de loi du
Gouvernement ; il exercerait sur l'administration un pouvoir de
contrôle et de surveillance ; il jugerait en dernier ressort les af-
faires connues sous le nom de contentieux administratif. D'autre
part, on sait le mode adopté pour la nomination des membres
du conseil d'État : ils seraient élus pour six ans par l'Assemblée
nationale. Comment ces attributions diverses pourraient-elles
s'adapter à une pareille origine? En matière législative, quels se-
raient les rapports du Pouvoir exécutif avec ce conseil d'État
électif, et par conséquent indépendant? Quelle garantie aurait-on
contre les conflits qui pourraient s'élever entre les deux pouvoirs ?
On n'en apercevait aucune. En matière administrativlPftomment
l'indépendance du Pouvoir exécutif pourrait-elle s'accorder avec
l'indépendance du corps qu'on lui donnait à la fois comme auxi-
liaire^ comme surveillant? Que devenait dans ce chaos le prin-
cipe de la responsabilité ministérielle? En matière judiciaire,
n'était-ce pas au moins une anomalie que l'existence de ce tri-
bunal électif à côté des autres tribunaux institués par le Pouvoir
exécutif? Toutes ces objections avaient leur gravité. Mais elles
étaient intempestives; elles ne s'adressaient pas tfrf projet de loi,
mais à la Constitution elle-même. C'est dans la discussion sur la
Constitution qu'elles auraient dû se produire.
Il y avait toutefois une question importante et vraiment consti-
tutionnelle, que la Constitution n'avait pas résolue, et dont, par
conséquent, elle avait renvoyé la décision à la loi organique :
c'était celle qui concernait le contentieux administratif. C'est sur
ce point capital que MM. Bauchart et de Parieu concentrèrent
habilement la discussion. Attribuer à une. section particulière le
jugement du contentieux qui, jusqu'alors, appartenait à l'assem-
blée générale du conseil d'État; accorder à la section du conten-
tieux une juridiction propre et souveraine, c'était, en d'autres
termes, en faire un véritable tribunal. A l'appui de cette considé-
60 HISTOIRE DE FRANCE. Çfofy.)
ration, M. de Parieu donna les seules raisons par lesquelles on
pût justifier l'institution nouvelle. On voulait par là, dit l'orateur,
assurer aux intérêts particuliers, quand ils seraient en lutte avec
l'administration, les mêmes garanties qu'ils trouvent dans la jus-
tice ordinaire. ReBtait à savoir si l'intérêt que l'administration
représente, c'est-à-dire l'intérêt général, serait suffisamment ga-
ranti par ce système. Sur ce point, l'opinion des jurisconsultes
les plus éminents était contraire à celle de la commission* M. Bé-
chard s'en fit l'organe, et parut réfuter solidement l'argumentation
de M. de Parieu.
La discussion générale fut promptement fermée, et le débat
s'ouvrit immédiatement sur les articles du projet.
Les divers amendements qui avaient pour but de modifier le
système de la commission sur les attributions législatives et ad-
ministratives du conseil d'État furent successivement repoussés.
Ceux (pétaient relatifs au contentieux administratif eurent le
même sort. Les neuf premiers articles du projet furent votés tels
qu'ils étaient proposés. Mais l'art. 40 fut modifié d'une usinière
importante. Cet article disposait que le conseil d'État se compo-
serait du vice-président de la République et de quarante-huit
conseillers d'État. Un amendement de M. Sauvaire-Barthélemy
réduisait le nombre des conseillers d'État à trente-deux. L'amen-
dement, conqjattu par M. Vivien, rapporteur, fut néanmoins
adopté (tt janvier).
Les articles 14, 12 et 15 avaient pour objet de déterminer le
mode d'élection des conseillers. La Constitution se bornait à dire
que les nominations seraient faites par l'Assemblée nationale
sans déterminer aucune des conditions d'éligibilité. Ce silence
donnait à la commission le moyen de faire une juste part à l'ac-
tion du Gouvernement. Tout le monde était unanime à redouter
comme un danger le cas où la majorité du conseil d'État serait
systématiquement hostile au Gouvernement. Il était possible de
prévenir ce danger. Rien n'empêchait d'attribuer au Gouverne-
ment la présentation d'une liste de candidats double ou triple du
nombre des conseillers, et d'imposer des conditions de service
ou de capacité, qui, en assurant un bon recrutement du conseil
d'État, laisseraient au Gouvernement une certaine latitude dan*
CONSEIL D'ÉTAT. 61
ses choix. Les ministres, obligés de faire subir à tout ce qui émane
de leur initiative l'examen du conseil d'État, auraient eu la ga-
rantie de ne pas rencontrer dans ce corps indépendant de leur
action une hostilité systématique. L'opposition du conseil d'État
au Gouvernement serait toujours sans effet utile, puisqu'elle ne
ferait que devancer les votes d'une Assemblée hostile et qu'elle
serait détruite par les votes d'une Assemblée favorable, et elle
pouvait avoir une influence désastreuse sur l'administration. La
commission n'en avait pas jugé ainsi : elle s'était attachée au con-"
traire à rendre impossible l'immixtion du Gouvernement dans la
nomination des conseillers. Le champ des candidatures était illi-
mité ; aucune condition de capacité ni de service n'était exigée ;
seulement une commission spéciale présenterait une liste ^can-
didats que l'Assemblée serait maîtresse de repousser. 11 était évi-
dent dès lors que toutes les nominations seraient des nominations
de parti : et qu'H serait tenu plus de compte des opinions et des
relations que des aptitudes. L'Assemblée adopta cependant les
articles du projet de loi, sur le refus fait par la commission d'y
rien modifier ; mais des amendements étaient annoncés pour la
troisième discussion.
L'Assemblée fit subir une modification importante au projet de
loi : elle supprima le commissaire général qu'on proposait d'ins-
tituer près le conseil d'État tout entier. On alléguait avec quelque
apparence de raison que le Gouvernement ne pouvait se passer
d'un représentant spécial et officiel devant le conseil d'État tel
qu'il était organisé selon la Constitution, c'est-à-dire devant un
conseil d'État électif» et par conséquent indépendant. Ce fut le
principal argument que MM. Vivien et Crémieux firent valoir en
faveur du projet. Peut-être cet argument n'était-il pas sans ré-
plique. On répondit, en effet, que le Pouvoir exécutif serait repré-
senté devant le conseil d'État par les maîtres des requêtes nonimés
par lui, et, en outre, par le vice-président de la République.
Peut-être encore était-il bon qu'il y eût près de la section du con-
tcntienx un commissaire du Gouvernement remplissant les fonc-
tions du ministère public; mais on ne voyait aucune raison
d'être au commissaire près le conseil d'État tout entier. La com-
mission prétendait que ce fonctionnaire devait être l'organe du
62 HISTOIRE DE FRANGE. (1849.)
Gouvernement dans le conseil d'État, devenu indépendant du
Pouvoir exécutif ; mais il fallait alors qu'il fût nommé et pût être
révoqué par le ministre de la justice. Loin de là, le commissaire
général devait être nonyné directement par le président; il était
indépendant des ministres et perpétuellement tenté de s'égaler à
eui : rieiyie l'empêchait de leur devenir hostile et de tourner
contre eux l'influence qu'il pouvait avoir dans le conseil d'État,
(pétait donc un rouage ou inutile ou dangereux. L'Assemblée s'é-
mut de ces inconvénients vivement signalés par MM. Gaslonde
et Gombarel de Leyval, et elle repotissa, malgré les efforts de la
commission, la création du commissaire générai.
L'article 19, relatif à la nomination des maîtres des requêtes,
fut rewroyé à la commission qui se proposait de le remanier. Le
projet de loi avait déjà reçu de rudes atteintes : il avait été conçu
dans une pensée qui paraissait aujourd'hui difficilement réalisa-
ble. 11 devenait chaque jour plus difficile de concilier le système
de la commission avec les votes de l'Assemblée.
Le 25 janvier, toute la partie du projet qui concernait les maî-
tres des requêtes et les auditeurs fut votée sans modification im-
portante. L'article 18 disposait que les maîtres des requêtes
seraient nommés par le président de la République, sur une liste
de présentation, double en nombre, dressée par le président et
les présidents de sectioh. L'Assemblée avait à choisir entre ce
système et celui que voulait lui substituer M. Sauvaire-Rarthé-
lemy, en proposant d'attribuer directement la nomination des
maîtres des requêtes au président de la République en conseil des
ministres. Dans la pensée de M. Barthélémy, ce système se com-
binait avec le vote qui, sq£ sa proposition, avait supprimé le
commissaire général de la République. LejPouvoir exécutif aurait
trouvé jusqu'à un certain point, dans la nomination directe des
maîtres des requêtes, la garantie que le projet avait voulu lui
donner par la création do commissaire général. Mais M. Barthé-
lémy ne put foire accepter ses vues par l'Assemblée.
L'article 19 donnait au président de la République le droit de
révoquer les maîtres des requêtes, mais avec certaines restrictions
qui furent longuement débattues. Cependant cet article ftit voté
tel qu'il était proposé. L'article 20, qui réglait les attributions des
CONSEIL D'ÉTAT. 63
maîtres des requêtes, et l'article suivant, qui disposait que les
auditeurs seraient nommés au concours, en fixant l'âge auquel
ils pourraient être nommés à vingt et un ans au moins et vingt-
cinq au plus, passèrent sans contestation sérieuse. Il en fut de
même de celui qui déterminait les attributions des auditeurs.
If. Bécbard et M. de Barthélémy demandèrent inutilement que
les fonctions d'auditeur fussent gratuites ; ils s'appuyaient sur la
raison d'économie, et aussi sur des arguments d'une valeur peu
contestable. H. Chàrlemagne rappela que les auditeurs, après avoir
fait des études complètes, devaient avoir consacré quatre années
à acquérir le titre de docteur en droit, et que s'il leur fallait pas-
ser encore quatre années comme auditeurs, ils arriveraient à
Tâge de trente ans avant d'avoir une position. Bien peu de fa-
milles pourraient s'imposer les sacrifices considérables qu'exigent
dés études aussi suivies et l'entretien d'un jeune hojçttie jusqu'à
l'âge de trente ans. La gratuité des fonctions d'auditeur aurait
pour effet d'en réserver exclusivement l'accès aux jeunes gens
riches qui, par cette porte, envahiraient le conseil d'État et les
fonctions administratives. Ces raisons, puisées dans un sentiment
d'égalité un peu superficiel, devaient-elles prévoir contre les
judicieuses observations de M. Sauvaire-Barihélemy? La position
que les auditeurs occupent dans le conseil d'État est-elle réelle-
ment une fonction publique? Assurément non ; les auditeurs sont
nommés pour quatre ans ; le temps qu'ils passent au confeil est
un temps d'épreuve et de stage ; à l'expiration de ce terme, ils en
sortent de plein drpit. En d'autres termes, les auditeurs sont des
aspi^nts k certaines fonctions administratives ; ils occupent dans
leur sphère la position que les surnuméraires occupent dans tou-
tes les administrations publiques et les juges suppléants devaut
les tribunaux. Si on voulait rétribuer les auditeurs, pourquoi ne
pas rétribuer également les juges suppléants et les surnuméraires
de toutes les administrations publiques? On parlait de justice et
d'égalité ! mais qu'y avait-il de plus contraire à la justice et à lé-
galité que de voir un auditeur au conseil d'État, un jeune homme
dé vingt et un ans, recevoir un traitement de 2,000 fr., c'est-à-
dire nn traitement supérieur à celui du magistrat qui a vieilli sur
SOU siège? Ces raisons, lotîtes puissantes qu'elles parussent, cédé-
64 HISTOIRE DE FRANCE. (1849.)
rent devant un mot, le mot mal compris d'égalité, * l'amende-
ment de M. Sauvaire-Barthélemy succomba.
On a vu que le projet réservait aux auditeurs le quart des
places. C'était là peut-être consacrer impérativement un usage
suivi jusqu'alors en toute liberté. Les derniers gouvernements
avaient souvent cherché parmi les auditeurs du conseil d'État des
sous-préfets et des préfets, et ces fonctionnaires qui avaient puisé
k une si excellente école la connaissance du droit administratif el
des affaire» avaient toujours eu sur les administrateurs empruntés
à la politique une incontestable supériorité. Mais la commission
s'était laissé entraîner à accepter un amendement de M. Dérodé,
d'après lequel le quart des emplois de sous-préfets était réservé
aux auditeurs, dans l'ordre des présentations faites par le prési-
dent du conseil d'État et les présidents de sections. Il en serait
résulte qu'on aurait pu devenir sous-préfet sans l'intervention et
même contre la volonté du ministre de l'Intérieur. Les chefs du
conseil d'État auraient eu le pouvoir d'imposer des sous-préfets
au ministre, qui n'aurait eu d'autre ressource que de les destituer
le lendemain de leur installation.
M. Odilon Barrot n'eut pas de peine à montrer qu'il y avait là
un élément de désordre et de désorganisation pour l'adminis-
tration et un véritable empiétement de la part des chefs du con-
seil d'État sur la prérogative ministérielle. Les observations de
M. Baj rot obtinrent une adhésion unanime, et la seconde partie
de l'amendement de M. Dérodé fut supprimée.
La série des articles qui réglaient les travaux intérieurs du con-
seil fut votée presque sans débats. Seulement? l'art. 29, qui fixait
les traitements des divers membres du conseil d'État, fut*Vem-
placé par une disposition plus simple, qui renvoyait la fixation
de ces traitements à la loi de finances. Un seul amendement fut
l'objet d'un assez long débat. M. Mortimer-Ternaux proposait de
supprimer toute la portion du projet qui concernait la procédure
du conseil d'État, et de renvoyer à un règlement d'administration
publique le soin de statuer sur cet ordre de questions qui, par
leur nature, semblent en effet plutôt réglementaires que législa-
tives. Si cet amendement avait prévalu, la suite de la discussion
en eût été considérablement abrégée. Mais les objections que
CONSEIL D'ÉTAT. 65
M. Bauchart présenta contre ce système, éveillèrent les suscepti-
bilités de F Assemblée sur^a prérogative; et, comme pour prouver
qu'elle ne voulait rien céder sur ce point et qu'elle était décidée
à remplir sa tâche dans les plus minces détails, elle rejeta
Famendement de M. Ternaux (26 janvier),
La commission proposait de laisser au conseil d'État, réuni
en assemblée générale, la décision souveraine de toutes les ques-
tions de conflit qui s'élèveraient entre l'administration et la sec-
tion du contentieux. Le conseil d'État, appelé à prononcer entre
une de ses sections et le Gouvernement, aurait cédé tôt ou tard
à la tendance naturelle à tous les corps, d'étendre leur influence
et leurs attributions : il aurait toujours décidé contre l'adminis-
tration, et, grâce à l'extension abusive de la juridiction conten-
lieuse, il aurait insensiblement usurpé les pouvoirs du Gouverne-
ment, qui n'aurait conservé que la responsabilité.
M. le ministre de la Justice Gt ressortir tous les dangers de
cette subordination du Gouvernement au conseil d'État, qui, in-
dépendant et irresponsable, ne pourrait être arrêté dans ses en-
vahissements. II.. Barrai demanda que la décision des conflits qui
s'élèveraient entre l'administration et la section du contentieux,
fût déférée, comme à un arbitre naturel et indépendant, au tri-
bunal des conflits établi par l'art. 89 de la Constitution. Cette
proposition obtint un plein succès, et Fart. 5* fut amendé dans
ce sens.
Tons les articles suivants furent adoptés sans débats, tl n'en
fat pas ainsi de l'art. 66 et dernier qui réglait la nomination des
premiers conseillers d'État.
Il n'y avait rien là cependant qui, à première vue, pût faire
soupçonner une difficulté. La Constitution semblait avoir décidé
la question en remettant la nomination des conseillers d'État à
l'Assemblée législative, dans les premiers mois de sa réunion. Il
était donc tout simple que l'Assemblée législative nommât tout
le conseil qui se serait renouvelé par moitié tous les trois ans,
conformément à la Constitution. Le conseil d'État, en effet, était
destiné i fonctionner concurremment avec le Président déjà
nommé, et arec l'Assemblée qui succéderait à la Constituante :
66 HISTOIRE DE FRANGE. (1849.)
tous les grands pouvoirs de l'État se seraient trouvés ainsi avoir à
peu près la même date, et sortir du même mouvement électoral.
Hais des calculs d'ambition particulière devaient chercher à
troubler cet ordre naturel : trop de représentants s'attendaient
à n'être pas réélus pour qu'ils ne cherchassent pas à se ménager
des consolations dans le repos honorable des conseils d'État.
Aussi, beaucoup se révoltèrent à l'idée de laisser à F Assemblée
législative la disposition d'un si grand nombre de situations dé-
sirables.
La commission avait dû céder à ces exigences secrètes et
nombreuses, et elle avait proposé que l'Assemblée constituante
nommât la moitié du futur conseil; l'autre moitié aurait été
nommée par l'Assemblée législative. M. Vivien, dans son rapport,
avait défendu cette combinaison par des arguments qui prou-
vaient surtout contre la prétention de faire nommer les conseil-
lers par l'Assemblée actuelle. Mais un vote récent venait de ré-
duire le nombre des conseillers d'État de quarante-huit à
trente-deux : un tiers des places disponibles avait ainsi dispara
et les combinaisons se trouvaient dérangées. Aussi , ne dut-
on pas s'étonner de voir formuler un amendement attribuant
i l'Assemblée constituante la totalité des nominations* Cepen-
dant, comme on ne pouvait priver l'Assemblée législative de son
droit constitutionnel, la moitié des conseillers nommés serait
soumise à la réélection avant peut-être d'entrer en fonc-
tions.
Une moitié de l'Assemblée protesta contre un amendement
destiné à faciliter des arrangements scandaleusement transparents.
M. Lherbette, avec une franchise gênante, déclara qu'il ne pou-
vait voir dans cette proposition rien de sérieia, et qu'à ses yeux
il y avait une contradiction fâcheuse entre l'honorable suscepti-
bilité qui avait fait proclamer l'incompatibilité du mandat de re-
présentant et de toute fonction publique, et cet empressement à
pourvoir aux places du conseil d'État et à faire du titre de repré-
sentant un marchepied pour arriver à ces places. Néanmoins une
majorité de douze voix fit prévaloir l'amendement proposé par
M. Gautier de Rurailly au nom de la majorité de la commission,
CONSEIL D'ÉTAT. «7
et soutenu par M. Tranchand. (Sur 792 Totants, majorité abso-
lue 397» 409 pour et 383 contre) 27 janvier.
La loi tout entière était votée : il ne lai restait plus qu'à subir
l'épreuve peu sérieuse d'une troisième délibération.
H
«8 HISTOIRE DE FRANCE. (1849.)
CHAPITRE V.
l'opinion bt l' assemblée, proposition 1ATXAU.
Questions extérieures , bruits (Tune expédition ©a Italie, projets du généra!
Cavaignac, interpellations de M. Banne, M. de Lamartine et H. Ledru-
Rollin, excentricités diplomatiques et géographiques, réponse du cabinet, si-
tuation vraie des affaires en Italie. — Mouvement dans le pays en faveur d'une
prompte séparation de l'Assemblée, pétitions nombreuses, attitude des con-
seils généraux, idées de décentralisation, M. Raudot. — Proposition présen-
tée par M. Râteau pour 6xer un terme à l'Assemblée constituante. — Rejet
dans les comités, rapport de M. Grévy, discussion, M. de Montalembert, déV
claration du Gouvernement par la bouche' de M. Odilon Barrot, prise en con-
sidération. — Nomination d'une commission hostile à la proposition, nouveau
rapport de M. Grévy, surcroît de pétitions, M. Clément Thomas et l'opinion
publique, conclusion du rapport, conflit. — Arrêt de mise en accusation des
accusés du 15 mai, haute-cour de justice, cour de cassation, question de ré-
troactivité, M. Baroche, M. Dupin, M. Eugène Raspatl ; adoption du renvoi,
composition de la haute- cour.
L'armement d'un certain nombre de bateaux à vapeur dans le
port de Toulon et plusieurs dispositions militaires rappelèrent les
esprits vers les difficultés extérieures. On répétait les bruits les
plus divers. Selon les uns, la médiation pour les affaires d'Italie
était abandonnée; le Piémont faisait marcher son armée : le ma-
réchal Radetzki s'avançait sur Turin et sur Rome; le pape se ré-
fugiait en France on en Espagne. Ces rumeurs trouvèrent un
écho dans l'Assemblée nationale.
Des interpellations adressées par M. Baune au ministère sur les
affaires d'Italie et d'Allemagne eurent pour résultat de soulever
un débat plus sérieux. Quelques paroles du ministre des Affaires
étrangères appelèrent à la tribune M. de Lamartine et M. Ledru-
L'OPINION ET L'ASSEMBLÉE. PROP. RATEAU. 69
Rollin. M. de Lamartine n'était pas en cause : ma» l'honorable
représeqfant voulut saisir cette occasion de désavouer de nouveau
tonte participation dans les fameuses expéditions de Savoie et de
Riaquous-Tout. M. de Lamartine rappela en vain son célèbre
manifeste. A qui pensait-il faire croire que ce manifeste fût toute
la politique du Gouvernement provisoire? En vain protesta-t-il de
ses bonnes intentions personnelles dont personne n'avait paru
douter : il ne pouvait faire oublier une action directement op-
posée à la sienne. On put même s'étonner de voir l'illustre ora-
teur accepter une seconde fois la solidarité d'une politique dé-
sormais jugée, et chercher à couvrir M. Ledru-Rollin comme d'un
bouclier. Quant à celui-ci, il trouva bon de s'abriter derrière
le manifeste de M. de Lamartine, et de désavouer certains actes
politiques de son administration, laissant ainsi sans réponse le
retentissement du procès d'Anvers, les accusations catégoriques
du procureur-général belge , M. de Bavay , les déclarations
des avocats des accusés d'Anvers, la conscience même de la
France.
Quant à la situation générale de la politique européenne,
M. Ledru-Rollin ne la jugeait pas d'une façon moins singulière.
Tout lui paraissait rendre la guerre inévitable : à l'entendre, elle
était presque commencée, et la France était cernée de toutes
parts. En supposant vraie cette position de la France, était-ce au
Cabinet actuel qu'il fallait demander compte des difficultés?
c A qui la faute? a s'écria M. de Laroche jaquelein.
Sur les autres questions, M. Ledru-Rollin ne fut pas plus heu-
reux, et l'Assemblée put entendre avec satisfaction les répliques
énergiques et concises de M. le ministre des Affaires étran-
gères.
M. Ledru-Rollin avait dit que la Prusse, profitant de l'aveugle-
ment du ministère, concentrait sur notre frontière du Rhin
des forces chaque jour croissantes. H n'en était rien : le Gouver-
nement avait demandé des explications à la Prusse, et il avait ac-
quis la preuve que les forces prussiennes, loin d'avoir été accrues,
depuis le mois d'avril, avaient été diminuées.
M. Ledru-Rollin savait qu'une intervention armée en faveur du
pape avait été proposée, que la France, Naples et l'Autriche de*
70 HISTOIRE DE FRANGE. (1849.)
vaient l'accomplir à frais communs ; il 'savait même le «oasetl de
Cabinet où cette question avait été débattue. Jl n'en était rien :
aucune proposition de cette nature n'avait été faite à la France,
aucun conseil de Cabinet n'avait été tenu à ce sujet.
M. Ledru-Rollin avait dit que les négociations entamées à. ta-
pies au sujet de la Sicile, avaient été rompues. 11 n'en était rien :
les, négociations se poursuivaient.
M. Ledru-Rollia signalait l'existence d'une flotte russe dans
l'Adriatique, et informait le Gouvernement qu'une seconde flotte,
non moins formidable que la première, venait de la Baltique, et
menaçait la liberté dans l'Europe méridionale. Il n'en était rien,
et ici Terreur devenait plaisante. U n'y avait, dans l'Adriatique,
qu'une escadre française : aucun navire de guerre russe n'avait
franchi les Dardanelles ; quant à la seconde flotte, M. Ledru-
Aollin oubliait que la Baltique est fermée par les glaces pendant
cinq mois de l'année, et qu'aucune flotte russe ne peut sortir de
Cronstadt avant le mois de mars. M. de Tracy, ministre de la Ma-
rine, rassura l'orateur sur ce point.
M. Ledru-Rôllin expliquait la supériorité de ces étranges in-
formations par ce fait que le Gouvernement avait annulé toutes
les nominations du Gouvernement provisoire, et ne devait plis
avoir en Italie que des diplomates incapables. Mais il se trouvait
que rien n'avait été changé en Italie, en ce qui concernait le per-
sonnel diplomatique, depuis que M. Ledru-Rollin avait quitté le
pouvoir.
Ces diseussions oiseuses, tette absence regrettable d'informa-
tions sérieuses, ces erreurs grossières en histoire, en géographie,
en diplomatie, c'était un chef de parti, un homme éminent, placé
un moment à la tête de la France, qui en donnait le triste spec-
tacle. Les mœurs parlementaires de ht Grande-Bretagne eu de
l'Amérique du Nord ne présentent pas, même chea les orateurs
de second ordre, un seul exemple de légèretés semblables (ft jan-
vier).
fin résumé, les interpellâtes» reprochaient au Gouvernement
de n'avoir pas prêté.inain-fbrte à l'utopie de l'unité italienne»
Cependant, au-dessus de ces discussions parlementaires planait
une difficulté sérieuse. L'Italie renfermait essai de causes de dés*
L'OPINION ET L'ASSEMBLÉE. PROP. RATEAU. 71
ordre pour troubler la paix de l'Europe. On pouvait craindre que
l'enivrement do succès ne poussât les Autrichiens contre le Pié-
mont. D'un autre coté, une nouvelle ardeur guerrière s'était em-
parée du Piémont. Un ministère passionné, avait succédé, depuis
on mois, à un ministère plus modéré. Toutefois, rien n'autorisait
à penser que l'oeuvre de la médiation fût abandonnée.
Quant à Rome, un sentiment d'indignation avait parcouru la
France et l'Europe entière, à la nouvelle des excès dont cette ville
avait été le théâtre. L'aveuglement des théories démocratiques
pouvait seul fermer les yeux sur les destinées d'une république
violemment née d'un acte d'ingratitude et d'un lâche assassinat.
Le promoteur de la liberté italienne, contraint de fuir devant un
drapeau ensanglanté par des sicaires, c'était là un événement qui
réclamait l'active sollicitude de l'Europe catholique. La France,
par ses sympathies et ses intérêts, était, plus que tout autre pays,
intéressée dans la question. Déjà les démarches officielles du gé-
néral Cavaignac avaient indiqué les tendances naturelles du pays.
Il n'avait pas suffi an général de se préparer à agir en cas de be-
soin : il avait proclamé son intention d'agir (1).
Là en étaient les difficultés du Pouvoir lorsqu'une question plus
grave vint envenimer la lutte entre le Gouvernement et l'As-
semblée.
Un mouvement prononcé se faisait sentir dans les départements
en faveur d'une prompte séparation de l'Assemblée constituante.
Un certain nombre de conseils généraux avaient émis des vœux
de même nature, et des pétitions en ce sens se signaient par
tonte la France. L'instinct du pays l'avertissait des difficultés qui
naissent invinciblement de deux prérogatives rivales, et l'opinion
populaire se prétait difficilement à cette sorte de fiction légale par
laquelle l'Assemblée demi-constituante, demi-législative, abdi-
quait en partie la plénitude de ses pouvoirs, sans cesser d'être
elle-même.
Une question de convenance s'ajoutait à la question de légalité.
Sans doute, on pouvait improuver les formes sous lesquelles on
engageait généralement l'Assemblée à mettre elle-même un terme
(1) Voyez, plus loio, Italie.
72 HISTOIRE DE FRANCE. (1849.)
à son existence; sans doute on pouvait ne pas s'associer aux som-
mations peu respectueuses qui lui étaient adressées de presque
tous les points du territoire. Sans doute, enfin, il fallait recon-
naître que l'Assemblée était dépositaire légitime du principe de
souveraineté, et qu'il n'appartenait qu'à elle seule de décider du
moment où elle croirait avoir achevé son œuvre.
Les conseils généraux s'associaient à ce mouvement de l'opi-
nion publique. Malgré la loi qui leur prescrit de se renfermer dans
le cercle des affaires départementales, ils s'établissaient, parla né-
cessité des circonstances, sur le terrain de la politique. Le senti-
ment national, plus fortement excité dans les provinces que dans
la capitale elle-même, ne pouvait manquer de se faire jour dans
les conseils généraux. Le même élan avec lequel on avait vu les
gardes nationales de la France tout entière accourir au secours
de Paris, s'y manifestait pour faire face à l'anarchie, si jamais elle
devait relever la tête. Ne fallait-il pas, en effet, prévoir le cas où
les factions vaincues en juin renouvelleraient leurs audacieux at-
tentats contre la société? Le cas, encore plus grave, où l'insurrec-
tion triompherait à Paris ne devait-il pas attirer l'attention du
pays? Cette question, les conseils mirent un empressement patrio-
tique à la soulever, et ils la résolurent d'une manière uniforme.
Les uns ne reculèrent pas devant une résolution définitive, et ils
déclarèrent que, le cas échéant d'un renversement des pouvoirs
constitutionnels, le conseil général se réunirait immédiatement
sans attendre la convocation officielle, pour offrir son concours à
l'autorité locale, pour la suppléer au besoin et pour aviser à toutes
les mesures de salut public. Les autres, plus scrupuleux obser-
vateurs de la légalité, se bornèrent à l'expression d'un vœu ten-
dant à provoquer une disposition législative qui autoriserait, dans
de pareilles circonstances, la réunion des conseils généraux sans
convocation officielle.
Quelques-uns même, et en assez grand nombre, allèrent plus
loin. Ils se saisirent de cette question : si l'Assemblée nationale,
après avoir voté la Constitution, devrait prolonger ses pouvoirs,
et ils provoquèrent formellement la dissolution de la Constituante.
C'était là une première et sérieuse atteinte à l'esprit de centrali-
sation qui paraissait être, sous la monarchie, l'âme même de la
L'OPINION ET L'ASSEMBLÉE. PROP. RATEAU. 73
France. L'influence de l'opinion parisienne, la domination de
cette capitale qoi avait laissé renverser on gouvernement sans le
vouloir semblait devenue un joug insupportable. À. Rennes, à
Lille, des orateurs s'écriaient dans le sein des assemblées dépar-
tementales :
« Il ne faut plus que de Paria on non» expédie des révolutions par la malle-
poste ; car maintenant ce ne serait pins nne rév olotion politique qui nous ar-
riverait, maïs une 'révolution sociale... Les départements, en Juin» ont bien
montré qu'ils n'entendaient pas qu-'il en fût ainsi... Est-il frai que nous ayons
passé des jours qui s'appellent le 24 février, le 15 mai, le 23 juin? Est-il vrai
que nom nous couchons chaque soir en nous demandant ce que nous serons le
lendemain? »
Et un autre :
« n est boni dans l'histoire, disait-il, que quelques milliers d'hommes tur-
bulents, aventuriers politiques prêts à tous les coups de main, aient pu, à di-
verses reprises, mettre en péril les destinées d'un peuple comme celui de France.
Nous offrons à l'Europe l'étrange spectacle d'une nation de 35 millions d'hom-
mes exposés à recevoir la loi de 20 à 30,000 faiseurs de révolutions, qui
descendent sur la place publique, au cri de quelques ambitieux turbulents,
et qui traitent la France en pays conquis, il y a quelques mois h peine, n'avons-
nous pas va nue poignée d'hommes égarés, profitant de. l'inertie des uns, de la
tmtuT des autres, de la connivence de- beaucoup, et surtout de l'impéritie du
Gtuvernemenl»v s'emparer du sanctuaire de la représentation nationale et chasser
aérant elle le» élus do pays ? Une résistance unanime se déclare contre la ty-
rannie parisienne ; an violent désir de se soustraire à son joug éclate aux yeux
■nmes du Gouvernement central. Ce n'est pas nne conspiration, encore moins
■ne pensée de fédéralisme ; c'est on dessein ouvert et réfléchi ; les provinces "de
France, comme les anciennes provinces des Gaules, ne veulent plus que leurs
intérêts aillent s'engloutir dans Rome. •
Do conseil général, celui de la Gironde, rédigeait un pro-
gramme complet de décentralisation administrative. La pensée fon-
damentale de ce programme était résumée dans les deux points
suivants : € 1° rechercher quelles sont, parmi les affaires locales,
celles qui peuvent être soustraites sans danger à tout contrôle
administratif, et les en affranchir; 2° décider que tous les actes
qui resteront soumis à des formalités en trouveront la solution et
le terme au siège de l'autorité départementale. »
Ainsi , le contrôle de l'autorité supérieure serait remplacé,
dans tous les cas où cela serait reconnu nécessaire, par celui de
74 HISTOIRE DE FRANCE. (1849.)
l'autorité départementale ; le centre serait transféré de la capi-
tale au chef-lieu du département. La centralisation ne serait pas
supprimée, mais le cercle serait rétréci; le centre se trouverait
rapproché de la circonférence (4).
Cette attitude nouvelle trouvait, dans l'Assemblée elle-même,
un savant interprète, M. Raudot. L'honorable représentant de
l'Yonne voulait que les affaires de la commune fussent étudiées»
discutées et décidées dans la commune ; que les affaire^ du dé-
partement fussent étudiées, discutées et décidées dans le dépar-
tement; il voulait, en conséquence, que les communes et les dé-
partements, cessant d'être placés sous la tutelle de l'État, pussent
s'administrer librement, acquérir, vendre, aliéner, échanger,
louer, affermer, concéder, édifier, démolir, restaurer, plaider,
transiger, hériter, comme toute personne civile, sans subir les
longs retards, les tyranniques entraves qu'apporte à l'accomplis-
sement de ces actes l'obligation qui leur est imposée d'obtenir,
pour les uns, l'autorisation préalable, et, pour les autres, l'ap-
probation ultérieure du préfet ou du ministre» si ce n'est même
du président de la République.
M. Raudot voulait également que tous les maires, sans excep-
tion, fussent nommés par les conseils municipaux et choisis dans
leur sein, et que l'administration des intérêts départementaux,
assimilée à l'administration des intérêts communaux, passât des
mains de l'agent du pouvoir central aux mains d'un membre du
conseil général, élu par ses collègues. Il voulait, enfin, que les
attributions de l'agent du pouvoir central dans chaque départe-
ment fussent celles d'un simple commissaire du gouvernement»
chargé de veiller à l'exécution des lois d'application générale, de
sauvegarder les droits de l'État, de protéger les intérêts des tiers,
de réprimer les excès de pouvoir, de suppléer à la néglige uce
des magistrats et d'ordonner les mesures de sûreté publique.
Ce n'était pas un sentiment sans importance que ce désir
d'émancipation politique, si on réfléchissait qu'une preuve récente
de la vitalité départementale avait été donnée dans l'élection du
président de la République.
(1) Voyez à V Appendice Vanar/se de la session des conseils généraux.
L'OPINION ET L'ASSEMBLÉE. PROP. RATEAU. 75
. Le 29 décembre, M. Râteau présenta une proposition ayant
pour but de fixer par un décret Je jour de la dissolution de l'As-
semtyée constituante, et la convocation de l'Assemblée législative.
En voici le texte.
« Art. 1er. L'Assemblée législative est convoquée pour le i9 mars 1S49.
» Les pouvoirs de l'Assemblée nationale constituante prendront fin le même
JOV.
» Art. 1\ Les élections, pour la nomination des sept cent cinquante membres
qui devront composer l'Assemblée législative, auront lien le 4 mars 1 849.
» Chaque département élira le nombre d j représentants déterminé par le ta-
bleau annexé au présent décret.
» Art. 3. Jusqu'à l'époque fixée pour sa dissolution, l' Assemblée nationale
s'occupera principalement de la loi électorale et de la loi relative au Conseil
d'État. »
Repoussée par le comité de législation, à la majorité de 19 voix
contre 18, rejetée dans le comité de la justice par 15 voix contre
15, la proposition fut, le 9 janvier, l'objet d'un rapport de
M. Grévy. Une partie de l'Assemblée, celle qui se trouvait en
communauté d'opinions avec l'honorable rapporteur, paraissait
désireuse d'empêcher la lecture du rapport et demandait Tordre
du jour avec instance.
Il fallut que M. Deslongrais rappelât que la lecture de tout rap-
port était de droit, dès qu'elle était réclamée. Malgré cette cons-
piration du silence, M. Grévy dut faire connaître son rapport,
dont la forme, on pouvoit s'y attendre, était, malgré de nom-
breux adoucissements obtenus au sein de la commission, i la
fois âpre et provocante. Les conclusions* , étaient impérieuses et
violentes, et allaient directement contre le vœu du paya. Les rai-
sons sérieuses, tirées des principes de tout gouvernement régu-
lier, et qui faisaient envisager comme indispensable la sépara-
tion d'une Assemblée hostile au pouvoir quadriennal, n'avaient
pas été discutées sérieusement par M. Grévy* Selon l'honorable
rapporteur, l'Assemblée constituante ne pouvait se retirer avant
d'avoir accompli son mandat, et ce mandat était de donner au
pays une constitution républicaine et des lois organiques. Une
constitution, ajoutaitril, n'est qu'un recueil de dispoeitkxis abe*
traites, et une Assemblée, qui ne ferait pas les lois organiques,
76 HISTOIRE DE FRANCE. (1849.)
n'aurait de constituante que le nom. D'ailleurs, l'Assemblée
tuelle ne s'était-elle pas lié la main ? N'avait-elle pas écrit <lans la
Constitution qu'elle ferait les lois organiques? Dès lors, elle était
obligée de les faire. A cette objection qu'il y avait impossibilité
de coexistence entre une Assemblée constituante et un pouvoir
exécutif issu de la Constitution, M. Grévy s'écriait : «Il fallait
» nous le dire avant le 10 décembre.» Le rapport faisait valoir,
en outre, que toutes les assemblées de révision seraient dans la
situation où se trouvait aujourd'hui la Constituante.
Quelles que dussent être les réponses apportées par la discus-
sion à ces appréciations diverses, on ne pouvait dès lors se dis-
simuler qu'un sentiment personnel se cachait derrière les scru-
pules du rapport. Il fallait donc qu'on fût bien sûr à l'avance que
le suffrage universel, consulté une seconde fois, pourrait modi-
fier l'esprit de la représentation nationale , puisqu'on prenait
ainsi ses précautions. Il y avait donc là, disait-on, une défiance
visible de l'opinion publique, une affaire de parti 1
La discussion sur la prise en considération de la proposition
Râteau, fut ouverte le 12 janvier. A un discours solide et modéré
de M. Desèze, qui chercha à (aire comprendre la nécessité d'une
transaction en face d'un mouvement incontestable de l'opinion
publique, M. Pierre Bonaparte répondit par des violences. L'ora-
teur traita de rebelles et de sacrilèges tous ceux qui se permet-
traient de penser qu'il serait assez convenable de consulter,
pour la formation d'une chambre nouvelle, les électeurs qui ve-
naient de nommer un président. M. Pierre Bonaparte annonçait
l'intention de rester inflexible sur sa chaise curule.
Le débat s'éleva avec M. de Monlalembert. L'éminent orateur
mit en présence les deux fractions principales de l'Assemblée,
dont l'une voulait s'en aller parce qu'elle était sûre de revenir,
dont l'autre voulait rester parce qu'elle était certaine de ne pas
revenir. Mêlant l'ironie aux raisons, M. de Montalembert ne pou-
vait croire à l'incompatibilité d'existence entre l'Assemblée et le
président, à la vue de tant de conversions accomplies parmi ces
mêmes hommes qui s'étaient élevés contre la mobilité des opi-
nions. Les détracteurs de la veille, transformés en flatteurs du
lendemain, ces dévouements inattendus envers celui qu'on avait
L'OPINION ET L'ASSEMBLÉE. PROP. RATEAU. 77
combattu, ces acharnement* à disputer le pouvoir après avoir
prêché l'abnégation, lout cela sans doute formait un spectacle
rassurant. Hais une inquiétude plus grave préoccupait l'orateur.
Cette Assemblée, sur qui la France s'était reposée de ses destinées,
qui était arrivée investie de la conOance publique, qui, soumise
à des épreuves difficiles et cruelles, avait justifié l'attente du pays,
qui avait achevé une œuvre imparfaite, mais consciencieuse, et
qui pouvait, en se retirant après sa tâehe accomplie, retourner
dans ses foyers avec l'estime et la reconnaissance de la nation :
cette Assemblée, seul vestige de pouvoir et d'autorité, allait-elle
céder à un funeste entraînement? Allait-elle à son tour tomber
dans l'aveuglement des gouvernements qui l'avaient précédée ?
Allait-elle renier son origine et la source de sa force ?
On criait à l'ingratitude du peuple! mais ce peuple4 juste ou
injuste qui voulait aujourd'hui une Assemblée nouvelle, qui l'a-
vait créé tout-puissant? 11 voulait un changement : il ne le disait
encore qu'i demi-mot; l'obligerait-on à le dire tout haut?
A ces paroles, la gauche tout entière se souleva, lançant contre
l'orateur les cris à Vordre et jusqu'à de grossières injures.
« Eh quoi ! Messieurs, reprit l'orateor, vous ne pouvez donc rapporter la re-
nte ? Est-ce que, par hasard, l'atmosphère d'une Assemblée républicaine serait
pins étouffante que l'atmosphère des cours? Est-ce qu'ici, pas plus que là,
on ne pourrait introduire le flambeau de la vérité sans qu'on Tienne souffler
dessus pour l'éteindre ? »
M. de Hontalembert s'éleva, en terminant, à la plus haute élo-
quence, en faisant appel à la dignité même de l'Assemblée, et au
soin qu'elle devait prendre de son honneur, afin de ne pas affai-
blir encore aux yeux du pays, ce qui était déjà trop faible en
France : Le respect de l'autorité et* le sincère amour de la li-
berté.
m Si j'ai, dtt-tl, mn reproche à ma faire dans mon passé, c'-est de n'avoir pas
asses reconnu, assez respecté, assez aimé le principe de l'autorité. C'était plus,
j'aime à le croire, la faute de mou temps, de mon âge, que celle de mon cœur.
Eli bien! aujourd'hui, trop tard peut-être, f ai appris à connaître toute la valeur
de rautorift, j'ai appris qu'elle ne pouvait subsister et se maintenir dans le
monde que par le respect qu'on lui porte. C'est pour cela qne je vous respecte,
c'est le profond respect que j'ai pour vous, pour votre autorité, qui me fait
parler comme je parle.
78 HISTOIRE DE FRANCE. (1849.)
» Saves-Toua, en effet, ce qu'il y a de plu triste pour an véritable ami de
son pays et des bonnes doctrines sociales, ce ne sont pas les renversanoais
violents de l'autorité, car, si tristes qu'ils soient, l'autorité leur survit et se re-
trouve ; ce qu'il y a de plus déplorable, c'est quand l'autorité s'alanguit et
•'éteint entre les mains de ceux-là mêmes qui l'ont tenue jeune et énergique.
Eh bien l je voue en conjure, ne donnes pas ce spectacle, ne permettes pan à
cette autorité, qui n'a rien au-dessus, ni même à côté d'elle, ne permettez pas à
cette autorité de s'affaiblir et de dépérir dans vos mains. Ne donnez pas cette
joie aax ennemis de la France, cette douleur aux bons citoyens. »
A ce magnifique discours, inspiré par les grands intérêts du
pays, succéda un plaidoyer derrière lequel rassemblée put deviner
facilement des sentiments, des intérêts personnels. Un homme
politique qui, après la chute du gouvernement de juillet, après les
menaceâjadressées tous les jours à la société, croyait encore qu'un
bon citoyen peut faire de l'opposition stratégique, M* Billault
qui, à Tépoque des mariages espagnols, se séparait avec éclat
de l'opposition modérée pour se rapprocher du pouvoir, M* Bil-
lault cette fois encore se séparait de ses anciens amis, mais pour
s'unir, par un coup d'habileté, à l'opposition la plus avancée.
Aussi cette situation toute particulière donnait-elle à l'avance
aax déclarations de l'orateur un caractère si spécial que l'As-
semblée resta froide quand elle entendit M. Billault assimiler
des manifestations assurément constitutionnelles à un 15 mai
moral.
M. le président du conseil fit, à son tour, connaître la pen-
sée du Gouvernement. Rien de plus net que la déclaration de
M. Odilon Barrot. A son sens, l'Assemblée constituante avait fini
son œuvre principale, et l'opinion publique, légalement constitu-
tionnellement exprimée, appelait une prompte dissolution. Le
ministre, à toutes les raisons déjà produites, ajouta une raison
qui lui était propre et qui prenait une grande autorité dans sa
bouche. Il signala, dans une grande partie de l'Assemblée, un
mauvais vouloir marqué contre le pouvoir exécutif, tel qu'il était
aujourd'hui constitué. Il démontra à l'Assemblée par .ses derniers
actes, par l'imprudence de sa conduite dans l'élection présiden-
tielle, par le vide de ses séances, par l'obstination de ses inter-
pellations sans but, Timpossibilité pour le Pouvoir exécutif de
L'OPINION ET LASSEHBLÉE. PROP. RATEAU. 79
litre longtemps avec elle, et pour elle-même, de prolonger sa
durée an deàk d'un terme assez rapproché.
Les clameurs, les interpellations grossières, les apostrophes
passionnées qui interrompirent chacune des phrases de l'orateur,
a'étaimt qu'une preuve de plus de cette situation impossible. fl
serait «Tificile de qualifier les transports aveugles de la gauche
pendant cette discussion. Heureusement la majorité de l'Assemblée
se montra plus sage que la fraction qui se condamnait ainsi elle-
nême devant le pays. La prise en considération fut votée. Sur
7*G votants, majorité absolue 399, 400 voix rejetèrent et 396
adoptèrent les conclusions du rapport (12 janvier). Sans doute,
la majorité était faible; mais un certain nombre de représentants
avaient repoussé la proposition de M. Râteau, parce qu'ils se ré-
servaient d'appuyer celles où d'autres dates étaient indiquées
pour la séparation de l'Assemblée. Ainsi, MM. Pagnerre et Bar-
thélémy Saint-Hilaire, proposèrent de fixer les élections au
43 avril, et de réunir la nouvelle Assemblée, le 4 mai.
Mais enfin, le principe de la dissolution dans un court délai
semblait avoir décidément triomphé. Peut-être même, les vio-
lences extrêmes d'une partie de l'Assemblée , avaient-elles réagi
d'une manière heureuse sur les esprits calmes : peut-être avaient-
elles utilement indiqué quels étaient surtout les antagonistes de la
proposition. La discussion avait eu d'ailleurs un résultat presque
aussi important que le vote ; c'étaient les aveux des orateurs qui
avaient combattu la proposition.
M. Billault n'avait fait, par exemple, aucune difficulté de re-
connaître que l'Assemblée n'avait plus évidemment que deux ou
trois mois à vivre. M. Pierre Bonaparte, de son côté, avait dé-
claré que r Assemblée, qui avait décidé qu'elle ferait des lois or-
ganiques, pouvait seule revenir sur sa décision. C'était au fond
tout ce que disait l'opinion modérée. Il y avait loin de là à la
doctrine extraordinaire établie dans le rapport de là commission.
■ y était dit, que l'Assemblée ne pourrait revenir sur le décret
su» violer la Constitution.
Le 45 janvier, F Assemblée, réunie dans ses bureaux, procéda
4 la nomination d'une Commission chargée d'examiner la propo-
80 HISTOIRE DE FRANCE. (1849.)
sition prise en considération, ainsi que quatre autres proposi-
tions relatives, soit à la convocation de l'Assemblée législative,
soit à la modification du décret du 15 décembre concernant les
lois organiques. Sur quinze commissaires nommés, quatorze s'é-
taient prononcés d'une manière formelle contre toute fixation de
date pour la dissolution de l'Assemblée. Un seul, M. Çombere!
de Leyval, voulait que l'Assemblée s'occupât uniquement de trois
des lois organiques, celle sur l'organisation du conseil d'Etat,
celle relative à Ja responsabilité du Président de la République
et la loi électorale. Après la rédaction de la première de ces lois,
l'Assemblée fixerait le jour de sa dissolution.
Ce résultat une fois connu, quelques membres firent signer à
leurs collègues une demande pour obtenir un vote public par di-
vision sur le rapport de cette commission» afin d'empêcher le vote
au scrutin secret.
La commission chargée de faire un rapport sur la proposition
de M. Râteau termina son travail le 19 janvier. La sous-commis-
sion avait déjà rendu compte des pétitions qni comprenaient en
tout à ce moment 18,000 signatures.
Trois opinions s'étaient manifestées : la première, consistant à
passer à Tordre du jour sur toutes les propositions ayant pour
effet de restreindre la durée de l'Assemblée. MM. Grévy, Serrans,
Jules Favre et Saint-Gaudens l'avaient soutenue. U* l'avaient
appuyée sur cette considération principale que c'étaient les
ennemis de la République qui se soulevaient pour imposer a
l'Assemblée sa propre dissolution, et que leur céder serait vouloir
la perte du gouvernement républicain.
La seconde opinion, exposée par M. Marie, avait pour objet
la révision de l'énumération des lois organiques, et le retranche-
ment de celles de ces lois qui, comme la loi sur l'enseignement,
pouvaient n'être pas considérées comme réellement organiques
de la Constitution. Il serait avantageux d'y substituer, dit l'ora-
teur, la discussion du budget, qui permettrait à l'Assemblée de
réaliser les améliorations matérielles que la révolution a promi-
ses aux populations, et que l'Assemblée doit avoir à cœur de leur
donner. Ceux qui croient qu'il importe au salùt de la République
L OPINION ET L ASSEMBLÉE. F*OP RATEAU. SI
que l' Assemblée ponmuive ses travaux obéiraient aux tomate
d'une «aine politique en entrant dans cette voie a» liée de s'atta-
cher i dee principes vrais mais absolus.
La troisième opinion foi présentée par M. Gombwel de Leyval.
L'honorable représentant ne croyait pas aux coalition* qui préoc-
cupaient les partisans du rejet absolu de toafss les propositions.
Il ne niait pas le travail de décomposition et de recomposition
qui s'opérait dans les anciens partis; il croyait l'infériorité de
F Assemblée vis-è-vixda pearoir exécutif fatale pour le gouver-
nement représentatif. « V Assemblée est fsiMe, dit-il, et la pro-
longation de sa durée ne serait que le progrès dans la faiblesse.
La nation a fait réfection du pouvoir exécutif dans le but princi-
pal de mettre un terme aux souffrances matérielles. Plutèt que
de croire qu'elle s'est trompée, elle rend ¥ Assemblée responsa-
ble du bien qui ne se fait pas, des vœux inaccomplis qu'elle a
formés sans trop les définir. »
M* Gombarel de Leyval repoussa, comme sans application à
l'époque actuelle, les analogies tirées des réclamations auxquelles
avaient été en butte la Constituante et la Convention.
« Aujourd'hui, ajoutait-il, tout est soumis à Fempire de l'opi-
nion ; le grand intérêt public, c'est la pratique régulière de la
Constitution, c'est de donner au pays l'aspect d'une société tran-
quille. 11 faut donc marquer avec dignité et sans faiblesse le terme
des travaux de l'Assemblée. Leur limite naturelle est le vote des
lois sur le conseil d'Etat, "sur la responsabilité du président et
de ses ministres, et sur les élections. La Constitution, munie de
ce complément indispensable, devra être mise en pleine vigueur,
et T Assemblée législative devra être convoquée par un décret
rends après la confection de la première loi, celle sur le conseil
d'État.»
M. Roux-Lavergne, qui se rapprochait le plus de l'opinion de
M. Combarel de Leyval, pensait que l'établissement républicain
ne peut être fondé solidement que sur le sentiment général
d'ordre, de paix et de conservation qu'exploitaient aujourd'hui ses
Far ce motif, il voulait que l'Assemblée reconnût sincèrement
les convenances de la situation et y fît droit, c Au nombre et on
6
a» WST0U£ DE FRÀKCE. (M|*)
lèla de ce* contenances, je ptaot, dit M. Roux-Lavergne, Fauio-
rite et k dignité de l'Assemblée national». Je crois qu'on f sa-
tisfera dans une juste mesure es rejetant, lee prspeoitions fui
veulenten prinripa la fteaiien d'un délai p las ou moine prochain,
et en adoptant cette qui demande la réviaàenda décret do «dé-
cembre- J'ai voté toutes tan loi» organiques* j'ai pensé <qae nous
avions le dseit de les (aire toutes ; je n'ai pas changé d'arts.
Mais ici la question de droit dett fléchir sans la question poiiti-
que. Aussi je conclus pour que les tais organiques soient réduites
au petit nombre de celles qui seront indispensables pour le fonc-
tionnement et le maintien de la Constitution. Un délai serait ftté
lorsqu'on serait assez avancé dans la rédaction do oes lois pour
prévoir raisonnablement le terne de nos travaux. Je repousse
donc les conclusions.de M. Grévy. j>
La proposition la plus absolue présentée par M» Gréty, et de-
mandant l'ordre du jour sur toutes les propositions, sauf à indi-
quer dans le rapport que si les circonstances le permettaient,
l'Assemblée pourrait se retirer en mai 00 en juin, fût adoptée par
huit voix contre quatre ; un membre s'étant abstenu, M. Grévy
fut nommé rapporteur.
Lorsque la proposition de M. Râteau était venue soulever, pour
la première fois, au sein de l'Assemblée constituants, la ques-
tion de la dissolution, les partisans du mandat indéfini s'étaient
lait un argument du petit nombre de pétitions déjà déposées. Le
nombre des signatures n'atteignait pas huit mille ; mais, à me-
sure que la proposition faisait son chemin dans les comitée et
dans les rapports de commission, le sentiment public se ment*
feslait d'une manière plus énergique. Huit jours sutfaent pour
que les pétillons se comptassent par centaines et les signatures
par milliers. Le 24 janvier, le maréchal Bugeaud, M. Yietor
Grand in et quelques autres membres se succédèrent à la tribune
pour déposer des pétitions réunissant ensemble plus de cinquante
mille signatures. Alors, dans le parti de k prolongation, ta rail-
lerie fit place à la colère. On voulut oouvrir la voix des reprise*»
tants porteurs des pétitions ; on voulut les contraindre àdépeeer
ces pièces sans en indiquer l'objet. On put être Burpris de voirie
président de l'Assemblée s'associer à cotte prétention. M. do
L'OPINION ET V ASflnmAE. fftj*. RATEAU. A
Mornay pMloU chahnreiMaanM «erti* «lit iateqpréliataai 4a
rftglpw.nt cMttrair* à ia ptatifae deJ'JmaaUée netaalleet arile
de tentes les AsseaUéae anténienrea. Le aèflem*t iaMrdàC «
en effet, de dévelegper >et d'appujeff Je* p Arilitns Ajuaad «a àm
dépose et aiapt qu'elles aient isabi l'<CKaaaaa<d'4iae «iMiriii
spéciale, aak.il a 'interdit paed'eu feiFe-CMaatoeJetiet, JLCUé»
mantTbaflnas se jeta jnelhountuieaMuet àla4iavea»e4e«e débat
pour demander qu'an J*e coatinaél pas ceMe geenra depétitiaaSt
et pour eweencer que aeu parti était peét .à Aire, lai «Mai, Jt
déMiahremant de «ou juaée. M. Bérard râtela à l^itnpmiant
défenseur d'un puât? qu'ea ae eaurait -ainsi oaatastar «n «Ueit
aux citoyens para qu'ils <eo fieat un «sage phis eu aeing Aie*
agréable à une fraction du paye. •QtM* m déao«taeAeat.aa~
nonce, l'^preuae da 40 déoembeeietle neaifarr «d$à ferm»dajble
dea sigaatuvee .vaoneiljjes far le ;parti>de Ja feregalioa «nrfafc»
saient une menace peu .sérieuse.
Le 25 janvier! l'iaseinblée entendit le «appert de IL Grérç*
L'ahsafaitiaiae dea conclusions était «élevé ananre «par le tea loin*
càaat de ne decsnaenL La iiappart flBfStafraea npuia— a* la pro-
position de M. Ratera, siak-asmae loties iea prapoakione 4a
lafane genre. La comaMfaien aa tafcsait ëgatanent aeit àéaer m
terme quekanfae, produis -ou éieigaé, à regstaaea 4e iarhsan
We actuelle, soit aataee à apporter la waindte nwiiicaÉwn aâ
décaetqni aaaitdétaeaainéleaoaibeedeaJeii aaganisjaas. M. Caévj
s'élevait surtout contre la violence aaetaèe qae l'oa prétendait
faire à la fhamfcre à.i'aate de eee pétitions, qui m portaseatan-
cm* qm 173^«riigiiitanii. On ooUiait être J'^siaaian, biea
auraient ratante éea pétitions -et éea àaaajaasa, «tait
vatté«ae jaaaarcàaa, et «a e'jadignait aauainriun d'nne
featation à coup sûr plus imposante de i'ofnan>a pnttàfpe*
Qaelloe nonÉdeaftiara asasent pn détÉruaàner k oonoois-
tien à ommtûlm ia ûabraatiea de lentes ans àm% m
le .démet, fwad on niait imnaaa, et.
•tes. par*» de la ehawboe , qn'i était
de Méémm ie nombre de «ea lais, «t qaud on
avait démontré l'impossibilité de les faire toutes, à amas ajaa
h Quota* «te «oattt cosapsaBuettre ia rédaction par «ne Mte
M HISTOIRE DE FRANCE (1849.)
fâcheuse, ou qu'elle prolongeât son existence de plusieurs an-
nées? M. Gfév y s'appuyait sur l'état avancé des travaux prépara-
toires. Peut-être se faisait-il quelque illusion. à cet égard. Et
d'ailleurs, des travaux préparatoires ne sont pas une loi volée
après les longues discussions et les (rois lectures. Où était d'ail-
leurs ce Code militaire? Où était encore ce Gode maritime, dont
la loi organique sur les armées de terre et de mer réclamerait
l'exécution? Le rapport prétendait que la Constitution imposait à
l'Assemblée le devoir de faire les lois organiques. C'était là une
pétition de principe, car c'était la question elle-même; Et d'ail-
leurs, le rapport ne tardait pas à revenir sur cette affirmation
sans preuves, puisque, de son aveu, l'Assemblée avait le droit de
réviser le décret qui énumérait ces lois.
Une véritable raison politique était pourtant donnée par
M* Grévy. Celle-là pouvait à elle seule faire juger le parti qui la
donnait. L'Assemblée» disait le rapport, doit persister dans son
décret, parce que l'Assemblée qui a fait la République peut seule
la défendre. &'il en était ainsi, répondaient les adversaires de
la prolongation, pourquoi la Constituante ne déclarait-elle pas sa
perpétuité, et quand consentirait-on à livrer la République à
elle-même, c'est-à-dire à la nation? On reconnaissait là le sys-
tème d'isolement et de défiance des républicains de la veille.
A l'Assemblée, disait-on encore, il appartenait de veiller sur les
premiers pas de l'élu du peuple. Défiance injurieuse et pour relu
et pour la nation elle-même.
A ces arguments le rapport ajoutait des considérations dont il
était difficile d'accepter la gravité. Pouvait-on croire, en effet, que
ce fût sérieusement que le rapport parlât du concours des repu-
blicains.de la veille refusé par le ministère et de l'ardeur avec la-
quelle la Chambre aspirait à le dissoudre?
Le rapport de M. Grévy avait nettement formulé le débat. La
question était une question de vie et de mort entre le Gouverne-
ment et l'Assemblée. La Montagne s'empara habilement de la si-
tuation et sut compromettre l'opposition tout entière. La mise en
accusation des factieux du 15 mai fut l'occasion de ce rapproche-
ment inattendu.
La Chambre des mises en accusation et la Chambre des apttels
L'OPINION ET L'ASSEMBLÉE. PROP. RATEAU. »
de police correctionnelle, réunies sous la présidence de M. le pre-
mier président, rendirent, le 46 janvier, leur arrêt dans l'affaire
de l'attentat da 45 mai. Tous les prévenus qui étaient compris
dans l'ordonnance de prise de corps avaient été mis en accusation.
Les sieurs Blanqvi, Flotte, Martin dit Albert, Barbés, Sobrier,
RaapaU, Quentin, Degrez, Larger, Borme, Thomas, Louis Blanc,
Seignèuret, Houneau, Huber; Laviron et Napoléon Ghancel
étaient accusés d'avoir, en mai 4848, commis an attentat ayant
pour bot de détruire on de changer le Gouvernement, et d'avoir,
à la même époque, commis un attentat ayant pour bat d'exciter
la guerre civile en portant les citoyens à s'armer les uns contre les
autres.
Les sieurs Gourtais, Caussidîère et Yillain étaient accusés dé
s'être rendus complices desdits attentats, en aidant et assistant
avec connaissance les auteurs dans les faits qui les avaient pré-
parée ou facilités, et dans ceux qui les avaient consommés.
Huit de ces accusés étaient contumaces; c'étaient les sieurs
Louis Blanc, Seigneuret, Houneau, Huber, Caussidière, Laviron,
Chancel et Yillain.
Le 47 janvier, le Cabinet saisit l'Assemblée d'un projet de dé-
oret pour que Pafhire fût jugée sans délai par la haute-cour na-
tionale, qui se réunirait A Bourges. Le décret avait pour but de
convoquer la grande Gourde justice, instituée par la Constitution.
La cour de cassation avait déjà désigné les cinq membres qui de-
vaient en foire partie. Le Pouvoir veillerait à la mise k exécution
des autres dispositions, et notamment à la constitution du jury.
La proposition du Gouvernement établissait-elle la rétroactivité
proscrite par la Constitution î Quelques représentants le pensaient.
Deux autorités irrécusables justifièrent le renvoi devant la haute
cour de justice. M. Baroche démontra que là rétroactivité a été
toujours et nécessairement- admise par les diverses législations,
sous le rapport criminel et de compétence. M. Dupin afné traita
à fond les principales questions de jurisprudence qui se ratta-
chaient à la proposition. La haute cour, dit H. Dupin, est com-
pétente, quoique le fait ait été commis avant la rédaction de la
Constitution. Un amendement proposé sur l'art. 444, en vue pré-
cisément d'exclure la compétence de la haute cour, a été rejeté
1
m HSIQttE m HLASCE. (Î8J*)
à una trèagjande aspérité* La question n'est dnnn
Buste à sae/oitv ajoutait l'éaûneot jutiseonauste, a'ii y a
njnaaà renaofer te &U donfciL s'agit dosant la haute eour. R nfne>
sitailnaaà le penser- Eneflat» disait-il, L'attentat dont il tfagitast
le glus grand, qpi puisa* ao cesunairradaug un. pajtj Kfcs». &'est
un attentat à la.sauaaraineté du peuple daae k penessae <
ntsjrtsuntwntsy éluapac le safcage unJueuBelv et intastifl^ à
tWi rirronalanff s^, da tonales panvoim public* par la délégation la
plaugiuésnle et la plua absolue. M*. Dnpia sjoutaifi essaie qsj'ifc
était à regrettai; qualacas* dacassatism, dans k sein de hsjuoie
oattwit priai* haute «sur, n/eàt pas encore rep» sod institution
définitive. Il y avait, en effet, lien de désirer qu'on pût confiner
par u& artklade-loi à part Porgaaisfiiion de cette cour, qui ne
panait Ataa sénsusément contestée, et sur laquelle la légisJafteur
asuit toujours statué pat des kriaséparéee. Celle iaststutioo misait
pour effet d'établir clsjantage aux yen* dn pablk et dus asoasin
rnjinion de parfaite indépendante qui s'attachait déjà au carac-
tère, des wafljstrata désignée, etqmeslsuatesjteiîgéedanalajsH
gement des accusations politiques.
La discussion lot euxarte la SO<janiier» M*. Eugène? RaaptM eun -
testa 4 VAssanMée nationale la droit da saisir la eaus* caur du
justice dal'afliairada 15 mai ; les préaenua, ssalgré lescarassin*
psjftîsuUtja4e VattantsAdes^UaésÂntaccnsAyna hri paraissaient
justiciables que du jtary at da jury parisien. Le jury parisien, par
son intalliganaa, pus sas» isisnainnimeai spédaWey lui sesnbsait tant
en étal d'appaésier la nature- et la portée rériuMe dus faits, at la
foawnsnarn^ ejiconfe quant la haute saur 4 Bauqttay frisait à la
foieprause d'iainlrilipnoe, de sisnsjnt» roussir pour las anrusée^
etda défiant» pour U population parieienaavM» Baspail sa postait
guinnt de la. tranquillité de Pasis» ai aiee «este medésaties* et celte
résem qui distinguent pariai* se* parti, il sjeutait que Psais
donnais tous, le* jeune la, masure da sa patience en tolérant la pisV
senne au ponjpig des ainistrea actuala» -
JsUBanjean.ua réfondit paaacee fraideaiiulenaaa et se
à réfuter lea argutie* juridiques dent la précéda* eenlnuF
accompagné ses déclamations ioealtonlan. M. ftenjasn eus
pejaa à démontras qp* le prêtée h» ne tislsifcaucnnidaapfisv
L'OPINION ET L'ASSEMBLÉE. F*OP. tÀTEÀU. 91
Ô06ft du dneit, qu'il était l'application de la Constitution* et
CQOÛMnoénieot à la Conattation, l'Assemblée* uait I» dsort M le
devoir de saisir la haute eouc de justice d'un attentat senti* te
*
raprésontalioa nationale*
IL Jtaajean termina son discernes pur a» argument déoisif ; il
Appela que tara delà discussion de laConelituuou, on desara-
tnux&d&laJnoitagittavaJlpréeenAé un amendement portant que
la liante cinir de justice ne pourrait connai** que dce faite posté-
rieurs à lapromalgatioa de la Constitution, et qu'a* avait appuyé
cet amendement snr le démr de ne pas enlevât let prévenuedu
15 mai à la juridiction du jury. L'Assemblée nationale, en repous-
sant l'ainendemenl, préjugeait doue déjà la question qui lai était
soumise aujourd'aui* el aile la relevait dans le même sens que le
projet de loi.
M. Ledru-Rollûi reprit» raaîa avec modération et conve-
nance, les sopbkunea de la gauche. C'est alors que, malgré les
interruptions et ks demeura d'un côté de la Chambre, II. Do-
pin aîné, dent ces violence* ne purent troubler l'ar§umen-
talion puissante, vint développer les raisons si solides qu'il
aaait déjà exposées dosant la. commission» On peut résumer en
ces quelques mots la savante discussion de réminent juriscon-
sulte.
La question se résout par un principe de jurisprudence et par
un principe politique. Lés loi* n'ont point d'effet rétroactif, non
sana doute; c'est-à-dire que je ne puir être reebei-ebé ni puni
pour un fait antérieur à la lot qui a. qnalifté ce bit de délit o* de
crime» La loi qui frappe» ne réagitpaa sur le passé ; elle n'atteint
que ee-qui a lieu souasea empire, et son empire ne commette
qu'au moment oà aUe est lendne qt promulguée* Cela est mi
pour les dispositions pénales ; c'est on principe d'éternelle jus-
tice; il y aucait barbarie et immoralité^ me punir pont un fait
qui n'ttsak^pomt,. aux. feux, daU.iégialatÀeu^ le tractera de délit
ou de crime quand je L'ai commis* Tout le monda est oMgé de
connaîtra la loi qui ajuste; personne n'est obligé de prévoie la
toi qui n'exista pas.
Mai* ces principes na suai finale* mêmes quand il e'agil des
lois de procédure et de compétence, car eea laie ne evéeut pus
88 HISTOIRE DE FRANCE. (1849.)
un» pénalité nouvelle ; elles ont seulement pour but de recher-
cher si je suis coupable ou non, et d'assurer par de meilleures
▼oies de procédure l'application de la pénalité ancienne à des
faits que la loi qualifiait déjà de délits ou de crimes. On sup-
prime des tribunaux, on en établît d'autres; la compétence
change ; la criminalité ne change pas; c'est donc une règle de
jurisprudence qu'il n'y a point de rétroactivité à faire juger des
toits anciens par un tribunal de nouvelle création. Ce n'est pas
de la rétroactivité qu'on pourrait se plaindre, ce serait de l'ini-
quité, si le nouveau tribunal n'offrait point aux justiciables les
garanties qu'ils ont droit d'exiger.
Il y a en outre ici un principe politique. Cest pour la sûreté
de l'État qu'une haute cour nationale a été créée. Cette cour n'a
point de juridiction propre et ordinaire. II n'appartient qu'au
pouvoir politique de fa faire fonctionner. Elle ne peut être saisie
ni par un réquisitoire du procureur-général, ni par un arrêt de
renvoi. Elle ne se constitue qu'en vertu d'un décret rendu sur la
demande du Gouvernement par le Pouvoir législatif. Cest un acte
de souveraineté qui 1a met en mouvement. Tout est donc, dans
ce cas, exceptionnel et extraordinaire comme le crime qui solli-
cite de telles mesures. M. Do pin Ht remarquer, du reste, que
cette juridiction exceptionnelle, sous une forme ou sous une
autre, n'avait pas cessé, depuis cinquante ans, d'exister dans nos
lois. On l'a appelée tantôt cour des pairs, tantôt haute eour na-
tionale; toujours il y a eu un tribunal supérieur pour ces crimes
qui menacent en quelque sorte l'État au cœur, et devant lesquels
la justice ordinaire serait exposée à faiblir et à reculer. L'impor-
tant est qu'en assurant la répression du crime, ces juridictions
ne deviennent pas des instruments de tyrannie et de proscrip-
tion.
La Montagne, car c'est le surnom emprunté à de mauvais jours»
que se donnait l'extrême gauche dans l'Assemblée, la Montagne
montra pendant tout ce discours qu'il n'y avait rien à ré-
pondre k la nerveuse dialectique de l'orateur. A mesure que
les raisons abondaient plus fortes «et plus décisives, des insultes
indicibles, les clameurs inconvenantes descendaient des bancs
de l'extrême gauche (20 janvier).
LOPHHOH ET L'ASSEMBLÉE. PROP. RATEAU. 89
La lotte continua le Î2 janvier. Elle fut plus vive que fertile en
arguments nouveaux. MM. Dupont (de Buseac), Crémieai et
Joies Favre soutinrent de nouveau que le projet violait le prin-
cipe qai veut que les lois n'aient pat d'effet rétroactif. H suffit à
M. Routier de reprendre et de résumer avec lucidité l'arguiae*-
tation de M. Dupin aîné. Aui raisons de droit, M. Odilon Barrot
ajouta des considérations politiques de la dernière évidence.
N'était-il pas étrange, en effet, que les orateurs qui faisaient tant
d'efforts pour paralyser, dès son début, la haute cour nationale,
pour jeter de l'odieux sur cette juridiction nouvelle, eussent
gardé le silence quand on discutait le chapitre de la Constitution
qui l'établissait? Si la haute cour n'offrait pas aux accusés toutes
les garanties désirables, si c'était un tribunal exceptionnel, une
juridiction arbitraire* pourquoi ne Tavait-»on pas démontré alors?
On demandait encore quelles règles de procédure suivrait la haute
cour. M. Barrot répondit : la procédure du Code d'instruction
criminelle. La haute cour nationale n'était autre chose, en effet,
qu'une cour d'assises suprême. En fait de procédure, elle n'au-
rait pas d'autre droit à suivre que le droit commun. M. Barrot
n'établit pas avec moins de. force que la haute cour, étant un
grand jury national, ne pouvait pas être chargée soit de l'imv
tructioo, soit de l'accusation ; que l'intérêt des accusés eux-mê-
mes demandait que l'instruction fût faite par les voies ordinaires
et conformément au droit commun ; et que l'intervention du pou-
voir législatif, qui seul pouvait saisir la haute cour, ne devenait
légale et possible qu'après la clôture^ de l'instruction , parce
qu'alors seulement le pouvoir législatif pouvait porter un décret
en connaissance de cause. S'armer, comme op avait essayé de le
faire, de ce que l'instruction avait été faite suivant le droit com-
mun, et non pas par la haute cour de justice, pour contester la
compétence de celle-ci, n'était-ce pas, en réalité, prétendre que
le pouvoir législatif devait forcément saisir la cour nationale avant
toute instruction? c'était lui contester le droit de faire usage de
son pouvoir souverain.
Ces raisons déterminèrent la conviction de l'Assemblée, qui
adopta, à la majorité de 466 voix contre 288, l'article premier
dn projet. L'adoption de cet article emportait l'adoption de la loi
elle-même (22 janvier).
9» HISTOIRE DE FRANCE. (184».)
La hante cour de justice était ainsi définitivement ccmstitaée.
Rappelons*» en quelques moitiés éléments qui devaient la, com-
poser, d'après la Constitution.
La haute cour de justice est composée de cinq juges et de
tiwatasii jnrés. Les juges sont des membres de la oeur de cassa-
tien, que cette dernière désigne chaque année dans les cause
premiers jaurs da mois de novembre, an scrutin secret et à la ma-
jorité absolue. Cea cinq juges font choix de leur président. Les
Magistrats renaissant les fonctions da ministère public «ont dé-
signés pat le président de la République, lorsqa'il ne s'agit pas
^accusation portée contre lui on contre ses ministres; ente les
jurés, au nombre de trente-sii et quatre jurés suppléants, sont
pris parmi les membres des conseils généraux des départements,
an moyen d'un tirage an sort fait pour chaque département, en
audience publique, par le président de la cour d'appel, et, i dé-
faut delà cour d'appel, par le présideut du tribunal de première
instance.
méludbb BÉveurrioniAncs. 91
'!■ il! i ' ■ if i i. ii n il sesmap
CHAPITRE VI.
PRÉLUDES RÉVOLUTIOTOA1ILKS.
Agitation dans Pari*, lotte entre l'Assemblée et le cabinet dans la Chambre,
anUt enast I» dfaetgqgk et fe président dans le» journaux et dans les clubs.
— M. Pwndaon et h janrnal I*, Peupla. -— Insultes adressées an prési-
dent.— La Solidarité républicaine. — Protestation contre l'arrêt de renvoi
des accusés du 15 mai. — Réorganisation des sociétés secrètes, comités
r. — xSfDNtore cra quelques clans, mesures de prudence. — *• Tj ar-
«fc km aanhinii de Paria. — Projet interdisant les clubs, consmission
hostile au projet, rapport de M. Senard, rej«t da projet, mise en accusation
du ministère, M. Ledru-Rollin, protestation des journaux démagogiques. —
ÀgTtatbtt dans la me. — Recherche cTnn prétexte à la sédition. — Décret sur
In Cf—di iiwMe, tentative eWsseute an cours de M. LermimVr, M. Cbangar-
nier et la Garde mobile, défense de Paris, iininsnence d'un conflit.
Si, a l'intérieur de l'Assemblée, par un reste de respect pour
les convenances parlementaires, la lutte semblait être entre le
parti révolutionnaire et le Cabinet, au dehors, dans les journaux,
dans les clubs, c'était surtout contre le président qu'on dirigeait
les attaques. Un journal, rédigé par un de ces écrivains qu'on
pourrait croire décrues à engager leur propre parti jusqu'à l'a-
mener habilement à sa perte, le Peuple proclamait les intentions
secrètes de l'extrême gauche, La majorité, disait-if, pouvait, en un
tour de ««rotin, faire, de L'élu, de S millions et demi 4e s alliages
le bras et l'organe obéissant de l'Assemblée. Afore le président
n^nrait plus qu'à résigner ses pouvoirs à fa grande joie de la dé-
mocratie militante pour laquelle le président c'était la corruption,
la monarchie. C'était ainsi que ce parti, qui en appelait mi cesse
à la Constitution, respectait foi-même son œuvre. On lisait dans
ce pamphlet quotidien ces phrases violentes :
de naissanre, ambition de bas. étage* personnifie» tien de tontes
les idées réactionnaires... L. Bonaparte, éln sans titres à J* jpésideac* de la
92 HISTOIRE DE FRANGE. (1840.)
République, conspire avec tontes les coterie* mooarcbiqw... Traître revête et
la plus haute fonction de l'État. .. Il organise la banqueroute sociale et la misère
du peuple par l'obstination calculée de son Gouvernement à résister à toute ré-
forme financière et économique... Il a osé défier l' Assemblée, en signifiant ans
représentants l'ordre de se dissoudre. Eh bien ! la Révolution a relevé le gant
Le cartel est accepté : à lundi le combat. Que l'Assemblée ose compter sur elle-
même ; qu'elle compte sur le peuple de Paris, et la victoire ne sera pas nn ins-
tant douteuse. Louis Bonaparte a posé la question de la dissolution de 1* Assem-
blée. A la bon^e heure ! lundi prochain l'Assemblée posera à non tour la question
de la démission du président. »
Le Peuple, 26 janvier.
Trahison adroite ou imprudence grossière, on dévoilait ainsi la
conspiration qui s'ourdissait secrètement contre la société.
Tandis que le rapport de M. Grévy proclamait l'Assemblée ac-
tuelle seule capable de veiller sur la République, lés démagogues
se donnaient à eux-mêmes la mission de veiller sur l'Assemblée.
Une société secrète s'organisait sous le nom de Solidarité répu-
blicaine. Elle avait d'abord étendu ses rameaux dans la capitale,
et de là elle se propageait dans les départements. On essayait de
fonder un État dans l'État.
Ce n'était pas tout. D'autres démagogues protestaient contre un
vote de l'Assemblée, et élevaient la prétention de déférer par voie
d'appel la loi votée par la Chambre sur les accusés du 15 mai, à
cette tourbe révolutionnaire décorée du nom de peuple de Paris.
Ils signaient une protestation factieuse dont voici le texte :
PROTESTATION DU PEUPLE DE PARIS.
« Attendu que le décret voté par P Assemblée le 22 janvier, sur la propositiea
du président et du ministère, enlève les accusés de mai à leurs juges naturels ;
» Quels baute cour est un tribunal politique et exceptionnel, institué (Tailleurt
six mois après les faits du 16 mal;
» Attendu que ce décret porte atteinte « aux droits antérieurs et supérieurs à
la loi positive, » reconnus dans la Constitution elle-même (art. 3 du préam-
bule),
» Le Pboplb »r Paris
» Proteste contre le renvoi des accusés de mai devant le tribunal exonptian»
nel de Bourges.
» Il engage les déteuus de Vincennes à récuser cette juridiction politique et
rétroactive et à s'abstenir de toute défense collective ou individuelle.
v II engage les aeeusés contumaces à ne point se livrer au jugement des aune»
mis de la République. »
PRÉLUDES RÉVOLUTIONNAIRES. 03
Le parti vaincu dans le scrutin du 10 décembre ne laissait pas-
ser aucune occasion de faire sentir sa supériorité de nombre dans
Y Assemblée. S^agtssait-il de nommer les présidents et les secré-
taires de bureau, les choix étaient pris exclusivement dans l'opi-
nion ennemie. Il en élait de même pour les commissions. On
créait, par cette conduite, des embarras continuels au Pouvoir ;
en Taceablait sous des interpellations dont le but évident était
d'arrêter la marche des affaires publiques. Puis, empruntant les
traditions d'un autre régime, On cherchait à faire revivre ties rè-
gles applicables à une situation différente, en faisaht entendre
au Cabinet qu'il ne se trouvait pas dans une situation parlemen-
taire.
Cependant l'imminence d'un conflit redoublait l'agitation dans
les bas-fonds de la démagogie. Les sociétés secrètes qui avaient
survécu à la Révolution de Février s'étaient, depuis le décret du
38 juillet sur les clubs, et les associations, recrutées et organisées
tant à Paris que dans les départements, sous forme de comités élec-
toraux. De graves conflits avaient éclaté entre quelques-unes de
ces associations à l'occasion de l'élection du président; mais, vers
la fin de l'année 1848, un rapprochement s'était opéré, et des as-
sociations d'abord hostiles, s'étaient réunies pour réchauffer, à
l'aide de publications, de discours, d'adresses, de banquets, l'ar-
deur révolutionnaire. La fermeture récente de quelques clubs avait
violemment surexcité l'impatience de quelques chefs, et leur in-
tention était de profiter des conflits qui pourraient s'élever à l'oc-
casion de l'ouverture, depuis quelque temps annoncée, d'un nou-
veau club, pour faire descendre dans la rue les corporations
affiliées et un certain nombre d'anciens embrigadés des ateliers
nationaux. Sans doute, le Gouvernement veillait. Les troupes, sous
les ordres du général Ghangarnier, étaient animées du meilleur
esprit, et prêtes à se porter sur tons les points au premier signal.
L'autorité s'occupait de la réorganisation des gardiens de Paris.
Un nouveau corps de police, recruté parmi ceux des anciens sol-
dats ayant les meilleurs états de service, allait être prochainement
constitué. Mais l'opinion publique n'en était pas moins vivement
inquiétée : le crédit en était affecté, et c'était là déjà une victoire
pour la démagogie.
H HISTOIRE DE FRANCS. (I14S.J
♦
En présence de ©es menaees du parti révomtmmiaîre, k Gou-
vernement ne pouvait bésiter à organiser sa défense. Le M je»»
vier, M. k ministre 4e l'intérieur présenta 4 F Assemblée nn pot-
jet de lai qui interdisait formellement les dons et torts réunion
publique qui se tiendrait périodiquement ou à dm intervalles ré-
gulière pour Ja discussion de questions pemfiqnes. Le Gouverne»
ment de la République avait entn reconnu que sou aortes de
réunions, dont la publicité est un mensonge, seul fciéuu de tu te*
berté et l'élément destructif de toute société. Les cèobi iknnuut,
en effet, un enseignement sans publicité, sans eontrndmnou pou»
sible, sans contrôle, qui a la ? iolence pour principal élément de
succès, et le recrutement des sociétés secrètes pour seul objet et
peur seul résultat pratique. Ss ne sont jamais isolés ko uns des
antres, et, le jour où ils correspondent entre eux, ils ferment on
Gouvernement en face du Gouvernement, un État dans l'État.
L'existence des clubs est donc inoompntiMe avec l'existence d'un
Gouvernement régulier.
Déjà, lors de la discussion de la lot du 26 juillet, beaucoup
avaient pensé que cette loi ne donnait à la eoeiét! que des garan-
ties insuffisantes, et l'Assemblée, qui ee montrait tonte disposée
à augmenter ces garanties, ne s'était arrêtée que devant les déçu»
rations du ministère d'alors, qui préférait tenter l'épreuve d^oue
liberté limitée weoédant à la licence absolue. Hais i peine la loi
avait-elle été mise en vigueur que son impuissance avait apparu an
grand jour. On se rappelle que, dans les dernier* jours qui pmV
cédèrent sa retraite, M. Dumnee, partant an nom du Cabinet di-
rigé par ie général Gavaignac, avait préro lauéeessméq uo IL Léon
Faucher venait courageusement proclamer aujourd'hui
La discussion 4 '.urgence une le ininimre réclama sur job pro-
jet n'était que trop justifiée par l'agitation croissante et par les
projets menaçants des clubs. Un rapport sur l'urgence lut dote
décidé par la Chambre à une forte majorité, «ans autre incident
qu'une viokn te sortie de M. Cent, l'on des membres les pioo «usi-
tés delà Henligne.
La commisown, immédiatement nommée dons les bureau»,
fut, en grande majorité, démvoraMo an projet du ministère, «I
par conséquent à l'urgence. Constituée sous k présidente do
PRÉLUDES «ÉVOLUTIONNAIRBS. 95
M. Lîe*htattb«nger, la eomMiRM, pu* l'organe M M . SenWd,
déposa son rapport le 27 janvier. Ce lui vm singulier specftatfe
que celai du président de la Chambre pendant les journées de
juin, du ministre de l'Intérieur pendant l'état de siège et sous le
régime de la suppression facultative des journaux, de M. Senard,
se prononçant pour la liberté des dufcs. M. Odflon Barrot te con-
tenta de faire appel à la conscience de l'Assemblée. Les conclu-
sions du rapport contre l'urgence furent soutenues par IL Ledcu-
Bollin. Sur k demande de quarante membre*, la Chambre pro-
céda au scrutin «eeret au milieu d'une agitation extrême. L'ur-
gence fut rejetée à la majorité de 418 voix contre 342»
Aussitôt après le vote, une demande do «use on aecosatieft
contre le ministère fût déposée par M. Ledru-Rollin : c'était le
commentaire naturel du vole de la Chambre. Puisqu'il n'y avait
pas d'urgence à relever les affaires et le crédit, à rassurer la so-
ciété , le ministère était en effet coupable aux yeux 4e l'As-
semblée.
Voici le texte de la proposition déposée par M. Ledru-Rollin
sur le. bureau de l'Assemblée :
« Attendu que U politique anti -républicaine du minute» vient de se mani-
fester par no fait attentatoire ans droits des citoyens et au principe fondamen-
tal de la souveraineté du peuple ;
o Attendu que le droit de réunion est an droit naturel et un M politique
écrit et consacré dans U. Constitution de la République française ;
» Attendu que, par le projet de loi présenté, hier 26 janvier, ssnr la suppres-
sion des clnbs, le ministère s'est rendu coupable d'an acte qui est la violation
flagrante des articles 8 et 51 de la Constitution;
» Attendu que le ministère est responsable de ses actes, suivant Part. 68 de
la Constitution, les représentants du peuple soussignés demandent la mise en
accusation immédiate des ministres et leur renvoi devant la haute cour natio-
nale, pour y être jugés conformément à Fart. 91 de U Constitution.
» Paris, le 27 janvier 1849.
» Ont signé : MM. Pierre Leroux, Astaix, Martin-Bernard, DésaoMhoaea
Olivier, Alphonse Gent, Félix Pyat, Clément, Bmcs, Mathieu (de lu Drdne),
Benoist, -Greppo, Ledru-Rollin, Doulre, Gambon, Proudhon, Pégot-Ogier,-
Hulé aîné, Joigueaux, Jory fils, Joly père, Cholat, Bertholon, Fargiu-Fayolle,
Terrier, JLefranc, Buvignicr, Deviile, Amédée Bruys, Ménaud, Félix Maifae,
Batioe, Signard, Robert (de i'YoDue), Charles Dain, James Demontry, Pelle-
tier, Y. Schœlcher, Détours, Th. Bac, Toussai nt-Bravard, Eugène Raspail,
Vignette, Germain* Surrut, Lamennais, Dobarry, Méchaîn, Perdigoier, Madet. »
96 HISTOIRE DE FRANGE. (1849.)
De leur côté, les journaux montagnards et socialistes publiaient
la protestation suivante, adressée a l'Assemblée nationale :
« Les soussignés,
*
» Considérant que le droit de réunion et d'association est nn droit naturel,
antérieur et supérieur a touU loi positive, et reconnu d'ailleurs par la Consti-
totion;
.* Considérant que la loi proposée par le ministère dn président n'a point
pour objet de réglementer l'elercice de ce droit, ainsi que te proscrit la Consti-
tution, mais qu'elle le supprime d'une manière absolue, et dépouille ainsi le
peuple souverain de sa plus importante prérogative politique ;
» Considérant qnele ministère, par le seul Tait de la présentation de cette loi,
attaque la Constitution et les droits naturels de l'homme,
» Protestent de toute leur énergie et demandent à l'Assemblée de mettre en
accusation les ministres qui osent tenter ce coup d'État.
« Les Rédacteur» de la Révolution démocratique et sociale : Ch. Delbs»
CLGZE, rédacteur en chef; Amable Lemaitre, Goumain-CôRNILLE,
Désiré Pilitti, Cb. Martin, H. Delescujzk, H. Castille,
A. CARâtf, A. DALICAN, administrateur; Henri Bi«t, correcteur*
» Les rédacteurs du Peuple : DaRINON, secrétaire de la rédaction;
Lanclois, Faure, Vasrenter, Dcchéne, Madier de Montjao
aîné, avocat du journal le Peuple.
» Les rédacteurs de la Réforme : Ribeyrolles, rédacteur en chef;
V. LÉOUTBE, directeur-gérant ; P. COQ, Alexis LaGARRE, Catla.
* Les rédacteurs de la République s Eugène Bareste, rédacteur en chef ;
Hervé, Chatard.
» Le rédacteur du Travail affranchi : ToOSSENEL.
» Les présidents et les membres des clubs : TeissiÉ RU MOTET, BER-
NARD, Gamet, £. Madier de Montjao jeune, Bocqdet aîné,
A. b'Alton-Shée. »
Il y avait entre cette pièce, sorte de parodie de la célèbre pro-
testation des journalistes en 1830, et la proposition de mise en
accusation déposée par M. Ledru-Rollin, une connexité évidente.
On espérait déterminer un conflit matériel. Déjà même le pré-
texte était trouvé. Depuis quelques jours, des agitateurs mêlés à
quelques étudiants égarés se portaient eu nombre au cours de
M. Lerminier, au Collège de France. L'éminent professeur était
accablé d'injures grossières, et ses leçons étaient rendues impos.
sibles. Le 27 janvier, jour de l'apparition simultanée des deux
documents qu'on vient de lire, les perturbateurs avaient résolu
PRÉLUDES RÉVOLUTIONNAIRES. 9*
d'essayer au Collège de France le commencement (Tune émeute.
Mais l'autorité veillait. Dès le matin, douze cents hommes de
troupe étaient concentrés dans les bâtiments du Collège de France
et de l'hôtel de Cluny, sous les ordres du général Perrot. De
fortes patrouilles de cavalerie sillonnaient la place Cambrai et la
rue Saint-Jacques. Quelques malveillants tentèrent d'interrompre
la leçon, mais ils furent expulsés, et le public sérieux put en-
tendre continuer la leçon jusqu'au bout. L'ordre fut garanti sans
collision, et la liberté du professorat fut assurée, sans autres sui-
tes que quelques arrestations des plus turbulents meneurs.
Les perturbateurs ne pouvant troubler Tordre public sur un
point si bien gardé, se dirigèrent vers la Chambre. Du Collège
de France, la colonne, grossie dans son trajet d'un certain nombre
de curieux et de clubistes, se porta vers l'entrée du pont de la
Concorde, avec le projet de remettre au président de l'Assemblée
une protestation contre la réintégration de M. Lherminier. Le ras-
semblement fut arrêté là par un groupe d'agents placés sous les
ordres de M. Cauvin, commandant du palais, et de M. Yon, com-
missaire de police. Trois représentants, MM. Martin-Bernard,
Brives et Gent, intervinrent alors, et offrirent aux agents de la
force publique leur médiation, qui fut acceptée. M. Martin-Ber-
nard adressa à la colonne une allocution pleine de modération.
Après avoir reçu de la main des délégués la protestation, et avoir
promis de la déposer immédiatement sur le bureau de la Cham-
bre, il les invita à se séparer sans tumulte. En quittant la place
de la Concorde, le rassemblement se rendit aux bureaux de la
Démocratie pacifique, rue de Beaune, pour remettre aux rédac-
teurs une protestation semblable à celle qu'ils avaient adressée à*
l'Assemblée. Dans le trajet, et dans la cour même du journal, des
cris séditieux furent poussés ; des gardiens de Paris ayant voulu
intervenir furent insultés, et f un d'eux gravement maltraité.
Alors arrivèrent de tous les points des troupes qui cernèrent la
rue de Beaune, et plusieurs arrestations purent être opérées sans
résistance.
Ces actes de vigueur et un déploiement intelligent de forces
aux abords de 1* Assemblée, suffirent à réprimer l'émeute nais-
sante.
7
98 HISTOIRE DE FRANCE. (1849.)
En même temps, la démagogie essayait d'entraîner dans son
action un corps armé qu'illustraient les services rendus dans la
guerre sociale de 1848. Un arrêté venait d'être pris par le prési-
dent de la République, qui réduisait à douze les vingt-cinq ba-
taillons de la garde mobile. Cet arrêté avait été pris en vue de
concilier les intérêts de l'armée et ceux de la garde mobile. Il
était impossible de laisser des officiers en possession de grades
supérieurs à ceux de leurs confrères de l'armée. Le bon ordre et
la justice exigeaient impérieusement qu'un corps ne pût pas
jouir d'une solde bien supérieure à celle des troupes de ligne. La
démagogie, qui, jusqu'alors, n'avait eu pour la garde mobile que
de baineuses rancunes, vit dans cet arrêté un moyen d'exploiter
les mécontentements déjeunes gens, jusqu'alors privilégiés, que
la justice faisait rentrer dans le droit commun. On s'aboucha avec
quelques-uns des chefs ; les passions furent habilement exploi-
tées, et la démagogie put croire qu'elle avait son armée.
Informé du complot qui se préparait, M. le général Changar-
nier donna l'ordre à tous les chefs de bataillon de la garde mo-
bile de se transporter à l'état-major : dès que ces officiers supé-
rieurs furent réunis, le général en chef leur déclara qu'il venait
d'apprendre avec la plus grande surprise et la plus profoqde dou-
leur, que les officiers de la garde mobile cherchaient à entraîner
leurs soldats dans un complot contre la République ; que des per-
missions en grand nombre avaient été accordées : qu'on. devait se
réunir au carré Marigny pour se porter de là sur le palais de l'É-
lysée-National et à l'Assemblée; qu'il fallait que force restât a la
loi, et que quatre officiers supérieurs, désignés comme les me-
neurs, allaient se rendre à l'Abbaye. M. Aladenize, l'un des offi-
ciers désignés, mécontent de tous les régimes et autrefois com-
promis dans l'affaire de Boulogne, prit alors la parole. Perdant
toute mesure et oubliant toute convenance, il injuria le général,
et alla jusqu'à menacer le président de la République lui-même*
Sans se troubler, et avec le plus grand en! me, le général en chef
tira un cordon de sonnette et ordonna que l'officier de service fût
introduit. Celui-ci arriva immédiatement) suivi de vingt-cinq gen-
darmes, a Faites votre devoir, dit le général, et que N. Aladenize
» soit immédiatement conduit à l'Abbaye. »
PRÉLUDES RÉVOLUTIONNAIRES. 90
Les trois autres officiers demandèrent alors « s'expliquer; ils
le firent en termes respectueux, a Je me fie à votre paroje et à vo»
» tre honneur, dit alors le général, et je lève, en ce qui vous
9 concerne» Tordre donné par moi, qui n'était qu'une mesure
» disciplinaire; retournez à vos casernes et prêchez Tordre et la
» soumission aux lois. Rappelez-vous surtout que je suis entouré
» de troupes dévouées, et que ceux qui déplaceront les pavés de
» la capitale ne les replaceront pas. a
Ce n'était pas seulement contre les factions de la place publique
que le Gouvernement déployait cette salutaire énergie. Un réqui-
sitoire du procureur-général demandait à l'Assemblée l'autorisa-*
tion de poursuivre M. Proudhon, représentant du peuple, comme
auteur de l'article insultant pour le président de la République,
qui avait démasqué la conspiration démagogique. M. Proudhon
monta immédiatement à la tribune, et déclara qu'en écrivant Tar»
ticle incriminé , il n'avait voulu que soulever dans le pays la
question de la reponsabilité du président.
Le lendemain, 28 janvier, le conseil des ministres se réunissait
à TÉlysée-National, et, sur le compte que les ministres lai ren-
daient des incidents de la veille, le président de la République
déclarait qu'il n'y voyait aucun motif pour modifier sa politique,
et que le Cabinet pouvait compter sur son appui ferme et persé-
vérant»
Enfin était arrivé ce jour désigné par les journaux démagogi-
ques comme le. jour de la lutte suprême entre l'Assemblée et le
président. Ce n'était pas seulement au sein de la Constituante que
le Gouvernement devait être attaqué. H le savait et se tenait sur
ses gardes. A la suite de la scène qui s'était terminée par l'arree-
tatioo du chef de bataillon Aladenize, quatre autres commandants
de la garde mobile avaient été, on se le rappelle, rendus à la li-
berté. Ces officiers, MM. Duseigoeur, Arrighi, Bassac etCamuset,
au lieu de donner, comme ils venaient de le promettre, Texem-
ple de l'obéissance et de la discipline, s'étaient rendus dans un
établissement publie, et, de là, ils avaient envoyé des ordres aux
officiers subalternes pour faire mettre à exécution le complot* Mais
ils avaient été suivis, et la gravité de leurs nouvelle» démarches
motiva un ordre immédiat d'arrestation. Ils furent conduits i Vkb+
100 HISTOIRE DE FRANCE. (1849.)
baye. A cette nouvelle, cent cinquante gardes mobiles, qui pre-
naient, sans titre, la dénomination de délégués, se rendirent à
l'Élysée-National, et demandèrent à voir le président de la Répu-
blique. Ils élevaient la prétention d'exiger l'élargissement de leurs
ofliciers. Le président de la République refusa de les recevoir :
mais te général Ghangarnier descendit pour leur parler. Dans une
allocution pleine d'une franchise toute cordiale, le général en chef
leur expliqua qu'un déplorable malentendu pouvait seul exciter
ces désordres ; qu'il n'était point question de méconnaître leurs
services et de les licencier, et que le Gouvernement n'avait songé
qu'à fixer la position légale,de la garde mobile.
En effet, l'arrêté du Gouvernement n'avait d'autre but que de
régulariser la position de la garde mobile. Après la Révolution de
Février, les engagements n'avaient été faits que pour une année.
A l'expiration de cette année, dans les termes stricts de la légalité,
le licenciement pouvait avoir lieu. Renvoyer la garde mobile, c'au-
rait été certainement le premier acte du parti qui voulait, en ce
moment, soulever l'irritation dans ses rangs, et qui ne lui avait
jamais pardonné sa conduite en juin. Telle ne pouvait être l'inten-
tion d'un Gouvernement issu du vote du 10 décembre, et qui de-
vait se rappeler que la France entière s'était associée aux éloges
décernés à la garde mobile, après ces fatales et glorieuses jour*
nées. Aussi, le Gouvernement n'avait-il fait que réorganiser la
garde mobile; elle ne contenait plus que treize mille hommes; il
avait réduit à douze le nombre des bataillons, au lieu de vingt-
quatre. Mais aucun soldat ne serait renvoyé, tous pourraient pren-
dre place dans les nouveaux cadres. Quant à ceux qui ne souscri-
raient pas un nouvel engagement, ils recevraient leur paie comme
un dédommagement jusqu'à la On de leur engagement. Le» Gou-
vernement avait anticipé sur l'époque où la réorganisation devait
être nécessairement faite pour assurer ce pécule aux jeunes sol-
dats qui sortiraient volontairement de la garde mobile. La solde
de la garde mobile restait encore supérieure à celle que recevait
la garde impériale sous l'empereur Napoléon. Il fallait qu'elle ces-
sât d'être trop au-dessus de la solde des troupes de ligne. L'é-
quité le voulait, et la raison l'indiquait. D'ailleurs, le sort des
sous-officiers se trouvait amélioré de fait, puisque, comme dans
PRÉLUDES RÉVOLUTIONNAIRES. 101
l'armée, leur solde devenait supérieure à celle des simples soldats.
Pour réorganiser la garde mobile, il fallait toucher au corps d'of-
ficiers. On l'avait fait avec tous les ménagements que commandait
la justice. Les uns étaient maintenus, les autres rentraient dans
l'armée dont ils faisaient partie avant la formation de la garde
mobile. Quelques-uns, sans doute, étaient rendu? à la vie privée;
mais ils ne pouvaient conserver une position qui, dans l'ar-
mée, ne 8* acquiert qu'après quinze, vingt, trente années de ser-
vice.
Les loyales explications du général en chef ne purent éclairer
les matins, qui se retirèrent en poussant des clameurs séditieuses.
Quelques-uns allèrent recevoir les inspirations directes des chefs
de la Montagne : les autres rentrèrent dans leur caserne de la rue
Saint-Thomas du Louvre, en criant : Vive la République démo-
cratique et sociale !
Pendant la nuit du 28 au 29 janvier,. une fermentation in-
quiétante se manifestait dans plusieurs casernes. Les sociétés
secrètes s'étaient constituées en permanence.
Mais les dangers de la rue n'avaient rien qui pussent trouver
l'autorité au dépourvu. Le nœud de la situation était dans l'As-
semblée nationale. La Chambre adopterait-elle les conclusions du
rapport de M. Grévyt Donnerait-elle suite à cet acte d'accusation
destiné à exciter les factions du dehors? S'associerait-elle à la sé-
dition de la place publique? Telle était la question terrible posée
le lundi 29 jaivier.
f
100 HISTOIRE DE FB (J049.J
baye. A cette nouvelle, cent cir
liaient, sans titre, la dénomir^
l'Élysée-National, etdemanf f
Nique. Ils élevaient la prêt'*
officiers. Le président dc£ \
mais le général Changa * |
allocution pleine d'urj 1 £
leur expliqua qu'ur' | ?
ces désordres ; qn f
*Af8UBLËI. L'ASSttiLifct
alBRA.
services et de le**
qu'à fixer la p"
En effet, ' Appareil militaire autour de l'Assemblée. — La garde
régulariser *°s"ie« "~ M* Dégoûtée ct M- JuJes Favre, accusations de
„ » > _ Propositions Râteau. — Discussion, MM. Jules Favre
.* Victor Hugo, Combarel de Leyval. — Position de la question, le
A 1 exp .''ggcttt et la montagne. — Rejet des conclusions du rapport. — Agi-
le lie ^U°$a dehors, la garde nationale, la garde mobile et l'armée, stratégie
rai' ^ative do général Changarnier. — Proclamation aux habitants de Paris.
^P*»flenftde do président de la République. — Réalité d'une conspiration,
** ^foeiétés secrètes eu permanence, attitude de la démagogie dans les dé -
^-jouent*, insuccès du complot. — Arrestation de M. Forestier» — Inter-
Vjj]atJons à ce sujet, M. Sarrans, lettre prétendue du général Changarnier
^président de l'Assemblée. — Réponses de MM. Léon Faucher ct Marrast.
^ proposition d'enquête. — La Solidarité républicaine. M. Martin-fier-
pardet M. Ledru-Rollin, réponse de M. Odilon Barrot. — Ce que défient
la mise eu accusation du ministère. — Le calme dans la rue, l'agitation dans
P Assemblée. — Proposition de M. Boulie, les appointements du général
Changarnier. — Rapport de la commission sur la proposition d*enquéte, dis-
cussion. — Incident soulevé par M. L. Perrée, les journaux de province et
les bulletins des préfets, ordre du jour motivé, violences anli -parlementaires.
— Rejet de Tordre du jour pur et simple, encore le scrutin secret, question
constitutionnelle, l'Assemblée et le président. — Déclaration officielle da
président, ordre du jour conciliateur du général Oudinot, adoption. — Imper-
fections évidentes de la Constitution, renouvellement exclusif du bureau au
profit de la majorité. —Propositions Râteau, amendement de M. Lanjuinais,
retrait des autres amendements. — M. Félix Pyat, excentricités littéraires.
— M. Sarrans et M. de Lamartine. — Amendements de tactique, MM. Du-
pont (de Bussac), Jules Favre et Senard. — M. Dufaure. — Adoption des
articles de la proposition Lanjuinais, adoption du budget. — Vote sur l'en-
semble. — L'Assemblée fixe un terme à ses travaux.
La séance si vivement attendue du 29 janvier s'ouvrit sous de
tristes auspices* Le matin, le rappel avait battu dans tout Paris,
.l'irmée et la garde nationale occupaient les rues et les places
A
L'ÀSSE7
•s
RETIRERA
105
| mblée par les farces exté-
™ Vieoce des émotion* du
I L'épreuve lui fat con-
^ '4 rne renoncèrent i la
n
i
^
Q de la question.
* lu même coup
^ bateau, avait
^ui se bor-
bliques. L'appareil
'4e annonçait i|
ndent aux
t jour?
«it Cf «
. du conseil. Br.
.oiile décision à laquelle le Go*.
jet de la garde mobile : il en lit cott*
mais, en même temps, il ne dissimula pas le&K 'niques,
tions qui avaient failli en devenir la suite. Les éterne* nie fit
Tordre et de la société, ajouta-t-il, ne s'étaient que trop b*. "tfea
qués à exploiter en faveur de leurs passions et de leurs cotn^ m*
les mécontentements que produit toujours le froissement des\^
térêts individuels. Dans ta nuit du dimanche au lundi, un rapport
motivé par les informations les plus précises avait fait savoir an
Gouvernement qu'il se tramait de coupables machinations. Le de-
voir de l'autorité publique avait été de prendre sans délai toutes
les mesures indiquées par la prudence. Elle avait d'autant moins
négligé ce devoir qu'elle aimait mieux avoir à prévenir qu'à ré-
primer. Des troupes avaient été immédiatement réparties sur tous
les points qui pouvaient paraître menacés. En même temps, dès
qu'il avait été possible de se concerter avec le président de l'As-
semblée, le Gouvernement s'était empressé de lui remettre la di-
rection des forces destinées à garantir la sécurité de l'enceinte
législative. On n'avait pas cru devoir éteiller le président de l'As-
semblée, au milieu de la nuit, pour le prévenir de ces mesures.
De là un malentendu qui se dissipa promptement C'est en vain
que M. Degousée, emporté par une impétuosité qui lui fit dépasser
les limites des convenances parlementaires, chercha A faire pren-
dre à cet incident une tournure irritante ; c'est eu vain que M. Ju*
les Pavre, fidèle à sa tactique ordinaire, essaya d'envenimer ce
débat : les loyales déclarations de M. Odilon Barrot portèrent Ift
conviction dans les esprits.
M. Jules Favre parla de pression exercée sur l'Assemblée. As-
surément, si le Gouvernement avait laissé s'établir une lutte vio-
lente, on n'eût pns manqué de dire qu'il avait cherché une occ«-
102 HISTOIRE DE FRANCE. (1849.)
CHAPITRE VU.
M COKFLIT DANS LA ftUl ET BARS l'aSSRXBUB. L'AlSUBifet
SB RBTIfcBRA.
géanoc du 29 janvier. — Appareil militaire autour de l'Afsemblée. — La garde
mobile et la démagogie. -*- M. Degousée et M. Jules Favre, accusations de
provocation. — Propositions Râteau. — - Discussion, MM. Jules Favre,
Fresneau, Victor Hugo, Combarel de Leyval. — Position de la question, le
scrutin secret et la montagne. — Rejet des conclusions du rapport. — Agi-
tation au dehors, la garde nationale, la garde mobile et l'armée, stratégie
préventive du général Cbangarnier. — Proclamation aux habitants de Paris.
— Promenade du président de la République. — Réalité d'à ne conspiration,
les sociétés secrètes en permanence, attitude de la démagogie dans les dé-
partements, insuccès du complot. — Arrestation de M. Forestier. — Inter-
pellations à ce sujet, M. Sarrans, lettre prétendue du général Chaugarnier
au président de l'Assemblée. — Réponses de MM. Léon Faucher et Marrast.
— Proposition d'enquête. — La Solidarité rcpuèlicaine. M. Martin-Ber-
nard et M. Ledru-Rollin, réponse de M. Odilon Barrot. — Ce que devient
la mise eu accusation du ministère. — Le calme dans la rue, l'agitation dans
l'Assemblée. — Proposition de M. Boulie, les appointements du général
Cbangarnier. — Rapport de la commission sur la proposition d'enquête, dis-
cussion. — Incident soulevé par M. L. Perrée, les journaux de province et
les bulletins des préfets, ordre du jour motivé, violences anti -parlementaires.
— Rejet de Tordre du jour pur et simple, encore le scrutin secret, question
constitutionnelle, l'Assemblée et le président. — Déclaration officielle da
président, ordre du jour conciliateur du général Oudinot, adoption. — Imper-
fections évidentes de la Constitution, renouvellement exclusif du bureau au
profit de la majorité. — Propositions Râteau, amendement de M. Lanjuinais,
retrait des autres amendements. — M. Félix Pyat, excentricités littéraires.
— M. Sarrans et M. de Lamartine. — Amendements de tactique, MM. Du-
pont (de Bussac), Jules Favre et Senard. — M. Dufaure. — Adoption des
articles de la proposition Lanjuinais, adoption du budget. — Vote sur l'en-
semble. — L'Assemblée fixe un terme à ses travaux.
La séance si vivement attendue du 29 janvier s'ouvrit sous de
tristes auspices* Le matin, le rappel avait battu dans tout Paris,
l'armée et la garde nationale occupaient les rues et les places
L'ASSEMBLÉE SE RETIRERA. 10â
publiques. L'appareil militaire qui, de toutes parts, entourait l'As-
semblée annonçait une de ces journées où les agitations du dedans
correspondent aux orages du dehors. Jamais l'Assemblée, depuis
les premiers jours de son existence, n'avait été aussi nombreuse.
Ces précautions stratégiques, qui indiquaient les dangers de la
situation, furent d'abord l'objet d'explications de la part de M. le
président du conseil. M. Odilon Barrot exposa les motifs de la
récente décision à laquelle le Gouvernement s'était arrêté au su-
jet de la garde mobile : il en lit connaître le véritable esprit ,
mais, en même temps, il ne dissimula pas les fâcheuses complica-
tions qui avaient failli en devenir la suite. Les éternels ennemis de
Tordre et de la société, ajouta-l-il, ne s'étaient que trop bien appli-
qués à exploiter en faveur de leurs passions et de leurs complots
les mécontentements que produit toujours le froissement des in*
térêts individuels. Dans la nuit du dimanche au lundi, un rapport
motivé par les informations les plus précises avait fait savoir au
Gouvernement qu'il se tramait de coupables machinations. Le de-
voir dé l'autorité publique avait été de prendre sans délai toutes
les mesures indiquées par la prudence. Elle avait d'autant moins
négligé ce devoir qu'elle aimait mieux avoir a prévenir qu'à ré-
primer. Des troupes avaient été immédiatement réparties sur tous
les points qui pouvaient paraître menacés. En même temps, dès
qu'il avait été possible de se concerter avec le président de l'As-
semblée, le Gouvernement s'était empressé de lui remettre la di-
rection des forces destinées à garantir la sécurité de l'enceinte
législative. On n'avait pas cru devoir éveiller le président de l'As-
semblée, au milieu de la nuit, pour le prévenir de ces mesures.
De là un malentendu qui se dissipa promptement. C'est en vain
que M. Degousée, emporté par une impétuosité qui lui fit dépasser
les limites des convenances parlementaires, chercha à faire pren-
dre à cet incident une tournure irritante ; c'est en vain que M. Ju*
les Favre, Adèle à sa tactique ordinaire, essaya d'envenimer ce
débat : les loyales déclarations de M. Odilon Barrot portèrent la
conviction dans les esprits.
M. Jules Favre parla de pression exercée sur l'Assemblée. As-
surément, si le Gouvernement avait laissé s'établir une lutte vio-
lente, on n'eût pns manqué de dire qu'il avait cherché une occ«i-
104 HISTOIRE D£ FRANGE. (1840.)
sion de guerre et de victoire. On l'accusait de provocation pour
avoir rendu toute collision impossible : ne l'en eût-on pas accusé
également, s'il avait laissé l'émeute à elle-même? N'avait-on pas
accusé aussi le général Cavaignac d'avoir permis à l'insurrection
de juin de s'aggraver par un misérable calcul d'ambition person-
nelle?
Ces explications fournies, le débat s'engagea sur la proposition
de M. Râteau, ou plutôt sur les trois propositions de MM. Râteau,
Pagnerre, Bixio etWolowski, indiquant des époques différentes
pour la dissolution de l'Assemblée constituante.
M. Jules Favre, seul orateur entendu en faveur des conclusions
du rapport de M. Gr-évy, ne s'occupa, à vrai dire, que de la ques-
tion de Cabinet. Pour lui, il n'y avait, dans cette lutte, qui mena-
çait d'embraser Paris et la France, qu'un changement de minis-
tère, qu'une compétition de pouvoir. Son discours ne fut point
une discussion, mais une série de provocations adressées à l'As-
semblée et i la place publique, en vue d'un incident possible.
M. Fresneau combattit avec talent les conclusions du rapport :
M. Victor Hugo s'attira, par les mêmes arguments, les murmures
de l'extrême gauche ; il rappela que le jour du danger pour un
Gouvernement est celui où il doute de son principe, et il demanda
à l'Assemblée si ce n'était pas la défiance du suffrage universel,
la mise en interdit de la France qui étaient au fond de la pensée
des adversaires de la proposition. Il invita l'Assemblée à prendre
conseil des fautes du Gouvernement provisoire, à ne pas ajourner
la venue de la législative, comme sa propre réunion avait été
ajournée, de crainte que la sympathie populaire ne se retirât d'elle,
et ne lui enlevât sa force. M. Combarel de Leyval, animé par les
interruptions qui venaient, à chaque instant, couvrir sa voix, mit,
dans une discussion vigoureuse, l'Assemblée en présence du pré-
sident et delà situation. Dans quelques mots vifs et piquants,
l'orateur invita la Chambre à ne pas se donner, ne fût-ce qu'en
apparence, le tort de vouloir se perpétuer dans son mandat. M. le
général Cavaignac prononça aussi quelques paroles de concilia-
tion et de désintéressement.
Le nombre des orateurs inscrits faisait présager une longue dis-
cussion ; mais l'extrême gauche, bien qu'elle se plaignit haute-
L'ASSEMBLÉE SE RETIRERA. 105
ment de la pression exercée sur l'Assemblée par les forces exté-
rieures, crut utile de voter sous l'influence des émotions du
dehors. Elle voulut (aire clore la discussion. L'épreuve lui fut con-
traire. Alors, tons les orateurs de la Montagne renoncèrent à la
parole, et le débat unit de lui-même.
Mais un débat nouveau s'engagea sur la position de la question.
Adopter les conclusions du rapport, c'était rejeter du même coup
les trois propositions, dont une seule, celle de M. Râteau, avait
été sérieusement discutée, et dont la troisième, celle qui se bor-
nait à demander la réduction du nombre des lois organiques,
avait peut-être le plus de chances de réussite. M. de Lamartine fit
ressortir l'embarras qui résultait de cette confusion de trois votes
en un seul. Toutefois, la Chambre décida qu'elle voterait en bloc
sur les conclusions du rapport. Soixante-huit membres avaient de-
mandé le scrutin par division ; quarante-un membres demandè-
rent le scrutin secret. Ceux-ci durent l'emporter, aux termes du
règlement. On voulait, par là, assurer aux calculs de l'intérêt privé
le voile du secret. On remarqua que ceux-là même qui réclamaient
aujourd'hui les bénéfices du scrutin secret, appartenaient à ce
parti qui, à toutes les époques, l'avait flétri, non-seulement comme
une atteinte à Ja sincérité du Gouvernement représentatif, mais
comme une violation flagrante delà souveraineté populaire. Selon
ce parti, le mandataire n'a pas te droit de cacher au mandant l'u-
sage qu'il fait du mandat qu'il a reçu, et les électeurs doivent
connaître jour par jour le vote de ceux qui les représentent. Au
débnt même de la session actuelle, n'avait-on pas vu le parti dé-
mocratique pur se lever tout entier Jpour l'abolition absolue du
scrutin secret? Quoi qu'il en fût, cette manœuvre n'eut pas le
succès qu'on en espérait. Sur 821 votants, les conclusions du rap-
port, c'est-à-dire le rejet pur et simple des trois propositions,
réunirent 405 voix; 416 rejetèrent les conclusions du rapport par
une majorité de 11. voix. Sans doute, ce résultat n'impliquait pas
l'adoption de la proposition de M. Râteau. Il signifiait seulement
qu'une seconde délibération s'ouvrirait sur les trois propositions
et sur les divers amendements auxquels leB différentes propositions
pourraient donner lieu. La Chambre n'avait rejeté que les con-
clusions absolues de M. Grévy : elle se réservait un nouvel exa-
106 HISTOIRE DE FRANCE. (184»)
m en. Toutefois, il y avait là uue preuve que la Chambre n'entefr»
dait pas se lancer dans une voie de dictature indéfinie, et qu'elle
était disposée \ mettre elle-même un terme à son mandât.
Cependant , que se passait-il au dehors ? Des troupes nom-
breuses avaient pris position sur les quais, sur les boulevards,
dans les rues principales, sur les grandes places. La garde natio-
nale s'était réunie avec son aèle accoutumé, chaque bataillon,
sur le terrain de sa circonscription. De nombreuses patrouilles,
quelques-unes suivies de canons, circulaient sur les points les
plus importants. Toutes les troupes étaient en tenue de campa**
gne. Un pareil déploiement de forces ne peut se faire sans agir
fortement sur les esprits ; et, bien que la force publique ne ren-
contrât d'obstacle nulle part, les bruits les plus alarmants circu-
laient. On disait que plusieurs bataillons de la garde mobile
s'étaient insurgés, que l'un d'eux s'était barricadé dans le fort dé*
taché dont la garde lui était confiée ; quatre autres, stationnés à
Coorbevoie, étaient en révolte ouverte et aux prises avec des régi-
ments de la ligne envoyés pour les faire rentrer dans le devoir.
Rien de tout cela n'était vrai. Deux bataillons de la garde mobile
étaient présents à Paris, dans les Champs-Elysées, montrant par
leur attitude qu'ils étaient prêts à défendre la société, comme ils
l'avaient déjà fait au mois de juin. De son côté, M. le ministre de
l'Intérieur adressait aux habitants de Paris une proclamation à la
fois ferme et rassurante (1). La garde nationale, y disait M. Léon
Faucher avait été appelée à la défense de l'ordre social, menacé
encore une fois par les mêmes ennemis qui l'avaient attaqué en
juin.
Vers une heure, M. le président de la République sortît de
l'Elysée, à cheval, pour parcourir la capitale. Aocompagné d'une
escorte peu nombreuse, il traversa la place de la Concorde, la rue
de Rivoli, les boulevards, la place de la Bourse. Partout, les cris
de : Vive le président ! se firent entendre unis aux cris de : Vive
la République ! Quelques groupes, commandés par des chefs de
clubs, essayèrent de mêler des cris improbateurs à ces acclama-
tions. Ils ne trouvèrent aucun écho dans la population tranquille
fi) Voyat le tette «uy Documtnti kiiioriq*t$>
L'ASSEMBLÉE SE RETIRERA. 107
qui applaudissait à la tenue ferme et calme du président, et lui
savait bon gré de s'être confié à elle.
Le soir, tout était rentré dans le calme. Quelques rassemble-
ments qui s'étaient formés dans la matinée avaient disparu, et la
garde nationale put rentrer dans ses foyers.
Le général Changarnier avait donné de telles proportions à la
résistance, que l'attaque s'était vue découragée. On devait lui re-
procher d'avoir inventé le péril qu'il avait déjoué. Les journaux
du parti extrême qui parurent le soir du 29 janvier, et le matin
du 30, crièrent à la provocation déjouée. C'est là l'éternelle tac-
tique des factieux. Qu'un complot avorte, ils en rejettent la res-
ponsabilité sur le pouvoir; qu'il réussisse, tous y ont participé.
Le Gouvernement, n'eût-il eu à craindre que la possibilité d'un
conflit, aurait mérité des éloges pour l'avoir prévenu. Mais com-
ment eût-il pu douter de l'existence d'une conspiration? Le lan-
gage des journaux extrêmes, l'attitude d'une partie de la garde
mobile, la permanence des sociétés secrètes en disaient assez.
Dans plusieurs départements, entre autres dans celui de la Côte-
d'Or, les sociétés secrètes réunies, dans la nuit du 29 au 30, at-
tendaient de Paris un signal. A Marseille, dans la nuit du 27 au
28, l'autorité ne déconcertait une attaque à main armée qu'en
doublant tous les postes. A Lyon, la présence d'une garnison
nombreuse contenait les agitateurs, dont l'activité inquiète était
cependant signalée. A Mâcon et à Ghâlons-sur-Saône , les habi-
tués des clubs se livraient à une démonstration tumultueuse. Des
discours séditieux étaient prononcés» et les démagogues insul-
taient un commissaire de police. A Strasbourg, des meneurs,
auxquels se joignaient des ouvriers en petit nombre, parcouraient
la ville en proférant des cris, sous prétexte de demander du tra-
vail. A Limoges, l'attitude des ouvriers semblait d'abord inquié-
tante, mais l'excellente tenue de la garde nationale et la fermeté
de la garnison rassuraient bientôt les esprits. A Troyes, on sai-
sissait treize caisses de fusils expédiées sur GhAlon. Sur la fron-
tière du nord-est et celle de Test, on constatait l'introduction
clandestine de munitions de guerre. Sur toutes les routes, aux
abords de la capitale, on observait le passage de bandes nom-
breuses qui accouraient des départements au rendez-vous de Té-
108 HISTOIRE DE FRANCE. (184».)
meute, pendant que des émissaires, partis de Paris> allaient or-
ganiser l'agitation dans les départements. Le bruit d'une insur-
rection prochaine était partout hautement répandu. Les mauvais
citoyens ne dissimulaient plus leurs espérances. Un commence-
ment d'exécution avait eu lieu à Paris : car on avait vu, dans la
matinée du 29, des groupes nombreux, conduits par des clubis-
tes connus, se diriger vers la place de la Madeleine et la place
Lafayette. L'action ne devait plus être concentrée, cette fois,
comme au mois de juin, dans les quartiers populeux, mais être
portée dans les 1er, 2e, 3e et 10e arrondissements. Mais le peu
d'écho trouvé par l'émeute dans les rangs de la garde mobile, et
surtout l'appareil militaire qui ne permettait pas même la pensée
du désordre, avaient paralysé le mouvement. 11 faut dire aussi
que la population ouvrière, celle qui seule mérite ce nom, était
restée complètement étrangère à ces tentatives anarchiques.
Le 30 janvier, il ne restait aucun signe visible de l'émotion
de la veille. Quelques arrestations avaient été faites, entre autres
celles de M. d'Allon-Shée et du colonel de la 6e légion de la
garde nationale, M. Forestier. Ce fut le prétexte choisi pour ré-
veiller l'agitation dans le sein de l'Assemblée. M. Sarrans exposa
d'une façon dramatique que M. Forestier avait été enlevé à la
tête de sa légion, sans autre motif que d'avoir écrit au président
de l'Assemblée qu'il mettait la 6e légion i sa disposition. A ce
fait grave, M, Sarrans en ajoutait un autre, une prétendue lettre
du général Ghangarnier au président de l'Assemblée, lettre con-
çue dans des termes tels, disait l'orateur, que l'indulgence du
président de l'Assemblée pouvait être qualifiée de faiblesse. Le
général aurait péremptoirement refusé de se rendre auprès de
M. Marrast. Rapprochant cette inqualifiable conduite de l'appa-
reil militaire déployé la veUle, M. Sarrans faisait toucher du
doigt la conspiration du Gouvernement, le coup d'État projeté, et
il terminait en demandant une enquête. Malheureusement pour
l'orateur, il résulta clairement des explications données par
M. Léon Faucher, que le Gouvernement n'avait eu aucune con-
naissance des offres de services faites par un colonel de la garde
nationale au président de l'Assemblée; que, les eût-il connues,
il n'y aurait rien vu que de très-légitime; que le colonel Fores-
i; ASSEMBLÉE SE RETIRERA. 109
tier n'avait pas été arrêté pour des motifs aussi ahsurdes, mais
pour des faits de provocation, en ce moment déférés à la justice.
Dans la position actuelle de l'accusé, M* le ministre ne pouvait
en dire davantage» ce que ne comprirent pas MM. GuinardetEdgard
Quinet, qui se répandirent en inutiles éloges de leur collègue de
la 6e légion. Quant i la lettre du général Changarnier, lettre dont
M. Sarrans avait fait l'analyse, dont il avait cité des phrases, ga-
rantissant le sens, sinon les termes, M. Marrast en donna lecture,
et il se trouva que rien, ni dans le fond, ni dans les expressions,
n avait le rapport le plus lointain avec ce qu'en avait dit M. Sar-
rans. M. Marrast ne se borna pas à répondre par des faits. Il
donna une leçon à l'orateur, et qualifia lp légèreté de sa con-
duite, lui rappelant sévèrement qu'accuser le général d'avoir
écrit au président de l'Assemblée une lettre inconvenante, ac-
ceptée sans mot dire, c'était aussi accuser le président et Je bu-
reau de l'Assemblée de n'avoir point eu le sentiment de leur di-
gnité , et d'avoir toléré une insulte à la représentation natio-
nale.
Cette leçon devait être perdue pour MM. Bac et Flocon, qui
reprirent les mêmes accusations malgré leur fausseté démontrée
pour tous. M. Bac donna aussi lecture de la proclamation de
M. Léon Faucher, et insistant sur la phrase où le ministre si-
gnalait au mépris de Paris et de la France les instigateurs de la
révolte qui voulaient renouveler les journées de juin, il eut la
naïveté de se reconnaître lui et ses amis dans cette phrase.
M. Flocon, lui, prit l'offensive. Il signala le coup d'État tenté la
veille : Là croyance en existait, selon l'orateur, dans l'opinion
publique. On n'avait reculé que par crainte de l'insuccès. Les
deux orateurs appuyèrent la demande d'enquête. L'attitude de la
Montagne répondait i la loyauté de ces accusations. De tous côtés
partaient des provocations, des menaces, d'iuconvenantes apos-
trophes. M. Léon Faucher opposa à ces manœuvres violentes le
calme le plus énergique. Enfin, après deux heures d'un tumulte
indicible, la clôture fut prononcée. La proposition d'enquête sui-
vrait le cours ordinaire du règlement. On sait ce que ces propo-
sitions deviennent d'ordinaire.
On l'a vu, plusieurs arrestations avaieut été faites. Celle de
^
110 HISTOIRE DE FRANCE. (1849.)
M. Forestier, dégagée des exagérations de l'esprit de parti, avait
été une mesure de précaution plutôt que le résultat d'une rébel-
lion ouverte. Comme colonel de la 6e légion, M. Forestier avait
reçu Tordre de faire battre le rappel, de rassembler les batail-
lons et de prendre position au lieu indiqué dans le plan mili-
taire adopté par le général Changarnier. Le colonel, tout en exé-
cutant ses ordres, écrivit au commandant supérieur de la force
armée une lettre blessante dans laquelle il mettait en doute la
sincérité des intentions de son supérieur. Une telle attitude prisa
par un homme en correspondance active et en communauté de
vues avec les chefs de la Montagne, était un symptôme à ne pas
négliger. M. le générai Changarnier, tant pour faire respecter son
autorité méconnue, que pour prévenir tout acte d'indiscipline,
avait dû ordonner l'arrestation du colonel. Aux officiera chargés
d'exécuter le mandat délivré contre lui, M. Forestier répondit:
<v J'ai quinze mille hommes avec moi, c'est vous qui êtes mes pri-
sonniers! d Mais le colonel de la 6* légion s'était étrangement mé-
pris sur les sentiments de ses gardes nationaux, car son arresta-
tion s'effectua parle concours de ceux qui étaient au poste. Ainsi
s'étaient passés les faits. Et M. Forestier, bien qu'il fot quelques
jours après acquitté par la justice, n'en avait pas moins motivé,
par son attitude, une arrestation préventive.
Vingt-sept autres arrestations avaient été opérées au local d'une
société dite la Solidarité républicaine. Ce fut là un nouveau pré-
texte à interpellation. Le 31 janvier, M. Martin Bernard demanda
si c'était l'association, en tant qu'association, qu'on avait voulu at-
teindre, ou si Ton avait voulu arrêter les complices d'une conspi-
ration. Dans le premier cas, il s'étonnait qu'on ne poursuivit pas
les trente-cinq représentants qui faisaient partie de l'association ;
dans le second, il demandait qu'on permît à la Solidarité de con-
tinuer ce que, après quelque hésitation , il appela ; ses opéra-
tions.
M. Odilon Barrot répondit que la justice avait agi sous sa res-
ponsabilité morale et en dehors des ordres du ministère. Le mi-
nistère n'avait point à se prononcer sur ce qu'était ou n'était pas
la Solidarité républicaine, et il ne saurait anticiper sur les déci-
sions de la justice. Si des poursuites téméraires avaient été eom-
RASSEMBLÉE SE RETIRERA. 111
mencées, il y avait des moyens légaui pour réclamer une répara-
tion, et c'était à la justice elle-même qu'il fallait demander de
rectifier ses actes. Le ministère n'avait pas qualité pour arrêter
ou modifier son action, M. Barrot ajouta, aux applaudissements
de l'Assemblée, que le caractère politique d'aucun des membres
d'une association coupable n'arrêterait et n'effraierait la jus-
tice.
M. Ledru-Rollin reprit alors la double question de M. Martin-
Bernard, et, s adressant tour à tour au ministre de la justice et i
11. Baroche, il voulut contraindre l'un ou l'autre à dire si les vingt-
sept arrestations opérées au local de la Solidarité républicain*
avaient eu pour motif la participation à une société secrète ou à
un complot. Il fallut que le président rappelât à l'orateur qu'il n'y
avait, dans l'Assemblée, que des représentants et point de procu-
reur-général ; que toute interpellation devait être adressée au mi-
nistre, et que le ministre ne pouvait rien préjuger et rien dire sur
des faits dont la justice était saisie. M. Ledru-Rollin n'en fit pas
moins un discours sur le droit d'association. L'impatience de l'As-
semblée et un mot piquant de M. Odilon Barrot firent justice de
ces récriminations diffuses : « Si ce discours, dit le ministre, est
» une nouvelle demande d'accusation contre le ministère, qu'on
0 le renvoie aux bureaux.; si c'est un plaidoyer, qu'on le renvoie
9 à la justice. »
M. Vezin prit, de son côté, la parole pour demander des nou-
velles de la mise eu. accusation du ministère, pour laquelle on
n'avait pas encore réclamé la mise à l'ordre du jour. Cette inter-
rogation mit M. Ledru-Rollin dans la nécessité de demander le
renvoi de la proposition aux bureaux. La demande fut repoussée
par 354 voix contre 250.
Un autre incident fut encore soulevé à propos de la demande
d'enquête, et par suite de l'inexpérience de M* Billault, qui pré-
sidait l'Assemblée dans la séance du 30 janvier. D'après le règle-
ment, la demande d'enquête, comme toute proposition émanée
de l'initiative parlementaire, devait être renvoyée au comité com-
pétent, l'Assemblée n'ayant pas décidé par un vote qu'elle serait
renvoyée aux bureaux. Les bureaux, cependant, avaient été con-
voqués pour l'examiner. En outre, il aurait fallu la nomination
112 HISTOIRE DE FRANCE. (1849.)
d'une commission spéciale et un vote pour accorder l'urgence i
cette demande d'enquête; et les auteurs n'avaient même pas de-
mandé l'urgence pour cette proposition à laquelle M. Billautt
avait, sans le savoir, épargné toutes les épreuves préliminaires.
11 en était résulté qu'un bureau, en présence de, tant d'irrégula-
rités accumulées, n'avait point voulu nommer de commissaire.
La moiliédes bureaux avait examiné la question au fond comme
si l'urgence eût été décidée, l'autre moitié avait examiné seule-
ment la demande d'urgence; et les commissaires avaient été nom-
més en conséquence : les uns pour traiter l'urgence, les autres
pour traiter la proposition elle-même. On aurait donc dû annuler
les élections des bureaux, mais il fut convenu que la commission
ne ferait son rapport que sur la question d'urgence (31 janvier).
Dire au milieu de quelles rumeurs, de quelles apostrophes
menaçantes se déroulaient ces incidents divers, ce serait impos-
sible. Le calme était revenu dans la rue, grâce à l'énergie du pou-
voir : le désordre était dans l'Assemblée.
L'insuccès de la tentative du 29 janvier avait été dû surtout
aux admirables dispositions militaires du général Changarnier,
à son système énergiquement et rapidement exécuté de concen-
tration avant la lutte. Aussi, c'était moins encore sur le ministère
que sur le général que se déversait à flot la haine des factions.
Calomnié et insulté dans les journaux démagogiques, le général
fut attaqué dans l'Assemblée par des moyens pins misérables en-
core. M. Boulie demanda la suppression du traitement accordé
au commandant supérieur de la garde nationale (1er février).
Deux jours après, M. Baze déposa le rapport du comité de la
justice sur la demande de mise en accusation. du ministère. Ce
rapport concluait au rejet pur et simple de la proposition, et
payait un tribut d'hommages « aux hommes courageux et loyaux
» qui composent le Cabinet. »
£n même temps, M. Woirhaye donnait connaissance à l'As-
semblée des conclusions de la commission chargée d'examiner la
proposition d'enquête sur les événements du 29 janvier. Le rap-
porteur y déclarait que la commission, quoiqu'elle ne fût appelée
à se prononcer que sur l'urgence, avait été contrainte à examiner
la question au fond, parce qu'il était évident que l'Assemblée ne
L'ASSEMBLÉE SE RETIRERA. 113
pouvait accorder on refuser l'urgence que par des raisons tirées
du fond même. La commission s'était trouvée placée entre deux
déclarations contradictoires : d'une part, les mêmes membres qui
demandaient te mise en accusation du ministère, prétendaient
que le déploiement de forces opéré le 29 janvier cachait une ar-
rière-pensée; d'autre part, le* ministres affirmaient avoir voulu
préserver la société d'un danger sérieux. La commission avait
peneé que les explications du ministère portaient le caractère de
la vérité; elle avait pensé que, quand mémo les dépositaires du
pouvoir auraient pris plus de précautions qu'il n'était rigoureuse-
ment nécessaire, il n'y aurait pas là un sujet légitime de reproche.
La commission repoussait donc l'urgence pour la demande d'en-
quête, et, dans sa pensée, ce refus entraînait le refus de l'enquête
eUe-mème. Une partie du rapport de M. Woirhaye provoqua une
vive adhésion, et ne pouvait manquer de rencontrer une una-
nime approbation. L'orateur, rappelant que l'effet nécessaire de
tonte révolution est d'affaiblir le respect dû aux pouvoirs publics,
ajoota que c'était un devoir pour l'autorité sortie de Ja révolution
de relever ce sentiment de respect, saos lequel le ministère de
Tordre n'est pas possible. Il faut, dit le rapporteur, que le pouvoir
montre sa justice ; mais il faut ensuite qu'il ne dédaigne pas de
montrer son énergie.
La question était donc dégagée de toute équivoque. Aucune
allégation précise n'étant apportée à l'appui de la proposition, oif
ne pouvait la considérer que comme la mise eu suspicion du Gou-
vernement : c'était une autre demande de mise en 'accusation
sous la forme d'enquête, c'esfeà-dire sans cette part de responsa-
bilité personnelle qui s'attache à toate demande d'accusation. La
commission, ne voyant donc là qu'une manœuvre déloyale, qu'un
outrage immérité, repoussait la proposition.
Le rapport ajoutait une autre considération qui était de nature
à agir vivement sur les esprits : c'est que la proposition d'enquête
allait frapper au-dessus du ministère le Pouvoir, également res-
ponsable, par qui le ministère actuel avait été nommé, et qui ne se
séparait pas de lui. La proposition avait donc cette conséquence
nécessaire, d'engager solennellement un conflit direct entité les
deux grands .pouvoirs de l'Etat. Ce eotiftit » sans aucune utilité
8
114 HISTOIRE DE FRANCS. (1849.)
possible, serait «ne causa d'affaiblissement pour la Pouvoir, de
danger pour te société, et il pourrait avoir ce résultât fâcneui de
compromettre l'Assemblée, si les (kits, Tenant donner pleinement
raison en Gouvernement, démontraient qu'en effet, il avait sauvé
les instituions d'an danger réel et sérieux. La considération
de l'Assemblée souffrirait d'une faasse démarche qni serait, en
même temps, une manifeste injustice.
M. Ferrée, tout en s'associent aux conclusions de la commis-
sion, prit à partie directement MM. Léon Faucher et Odilon Bar.
rot Les deux ministres paraissaient à l'orateur coupables de la
feoon dont certains journaux de province, entre autres, le Jour*
na& de Jfuine*e**LetV*, commentaient la situation actuelle. Outre
eu grief, M. Ferrée alléguait l'existence de certains bulletin* di-
rectement envoyés aui préfets, et dans lesquels la dissolution de
rAmemblée était présentée comme désirable»
M. le ministre de l'intérieur déclara nettement que le ministère
n'avait de rapport d'aucune nature avec aucun journal de pro-
vince. M. de Falloux ajouta qu'il était à sa connaissance que le
journal cité par M. Ferrée était, en ce moment» L'objet de pour-
sotftte judiciaires. Quant aux bulletins, l'administration y était u>
talement étrangère. Il existait, à Paris, une entreprise commer-
ciale qui se chargeait de fournir aux journaux do province une
correspondance qui devançait de vingi-quatre heures les jour-
naux parisiens. Les ministres qui s'étaient succédé dopais le
14 février avaient cru utile que les préfets reçussent aussi ces ren-
seignements expédiés à tous les journaux, et ils avaient prisa cette
entreprise, purement commerciale, le nombre d'abonnements
céssaire. Le ministre actuel de l'Iatérieur avait trenvé l'arran-
gement conclu pur ses prédécesseurs en «ours d'exécution; il
n'avait point encore examiné s'il convenait de renouveler ou de
supprimer ces abonnements; il ignorait que l'entreprise en ques-
tion expédiât aux préfets» outre les renseignements quotidiens,
lue rejetions et appréciations politiques qu'elle envoyait aux jour-
naux es province; il déclarait qu'à l'avenir, il ferait mettre sens
set yeux toute cette potrtique, si même il ne ht supprimait.
M. Faucher repoussait d'ailleurs avec énergie l'idée qu'on voulût
le rendre responsable d'un luit auquel il n'avait aucune part ni
L'ASSEMBLÉE SE RETIRERA. 115
dinde ni indirecte, et qui n'était même pas i sa connais-
fanée.
Malgré ces explications, M. Ferrée proposa un ordre du jottr
ainsi conçu : a L'Assemblée déclare que les tendances du mintt-
» tère loi paraissent créer des dangers à la république ; néanmoins
> die passe à Tordre du jour, a
C'est un procès de tendance, s'écria M. Léon Faucher.
On s'était étrangement éloigné de l'enquête; M. de Lamori-
ridère, qui présidait l'Assemblée, ayant voulu mettre au* toit
l'ordre dn jour motivé, en réservant le vote sur le rapport, M. Bar-
rot chercha inutilement à faire comprendre que cet arrangement
sabstitaaiuu débat véritable un débat incidente! ; que F accessoire
allait emporter le fond, et qu'après avoir engagé une discossien
prévue et acceptée de teut le monde, on ne pouvait appeler l'As-
semblée à voter sur un débat improvisé* Il y avait là, selon le mi-
nistre, une véritable surprise, sinon une tactique qui n'avait point
les apparences de la loyauté.
M. Barrai ne reculait pas devant Kesamen de la question con-
stitutionnelle de l'accord ou du désaccord dn ministère et de F As-
semblée ; mais il voulait qu'on la posât franchement, ouvertement,
dans une lutte annoncée d'avance, et solennellement soutenue, et
non eu travers d'une discussion déjà engagée, et toute différente,
à fimproviste, d'une façon détournée, par une sorte de guet-
apene. Lé minière voulait donc que la question de l'enquête ftt
d'abord vidée et résolue. Nais M. Barrot avait à lutter contre des
interruptions systématiques qui étouffaient sa vois et épuisaient
ses forces. Il dot céder à ces violences entraparletnentaire*.
M. Goraly insista, et, malgré quelques fermes paroles de
M. CtMrtnbolle, quoique l'Assemblée ne parût pouvoir être léga-
lement consultée que sur la question de l'enquête qui était seule
à Tordre du jour, il faHat, de gnerre lasse, aocepter un vête sur
fincident soulevé par M. Ferrée. L'ordre do jour pur et simple
était le seul moyen de couvrir la violation du règlement et de cou-
per court à un débat stérile et dangereux. Il fat donc nédatné,
mais repoussé au scrutin secret, à la majorité de *f7 voix contre
W7 (5 février).
C'était là un vote grave, moins encore par les dispositions ft*
116 HJSTOUtE DE FHAJSCE. (1849.)
cheuses qu'il. signalait dans l'Assemblée, que par la question con-
stitutionnelle qu'il posait peut-êlre imprudemment. La Chambre
semblait, par là, exiger la retraite du Cabinet. Mais ce Cabinet
avait la confiance du président, élu lui+méme si récemment par
une majorité immense. Le président serait donc dans l'alterna-
tive ou d'engager ouvertement avec l'Assemblée une latte déplo-
rable, ou d'accepter les ministres qu'il plairait à l'Assemblée de
lui imposer. So.ua la monarchie constitutionnelle, rien de plus
simple que la solution d'une difficulté semblable. Le roi n'étant
pas élu, n'était pas responsable. Une lutte s'eogageait-elle entre
le ministère et la Chambre, le roi pouvait se rendre au vcau.de la
Chambre en congédiant sou ministère, au en appeler directement
et immédiatement à l'opinion du pays par la dissolution de la
Chambre. Aujourd'hui tout était changé. Le président élu» était
responsable. 11 avait donc le droit d'avoir une opinion person-
nelle,, et de la manifester par le choix d'un Cabinet, par la préfé-
rence accordée à une politique. Toute responsabilité qui, n'est pas
un vain mot entraîne la liberté de choix et d'action. Or, au-
jourd'hui, la majorité parlementaire, qui semblait prétendre au
droit d'imposer ses volontés au président, n'était pas elle-même
responsable- Le président ne pouvait la dissoudre et en appeler
au paya. N'élait-il pas évident que le président, plus encore que
son ministère, devait céder la place, si le droit de la majorité
parlementaire reposait sur une base sérieuse? Ainsi, par des che-
mins détournés, l'Assemblée en revenait, sans le savoir, à cet
amendement de M. Grévy, qui supprimait le président de la Ré*
publique, et qu'elle avait repoussé à une majorité immense. Ceci
seul disait d'où partait l'impulsion qui entraînait la Chambre dans
cette voie d'hostilité inconstitutionnelle. Cette attitude nouveUe
n'allait pas à moins qu'à la suppression du pouvoir exécutif, et i
la création d'une dictature parlementaire.
Toutefois, la question n était pas encore tranchée* L'ordre du
jour motivé qui devait manifester le conflit n'était pas encore voté,
et plusieurs autres ordres du jour étaient disposés, qni rendaient
justice à la conduite du ministère. Le 3 février était un samedi :
l'Assemblée avait donc près deux jours pour réfléchir a la gravité
d'une décision suprême.
L'ASSEMBLÉE SE RETWERA. tl7
Le lendemain matin, 4 février, le Moniteur contenait' cette
note: •
« l4t ainiiti** te «Mit réoiûs à l'ây^NaiHXiftt, à l'ifeM» de U tétai*) il
a été décidé qu'Us resteraient à leur poste et persévéreraient dans la aistiea qui
leur * .été confiée, y
Le président s'appuya* (amènent aor son droit. <}ue levait
l'Assemblée?
Le 5 février» démordre* du jour Bè trouvaient en présence : celai
de M-Perrée, et an ordre du jourdngéiiéralOudJnetboflQu dan&uu
etprît 4e conciliation. En voici les termes :. « L'Assemblée iMh>*
» nale, adoptant les conclusions de rapport de lai commission-,
» et considérant que le bulletin offensant poar l' Assemblée a été
» formellement désavoué et blâmé par le ministère, passe à l'or-
a dre du jour, a La priorité était réclamée pour l'amendement
da général Oudinot, concerté entre Tauteor et la majorilé de fa
commission nommée pour examiner la proposition d'étiqueté.
IL Dupont (de Bussac) eut soin d'avertir l'Assemblée que, repous-
ser l'amendement da oon-coaûaace c'était implicitement accorder
un vote de .confiance au Cabinet. Aussi, k Montagne deman-»
da-t-eHe le scrutin secret sur la question de priorité. Dana cette
première épreuve, l'ordre du jour du général Onéinot l'emporta,
à la majorité de 4$5 voix Contre 405. Ce premier vote assurait te
second» En effet, Tordre du jour conciliateur fut déftriitiveroevtf
adopté au scrutin do division, à une majorité de plus de iOQvcv*
(461 contre 589). Ainsi, la sagesse de. Y Assemblée détournait une
crise imminente; cette heureuse transaction écartait la question
ûOfisktpiioanôlle, 6t rétablissait l'harmonie entre la Chambre et
le Gouvernement,
On ne pouvait cependant ne pas remarquer l'énorme diffé-
rence qui existait entre les deux votes, Pun du scrutin secret,
l'autre publie» L'opposition qui se manifestait dans l'Assemblée
n'était jamais dangereuse lorsqu'elle cessait d'être anonyme.1
L'hostilité 4u scrutin secret se reproduisait encore dans les étec-
tiens du bureau de la Chambre* Ainsi, ce jour-të même, l'Àssenn
Wée *ja#t eq,ià renouveler son bureau, une majorité d'environ
IIS HISTOIRE DE FRANCE. (1849)
trente ton substitua à II. Heeckeren, secrétaire sortant, M. Louis
Perrée, auteur de l'ordre du jour qui Tenait de succomber. C'é-
tait la première fois qu'on voyait en France le bureau d'une As-
semblée composé exclusivement de membres appartenant à une
seule opinion. La Chambre des députés, sous le régime consti-
tutionnel, avait toujours reculé devant un pareil système d'ex-
clusion, et les plus intolérants comprenaient que, le bureau étant
appelé i prononcer souvent sur te résultai des épreuves, la pré-
sence au bureau de membres de toutes les opinions est i la fris
une garantie de sincérité et d'impartialité dans les décisions, ej
la plus sûre défense de la majorité contre tonte imputation ou
supposition blessante. L'ancienne majorité ministérielle laissait
donc invariablement à l'opposition la désignation d'un secrétaire
sur quatre. Aujourd'hui on lui en refusait un sur six.
Une autre conclusion ressortait du débat si heureusement tran-
ché» C'était l'imperfection des institutions qui pouvaient, i toute
heure, mettre le pays en présence de semblables dangers. La ma*
jorité elle-même se préoccupa de ces chances sans cesse immi-
nentes de conflit. A l'issue de la séance, la commission de Con-
stitution fui convoquée par son président, M. Marrast. Il donna
lecture de quelques articles de la Constitution relatifs aui rap-
ports du pouvoir exécutif avec l'Assemblée ; il aurait désiré que
la commission donnât une interprétation plus nette et plus expli-
cite du sens de ces articles. Toutefois, la majorité de la commis-
sion décida que les termes de la Constitution n'offraient aucune
ambiguïté de laquelle un conflit pût résulter entre le président
de la République et l'Assemblée. Elle déclara que, s'il y avait
lien i interpréter quelques articles concernant le pouvoir exécu-
tif, cette interprétation pourrait se faire lors de la discussion sur
la loi organique relative à la responsabilité du président et à celle
des) ministres.
Au-dessus de tous ces incidents planait toujours cette question
qui comprenait toutes les autres. L'Assemblée tixerait-elle le
terme prochain de sa dissolution ? Le jour était venu d'une se-
conde lecture pour ces propositions diverses, dont M. Râteau avait
pris l'initiative* Les unes, on le saH, fixaient une date à la dis-*
solution ; les antres restreignaient plus ou moins le nombre det
L'AqgENBLÉE 8E *ETItKRA. 11»
organiques éntimérées diot te décret du il décembre» Par
laquelle commencer ? Heureusement, d*i» l'intervalle avait surgi
une proposition nouvelle, présentée par M. Lanjuinaia, qui avait
l'avantage de comprendre les deux questions, colla dos lois à
faire, et implicitement la fixation dune échéance au moins pro»
babfte. Voici le texte de cet amendement :
« Art. I*. H sera tatnédlatetteat procédé k latmarfèfe délibération delà lot
élmtonn*
» La deuxième et la troisième délibérations auront lien à l'expiration dea dé*
lais fixés par le règlement.
» Art. 2. Aussitôt après le vote de cette loi, il sera procédé a la formation
des listes électorales.
« Les élections de PAnesnMée législative auront lies lé premier dimanche
qui suivra In cfatturn définitive desdites listes.
» L'Assemblée législative se réunira le dixième jour après celui des élections.
» Art. 3. L'ordre du jour de l'Assemblée sera réglé de manière qu'indépen-
damment de la loi électorale, la loi sur le conseil d'État et la loi de responsabi-
lité du président de la RépubKqoe et des ministres soient votées avant In disso-
lution.
» Art. 4. Le décret du 1 1 décembre 1 84 S est rapporté dans celles de ses dis*
positions qui sont contraires à la présente loi. »
La discussion s'ouvrit le 6 février. M. Lanjuinai9 développa aa
proposition avee clarté et sobriété. 11 montra a l'Assemblée qu'en
établissant en fait trop tôt un seul des trois pouvoirs créés en
droit parla Constitution, elle avait fait une faute, Ges trois pou*
voira sont le président, la législative, le eonseil d'État. On aurait
dû suivre ano marebe qui permit de les meure tous trois simulla*
nément en exercice. Pour atteindre ce but, la constituante aurait
été conduite à prolonger naturellement son mandat. Elle n'avait
pas procédé de cette façon, elle n'en avait installé qu'un seul*
D'où il suit, qu'elle se trouvait en face de deux devoirs qui pré-
sentaient une sorte de contradiction : premièrement, celui de
filtre fonctionner dam la plus bref délai la Constitution, c'est-à-
dire de placer à côté du président, la législative et le conseil
d'État, ce qui l'obligeait à prononcer sa dissolution ; seconde-
ment, celui de faire les lois organiques nécessaires à la mise en
exercice de ees pouvoirs, ce qui l'uMigeait à Ajourner c* tte dis?o»
ftttf HISTOUE DE PRMWE. ÇW*9.)
4
lutioo. Dans cette situation, -quel principe «litre? Le principe
qoeootnniaodajeotà la fois la conscience et le bon sens, c'est que
l'Assemblée devait se bornera faire l'indispensable, ee que le jeu
des institutions exigeait impérieusement; c'est-à-dire la loi
sur le conseil d'État, et elle était faite ; la loi sur la responsabi-
lité des agents du Gouvernement, qui limitait les droits; et enfin,
la loi électorale qui devait nécessairement précéder la nomination
de l'Àweml&Lée législative. Tout compte fait, le maximum des
délais que ce travail devait nécessiter, c'était environ soixante-dix
jours.
L'Assemblée accueillit avec faveur cette discussion calme et
convenable» Seul, M. Guicbard conseilla à la Chambre de s'impo-
ser en outre l'obligation de voter le budget MM. Pagqerre et
Barthélémy Saint-Hilaire, au milieu des interruptions et des cla-
meurs de la Montagne, retirèrent leur amendement, se ratta-
chant ainsi à la proposition Lanjuinais. MM.- Wolowski et Râteau
firent de même. En vain M. Félix Pyat descendit-il des bancs les
les plus élevés de la Chambre pour étouffer la proposition sous
le poids de mille subtilités. Les sommets delà Montagne ap-
plaudirent seuls des mots pareils à ceux-ci : « M. Lanjuinais
n'est qu'un Ratèau modéré. » a Le président fait l'intérim, c'est
un chapeau en attendant une couronne. »
M. Sarrans, à son tour, adjura l'Assemblée, au «nom du salut
de la République, de rejeter l'amendement. Cet effet d'éloquence
eut le mérite d'appeler 4 la tribune M. de Lamartine par une in-
terpellation directe et prolongée .dans laquelle l'orateur repro-
chait à l'ancien membre du gouvernement provisoire ses ondula-
t(ons> ses tergiversations. M. Sarrans ajoutait : « Quand la Répu-
blique a été menacée, grâce à la réaction, qu'a fait M. de Lamar-
tine? Cette République, qu'il avait soignée dans son berceau, il
l'a saisie, il l'a jetée dans l'espace et lui a dit : Va, tome*, où tu
pourra*! »
Accueillies par une hilarité générale et prolongée, ces étran-
getés forcèrent l'illustre orateur à prendre part au débat Au mi-
lieu dcmille traits brillants, confus, souvent contradictoires, M» de
Lamartine parut conclure pour la dissolution dans un bref dé-
lai. Dans certains passages, plus lumineux que le fond même de
LUSfcpMBLÉE SE RETIKBItA 121
son discoure, il fit franchement et hardiment appel au suffrage
universel. Peut-être même pouvait-on penser que la confiance'
de l'orateur dans les hasards du scrutin allait jusqu'à l'idole*
the. Aléa jmcta est. Ce mot regrettable, dont M. de Lamartine*
lui-même avait fait la Nouvelle devise de la FYanœ lancée à
travers l'inconnu, il le prononçait encore aujourd'hui) le fiio*
dffiaat toutefois par cette protestation plus poétique que politi-
que : a le suis de ceux- qui ne araigpient jamais de j*«er avec le
sort quand c'est la France qui tient le dé, et quand c'est Dieo qui
tient le sort. » Ce qu'il y eut de vraiment sérieux dans les paroles
de M. de Lamartine, ce fut son énergique réprobation de ceux qui
reculaient devant un jugement de la nation. Il leur adressa cette?
question bfûlante : « S'il était vrai que la France ne fût pas ré-
publicaine, avec quoi la contraindrièz-vous à l'être? Et si vous ne
vous fies pas an suffrage universel, c'est-à-dire à la conscience du
pays, à quoi donc vous fierea~vous 1
L'opinion de la. majorité paraissait désormais fixée, et le vote
immédiat était désiré par le plus grand nombre. Mais l'opposi-
tion violente, tumultueuse d'une fraction1 de la Montagne, à la-
quelle M. Marrast céda trop facilement peut-être, fit renvoyer le
vote au lendemain (6 février).
il était permis de penser que la priorité acfcordée à l'amende-
ment de M. Lanjuinais en entraînerait l'adoption oomplèto. fin
vain, quelques membres cherchèrent-ils par tous les moyens pos-
sibles à prolonger la vie de l' Assemblée. On vU MM. Dupont (de
Busaac), Jules Favre, Sénard, proposer des amendements ayant
pour but d'ajourner une solution impatiemment attendue. On
prétendait que l'Assemblée, en fixant le moment de sa dissolu-
tion, détruirait sa. propre autorité morale; M. Dufaure fit justice
de ce sophisme en rappelant que la durée des Assemblées légis-
latives était elle-même rigoureusement limitée par la Constitua
tion. Ce fut surtout dans l'intérêt de la République et de la Con-
stitution que M.! Dufaure demanda à l'Assemblée de se séparer»
L'orateur distingua habilement ce qu'il y avait de révolution*
naire et ce qu'il y avait de légitime dans les manifestations de-
mandant à l'Assemblée de se dissoudre. Il recopnut dans bequ*
193 HISTOIRE DE FRANGE. (|*49.)
coup de pétitions un vœu nature), un désir logique de voir la
Constitution, qui n'était mise eh pratique qu'à moitié, fonction-
ner d'une manière complète et définitive. On craignait la réac-
tion, dit*il en terminant ; mais plus on attendrait, plus il y aurait
à craindre que l'Assemblée a Tenir ne différât d'opinions et de
sentiments avec l'Assemblée actuelle.
11 fallut écarter encore vingt propositions ou amendements de
pure tactique, Enfin, la proposition de M. Lanjuinais Ait votée
dans tous ses articles. Dans le dernier article seulement il fût in-
troduit un amendement dont on ne pouvait se dissimuler la gra-
vité; l'Assemblée décida qu'elle voterait le budget de 4 £49.
Était-ce là, comme quelques-uns le pensèrent, une autre manière'
de se perpétuer ? Non, sans doute ; ce ne serait qu'un travail de
plus compris dans un ordre du jour dont le cadre était filé à l'a-
vance. Seulement on pouvait se demander si ce travail serait sé-
rieusement accompli. Outre trois lois organiques et le bagage
courant d'interpellations et de propositions émanées de l'initia-
tive parlementaire, il faudrait encore examiner, discuter, voter
le budget. Il y avait tout lieu de craindre que ce ne fût là un bud-
get provisoire. Et encore, dans cet examen si hâté, on pouvait re-
douter que des représentants, dont les réélections se trouveraient
compromises, ne cherchassent à se sauver du naufrage électoral
par la fausse popularité qui suit trop souvent des économies im-
prudentes.
M. de Lamoricière appuyait en outre un amendement de M. de
Ludre, proposant d'ajouter la loi sur la force publique; M. Jules
Simon voulait qu'on fît la loi de l'enseignement; M. Senard, la
loi d'organisation judiciaire ; M. Geyras, celle de l'assistance pu-
blique.
Heureusement pour l'autorité des travaux de la Chambre,
tous ces amendements furent repousses. L'Assemblée ne voulut
pas se déjuger; elle résista sagement à tous les efforts faits pour
lui surprendre un vote qui aurait implicitement annulé le vote
sur les articles de la proposition Lanjuinais.
Restait à voter sur l'ensemble de la proposition. Dans les nou-
velles habitudes parlementaires, ce vote décidait qu'il y avait lieu
L'ASSEMBLÉE SE RETIRERA. 1S3
a «se troisième délibération. Le scrutin de division donna une
majorité de 494 voix contre 307.
Ainsi, par la sagesse de l'Assemblée constituante, était enfin
écartée la possibilité toujours imminente d'un dangereux conflit.
124 HISTOIRE DE FRANCE. (18*9;)
CHAPITRE VIII.
AGITATIONS SOURDES, UTOPIES, RÉPRESSION
Influence fâcheuse de l'agitation sur le crédit ; fonds publics, banque, affairée
industrielles et commerciales. — La Montagne dans l'Assemblée. — Audace
croissante des journaux et des clubs. — Sagesse de l'Assemblée, vote définitif
de la proposition Lanjuinais. — Commission du projet de loi sur les clubs,
projet nouveau de MM. Crémieux et Senard, révélations de M. Léon Faucher,
apologie des clubs par M. Crémieux. — M. Lagrange et les insurgés. —
Assassins du général de Bréa, jugement du conseil de guerre, le socialisme et
l'assassinat. — Désordres à Celte et à Niort, connivence des autorités, répres-
sion énergique; rixes à Lyon, la statue de Y Homme du Peuple, mort d'un
anarchiste. — Croisade contre la révolte, dissolution de gardes nationales,
révocation de sous-préfets et de maires, enlèvement d'emblèmes révolution-
naires. — Le maréchal Bugeaud à Bourges et à Lyon, discours énergiques,
interpellations de MM. Coralii, Arago et Saint-Gaudens, réponse de M. Odi-
lon Barrot, ordre du jour. — Utopies, M. Cabet et l'Icane, déceptions tt
misères ; M. Proudhon arrive à l'application, Banque du Peuple, déclaration
solennelle, statuts de la Banque nouvelle ; rivalités de boutique, M. Considé-
rant et M. Proudhon, injures mutuelles ; la Révolution démocratique et so-
ciale ou les utopistes sans utopie. — Anniversaire du 24 février, service fu-
nèbre, manifestation contremandée ; banquets, fusion du socialisme et de In
Montagne historique, conversion subite de M. Ledru-Rollin ; désordres dans
les départements, troubles h Clamecy, à Toulouse, à Aucn, à Dijon, à la
Ouillotière, à Carcassonne, à Narbonne, complicité des autorités.
Au milieu de ces agitations parlementaires et de ces menées
anarchiques le mouvement de reprise, qui s'était manifesté dans
les affaires industrielles et commerciales à la suite de la nomina-
tion du président de la République, s'était presque complète-
ment arrêté ; la confiance, qui commençait à reparaître, s'était
retirée de nouveau ; les fonds publics avaient perdu une partie
UTOPIES. RÉPBESSlOfiL 125
du terrai* qu'ils avaient regagné.; la décroissance du porte-
feuille de le Banque montrait que le crédit privé n'était pas dans
une situation meilleure que le crédit public; les boutiques se
fermaient ; le nombre des faillites augmentait ; enfin; dans les
grands centres manufacturiers, on ne recevait plus de comman-
des, ou ne voyait plus d'acheteurs.. C'étaient là les suites natu-
relles du conflit élevé entre les deux pouvoirs. A tort ou à raison,
on croyait voir l'Assemblée se livrant tous les jours davantage à un
parti qu'elle avait su jusque-là contenir. Dans les commissions,
dans les bureaux, dan* les votes de ta Chambre, il semblait que
la msyorité fût déplacée.
Il (allait ajouter à ces causes d'anxiété l'audace croissante qu'on
remarquait dans le langage des journaux révolutionnaires et des
réunions démagogiques» des appels aux plus détestables passions,
des apologies de la guerre civile, des justifications de l'assassi-
nat Si, en préseuce de pareils excès, on plaçait le vote par le-
quel l'Assemblée venait de repousser l'urgence de la loi contre
les clubs, on ne pouvait s'étonner que la confiance et le travail
fussent, une fois encore, paralysés.
A ces motifs d'inquiétude s'ajoutait encore le bon accueil (ait
par la Constituante à des projets qui devaient apporter une per-
turbation nouvelle dans les'finances. On avait réduit l'impôt du
sel des deux tiers; l'impôt des boissons était menacé à son tour,
et la commission, appelée à prononcer sur son sort, nommait
pour président celui-là même qui proposait de l'abolir.
Il faut pourtant se bâter de le dire, les menaces renouvelées
contre la société à la faveur des discussions entre le pouvoir lé-
gislatif et le pouvoir exéestif semblaient enfin avoir éclairé la
Chambre. Le 14 février, malgré les efforts de M. Emile Péan,
malgré deux amendements contradictoires de M. Senard, r As-
semblée persista dans une sage résolution, en adoptant définiti-
vement la proposition de M. Lanjuinais à la majorité de 37 voix
( 424 contre 387). Les votes antérieurs faisaient prévoir ce résul-
tai : on n'en devait pas moins savoir gré à l'Assemblée d'une
persistance qui l'honorait et qui ramènerait le calme dans le
pays.
La haute prudence fui caractérisait cette détermination ne
126 HISTOIRE DE FRANCE. (1849.)
pouvait toutefois faire oublier les encouragements que l'esprit
d'anarchie a? ait reçus de la Chambre elle»méme. Ainsi, la com-
mission chargée d'examiner le projet de loi sur les clubs l'avait,
à la majorité de 9 voix contre 6, déclaré inconstitutionnel. Néan-
moins, deux membres de la majorité, MM. Crémieos et Senard,
s'étaient rénnis k la minorité pour présenter on antre projet
ayant pour but principal de modifier le décret primitif rendu
dans le mois de juillet 1848* En vain, le 5 février, peur justifier
la loi sur les clubs et la demande d'urgence, M. Léon Faucher
avait-Il apporté à la tribune un extrait des precèe-f erhaitx où
étaient recueillis par les commissaires les discours tenus dans
ces foyers d'anarchie, tl avait exposé duos leur nudité les abo-
minables principes prêches journellement dans ces antres de
désordre. Ici, no orateur évoquait ce paradoxe déjà vieilli i La
propriété est un vol ; làt un énergumène en appelait au droit du
plus fort, à la raison dernière du fusil ; un antre voulait paner le
niveau sur les têtes des riches ; celui-ci décernait un brevet d'hé-
roïsme aux insurgés de juin, et disait : s Le peuple a été battu,
mais non vaincu; » celui-là justifiait le meurtre de M. Rossi, et
applaudissait aux vertus de son lâche assassin*
Tout cela n'empêcha pas le rapporteur de la commission ,
M. Crémreux, de considérer les clubs comme des réunions paci-
fiques et nullement dangereuses. Il en donnait cette raison étrange
que leur nombre augmente dans les temps de troubles et d'anar-
chie. A cet argument si logique venait s'en ajouter un autre aussi
sérieux. Le rapporteur énumérait les condamnations infligées
depuis le mois d'avril aux dubistes et aux clubs : devant les tri-
bunaux de police correctionnelle, 54 contraventions imputées à
42 individus, amenant 30 condamnations; sans compter lu châ-
timent d'un outrage public envers un commissaire de police, et la
fermeture de deux clubs pour avoir restreint la publicité et aviuir
admis des mineurs et des femmes. En cour d'assises : 1 4 attures
provoquées par 4t clubs, 8 clubs condamnés dans la personne de
tl accusés, dont 8 avaient attaqué la propriété, fi outragé la mo-
rale publique, i provoqué à la guerre civile, 3 attaqué l'autorité
de l'Assemblée, 1 attaqué la Constitution. Le rapporteur, ne pou-
vant tirer de ees nombreuses condamnations la preuve es l'iano-
UTOPIES. RÉPRESSION. 1*7
cence des clubs, voulait du moins établir l'efficacité delà répres-
sion, liais qui ne savait que, par l'impuissance Même de la lot»
Isa clubs avaient joui en fait d'une véritable impunité? Cela était
si vrai, que il* Grémieux lui-même était chargé par la commis-
sion de proposer de nouvelles mesures répressives. L'énumére-
lion des condamnations infligées sous l'empire d'une loi inefH-
cace suffisait pour démontrer que l'état permanent des clubs est
la provocation an désordre et la violation de toutes les lois.
Suivait, dans le rapport, la glorification des clubs de la pre-
mière révolution* et en particulier, du club des Jacobins, l'iden-
tification peu flatteuse de leur cause à celle de la République
elle-même, et la personnification du people dans ces assemblées
violentes qni se substituaient à lui, et réalisaient le pins san-
glant des despotismes.
Et cependant, les prisons étaient encore pleines de malheu-
reux poussés à la pis* sauvage des guerres civiles par les ex*
citations des clubs. Malgré les propositions nombreuses de
M. Lagrsnge, soutenues par des formes étranges de langage ,
l'Assemblée se refusait à justifier par une amnistie, qu'on sem-
blait plutôt exiger qu'implorer, les ennemis de la société. Quel-
ques jours auparavant (S février) le conseil de guerre pronon-
çait son jugement dans le procès relatif au meurtre odieux du
général de Bréa. C'était encore là un des fruits de l'excitation po-
litique appliquée à des instruments grossiers et farouches. On se
rappelle ce géuéral qui, sous l'égide du parlementaire, caractère
respecté même parmi des sauvages, avait, comme l'archevêque
de Paris, trouvé la mort parmi ceux auxquels il apportait èes pa-
roles de concorde et de paix. Après un-supplice de six heures,
lui et son aide-de~camp avaient été, non-seulement égorgés, mais
mutilés, comme* par des cannibales. C'est au nom des doctrines
qui prétendent régénérer l'ordre social, c'est au cri de : Vive la
République démocratique et sociale ! que cet attentat inouï avait
été consommé. La plupart de ces individus fréquentaient assidue-
ment les clubs. Parmi eux, deux enfants, l'un de dix-neuf ans,
l'autre de dix-huit, avaient agi, cela ressortait de tous leurs anté-
cédents, sous l'inspiration des doctrines socialistes. Cinq d'entre
eux, Daii, Lafcr, Nourvy, Vappreaux jeune et Choppart furent
^
128 HISTOIRE DE FRANGE. (1849.)
condamnés à la peine capitale; cinq autres furent condamnés
aux travaux forcés ou à la détention plus on moine prolongée.
Quelques-uns persistèrent, en entendant leur^arrèt, à confondre
leur lâche assassinat avec la cause de la République sociale. Le
moment n'était pas loin où ie* chefs de la démagogie accepte-,
raient comme leurs ces honteux séides et les travestiraient en
martyrs.
En attendant des occasions plus sérieuses, l'anarchie ne dés-
armait pas. De jour à autre, quelques désordres isolés entre-
tenaient l'inquiétude publique. À Cette, le 7 février, une foule
ameutée pénétrait violemment dans la salie des délibérations du
conseil municipal ; elle saccageait plusieurs maisons dont le mo-
bilier était livré aux flammes. Cette scène de dévastation et de vio-
lence se prolongeait pendant quatre heures, au milieu d'une ville
possédant une garnison, une garde nationale, des autorités muni-
cipales, et cela sans qu'aucun effort fût fait pour mettre un terme
à cea> excès. La garde nationale restait indifférente ou pactisait
avec l'émeute. Le maire oubliait' ses devoirs et ne réclamait pas
l'appui de la force publique. Il avait, il est vrai, provoqué loi-
même ce regrettable mouvement en se refusant à exécuter les or-
dres du préfet pour l'enlèvement d'un arbre de liberté surmonté
d'un bonnet rouge.
A Niort, le 18 février, une bande de perturbateurs chercha à
s'opposer, par la violence, au départ d'un escadron jlu 2e chas-
seurs, ici, encore» l'autorité fut complice du désordre. Un com-
missaire de police tentait d'arrêter, au nom du peuple, le colonel
de l'escadron, insulté à la tête de ses hommes, parce qu'il avait
cru devoir repousser la violence par la violence. Un représentant
du peuple, M. Maichain, se faisait remarquer au milieu des grou-
pes criant : « Vive la République démocratique et sociale ! »
Le préfet des Deux-Sèvres lui-même, M. Dègouve~Denuncques,
chercha à persuader au colonel qu'il devait se rendre prisonnier,
parce que tel était le bon plaisir du peuple* Le colonel et le régi*
ment tout entier surent, mieux que les représentants du Gouverne-
ment central, garder l'attitude nécessaire devant l'émeute.
A Niort, le colonel de Cotte avait châtié d'un coup de plut de
sabre le démagogue qui le menaçait grossièrement, et l'esprit de
UTOPIES. BÉPftESSKffl. tSt
désordre avait pris parti contre l'autorité militaire. Oa comprend
quelles durent être les récriminations des partis eitrémes lorsque,
le lendemain 19 février, une autre émeute tentée à Lyop eul
pour résultat là mort d'un anarchiste. Une statue grossière, repré-
sentant le peuple souverain sous le costume d'un ouvrier, avait
été élevée sur une des places de Lyon dans les phis mauvais jours
qui suivirent la révolution de février. Depuis ce temps, une sen-
tinelle avait été accordée à ce monument d'un nouveau genre.
L'autorité ayant cru devoir la retirer, de nombreux attroupe-
ments se réunirent pendant plusieurs jours auprès de lin-
forme statue, sous prétexte de la défendre. Plusieurs £»is de* mi-
litaires furent insultés, un, entre autres, violemment maltraité^
par la populace. Dans la rixe qui s'en suivit, un chef de club,
déjà arrêté la veille pour un fait semblable, fut tué au moment où
il lançait des projectiles sur la troupe»
En présence de ces faits déplorables, le Gouvernement sut main-
tenir avec énergie les droits de la loi, et fortifier le principe d'au-
torité : le ministre de l'Intérieur, M. Léon Faucher, se distingua
dans celte croisade vigoureuse contre la révolte. Partout où un
désordre éclata, où l'autorité locale faiblit, le pouvoir central ne fit
pas attendre la réparation. La garde nationale de Cette fut dis-
soute : le maire fut révoqué. Le commissaire de police de Niort
eut le même sort. Partout où les emblèmes sinistres de la (erreur
cherchèrent à se montrer de nouveau, ils furent abattus.
Il faut le dire, le Gouvernement nouveau était admirablement
secondé dans ses efforts par les chefs militaires auxquels il avait
confié les postes les plus importants à défendre. On a vu quel con-
cours l'autorité avait trouvé dans l'intelligente énergie du général
Changarnier. Le maréchal Bugeaud, lui, apportait dans l'Est sa
vieille expérience et sa vigueur indomptable. Arrivé à Lyon pour
prendre possession du commandement de l'armée des Alpes, le
duc d'Isly encouragea, par son attitude et par ses paroles, le parti
de Tordre et les représentants de la loi si longtemps méconnue
dans cette ville. A Bourges, le maréchal avait rendu le même-ser-
vice en patronant hautement les idées de calme et de prospérité
publique. Les agitateurs s'emparèrent des paroles prononcées. par
l'illustre guerrier, et en firent le texte.d'aecusatious calomnieuse*,
9
m HISTOUtE BE fftAMCE. (1849.)
qtri tefetireal joeque dans ht tribune 4e l'Assemblée nalioQéJe.
Toto, à peu prie, quel amie été le fond, sinon le tette précis
des atfoeatfoB» da mréctal :
« Non* m devons pat nous dissimulcT, Messieurs, que 1* skuefien est grave ;
tarif» esunems enferts, €t «mm devons sens nous unk *»er eombettre les
» Le France a une mag nifique armée, et cependant eUe ne peut pus IV
ta dehors. Il est impossible aa Gouvernement de songer à passer les Alpes» aiflra
que rarmée laisserait derrière elle une guerre ci? Ue considérable.
* 11 ne faat pu, Messieurs, nous abaser sur les choses ; il est possible qu'une
liisnnstnaiMi sepilwwnts rfiminUsrnm jjiii iiflm m ifiiuau psi if j'en si w ninmnnf
peut arriver, et «ai, ea arrivant, exigerait que nous pesaient à oomhsÉsro les
perturbateurs les armes à la main.
» Je ne donte pas, Messieurs, que, parmi tous, il n'y ea eût beaucoup fui
viendraient se joindre a nous. Mais ce n'est pas là seulement qui! faut déployer
du courage, il faut que partout et an toute ooeasioo noaa ayons «le conengo est
nota» opinion, et nous dotons en toute «eeesiou la manifester et la défendre»
» Et vous, messieurs les magistrats, vous *ven à combattes, à dépètyerels Jn
fermeté dans l'exercice de vos fondions. C'est à vous de prémunir MM. les
jurés, a vous prémunir vous-mêmes contre l'abus des circonstances atténuantes»
abus nui énerve faction de la justice, et n'épargne les mfraeteure de Intel qu'au
détriment des bons «toréas et de la société toit entière.
Oaaen Fronce In mrihaawmas habitude <tc ne pmnteemsidéngr un crime po-
litique autrement, passez-moi le mot, que comme une plaisanterie.
» Le criminel politique triomphe, c'est un héros ; il échoue, c'est un inno-
cent, un martyr.
» Et cependant, on crime particulier ne nuit qu'à un individu , tandis que le
» lé ne saia,|feBSienrst si nous serons appelés à combattre ensemble au delà
de mas treetieras; je nuis fermement nssoré que, dans ce cas, vous «aunes ré-
pondre aux espérances du pava et rajeunir la gloire de son drapeau,
• Mais cette perspective n'est pas la seule que doive envisager l'armée dan
Alpes. La situation du pays lui impose à l'intérieur des devoirs impérieux, sa-
crés, qu'en* n déjà su et qu'elle saura remplir encore. Cette tâche «'est pus
marne jtomenei que l'an**. Assurer le umùntien de àt loi, détendes m société
centre les mauvaises passions qui la menacent, opposer une résistance invincible
eux tentatives coupables qui amèneraient la désorganisation et la décadence de
pays ; c'est par t* qu'il faut commencer, c'est seulement ainsi qae nous esapé-
ce*rea*»f*as^*dsehitt lui appartient vive**» de réttnauur.
» lus grands» «renias nambsent uunir aujourd'hui cette snisiisn en hWencu
Si l'empire d'Autriche échappe a une dévolution qui paraissait inévitable, c'est
à son armée qu'il le doit. Oui, In forte organisation, la discipline exacte. Cas-
noit njSIAnnm ne r Mnsee airtricnseone en ont seuls arrêté In raine*
UTOPIES. RÉPRESSION. *3t
*»c TminH fttepfcé *ri, «lit, »«rcfce «a «««««até de m~
tomate arac U uaffc* toi «lient, fcilUnfeelIa » « *m>ir énmMU a**
triotiqne?» *7*
•
Ces parole* « sensées* mais qui navrôt «TaMleai* «oemi ca-
raclère officiel, servirent de texte à des inierpellations adressées
par M. CeraHi an ministère <lâ février). MM. Coralli, E. Arago et
SaiiifcGftiidefls avaient vu dans le discouru de M. le maréchal la
déclaration femelle flûte par le commandant de l'armée des Al-
pcs que cette année ne passerait jamais la frontière. C'était là,
aux yeux des interpeUateurs, alarmer la France, «ter anx étran-
gers i'appréheaeion de nos armes, détraire la sécnrité à l'intérieur
et paralyser l'influence française an dehors. M. Rarrot n'eut pas
de peme à démotiver qu'il n'y avait rien de tout cela dans le dis-
cours du maréchal, et que M. le duc d'Isly n'avait fait que consta-
ter celte incontestable vérité, que si l'ordre était assuré en
France, la libre disposition de nos ressources nous donnerait, en
Europe, «ne situation plus forte et plus grande, a Ce n'etf pat
» pour afuMïr l'armée des Alpes aux yeux de l'étranger, dit le
m préaident du conseil, que nous en avons confié le commande-
» ment au maréchal Bugèaad ». Le général Bedeau s'associa,
par quelques paroles énergiques, i la pensée du ministre.
^ L'Assemblée nationale vota l'ordre du jour i une grande ma-
jante.
Aux agitations vigoureusement réprimées correspondaient,
comme toujours, les tentatives théoriques d'anarchie dans le jour-
nalisme socialiste et dans les paraphiez révolutionnaires. Seule-
ment, les philosophes de la République sociale s'abandonnaient
imprudemment k la tentation de réaliser leurs chimères. Le grand
prêtre de la république icarienne, M. Cabet, avait choisi le Texas
pour théâtre d'épreuve. Il avait obtenu gratuitement la concession
de terrains dans la partie nord-ouest, le long de la rivière Rouge.
La première avant-garde de travailleurs communistes, mal ren-
seignée, trompée par les agents de M, Cabet sur les ressources qui
l'attendaient, avait été décimée par les fièvres, les fatigues et la
misère. La seconde avait eu le même sort, et bientôt les hôpitaux
de la Nouvelle-Orléans recevaient les débris delà colonie ica-
139 HISTOIRE DE FRANCE. (1849.)
rienne. Des plaintes nombreuses s'élevaient contre l'imprévoyance
et même eontre la loyauté des chefs de l'entreprise. Le commu-
nisme pratique allait bientôt descendre jusqu'à la police correc-
tionnelle. Ainsi étaient renouvelées, mais avec des victimes plus
nombreuses, les folies phalanstériennes de Clairvaux et de Ram*
bouitlet.
' Un antre chef de secte, jusqu'alors triomphant* parce qu'il s'é-
tait prudemment retranché dans la critique, toujours [si facile,
M. Proudhon, allait échouer contre recueil de tons les réforma-
teurs socialistes, la mise en pratique de leurs projets de régé-
nération. Le philosophe de la négation et de la contradiction ar-
rivait à son tour à l'affirmation, et réalisait la Banque dn peuple
(41 février). Une déclaration emphatique placée par M. Proudhon
à la tête des statuts de la société nouvelle, semblait, au premier
coup d'œil, porter l'empreinte d'une conviction sérieuse. Le so-
phiste hégélien, tour à tour protestant, papiste, panthéiste, mo-
narchique, aristocrate, babouviste, communiste, abandonnait,
cette fois, les divers projets économiques et financiers qui l'a-
vaient fait si célèbre, l'organisation du crédit et de la circulation,
la banqueroute partielle autorisée par l'État, l'emprunt national
forcé. C'était une dernière épreuve, à l'entendre, une épreuve
solennelle, définitive que cette Banque du peuple. C'était même
le socialisme tout entier, et le succès de Tune ferait juger l'autre.
L'écrivain athée invoquait hautement la Divinité, l'Évangile et la
Constitution.
« Je fais serment devant Dieu et devant les hommes, sur l'Évangile et sur la
Constitution, que je n'ai jamais eu ni professé d'autres principes de réforme
sociale que ceux relatés dans le présent acte, — et que je ne demande rien de
plus, rien de moins que la libre et pacifique application dit ces principes et de
leurs conséquences logiques, légales et légitimes.
» Je déclare que, dans ma pensée la plus intime, ces principes , avec les
conséquences qui en découlent, sont tout le socialisme, et que, hors de là, il
n'est qu'utopie et chimère.
» Je jure que, dans ces principes, et dans toute la doctrine à laquelle ils
servent de hase, il ne se rencontre rien, absolument rien do contraire à la fa*
mille, à la liberté, h Tordre public.
• ' » ta Banque do Peuple n'est que la formule financière, la traduction en lan-
gage économique, du principe de la démocratie moderne, la souveraineté du peu*
pie, et -à la devise républicaine : Liberté, Égalité, Fraternité, »
UTOPIES. RÉPRESSION. 133
Si 1e erétteor de la Banque du peuple reconnaissait, par l'in-
succès de sa tentative, qu'il s'était trompé, il se retirerait de IV
rèee révolutionnaire, au risque de mériter le mépris des hon-
nêtes gens, s'il continuait à agiter les esprits par de fausses
espérances.
a Ceci est mon testament dévié et de mort." A celui-là seul qui pourrait men-
tir ea nmrant, je permets d'en soupçonner la tineérité.
r Si je me sais trompé, la saison puMiqneafrahfentot fait jastioe de met tfaée-
ries, il ne dm) restera qu'à disparaître de l'arène révolutionnaire, après avoir de-
mandé pardon à la société et à mes frères du trouble que j'aurai jeté dans leurs
âme*, et dont je suis, après tout, la première victime.
«.Qve si; après ce démenti de la raison générale et de l'expérience t je devais
chercaer an jeor, par d'autres moyens, par des suggestions nouvelles, à agiter
encore les esprits et entretenir de laasses espérances, j'appellerais sur moi, dès
maintenant, le mépris des honnêtes gens et la malédiction du genre humain. »
Ainsi, M. Proudhon se jugeait lui-même i l'avance. Malgré ces
déclarations, si sincères en apparence, la Banque du peuple de-
vait tomber bientôt sons l'indifférence et sous la risée publique,
et, cependant, le sectaire continuerait à détruire.
Nw» avons dit ailleurs sur quelles bases reposait cette concep-
tion si peu viable de la Banque du peuple : gratuité essentielle du
crédit et de l'échange, ayant pour objet ^circulation des valeurs;
pour moyen le consentement réciproque des producteurs et des
consommateurs; pas de capital, si ce n'est et jusqu'au moment où
la France aurait adhéré tout entière, un capital provisoire de cinq
millions de francs. Car -il fallait, peur le moment, se conformer
an usages établis et aux prêfecripttons'de la loi, et solliciter plue
efficacement l'adhésion des citoyens. On stipulait que ce capital
serait remboursé, si la société pouvait fonctionner avec un avoir
social dégagé du- capital de fondation; mais en ajoutait aussi qu'il
pouvait être augmenté par une nouvelle émission d'actions, ce
qni ne prouvait pas une grande confiance dans la possibilité <Fa-
BMjrfisseiisent. Ainsi, l'adversaire héroïque du capital commen-
çait, en pratique, par en reconnaître la nécessité. Mais M. Prou*
dfcen ne s'adressait pas à ce capital égoïste qui prétend à l'inté-
rêt Il divisait son capital. d'émnmoo en actiéns^doq frênes,
là* HISTOIRE flE FRAHC2L (1S49.)
<tart à suMpaiL de veiner on dixième tu mosnent de k souscrip-
tion. La souscription de dit mille action* par versements de
diiièmM» c'eafrî-dire l'encasssemeiit de 5,000 famés sÉfannl
pour le constitution définitive de la société et pour le easnsnen*
cernent des opérations.
Délivrance des billets contre espèces, escompte du papier de
commerce à deui signaleras, l'escompte des commandes et
factures acceptées, les avances sur consignations, les crédits i
découvert sur caution, tes avances sur emuilée et fejpethèques,
les paiements et recouvrements, telles seraient les opérations de
la Banque du peuple. Jusque-là, rien de nouveau» ni qui ne se fit
dans toutes les maisons de banque particulières* Seulement» la
banque nouvelle ferait des avarices svr marchandises. 8efon le
créateur, ce ne serait pas là un prêt sur consignation, attendu
que la Banque achèterait à terme. Mais, comme elle ne paierait
qu'une partie de la valeur, comme elle laisserait au cédant la fa-
culté de racheter ses marchandises avant l'expiration du centrât;
comme, en se réservent le droit de vendre, passé ce temps, la
marchandise aux enchères, elle s'engageait à rambeufser tftneé*-
dant du prix obtenu par la vente sur le prix ixé par le dépèt, H
«'ensuivrait qu'il n'y aurait, dans cette partie des opérations, au-
tre chose que te prêt sur consignation*
Biais une opération caractéristique, selon les statuts» ne setaèi
la commande. Aux opérations de crédit ftfsJ» disait-on, ta Banque
jeindrait des opérations de crédit p*t*a»*M*; c'est à dite qn'dto
ferait des avance* à toute entreprise qui Wi^eiuîtraétcoimnaMe.
Ce ne serait pas là, ajoutait-on, une cs**sns*dU*;car kg avsncss
ainsi faites demeureraient comme Isa avenant as* eonrisjnatiasi
de marchandises* de simples opérations d'sceesnpts. tt eetjualn
de dire que ces opérations nouvelle* ne serment mises enpranfne
qu'à l'époque e4 la Banque agirait dans* tant* fcvésii&deean prin-
cipe*
La grande, la seule invention, pgnjrk nmnint, contenue dans
les statuts, c'était le panier dé crédit* Pesa aamar tin inpnrrs
sien du numéraire, en imagMit nn papier appelé fende «nn-
Jatios, nom remhouvsatte en espècsa, sorte d'osé» de li
panehle à vue par lent aesi taies et adhérant en p nains* on
UTOPIES. ft$PttÇS$|0* > m
râteau» jjrtoslrieo^
pu l'eteaitt» de il société, peraoo pei1eJ**«nW, el uurfceut;parla
ywwii' d'acceptatioft mutaeUe 4» toi» tel associé* et adJeé»
WH. Oaseeait deoeforcé de se pouvoir cfees un pjpdtttlejur
•ibéreitt* dont les. produite pourraient è*e défeciaeta m d'à*
prix trop élevée La dépréciation d'un saraejsbie pépies ne se te*
rmit pas longtemps attendre.
Voilà, en réeamé, le «oomoêJU annuel H» PreadbûA aUtckait
li nrf irnliflBi liortiflufi életé dans cas narrdsi i
• Je fierant mm «rreyriee pm »W jeves* e*«f«Jf> 9******* atyadb*
■ Je Yen x changer la base de la société, déplacer Taxe de la.cîvilitatfenA faire
aae le monde qui, sous l'impulsion de la votante divine, a tourné jusqu'à ce jour
dte&fcmt e* orient, snr désormais par In volonté dé ffcoanw, iotrM foriert
■ 11 ae e*af»i peut cela que de renverser las rapports da traxail ai da capital
de telle sorte que Je premier, qui a toujours obéi, commaude, et que le second,
qui a toujours commandé, obéisse
• Et le» ebataetx sont grande, mes moyens soai près wnnisaani encore. Qa» me
pawaat,* u*eanyeiu*i«i des intérêts, et le soaioi amant dam préjugé»? N'aida
donc pas, pour contraindre le siècle, fait un pacte avec la nécessité? Et, pour
dompter le capital, n'ai-je point traité avec la misère ? J'ai pris mon point <Tap-
pnvser feaéant, et j'ai pour levier une Met! CVut aneeeht que le TravaifcWr
divû créa le monde de la nature» que fat faite k presaâa^ jéaéttitkaaVeieljat
de la terre. Cent avec cela que l'homme, L'éternel rival de Dieu, doit créer le
de rindustrie et de l'art, la deuxième génération de l'Univers !... »
£a attestant le triste avortes**»* de ose pojapôuses prônasses,
M»Praesds*oaeavUceJn^
indifférent aux éiucubratieos de soo génie financier 9 naiecojtaj*
des rimaJîién de boutique. La fcwriériseaee'ajersse des gwfrdetir*
subites de sep concurresU en seâaiaMste et, snrtonfc, de velléités
pratiqnea attCnMapnyiéo* du cortège onUnjirf d'U^eie* sAreeséej
eux théorie* rivales. M. Gonaidéraat, écartaatf peur no moueut,
en U§Uèm dégoUt «se lai inspirât son adtersaira eu serisJtpipe,,
lança centre M. Proudfcett ue mapitato iaiMule ; * P<w eo.fiiur
e avaeM. ProedàûB. * Il y 8i§oaJaJt entte o^fur d**ejee\et ****
mmkm fm** qpi cfMrtfeiswrat tons les. écrit» de l'auteur de la
Asafnc du Pm+i*. Il y voyait nm/aji* t'natratye, la d^orsMe
1 36 HISTOIRE DE FRANGE, (1849.)
habitude 6u dénigrement et de la morsure, le vide dans la détrac*
lion. M. Considérant rendait aui Allemands, à Rousseau, à Saint»
Simon, à Fourrier tons les emprunts qui constituaient le bagage
philosophique de M. Proudhon, et, ces restitutions (faites, il ne
voyait pins dans le prétendu philosophe qu'un zéro boursouflé :
Erostraie du socialisme, qui n'avait allumé finsurrection intel-
lectuelle que pour fonder une banque en commandite!
À ces aménités, M. Proudhon répondait en homme qui sait
manier l'injure. Esprit hébété par les vapeurs méphitiques du pha-
lanstère, fondateur de journaux devenus le déversoir de toutes les
folies et impuretés ; élève du grand mystifioateur des temps mo-
dernes, Fourrier; chef d'un commerce de rogatons, tel était,
pour H. Proudhon, le socialiste phalaostérien. A ses yeux,
II. Victor Considérant était mort au socialisme, et ce qui jargon-
nait aujourd'hui n'était plus qu'une ombre, une âme de trépassé,
qui n'avait plus besoin que d'un De profundis et d'une messe de
quinze sous.
Enfin, un journal représentant le parti montagnard socialiste,
ht Révolution démocratique et sociale, tançait les deux sectaires,
et prétendait, sans s'aventurer à formuler un système, qu'il pou-
vait y avoir autre chose dans le socialisme que le phalapetère ou
la Banque du peuple.
Tel était l'accord qui régnait entre ces ennemis divers de la
société, réunis seulement pour détruire, incapables de fonder.
Jaloux les uns des autres lorsqu'il ne- s'agissait que d'achalandage
et de commerce, ils savaient oublier un moment leurs querelles
dans toutes les occasions où leurs efforts communs pouvaient me-
nacer et atteindre la prospérité sociale.
L'anniversaire du 24 février 1848 fut une de ces occasions.
L'Assemblée nationale eut le bon goût de célébrer cette com-
mémoration par un service funèbre. «C'est un enterrement que
'vous faites à la République, » s'était écrié nn représentant quand
FAssemblée avait été saisie d'une loi relative à la -solennité, il
était plus juste de dire qu'une guerre civile, quel qu'en ait été le
résultat politique, ne peut être considérée comme on souvenir
Joyeux. La population parisienne s'associa à cette pensée. Vaine-
ment plusieurs organes de la République sociale l'avaient~Mt ton-
UTOPIES. RÉPRESSION. 137
fiée à suppléer aurillufmnatt'ons publiques par des illuminations
spontanées : personne ne répondit à cet appel. L'anniversaire
fut grave et calme. On avait pu craindre un instant qu'on n'en
fit nn prétexte à une prétendue manifestation populaire. Mais les
journaux qui affichaient la prétention de conseiller et de mener
te peuple, contremandèrent ce mouvement, qui n'avait aucune
chance de succès. L'agitation de la rue fut remplacée par l'agita-
tion des banquets : tradition heureusement empruntée à l'an-
cienne opposition constitutionnelle.
Dans ces réunions commémoratives, les diverses fractions de
la démagogie se montrèrent avec leurs caractères différents. Ici»
les uns, avec MM. Bûches et Ducdui, se contentaient de porter nn
toast à la République démocratique une et indivisible; là, M.Félix
Pyat prêchait l'insurrection bux ports-blouses, canailles et manants.
Mais Ces solennités devaient fournir un nouvel épisode à l'histoire
des factions en France. Un traité d'alliance y Tut signé entre les
chefs de partis, jusque-là profondément séparés par leurs doc-
trines. Timides et hardis, républicains dti passé et de l'avenir,
montagnards et socialistes s'unirent définitivement dans un ban-
quet où M. Ledru Rollin fit les premières avances sérieuses au so-
cialisme. Avec l'ardeur particulière aux néophytes, M. Ledru
Rollin confessa hautement le dogme nouveau pour lui de Y orga-
nisation du travail. Le premier pa* une fois fait dans cette voie,
le montagnard converti donna les gages les plus complets à Pa-
narchie. Les insurgés de juin transportés devinrent, dans le dis-
cours qui scella la fusion des deux partis « des victimes saintes
souffrant pour la cause de la France et de l'humanité. *
Tel fut à Paris l'anniversaire d'une révolution. Dans les dé-
partements quelques désordres se manifestèrent. A Clamecy, cinq
ou six cents hommes parcoururent la ville, tambours en tête et
drapeaux déployés, aux cris de : Vive Raspail ! vive la Montagne !
vive la guillotiné! L'autorité du sous-préfet, du maire, du procu-
reur de la République fut méconnue et la force publique insultée.
A Toulouse, le préfet dut suspendre deux compagnies de la garde
nationale qui avaient défendu le bonnet rouge. A Auch, un cer-
tain nombre de gardes nationaux, offîeiers en tête, parcoururent
la ville en poussant des cris séditieux : la garde nationale dut
1
13q HISTOIRE Q£ FfiAHCE. (1849.)
être suspendue par le préfet. A Dijon, on saisit des dépôts de
munitions. A kt Guiilolière (Rhône), des factieux ayant arboré le
bonnet rompe, le préfet mit les autorités municipale* en demeure
de le faire enlever. Dans le département de la Dréme, plusieurs
maires ayant refusé leur concours pour faire disparaître cet em-
blème de désordre, le préfet dut conduire cette opération en per-
sonne, assisté de plusieurs détachement» de l'armée des Alpes.
Il en fut de même à Carcassonne, où» malgré les menacée des
anarchistes, cette mesure rassura les honnêtes gens. A Uiàs» à
Narbonne, des mascarades indécentes furent l'occasion d'outra-
gea contre le président de la République et de rixes déplorables*
1,4* autorités, complices de ces désordres, par leur indifférence»
furent immédiatement révoquées.
Ainsi partout fermentait le levain insurrectionnel* En vain la
révolution de février avait inauguré l'ère du suffrage universel*
Les démagogues ne devaient pas plus se soumettre au vœu de la
nation tout entière qu'ils ne s'étaient soumis à tous lea pouvoirs
élevés depuis cinquante ans. C'est que ce n'était pas nne ferme da
gouvernement qu'ils avaient attaqué jusqu'alors; c'était le gou-
vernement quel qu'il pût être, c'était la société elle-même.
LOI ÉLECT08ALE. 13»
i m. . . . il11 »
CHAPITRE IX.
1*1 feLBCTOfttUC
«V mammsisawa. -± Ptemiera MMutim, S
délibération, 15 février. — Amendera»! Chaftoa, capacité élecsaisJsj; le*
faillis, les condamnés civils, tes condamnés politiques; circonscriptions élec-
tjrafés; ^eée s* ehef-Iieu de canton, vote a la commune, tote à domicile,
^aav m JrVnn{ âa* anammlnMacr« es sa* JysUsasM ;. sMsmtint eïe* vef& necemlSJÉrn?
à réJeotioa; incapacités, l'adultère et M. Pksre Lorow, lUeti* de !«•**»
Terainelé absolue; incapacités territoriales, cumul, fonctionnaires, ostracisme
léaéisl, — n,issi<lai < m exception pour les fonctionnaires militaires, M. Cavai-
sjnc. tmmil** atitsicifiiojfte ds la loi; taMeao fêterai <f attrftmtW» ; fa*
désunie des refrésentaais. — Troisième délibération, • mars.— Yeéads»
ées en campagne, sollicitude de la Montagne pour les droits de Par*
; eneoae les iacompafibflFtés, les ministres, maintien des exclusions ; les
M. 'iVr-Wfr — VoU d'easapy*
La plus importante «Je* Mt efgannjues était sans doute ta M
électorale qui deuil organiser l'instrnfueiftt par eiceUenee de 11
RéToIution : le suffrage universel. Le rapport de la combMm
(ni ptéeenté par IL BiVauh le % février. La eominission s'était
oenteniée en fédéral de bao&farmer en lai définitive Je toi pro-
visoire qui avait sera am élections du 23 avril 134* et à l'dlen-
tion du 1 0 décanta. Elle y avait tait entrer en ouvre les tKsposi-
lia» pénales qui régissaient autrefois la matière. La Constitution
adasetlant fne lee eantona penrtaient être divisée en cmoneerip~
tiens électorales, la cemaMtsron avait les nains liées ; mai* elle
avait rédntt de quatre « très» le nombre des mmuseriptiemi
140 HISTOIRE DE FRANCK. (1849.)
qu'on pourrait établir. Elle avait conseryé l'élection par dépar-
tement malgré les inconvénients de ce mode, inconvénients qui
ne seraient qu'atténués par la réduction du nombre des députés
de 900 à 750. Elle établissait l'incompatibilité la plus rigoureuse
entre les fonctions publiques et la députa lion, rendant par là im-
possible un recrutement sérieux de la représentation nationale.
La première délibération s'ouvrit le 8 février.
De toutes les lois organiques, la loi électorale était peut-être
celle dont la Constitution avait le plus abrégé la tâcbe. Presque
toutes les qnestions importantes, les questions de principe étaient
résolues à l'avance. Parmi celles qui avaient été résecvées à la loi
organique, il n'y en avait vraiment que deux qui offrissent un in-
térêt politique, un intérêt législatif. La première était celle qui
avait pour but de fixer les exceptions au principe déjà consacré
des incompatibilités parlementaires; la seconde était relative an
nombre des circonscriptions électorales à établir dans chaque
canton. C'est à ces deux points que s'attachèrent principalement
ta divers orateurs qui prirent part à la discussion générale,
MM. de Champvans et Jobez firent subir au projet de la com-
mission des critiques sérieuses ayant pour but de défendre le
vote à la commune. Ils n'eurent pas de peine à démontrer que,
dans beaucoup de cas, le vote au chef-lieu de canton équivaut à la
suppression du droit électoral pour la majorité des habitants des
campagnes. Mais la division du canton en circonscriptions pour-
rait atténuer les défauts de ce mode de voter, et obvierait aux in-
convénient* incontestables qu'aurait, dans certaines parties de la
France, le vole à la commune, par ia difficulté de composer con-
venablement les bureaux, et d'assurer aux opérations «ne régula-
rité et une surveillance suffisantes.
Après avoir entendu la réponse en ce sens de M. Victor Le-
franc, membre de la commission, l'Assemblée vota la première
lecture de la loi (8 février).
La seconde délibération commença le 15 février.
M» Charton proposait de déclarer qu'à partir de l'année JfNHl,
les citoyens qui auraient atteint dans cette année l'âge de vtagt
«t un ans, ne seraient inscrits snr les listes électorales qu'en
prouvant leur aptitude à Mrs et à écrire* En vain M. Charton re-
LOI ÉLECTORALE. 141
culft-t-il le terme de l'épreuve jusqu'à Tannée 4 859, cette conces-
sion ne fit que précipiter la chute de l'ameftdement. Malgré un
sage discours de If. Ferdinand de Lasteyrie, la proposition Ait
repoussée par l'Assemblée , qui parut craindre de restreindre en
quoi que ce fût l'exercice du droit de suffrage consacré par la Con-
stitution. Les cinq premiers articles furent adoptés sans débat ou
renvoyés à la commission (15 février).
Le lendemain, au milieu de l'indifférence générale, vingt et un
articles furent adoptés presque sans discussion. Il n'y eut qu'un
seul scrutin pour un amendement de M. Emile Leroux, relatif
aux droits électoraux des faillis. Toutefois, une question grave
s'éleva tout à coup, et réveilla non l'attention sérieuse mais les
passions politiques* Y a-t-il de véritables crimes en matière poli-
tibue? Tout un côté de la Chambre eut le courage de le contester.
Les condamnations pour crimes entraînent la perte des droits
politiques, et au premier rang de ces droits figure naturellement
le droit électoral. La Chambre, par l'adoption^d'un amendement,
venait d'étendre cette incapacité aux condamnés pour crimes qui,
par l'application des circonstances atténuantes et de l'article 463
du Code pénal, n'auraient encouru que la simple peine de l'empri-
sonnement. L'amendement de M. Vezin donna lieu à M. Gent de
demander si l'on entendait appliquer la privation du droit électo-
ral à ceux qui auraient été condamnés correctionnellçment pour
crimes politiques. MM. Degousée et Lagrange rappelèrent. qu'ils
étaient d'anciens condamnés politiques ; ils déclarèrent s'hono-
rer de ce litre, et firent observer qu'un certain nombre de mem-
bres de l'Assemblée, à commencer par son président, se trouvaient
dans la même situation qu'eux. M* Vezin répondit que l'observa-
tion n'était pas fondée. Un décret du gouvernement provisoire
n'avait-il pas, en effet, effacé toutes les peines prononcées
en matière .politique sous la monarchie? Et, ajouta l'orateur,
quand même ce décret n'existerait pas, n'était-il pas évident
que la proclamation de la République et le .changement corn*
plet des principes du gouvernement entartraient le même ré-
sultat? Il ne s'agissait donc que de l'avenir, et les condamnés
delà monarchie de juillet n'avaient pas à craindre qu'on les pri-
vât, pour des faits périmés, de leur droit électoral. Mais la suscep-
142 HISTOIRE DE FRANCE. (1849.)
t&dfté des conspirateurs républicains allait pins loin qu'an ouWfi.
M* Lagrange fat plus conséquent en démandant qu'on substituât
aux UMts de oondatnnés pour crimes politiques, ceux de condam-
nés pour faite politiques. €'éfarit déclarer nettement qu'en politi-
que il n'y a pas de crime ; c'était justifier à l'avance toute insur-
rection, quel qu'en fût le principe. N'est-ce pas là la théorie révo-
lutionnaire par excellence, qui reirverse tontes les idées de droit
et de moralité publique, et leur substitue la violence victorieuse
ou vaincue. Apre» une discussion aussi vive que confuse, l'amen-
dement fat renvoyé à la commission ( 16 février) .
La question fut vidée le lendemain. Une disposition proposée
par la commission, et votée immédiatement, porta que Tinter-
diction du droit électoral ne serait pas applicable aux condamnés
mi matière politique, si cette interdiction n'avait pas été pronon-
cée par l'arrêt de condamnation.
Un amendement de M. Dufournel appela ensuite l'attention
«ur une disposition fondamentale. La commission, on Ta vu,
avait réduit de quatre à trois le nombre des circonscriptions
électorales à établir dans un seul canton, changeant ainsi ce qui
avait été adopté pour l'élection du président. Était-ce un pas
vers la suppression ultérieure de toute division, vers f obligation
de voter au chef-lieu de canton?
La oonnnisoîon avait décidé, à la majorité <Tone aenie voix,
une antre innovation : c'était de transférer des conseils généraux
an conseil d'État la distribution du canton en circonscriptions.
Pour l'élection du 40 décembre, les préfets avaient présenté un
travail préparatoire, et les conseils généraux avaient décidé. La
commission enlevait la décision au corps le plus compétent pour
la remettre au conseil d'État, à qui préfets et conseils générant
devraient simultanément flaire connaître leur avis. C'était don-
an conseil d'État une besogne longue et fastidieuse sans qtoe
intervention pût être d'aucune utilité : les conseils d'État, si
savants qu'ils pussent être, ne s'érigeraient jamais en arbitres
aérien de ees détails géographiques. La commisrion sacriOtrît
encore à cette manie, trop enracinée en France, de ramener
dans les bureaux de la capitale la solution d'affaires qui peuvent,
plus rite et beaucoup mieux, se décider tar les lient.
LOI ÉLECTORALE. U*
H. dofomuri n'eut point de peine a démontrer que la réduc-
tion des circonscriptions de quatre a trois n'était point indilR-
rente. font dépend en effet des localités : là on la population
est très-concentrée et où la multitude des centres importants a
multiplié les cantons, dans le Nord, par exemple, il suffit peut-
être de deux circonscriptions ponr que l'électeur n'ait pas plus
cTone lieae à ftrire pour aller roter: Dans la Hante-Saône, an
contraire, même arec quatre circonscriptions, telles commune*
peinent avoir trois lieues à faire pour aller roter et autant pont
revenir. A côté du département du Tford, dans celui do Pas-de-
Calais, il est tels cantons qui ont vingt-trois communes et même
plus. Arec quatre circonscriptions» cela fait encore six communes
i roter an mémo lieu, ce qui suppose au moins trots lieues à
frire pour les communes les ptus excentriques; supprimez une
circonscription, le nombre des communes s'élèvera de six à huit
par chaque division, et la distance à franchir ponr certains élec-
teurs s'acfcrofcra d'autant. Que serait-ce si l'on prenait par
exemple quelques-uns des départements de montagnes, on cer-
tains départements du midi et du centre, où la faiblesse de la
population et le petit nombre des localités importantes, en ren-
dant impossible ta multiplication des cantons, a conduit & don-
ner aux cantons une très-grande extension. Le conseil général
de fora avait constaté par exemple que les électeurs d'un grand
nombre de communes de ce département araient eu, danà ré-
fection du 10 décembre, plus de seize kilomètres à faire, malgré
la division en quatre circonscriptions. Imposer à un électeur Id
nécessité de faire boit lieues dans sa journée, n'est-ce pas lui
faire acheter bien cher le droit de voter, ou plutôt n'est-ce pas
lai retirer d'une main ce qu'on fait semblant de lui donner de
r antre?
Bans on discours de M. de Montalembert qui soutint l'amen-
dement de M. Dufournel, la question de procédure et d'intérêt
local s'agrandit jusqu'aux proportions d'une question politique.
Arec le rote au chef-lieu de canton, y n-t-il égalité entre l'habi-
tant des Tilles qui vote à sa porte et à son loisir, sans que ses af-
faires en soient an seal instant interrompues, et Thabitant des
campagnes qui aurait dix ou douze lieues à faire pour aller voter,
144 HISTOIRE DE FRANGE, (1849.)
et qui expierait l'exercice de son droit par un triple sacrifice de
temps, d'argent el de fatigue? Ne serait-ce pas en réalité on
véritable privilège dont on investirait huit à dix millions de ci-
toyens au préjudice d'une population agricole de viogtrdnq mil-
lions. H. de Montalembert, établissant que le sentiment de cette
inégalité était au fond de tous les esprits, chez ceux qui en souf-
frent autant que chez ceux qui voudraient en profiter, montra,
avec une grande force, quelles seraient les conséquences péril-
leuses d'une pareille injustice, si l'immense majorité des paysans
venait à concevoir le soupçon que rétablissement de ce privilège
inique est le résultat d'une pensée de défiance et d'un calcul
d'ambition.
Cette vive argumentation, accueillie par les clameurs de la
Montagne, ne fut réfutée ni par M. Saint- Romme, ni par
M. Billault. Ce dernier crut avoir bon marché de l'extension des
circonscriptions, en l'exagérant dans l'application jusqu'au voU
à domicile, comme si l'exagération du système opposé ne pou-*
vait pas être appelé avec aussi peu de raison le vote à Paris*
Au reste, la commission céda sur le point essentiel et admit
quatre circonscriptions au lieu de trois. La disposition du pro-
jet, ainsi modifiée, fut adoptée à une immense majorité. Sur ce
point donc, la loi nouvelle reproduirait purement et simple-
ment le décret du 28. octobre 1848, relatif i l'élection présiden-
tielle.
Restait à décider une autre question. Par qui serait dressé le
tableau des circonscriptions électorales? Le projet, on Ta vu, en
attribuait la formation au conseil d'État. Un amendement de
M. de Kerdrel, vivement soutenu par M. de Montalembert, ré-
clama le maintien pur et simple du décret du 28 octobre, qui
attribuait au préfet le soin de dresser ce tableau, conformément à
l'avis du conseil général* La commission se rendit sur ce second
point comme sur le premier, et la disposition du projet fut modi-
fiée en ce sens, malgré l'argumentation subtile de M. Jules Favre,
qui demandait le renvoi à la commission, malgré le rapporteur
de la commission, M. Billault, qui se séparait ici de la commis-
sion qui l'avait chargé de la représenter. Sur ce point encore,
le décret du 28 octobre fut maintenu purement et simplement,
JLGI ÉLECTORALE. 146
grâce a l'adoption <Ton amendement de MU. Ttédern et de (Saint-
Priest (17 février).
Après on grand nombre d'articles adoptés sans discussion in*- *
portante (19 février), «ne question grave fut agitée.
La commission avait proposé que nul ne ftt proclamé repré* »
sentant au premier tour de scrutin s'il n'avait réuni an nombre
de voix égal au huitième de celui des électeurs inscrits. La né».
cessité d'une disposition semblable était universellement com-
prise, car le minimum de 2,000 voix fiié par le décret du
Gouvernement provisoire ne semblait qa une garantie dérisoire.
Od avait vu quelques semaines auparavant, dans le département
do Haut-Rhin, qui compte plus de 100,000 électeurs, un candi- •
dat élu par une minorité compacte do 7,000 voit sur 30,000 vo-
tants, 23,000 voix s'étant divisées sur trois on quatre candidats
de la même opinion. Ce seul exemple, qui confirmait d'une
manière si éclatante un raisonnement que tout le monde avait
déjà fait, prouvait qu'avec le mode d'élection usité jusqu'ici, la
minorité pourrait remporter sur la majorité, et que le suffrage
universel pourrait être faussé. Il fallait donc une limite qui ne .
permit pas qu'on put être élu uniquement avec la majorité rela-
tive et par une sorte de surprise. D'un autre eAté, il était im-
possible d'exiger la majorité absolue qui seule1 écarterait toutes
les chances d'erreurs, mais qui entraînerait des épreuves trop
multipliées et de trop grands sacrifices de. temps de la part des
électeurs. A quelle limite convenait-il de s'arrêter ; quelle pro-
portion fallait-il exiger entre tes voix obtenues d'une paît, et de
l'autre le nombre des suffrages exprimés et des électeurs in-
scrits. M. Wolowski demandait que le nombre de voix obtenues
fût égal au cinquième des électeurs inscrits, et il appuyait sa
proposition sur un travail statistique, duquel il résultait qu'au* .
cuo des représentants élus en avril dernier, n'avait réuni moins
du cinquième des votants, ni du cinquième des électeurs in*
scrits. M. Wolowski en concluait que son, amendement n'avait
rien d'exagéré. M. Freslon Ht observer que les élections du mois -.
d'avril précèdent devaient être considérées comme des élections •
exceptionnelles, qu'il ne fallait pas compter à l'avenir sur le .
même empressement de la part des électeurs» et qu'on en pou*
10
iiêf HISTOIRE BE FRANCE. (1849.)
vafe juger par ce qui rtteB passé «m éjections partieRes. H j
avait d'ailleurs un inconvénient à fixer un nrinimnm trop difficile
a attendre et i trop multiplier le» nouvelles épreuves; on serait
toujours obligé, pies tôt ou plus tard, à admettre ta majorité
relative comme suffisante, et k multiplicité dés opérations au-
rait pour effet de fatiguer les électeur* et de les rendre indiffé-
rente au résultat ; la minorité}, toujours mieux disciplinée et
plue compacte, finirait par conquérir kt majorité relative, et fa
toi irait ainsi contre son bot.
L'Assemblée repoussa l'amendement de M. Wolowski.
Un amendement de M. de Ktrdrel, qui exigeait pour la validité
d'usé élection un nombre de voix égal au sixième des électeurs
inscrits et au quart des votants, paraissait offrir les garanties dé-
sirables sans présenter les mêmes difficultés pratiques. L'As-
nawfcWo le repoussa à «ne faible majorité, et eHe adopta les
propositions de la commission . .
Les articles suivants furent votés très-rapidement jusqu'à
l'article 73, qui donna lieu à une fouie d'amendements et sou-*
leva la discussion la plus confuse. Il s'agissait de régler les con-
ditions d'éligibilité. Il semblait, aux termes de la Constitution»
qu'il ne devait y avoir entre l'électorat et l'éligibilité d'autre dis-
tiuctton que celle qui résulte de l'âge, et que tout électeur âgé
de vingt-cinq ans devait être éligible. La commission avait pensé,
au contraire, qu'il était possible et convenable d'apporter a Té*
IigâMlité ptes de restrictions qu'à r électoral.
Le» amendements surgirent alors pour étendre ou restreindre
les incapacités* On lit valoir, en laveur de ceux qui ont été dé-
tenus tfons une maison de sauté, que tels ou tels nommes éraK
Beats avaient été momentanément frappés d'aliénation mentale,
efr eu fcvear des oendamnés pour vols, que c'était attacher une
peine bien grave i certains délits qui pouvaient être excusables
par rage du coupable eu les circonstances, et qui pouvaient
avoir été amplement rachetés. Toutes ces argumentations, dans le
seua de la rigueur ou dans le sens de l'indulgence, avaient le tort de
conclure toujours du particulier au générât On devait du reste le
prévoir, du moment que la commission, au lieu de reprendre sim-
plement le tort* de le Constitution, l'expliquait et le commentait.
LOI ÉLECTORALE. 1*7
Àtr moment e& fc discussion paraissait épuisée, et où tous
les amendements avaient été rfejetés, H. Pierre Leroux demanda
qtrtnv ajoutât, à là liste des inéligibles, les individus condamnés
pour adultère. Cette proposition n'avait rien que de plausible,
car quels que soient les ménagements ou les erreurs de l'opi-
nion, fi est certain qu"aut yeux de la morale, le délit d'adultère
est etr dès phi? gravies qui se puissent commettre, et qui lèse Ta
société plus profondément que bien des délits de vol. M est cer-
tria encore que faduftère, dans quelques cas, se complique du
MM de vol. Mais ce n'était pas au nom de la morale que M. Pierre
Lereox demandait Pinéligibifité des individus condamnés pour
«Mrére. Cétart, dît-il, pour montrer à l'Assemblée l'absurdité
de» restrictions mises par elle â réTrgibilité. ST. Pierre Leroux
était d'avis que rétabtis&ement de toute catégorie est une viola*
tien dfr principe de la souveraineté populaire. Le peuple est et
demeure éternellement souverain, et personne ne peut lui inter-
dire m choix qui luiplatt, même quand ce chorx tomberait sur un
tndmda indigne, parce que celni-ci serait purifié immédiatement
par la vertu deTélection populaire. M. Pierre Leroux niait donc le
droit de l'Assemblée 3 établir aucune incapacité et à confisquer
1* souveraineté d'aucun collège électoral. Il ne s'apercevait pas
que son raisonnement allait contre tous les actes de l'Assemblée
et contre fe principe même du gouvernement représentatif. Si la
souveraineté populaire est non-seulement inaliénable, mais in-
transmissible, les actes de l'Assemblée actuelle et de toute Assem-
blée n'adraïent aucune valeur; toutes les constitutions sont illu-
soires si le peuple garde toujours sa souveraineté par devers lui,
même lorsqu'il a eboïsi des mandataires; it est toujours Tibre en
effet de déclarer que Tes actes de ses mandataires ne lui convien-
nent pas on ne loi conviennent plus, et il ne sera jamais lié par
rien, sTf ne peut Fêtre par les décisions de ses représentants. Si
donc FÀssemWée avait eu le droit de faire une Constitution, elle
avairle droit dé statuer sur toute matière, même sur les con-
dMoés <fe l'éligibilité, et aucun collège électoral ne pouvait mettre
m tokmté an-dessus <fc ceffe de la réunion des représentants de
f* France entière. Le point de départ de M. Pierre Leroux était
erroné, ef sa conclusion était plus singulière encore; ce n'était
148 HISTOIRE DE FRANCE. (1849.)
pas après avoir protesté contre rétablissement de toute incompa-
tibilité qu'il devait en proposer une nouvelle. /
Ces objections furent présentées arec force par M. Base*
M. Billault combattit avec esprit l'amendement de M. Pierre
Leroui, qui n'était au fond qu'une épigramme. L'argumenta-
tion de M. Billault avait paru ramener la question à ce qu'elle
devait être, une question d'application pratique et non pas une
question de pure morale. C'est moins la criminalité du délit
qu'il s'agissait de prendre en considération, que l'ordre des faits
auquel il appartient et qui impose au législateur une réserve
exceptionnelle. 11 ne faut pas appeler le scandale, là où le légis-
lateur fait continuellement effort pour l'empêcher d'éclater au
foyer domestique. L'amendement cependant fut adopté. Une
première épreuve avait été déclarée douteuse* Après la seconde,
le président avait déclaré l'amendement rejeté, mais une dis-
cussion s'éleva au sein du bureau qui se trouva partagé : trois
pour l'affirmative, trois pour la négative et un abstenant* Le
président dut donc ordonner un scrutin, mais, dans l'intervalle
de cette discussion, la salle s'était dégarnie, plus de deux Cent cin-
quante membres l'avaient quittée après la proclamation d'un ré-
sultat qu'ils croyaient définitif, et il restait juste quinze membres
de plus que le nombre strictement nécessaire. Uue majorité as-
sez faible, sur 515 votants, se déclara pour l'amendement
(2i février).
La Chambre s'occupa ensuite des incapacités territoriales,
c'est-à-dire des circonstances de position et de lieu qui pri-
vaient du droit d'être élu un certain nombre de fonctionnaires.
En effet, la Constitution établit en termes généraux, et la loi
proposait de consacrer une incompatibilité absolue entre toute
fonction publique et le mandat de représentant. Nul ne pourrait
donc être élu représentant sans avoir cessé ou sans cesser immé-
diatement d'être fonctionnaire; mais il semblait qu'à la condi-
tion de se dépouiller des fonctions qu'il occupe, tout citoyen
dût pouvoir devenir éligible. La commission ne l'avait pas pensé.
Elle avait repris et aggravé une disposition de l'ancienne législa-
tion, qui interdisait à un petit nombre de fonctionnaires, même
démissionnaires, le droit d'élre élus dans leur ressort adminii-
LOI ÉLECTORALE. 14»
tratif, aftot cm certain delà Cette précaution législative se
comprenait parfaitement avec l'ancien régime électoral, qui
fractionnait les collèges électoraux, et qui autorisait le cumul
de» fonctions publiques avec la dépatation. Lorsqu'on petit
nombre de voix décidaient de toute élection, il est évident que
l'influence <to fonctionnaire* dans le lieu même où il exerçait de
hautes fondions administratives , aurait assuré l'élection et la
réérection ultérieure du dépoté, et que l'influence du député aurait
protégé le fonctionnaire contre toute atteinte. Un député dans
cette situation, par un emploi habile de sa double influence de
fonctionnaire et d'homme politique, se serait sans peine assuré
la perpétuité. Le même danger existait^} aujourd'hui? Pion, sans
doute : avec les conditions d'élection, les conditions d'éligibilité
avaient été singulièrement modifiées.
L'article 74 appliquait simplement le principe écrit dans ht
Constitution, portant interdiction du cumul entre les fonctions
publiques et le mandat législatif. L'article 75 établissait les di-
verses catégories d'incompatibilités purement locales dont nous
venons de parler. L'article 76 étendait même cette interdiction
aux six mois qui suivcaient la démission du fonctionnaire, sa
- destitution ou son changement de résidence. Seulement il étar
bKssait nue exception transitoire en faveur du fonctionnaire qui
se serait démis avant la promulgation de la loi nouvelle, ou dans
les dix jours qui suivraient cette promulgation.
La discussion porta d'abord sur les diférentes catégories éta-
blies dans l'article 75. if. Bruoel se prononça contre ce système
dans un piquant discours dont le bot, spirituellement avoué, était
do sauver les présidents des tribnnaux,, c'est-à-dire M. Brunel
lui-même. Le plaidoyer n'eut pas gain de cause devant la Cham-
bre. Lee présidente de chambre dans les cours d'appel ne furent
pas plue heureux : les membres des parquets, les conseillers de
préfecture, les inspecteurs d'académies, les intendants militaires,
-tes présidents des consistoires protestants, vinrent tour à tour
grossir la liste des incapacités. Presque toute* les nouvelles ex-
cusions proposées par amendement furent votées sans discussion
sérieuse, et toutes celles dont le projet avait pris l'initiative
furent ameîlKes d'examen. L'Assemblée votait de parti pris. Les
150 HISTOIRE DE FftttfOG. (1849.)
moindres fonctionnaires, jiiafu'aux sous inspectant* des tandis,
furent déclarés inéligibles, vu l'influence dont ik disposent dans
leur département, La, Montagne qui, k eeiUe, accneHkit asec
eathoiniaaine les protestations de M. Pierre Lerou* mata* taule
restriction emportée au choix du .peqpk» s'empressait de voter
.des exclusions du moment qu'elles ne s'adressaient pipe A d'ân-
ciens voleur» ou à des aliénés guéris, mais à tout ee qui aepré-
sente ia science on r intelligence (12 lévrier )•
C'est à peine si les minuties purent réchappera l'estmakuie,
ai il. Besnard recueillit les applaudissements de -la Montagne
i|uaad il se prononça pour leur exclusion. En revanche, ks anus*
.secrétaires d'Étal furent sacrifiés, décision fâcheuse q«, en ne
permettant pas aux représentants du peuple d'acquérir la pra-
tique des affaires, obligerait t&t ou tard à choisir ks mtnistras en
.dehors de l'Assemblée nationale* MM. Freskn <et ttUanit es-
sayèrent inutilement de faire comprendre que tes postes de
secrétakes,d'Ét*ft sont la vérjlabte éeek #u se foraient les
ânes capables de devenir un jour des ministres pratiquée. U kMat
un vête au scrutin pour raakuenir sur k liste des éligihtes le
procureur général i la cour de cassatkf . Le peeonrour général
à k«coor d'appel de Paris ne. passa qu'après ttnc<épeenra4kn-
teuse. Le préfet de k Seine fut moins heureux. ItoApé k nsm~
mission, l'incompatibilité fut mainteene à son égard, hien qn'ae-
cune raison ne pût être alléguée .pour les caprines et «as
.exclusions ou de ces admissions. Le commandant -supérieur
des gardes nationales de k Seine, admis par k eomenssioft* k
Ait également par k Chambre; cependant .en ne miisa tout à
•coup, et au moyen d'un article additionnel* il fut décidé «qu'il
jae pourrait être élu dans k département de k Seine.
Chose pins étrange encore, conformément A un article
posé par k commksiott, les professeurs nommé» an
ou sur k présentation de leurs ceUégas, pourraient srannlrr k
professorat arec k députatioa. D'eilteu» on hoena f aaaqptien
aux professeurs qui exerceraient leurs -fondions è*m k tien *û
aiégerait l'Assemblée nationale „ à Paris sans delà, flrarirat
qu'on admettait tes professeurs, en rejetait tonte k mn&*mtom
inamovible* M» Afiks ne put même obtenir une
LOI ÊLBCTOfcALIL 191
hmr dos magistrats de Faris, dont IcefrnoÉunotso* sons douté
oeuapeâMas «rue la déportation que«eMeg de
sisrtsl La «mut 4e rssiusliun, sa cour dm
«uftfâtoyaMeumnt rayées. A fMe si Ton écouta les otaasuri qui
dmrrfcniont ktme revenir U Chambre sur cafte rigidité déplo-
rable.. IL 4e Kerdrel, M. Berryer, force* Bjstésnetiqoesnent in-
terrompus par des cm incessants parti* deefeancs<de la Montagne.
Ni les admonestations répétées de président, m le seutmout de
la dignité de l'Assemblée, ne- purent empêcher celle regrettable
violation de la liberté de la tribune (25 février).
Ainsi était introduit dans la loi électorale d'un pays itpuMt
eaia le principe aristocratique par exfcellenee, estai qui réserve ta
défHJtation aux positions les pins isolées, an «fortunes oisives.
L'abus des fonctionnaires avait été un des reprocfaes le plus sou-
vent adressé à la monarchie de juillet. Bientôt, si l'Assemblfc
ne revenait pas sur ces décisions Odieuses, 11 ne s*en trouverait
plus. 4io seul dans la représentation nasteaoss. Or, cette Assem-
blée qui exagérait ainsi la réforme de février, dans see temris-
siens, dans ses comités si nombreux, appelait incessamment,
.peur résoudre les questions les plue importantes, les fonction^
«aires si nesnbreux qu'elle renfermait dans son sein. Ce concoure
qui lui avait été si utile, elle ie reftisait a J'avance aux Aesen»-
Uées qui lui succéderaient Toutefois , la Chambre qui sfétait
montrée si rigoureuse pour les fonctionnaires «vils, censaera une
grande exception, on véritable privilège en faveur des fonctïcto-
uairus miiitatm. €eax-cî do moins pourraient être nommés
représentante, grâce à la distinction qui existe dans Tannée entre
l'emploi et le grade. Le fonctionnaire civil qui donnerait sa dé-
mission pour avoir outrée dans la Chambre, perdrait tout. Aria*
de son mandat législatif, il ne retrouverait plus sa place : i
lit complètement saovié sa carrière. L'efeier conserverait sou
jpade et ne neaunoemit amseataaément qu'à remploi qu'il pour-
«ait toujours reprendre. La oomnrissien voulait lemetlro à une loi
ultérieure le sein de déterminer la ?Qsititm«les usSiteires appelés
à siéger dans la législature. MsL le sjénécsiCfevuiguac, Ambevt,
Chartes, Baragtmy^llillinri, présentèrent shKeou nir amendé
uuent ayant pour objet de décider immédiatement la questions
158 HISTOttE m FRANCE. (1849.)
Tout officier nommé représentant <a le droit 4e siéger; mais,
d'un entra oèté, le ministre de le guerre a droit d'eliger qu'un
colonel toit à la tète * un régiment et qu'un capitaine commande
sa compagnie, et, en cas d'absence sans congé, de faire rayer
des contrôles l'officier absent. 11 importait donc de donner, par
la loi, one position officielle aux militaires devenus représen-
tants. Un amendement de M. le général Baraguay-d'Hiliiers,
auquel se rallièrent immédiatement les auteurs des autres amen-
dements et une partie de la commission, fut adopté par l'Assem-
blée. À l'avenir, un officier1 éki représentant du peuple serait
considéré comme étant en mission hors eadre, les sous-officiers
et soldats comme étant en congé temporaire pendant toute la
durée de leur mandat. Cette disposition, parfaitement sage, con-
etttait tous les intérêts, assurait l'indépendance du représentant
et empêchait en même temps que l'honneur d'être élu par ses
concitoyens ne brisât sa carrière.
M. Rolland demanda que les élections pour les vacances surve-
nues dans le sein de l'Assemblée eussent lieu tous les ans, à une
époque fixe. Ce système, qui avait pour objet d'empêcher la fré-
quence des élections partielles, substituait, selon quelques-uns, un
mal plus grand à l'inconvénient qu'il supprimait. ÉtaiMl possible
de laisser incomplètes pendant dix ou onze mois Jes députations
d'un certain nombre de départements ; et, dans le cas où une
fraction un peu nombreuso de l'Assemblée, aurait eu des motife
politiques pour donner sa démission en massé, la représentation
nationale aurait été condamnée à demeurer mutilée pendant on
temps assez long.
L'Assemblée vola sans difficulté tous les articles suivants jus-
qu'à l'article 87. EHe renvoya à la discussion du tableau général
les innombrables amendements que Ht naître la répartition des
750 représentants entre les départements. Pour donner une idée
de l'exagération de certaines prétentions, les dépotés de l'Al-
gérie reclassaient sont représentants au lieu de trois. Ils se fon-
daient sur ce qne l'Algérie contient deux imitions et demi d'A-
rabes. On aurait compris et la réclamation et l'argument, si les
Arabes étaient admis à voler; mais comme il n'en était rien et
qu'il n'en serait rien d'ici longtemps, trois représentants pour
LOI ÉLECTORALE. 15S
environ 400,4*6 Français paraissaient une représentation suf-
lisante. En prenant ce nombre, an lien d'appliquer à l'Algérie
la règle rigoureuse, la comariKion avait suffisamment lenn
compte de l'importance de la colonie. Il ne faHait pat oublier,
d*aillears, que le tableau est soumis à une révision pério-
dique.
On pouvait approuver également la commission d'avoir réduit
de trois à deux les représentants de la Martinique et de la Gua-
deloupe; il y avait une trop grande disproportion entre les An-
tilles françaises qui avaient i elles deux six représentants et les
autres colonies qui n'en avaient chacune qu'un .seul. De toutes
les réclamations dont le comité des -colonies s'était fait l'organe,
ne *eule paraissait légitime et bien fondée, c'était celle de nos
établissements de Flnde. Pondicbéry, par son importance cora-
merriale on militaire, ou par sa population, semblait valoir sinon
dépasser nos établissements du -Sénégal et de la Guyane, qui ont
chacun un représentant, et cette station n'est pas plus éloignée
que Me Bourbon. Si donc on persistait dans la pensée que les co-
lonies devaient être représentée* directement dans la législature,
il paraissait impossible de refuser un représentant à nos éta-
blissements de l'Inde, sans manqoer à la politique et à l'équité.
Il semblait seulement qu'on devrait établir entre les élections
des colonies el les élections en France, la même différence
qu'entre les élections pour la législature et l'élection pour la
présidence^ Celle-ci a lieu de droit loos Je* quatre ans , le
deuxième dimanche de mai. Pourquoi les élections des colonies
n'auraienh-elies paa lieu tous les trois ans, i une date fixe, de
manière i ee que les représentants en exercice siégeassent jus-
qu'à l'arrivée de leurs successeurs, De cette façon, il n'y aurait
jamais interruption dans la représentation des colonies. Dans le
système actuel, au contraire,1 il fallait qu'un bâtiment de l'État
portât aux colonies un décret de convocation, qu'un intervalle fat
donné pour la préparation des listes et l'accomplissement de l'é-
lection, il fallait- que Jet élu» vinssent en France. H en résultait
des délais -énormes. Les représentants des Antilles n'étaient
arrivés qu'après le vote de la Constitution ; celui du Sénégal, un
mois après. Les représentants de la Guyane et de l'Ile Bourbon
16* HISTOIRE DE FRANCK. (1849.)
n'étaient pas «Mare arrivée et n'arriveraient peai être qu'après
la séparation de l'Assemblée. H n'en seuil pas Aoot à fibt de
même peur leuro successeurs, me» il était évident qae les colo-
nies seraient sa» représentant* pendant la mejener partie de) le
prochaine législature et de tontes les législatures subséquentes,
si une disposition spéciale n'était pas adoptée (26 février). •
Cependant le privilège accordé au* officie» de f année déterre
et de mer avait lait espérer qu'an certain aombee de fonctMMt»
Bakes de Tordre ci? il pourraient revendiquer le bénéfice de Je
distinction établie entre le grade et l'emploi. Plusieurs
monts se produisirent en ce sens ; mais les ingénieurs des
et-cbaussées et des mines purent seuls trouver grâce. Encore an
article additionnel coolinua-4-il à prescrire que les ingénieurs,
avant d'accepter le mandat législatif, seraient forcé* de
d'abord leur démission ; seulement il (ut décrété qu'après ï
ration de leur mandat ils retrenveraâsni l'aptitude légale
rentrer dans leurs eerps.
Ce point vidé, l'Assemblée vota, sans incident, depuis fi
ticle 88 jusqu'à l'article 106. Un instant seulement les passions
lurent soulevées par la question de l'indemnité atlonfa au* «pré-
sentante du peuple. M. Raudot <de l'Yonne) proposait de In Anr
i £00 fr. par mois. M. Merin<de la Drome) demandait qateiie f*t
supprimée pendant les prorogations. Ni l'un ni r antre ne pnt
développer son amendement : l'Assemblée parut déterminée à
ne laisser parler personne sur ee sujet «délicat, et la vom dm ara*
leurs lut couverte par le bruit L'artkle de ta cnmunimisa Ait
adopté; il fiiait l'indemnité , non-pas eomme juequ'nloœ, à
23 fr. par jour, mais i 9,000 fr. par an, et, sar la propositiea
de M. Luaeau, cette indemnité fut déclarée iiùsiMvble ea tota-
lité <*7 février),
ici revenait le tableau d'attribution réglant le. nombre dm
représentants à élire par chaque département. Le préfet de la
commission remporta dans tontes ses parties, malgré les
réclamations dm colonies. Le général iamericière obtint
ment que les trois députés de l'Algérie, no lien d'ôtte
par l'ensemble des colons, fussent partagée entre les trois die>
tricls de l'ouest, du centra et de Teet (m lévrier).
LUI ÉLHGTOBALE. 185
Le 6 nais fcrtourerte la dernière délibération sur la M. Un
grand ncnère d'anundentents furent votés sans débat. Laqaee-
tioD des délais que la confectionnes listes électorales ponoait en-
traîner agita. lécèmmeot les esprits C'était encore Fhnéadencnt
de M. liatenn Teotefois, la Chambre cenpa coart à toute diffienMé
en adaptant an nepandeneat qui portait qu'en nocnu cas ces dé-
lais n'eacéfariéB»! le terme de empaille joui*. Ce terne atteint,
on procéderait, quai qu'il irritât, aax opérations-électorales. On
te «ait, l'issonbtée avait pris an sérieux son honorable réao-
i/artide t#, relatif an vite de Tannée, souleva une dtacmsien
me, et la séance fiait an milieu d'un iadteibie tumulte. On
■ronbro awnit d aminée qne IVnetcioe do droit électoral fàt sus-
pendu pour les soldats de l'année de tente <et de ner pendant la
4uréedefeur seruiee netiL Les raisons de discipline «e «an-
quaient pas sans doute poar soutenir estle disposition. Mais
j'infudennul Art -npoussé par la question préalable , eomne
coutrtineau principe «baolu dn suffrage «nirenél. Cependant,
-dans la preultèro léiseaoaiw , «n paragraphe avait été adopté
ponr inftreMue an an nains sospendre i'oxenme de ee droit
pour les années «n campagne. Ce paragraphe, présenté par la
aase tne rédaction uoimlte, eidfta me véritable
4* Chanfam resta Mêle au bon sens et i ette-néne
en adaptant 3e paragraphe de la Commission. La Montagne uon-
mençait déjà à monopoliser la sollicitude ponr l'armée : elle uen-
tet «cnamtor «s «dispositions nouvelles en réclament te scrutin
pardiiwiou. Mais la vote dtak d$à cemmfeiioé et le président ne
put émre dit* à la demande < 7 nam )•
Lu 3, klfanmbfuaolaquiuae antres articles. La dimaasiou se
mina dm des question* eeat lois rebattues. IL Lagraage
eape encornée finre reaeair l'Aseemblée sur la disposition si
auneMe qni «olerdisaÉt l'enesciceéa droit électoral m militaires
«n campagne. Maie, snr quelques observations de bon sens fartée
par M. Je fénénd Oudâaet, l'amendement de M. Lagraage fat
répoussé à une «amenée majorité.
«n demandait encore .que las soldais en gs raison dans tes «o-
Inum, et les snnns en station, fuapatudmis i «oter avec les
156 HISTOIRE DE FRANCK. (1849.)
colon». Cet amendement, combattu par M. Mathieu Louisy,-l'un
des représentants des colonies, eut le même sort que celui de
M. Lagrange.
On rejeta enfin, mats à une majorité très-faible, an amende-
ment qui avait déjà balancé le* toix dans la première délibéra-
tion. Les députés étaient nommés aujourd'hui au scrutin de
liste, c'est-à-dire i la majorité relative. Le décret exigeait seule-
ment que celte majorité représentât le huitième des électeurs
inscrits. L'amendement voulait en outre qu'elle fàt égale au
quart des suffrages exprimés. Ainsi nul n'aurait pu être proclamé
député au premier tour de scrutin, qu'en réunissant trois condi-
tions : la majorité relative, un nombre de voix égal au huitième
des électeurs inscrits, et le quart des suffrages exprimés. C'est
cette dernière condition qui ne fut pas admise.
Le 40 mars, revint la question des incompatibilités. M. Fré-
déric Bastiat demanda de nouveau que l'incapacité s'étendit aux
ministres. M. Saint-Gaudens défendit l'amendement, qu'un mem-
bre de la commission, M. Charlemagne, combattit avec bonheur.
M. de Lamartine prit la parole sans terminer le débat. Sans
doute, M. Bastiat n'avait d'autre intention que celle, fort hono-
rable, de supprimer l'ambition et les luttes de parti dans un
Gouvernement libre; mais, par le fait, il arrivait à supprimer le
Gouvernement lui-même. Que seraient, en effet, des ministres
n'appartenant pas à la Chambre devant laquelle ils comparaî-
traient comme des accusés devant leurs juges; des ministres pris
parmi les rebuts du suffrage universel, dans les rangs des candi-
dats malheureux ? Quelle serait leur autorité morale et comment
pourraient-ils suffire à la lourde tâche de défendre le pouvoir
exécutif devant un pouvoir législatif ombrageux et jaloux? Il ar-
riverait sans doute que le pouvoir législatif absorberait entière-
ment le pouvoir exécutif. La Chambre gouvernerait par ses comi-
tés. Aucune indépendance pour les ministres, partant plus de
responsabilité. Ils recevraient des ordres. C'était encore là le
système de M. Grévy et de la Montagne, le Gouvernement tran-
sporté dans les Assemblées législatives (40 mars).
Le 15, la Chambre, fit, à une immense majorité, justice de
l'amendement de M. Bastiat. Elle fit encore acte de bon sens po-
LOI ÉLECTORALE. 157
litk)ue en rétablissant le préfet de la Seine sur la liste des fonc-
tionnaires qui pourraient être dépités. Mais l'exclusion fut
maintenue pour les sous-secrétaires d'État, pour le préfet de
police, pour la magistrature inamovible. Une exception, propo-
sée par la commission ette-méme, en laveur des présidents et
dee conseillers delà cour dé cassation, ne fut pas admise, et un
moment on put craindre que le procureur général près la même
cour, ne fût, malgré la décision précédente de la Chambre, enve-
loppé dans la proscription universelle de la magistrature*
La Chambre décida enfin, sur la proposition de M. Gombarel
de Leyval, que toute mission temporaire qui se prolongerait plus
de six mois, emporterait) après ce terme, la démission du député
qui l'aurait acceptée*
Toutes ces décisions furent prises au milieu des cris d'impa-
tience qui couvraient la voix des orateurs. Seul, M. l'abbé Payet
parvint à foire écouter un discoors spirituel contre le système
général des incompatibilités (43 mars).
La discussion porta ensuite sur deux amendements proposés
par la commission, l'un sur l'article £2, l'autre sur l'article 85.
Lé premier avait pour- but d'étendre à tous les professeurs in-
distinctement l'exception que le premier projet avait restreinte
aux professeurs qui exerceraient leurs fonctions dans le Heu où
siège l'Assemblée nationale. L'Assemblée rejeta l'amendement
et maintint son premier vote. Le second amendement proposé
par la commission portait que, pendant la durée de leur mandat,
les officiers de tout grade et de toutes armes, nommés représen-
tants du peuple, seraient considérés comme étant en non-acti-
vité, tandis que» d'après le premier, ils étaient considérée comme
en mission hors cadre. Cette disposition nouvelle, dont fe sens
fut clairement expliqué par le général Lamoricîère et par le gé-
nérai Baraguay-d'Hilliers, était peut-être plus logique, mais elle
était moins favorable aux officiers que la première , car on doit
savoir que les officiers en mission hors cadre sont toujours cen-
sés en activité. L'amendement ajoutait encore à cette ligueur en
disposant que le temps passé dans l'etercice du mandat législatif
ne compterait aux officiers ni pour la retraite ni pour l'avance-
ment à l'ancienneté. La question ne fift vidée qu'après un long
15» HISTOIRE m FRANGE. (1849.)
débat; mai* l'Assemblée ne venlnt pas revenir sur la fi
qu'elle avait accordée qm première foi» aux oilciefa Elle rejeta
l'amendement de. la commission et peasialn dan* aa
décima. Ainsi ta* officiera uni sanaienl nommés repvéuBi
du peuple seraient considérés comme en mèfainn norscadm pen-
dant qu'il* «égecaieot à l'Assemblée nationale, et les wna nmciori
et eoidate cmum en congé temporaire.
Un second paragraphe étendait l'appboaftiaa en « principe
aux ingénient» des aontMtrdmesséea et de* minai. Bu oonaé
qjuenee, ils aéraient réputés dénriiaionnanreaén joaréalaurad-
miseion,, et, à la lia de leur mandat, iia ne emmèneraient que
l'aptitude constatée par lear grade an aaomanlée l'élection. Cette
disposition, qui faisait partie du premier projet, ne Ait paa con-
testée. Maie M* Larabit proposa, par un pangraphe additionnel, .
d'appliquer le mène principe aux magistrats msmmiMee; an
sorte, qu'à l'expiration de leur inandat, le gouverne** nt aurail
été foreé de les appeler au* premiers siégea vacants et daaa-ie
grade ou ila étaient avant leur élection* Cet amendement portait
sur un principe évidemment faux, puisque te conatitntio» de la
magistrature .n'admet pas de distinction entra le grade et rem-
ploi, comme celle des officiers et des ingénieurs. Ajourne à cette
objection fondamentale le grave ineenTénient d'imposer an mi»
nistre de la justice un aussi grand nombre de candidate pins en
moins propres aux fonctions délaissées pendent et longues an»
nées* Ces raisons* exposées par M. Depin, este autant de farce
que de justesse, parurent déàsivesr et ramendemeot de IC La-
rabit fut rejeté à une immense majorité (44 mai»).
On pouvait croire que la liste des mcompatilnUtÉe émet enlm
épuisée. Ce n'était panasses de l'exclusion ptonenedee» menai
contre tous las fonctionnaires peMies rétribués. Um amendement
de M. Goudcbaux, accepté par la commission et adepte dane cette
séance, déclarait incapables d'éjkte élus rtpréwrtanfi du peupiey
1° les individus ebargéa d'une fourniture poor teCortevuement;
fp les directeurs et administrateurs des chemine de 1er. Bn vert*
dn même amendement, tout représentant du peuple qui,
dant le coure de son mandat, aurait entrepris* non
pour le Gouvernement, ou accepté une place„seit dedireemw,
LOI ÉLECTORALE. 159
soit (PaduiiMsUafein ite chemin de fer, sentit réputé démis-
sionnaire et déclaré tel par l'Assemblée nationale. Ce n'était
pas font : M. Lherbette fit passer nn amendement improvisé
qui appliquait la même mesure à tout représentant « qui aurait
pris un intérêt dans une entreprise soumise au vote de l'Assem-
blée nationale. » Gomme on voit, la disposition était large : à qui
s'appliquerait-elle? à q« ne s'appliqueraft-elle pas? Question dif-
ficile, sur laquelle la commission elle-même, par l'organe de
M. Billanlt, eut la bonne foi de se déclarer incompétente. La
nouvelle exclusion porterait sur les actionnaires des chemins de
fer en première ligne; la cbose était évidente, c'étaient eux que
M. Lherbette avait principalement en vue. Mais les actionnaires
des canaux sujets au rachat, à l'expropriation, les actionnaires
da la Banqu* de France» qui existe en vertu d'un privilège tem-
poraire, ne devraient-ils pas être considérés aussi comme ajaat
un intérêt dans une entreprise soumise au vote de l'Assemblée
national»? Et si l'intérêt particulier était un motif suffisant de
s— pkîo» et dfaniMioB, pourquoi le» attitrée d* forges, pour-
quoi 1er propriétaires de vignes ne seraient-ils pas déclarés sus-
pecta dans lea questions de douanes et frappés d'exclusion? Pour-
<ped le» rentier» de l'État, intéressés dan» la question de la
conversion ; pourquoi les propriétaires eux-mêmes, les proprié-
taires fonciers, intéressés dans le vote de l'impôt, ne seraient-Os
pas exclus de la représentation nationale? Toute» ces raisons
n'empêchèrent pas l'amendement de M. Lherbette de passer à
une immense majorité, 550 voix contre 149.
Enfin, l'ensemble du projet fut définitivement voté par assis et
levé, à la presque unanimité (16 mars).
160 HISTOIRE D£ FRANCE (1849.)
CHAPITRE X.
LE DROIT M EÉUHIOlf.
Loi sur les clubs. — Ancienne commission, commission nouvelle, premiers
lecture. — Discussion générale ; M. Léon Faucher et M. Jules Favre. —
Projet nouveau , minorité de la commission , tenUtÎTe de conciliation. —
MM. de Kerdrel et Pierre Leroux , rappel à Tordre. — M. Crémieux et la
majorité de la commission. — Discussion des articles» M. Senard. —
M. Odilon Barrot, aven honorable. — Les clubs- sont interdits.—*- Absten-
tion de la majorité de la commission et d'une partie de l'Assemblée , réunion
séparatiste, insurrection parlementaire, M. Crémieux. — Sages conseils. —
Appréciation delà tentative séparatiste par M. La grange, parodie du Jea de
Paume. — Adoption du second paragraphe. — M. Durons et les circulaires
impérialistes. — Clubs et associations. — Subtilités, chicanes, demande
d'une commission nouvelle. — Qu'est-ce qu'un objet déterminée — Présence
du commissaire de police. — Adoption provisoire de la loi. — Protestation.
— Déclaration des journaux socialistes. — Esprit de là loi.
On se rappelle qu'au moment où le conflit entre l'Assemblée
nationale et le président de la république prenait les proportions
les plus graves, le pouvoir exécutif, en présence d'une conspira-
tion permanente tramée contre lui dans l«?s clubs, avait cru devoir
présenter un projet de loi portant interdiction des réunions po-
litiques. L'urgence avait été repoussée par la Chambre, et la
commission nommée pour examiner le projet lui était manifes-
ment contraire. Cependant, à mesure que la lutte devenait moins
vive entre les deux pouvoirs, à mesure que l'Assemblée recon-
naissait mieux la nécessité de ne pas perpétuer le conflit en se
LE DROIT DE RÉUNION. 161
perpétaant elle-même, quelques-uns des commissaires compre-
naient qu'il y avait quelque chose à" faire pour la répression des
clubs. La minorité de la première commission, devenue la seconde
commission tout entière, avait accepté la tâche de refondre le pro-
jet de loi, de manière à réglementer le droit de réunion et d'as-
sociation. Le 6 mars eut lieu la première lecture du projet mo-
difié, et, le 19 mars, s'ouvrit la discussion générale. M. Léon
Faucher défendit, avec talent et courage, le projet du Gouver-
nement. À ce projet, la Commission nouvelle avait substitué une
série de mesures qui, sans interdire les clubs, en devaient ren-
dre la formation et la tenue plus difficiles.
M. Jules Favrè accepta la tâche difficile de justifier l'indul-
gence pour les clubs. 11 le Gt avec un incontestable talent oratoire.
A quoi avaient servi, demanda-t-il, les lois faites par le Gou-
vernement précédent contre ces réunions politiques? Les clubs
d'ailleurs, si on les laissait libres, ne finiraient-ils pas par s'avi-
lir eux-mêmes? A quel prix, put-on lui répondre? Au prix de
combien d'émeutes, de combien d'agitations politiques, de com-
bien de misères publiques? M. Favre voyait encore dans ces
associations un excellent moyen de police. Avec les clubs, on
pourrait savoir, jour par jour, les conspirations, qui se trament
dans l'ombre, lorsque la liberté des réunions est restreinte ou
supprimée. Gela empêcherait-il les conspirations, et, au fond,
qu'y gagnerait-on, si ce n'est des transes continuelles nuisibles
à tous les intérêts ! Que le Gouvernement, ajoutait M. Favre,
ait de bons clubs pour opposer aux mauvais. Quel palliatif 1 Et
quelle influence auraient ces orateurs officiels?
On objectait enfin deux choses : d'abord le texte de la Con-
stitution qui permet les réunions paisibles ; ensuite la Révolution
même de Février avec ses banquets préparatoires. Oui, les ban-
quets permanents avaient renversé la monarchie : croyait-on que
les clubs ne pourraient renverser la République? Quant à la
Constitution, le droit de réunion emporte-t-il nécessairement le
droit de club, et le club n'est-il pas une forme de réunion parti-
culière que la loi peut interdire, en permettant d'ailleurs les au-
tres formes de réunion? A qui appartenait-il mieux qu'à l'As«
il
162 HISTOIRE ])£ FRANCE (1849.)
semblée d'interpréter la Constitution qu'elle-même avait faite?
Et, enfin, pouvait-oi* donner aux clubs le nom de réunions pai-
sibles (19 mars)?
C'est à la suite de cette première discussion que surgit un nou-
veau projet, celui de la minorité de la Commission. Les duha se-
raient interdits; mais les réunions publiques. et politiques, les
réunions passagères dans lesquelles on se proposerait de délibé-
rer sur un objet déterminé, seraient permises. Le droit de
réunion subsisterait donc en entier; ce qui serait interdit, ce
serait la permanence, l'organisation qui donne aux clubs lew ca-
ractère spécial. Le Gouvernement ayant, par l'organe de M. Odi-
Ion Barrot, déclaré qu'il se réunissait à la proposition de la mi-
norité de la Commission, c'est sur cette proposition que la
discussion s'établît.
Deux orateurs eurent cependant encore la parole dans la dis-
cussion générale, MM. de Kerdrel et Pierre Leroux : M. de Ker-
drel attaqua les clubs par des raisons puisées dans le bon sens et
dans l'expérience. Chacune de ses pbrases fut violemment interrom-
pue par la Montagne. M. Pierre Leroux souleva aussi des orages :
mais ce fut de propos délibéré. Non content de se faire rappeler
deux fois à Tordre, l'orateur socialiste, par ses gestes et par
ses paroles, força le président et la Chambre à lui retirer la
parole, en exécution du règlement»
A la suite de cet incident, M. Crémieux, rapporteur de la com-
mission, sous prétexte de résumer la discussion, la renouvela
tout entière. 11 se répandit en invectives oratoires contre la mo-
narchie , dont il n'était pas question , contre les lois de septem-
bre, qui n'étaient pas en cause. Des trois projets en présence,
M. Crémieux défendit celui de la majorité de la commission
qui se bornait à ajouter quelques mesures de plus à la loi du
28 juillet 1848.
La discussion s'ouvrit enfin sur l'article 1er du projet de la mi-
norité de la commission. Cette proposition nouvelle avait l'avan-
tage de lever l'objection qu'on pouvait tirer du texte de la Con-
stitution. II posait une distinction assez claire entre les clubs et
les réunions; le club, disait-elle, c'est La réunion permanente or-
ganisée, jouant au parlement et admettant la délibération sur
LE DROIT m RÉUNION. 16»
tonds ke questions que la passion do moment fait surgir. La
réeaio», c'est «n fait passager, accidentel On se réunit pour dé*
KMnr sur un objet détermiaé. La réunion s'éteint avec la délt»
bération même.
Mais cette ékflinetio», apparente dans la théorie» ne a'éva-
nsairait-elle pas dans la pratique? Le» clubs ne renatlcaienNla
pas sous la forme de réunions accidentelles? Une succession
bsbitemmtr calculée de réunions n/ équivaudrait-elle pas à un
cUb permanent? Quel moyen trouverait-on pour empêcher les
mêmes tomes de se réunir? Et aussi, qo'entendait-on par un
oajel déterminé? En politique, toutes les questions ne se tiert~
oeatelles pas, et Y Assemblée elle-même ne donnait- elle pas
mftnt la preuve qu'à propos d'un objet on peut parler de tous
lis autres? Telles forent les objections présentées par M. Senacd
qui combattit, au nom de la majorité de la commission* le pro-*
jet de la minorité. La nerveuse logique de M. Senard ne pou*
nilrelle se retourner contre le projet même de la majorité,
et n'y at ait-il pas nue conclusion toute contraire à tirer de la
peiafcm énergique que tracèrertt successivement M- Labonlie et
M. Ûtfon Barrot dis abus des clnfas, des dangers auxquels cet
tribunes de la passion aveugle- exposent perpétuellement la
société? On pouvait remarquer, au reste, que M. Senard, tout en
coDciuant contre les clubs, les tenait en médiocre estime. M, Ju-
ki Favre luMmtae, dani son brillant discours de la veille,
se les avait défeadu» qu'avec des réserves qui auraient pu passer
feor «ne condamnation. Ainsi tous se réunissaient pour juger
aae institution qu'aucun Gouvernement régulier ne peut accepter
fat par non sorte de suicide. M. Odtloa Barrot n'eut donc pas de
peine à convaincre tous eeu* qui, dans F Assemblée, apportaient
antique expérience politique dans l'étude de la question. Son
éiatonr» éloquent contint un honorable aveu : « J'avais cru, peu*
s dant lengtempe, s'écria Toratenr , que les clubs feraient du
» moins dfeparaitre les sociétés secrètes s je reconnais que j'étaia
s dans une profonde erreur ! » Loyale, mais insuffisante eipitUon
des banquets politiques !
Auras eette hriUante discussion, le paragraphe !•* du pro-
jet ds la minorité fut mis eu* voit. On procéda an tertiiia secret.
164 HISTOIRE DE FRANGE. (1849.)
Ce paragraphe reproduisait l'article primitif du projet gouverne*
mental : «Les clubs sont interdits. » H' fut adopté, bien qu'à
une majorité assez faible de 19 voix (sur 757 votants, majorité
absolue 569, 578 pour, 559 contre (20 mars).
Venait le second paragraphe distinguant lès réunions des clubs
et autorisant les premières. Â l'ouverture de la séance du 24 ,
M. Crémieux monta à la tribune. H déclara que la majorité de la
commission s'était réunie, et que, considérant le vote de la
veille comme une violation formelle de la Constitution, elle re-
tirait son propre projet et s'abstiendrait de prendre part au reste
du débat. L'émotion fut vive à cette étrange annonce. Ainsi,
non pas même une commission tort entière, mais une partie
d'une commission s'arrogeait le droit de juger le jugement de
l'Assemblée nationale et, de sa propre autorité, condamnait le
vote des représentants du pays : c'était une insurrection parle-
mentaire.
La Chambre passa outre et procéda au vote ; la plus grande
partie des membres de la gauche s'abstint d'y prendre part; on
ne trouva dans les urnes que 402 billets blancs et 20 billets
bleus. Mais il fallait 500 votants au moins pour rendre la délibé-
ration valable; le scrutin fut donc déclaré nul malgré la majorité
acquise au paragraphe en discussion. Un second scrutin fut ou-
vert avec appel nominal, sur la proposition de M» Luneau.
Pendant ce temps, 550 membres environ s'étaient réunis dans
l'ancienne salle des séances de la Chambre des Députés, au mi-
lieu de la plus tumultueuse agitation. Personne ne réclama le
dangereux honneur de présider ce club improvisé. M. Setiard
prit le premier là parole pour exhorter ceux de ses collègues qui
réprouvaient, comme lui, le principe de la loi à ne pas dépasser
la limite marquée par un premier acte d'abstention ; il leur re-
présenta que, jusque-là, leur refus de participation avait le ca-
ractère d'une protestation indirectement exprimée, mais que
persévérer dans l'immobilité, ce serait manquer à un devoir con-
stitutionnel en mettant l'Assemblée nationale dans l'impossibilité
de fonctionner.
Ces paroles soulevèrent dans l'Assemblée séparatiste de vives
rameurs : les sages conseils de H. Senard ne faisaient pas le
LE DROIT DE RÉUNION. 166
compte de ces esprits remuants, toiùours prêts à profiter des
conflits et à les envenimer, pour élever sur des ruines des
situations nouvelles. Un orateur monta à la tribune pour
réchauffer le zèle de ses amis politiques* C'était M. Crémieu*
qui, Confondant sans doute dans sa pensée deux époques diffé-
rentes, semblait croire i un nouveau 24 Février, à une insur-
rection nouvelle, dont il réclamait la direction. Il adjura les
protestants de l'Assemblée de persister dans leur abstention,
de ne pas se mettre en contradiction avec eux-mêmes, de ne
pas s'associer i la violation de la Constitution en validant le vote
de la majorité. Sans doute cette inertie paralyserait tout le jeu
de la représentation nationale, et amènerait ipso facto la disso-
lution de l'Assemblée constituante* Mais n'était-ce pas un devoir
de combattre une infraction aux droits du .peuple souverain?
Ainsi se démasquait l'intrigue politique. MM. Goudchaux et
Lagarde donnèrent à ces déclamations leur nom véritable : on
faisait un appel à l'insurrection.. Il n'y avait plus qu'à prendre
Je chemin de l'Hôtel de Ville. M, Crémieux se chargerait-il d'y
.guider la colonne ? D'autres orateurs ramenèrent les esprits vers
une situation plus calme. M. Henri Didier représenta que tant
que la loi était en discussion., on n'avait pas le droit de s'abste-
nir, qu'on pouvait ramener encore la majorité par la discussion,
qu'il serait temps de se décider pour l'abstention sur le vote dé-
finitif. A son tour. M* Louis Perrée appela l'attention des ad-
versaires les plus prononcés de la loi sur la modification que lui
avaient fait subir un amendement présenté la veille au nom
de la minorité de la commission, et l'abandon du projet primitif
du Gouvernement; la loi, ainsi corrigée, n'avait plus le caractère
d'une violation flagrante de la Constitution. Qu'on y réfléchisse,
ajoutait M. Panée, la mesure qu'on propose aboutit à une révo-
lution ou. à une guerre civile.
Un antre argument fut fourni par la fraction la plus ardente
de la Montagne* Un des représentants naturels de l'insurrection
année, M. Lagrange, laissa voir dans son langage qu'il ne croyait
pas au succès d'une tentative de ce genre. Il faut bien jouter
que M. Lagrange laissa percer nu doute asses plausible sur l'at-
titude personnelle de M. Crémieux, si, par ses parole*, il réussis-
106 HISTOIRE WE FRÀHCB. (18(9.)
«ait à entraîner me partie dé l'Assemblée liage la me/Qui pow-
tait être plus compétent pour juger nue émeute et nés chefct
Aussi, bientôt on vit M. Grémiemt reparaître à la tribun» : mail»
cette fois, Use contentait d'un projette manifeste. L'insurrection
se changeait en protestation. & ce moment, un hnieaier Tint
annoncer le réappel : la réunion improvisée ne dispersa et Uni le
monde rentra en séance* Ainsi se termina m incident, grave i
son origine, et qui finit par mériter nn nom sévère et ton! A k
fois piquant : Parodié du Jeu de Paume i
Le réappel terminé, le eeeond paragraphe fat adopté i «e ma-
jorité 4e 464 toîi contre 450. Le sombre de* votante était donc
4téde «14. On autre scrutin eut lieu immédiatement sur l'en*
semble de l'article. Il donna 107 votants : pour l'article, 404 t
contre 505, majorité 104 Toii.
Puis la discussion recommença. Mais lee esprits étalent encore
trop profondément émus pour que les débats restassent dans tee
fornes de k modération. M. Dueoui y introduisit A l'aventure
une Interpellation inattendue sur une circulaire iropérialfeto.
M. Odïlon Barrot, qui ne connaissait pas cette pièce, s'étonna
arec raison qu'en roulât rendre le Gouvernement responsable
d'un de ces actes de partis si ordinaires A rapproche des éleo*-
tiens (il mars).
Le 12 mars, M. de Charencey obtint, an nom de la commis-
sion , que , dans l'état des choses , la discussion fut renvoyée an
lendemain. L'Assemblée adopta cette mesure, surtout pour don«-
ner aux esprits le temps de se calmer. La Montagne s'opposa usée
me espèce de foreur A ce délai qui lui enlevait l'espérance de
nonveatrx scandales.
Un amendement de M. Victor Lefran* était interv etra peur met-
tre les associations en harmonie avec le loi nouvelle. Le but de
r amendement était surtout de définir et de permettre l\
des associations permanentes qui s'occupent d'objets
ques, dnrila&les on autres, dea sociétés périodiques, publiques
ou non, dont les travaut, loin d'être un danger, sont un réctaUn
bénéfice peur l'ordre social, et qei, à défaut d'une disposition
spéciale, auraient pu tomber astis le coup de ta ta La mino-
rité de la eommiaston, devenue la commission tout entière, nnait
LE DROIT DÉ RÉDNIO». lffi
proité dé cette circonstance pour réviser le projet <hus son
ensemble et en foire une loi complète, embrassant à la fois les
réunion* et les associations, sans qu'il y eût pourtant à revenir
sur l'article 1* définitivement voté.
De là pourtant un incident nouveau. On prétendit que la ma-
jorité de la commission hélant retirée , la minorité n'était plus
compétente pi» soutenir et suivre la discussion. On roulait
encore que le projet révisé constituât une loi entièrement nou-
velle, et qu'au fieu de poursuivre le débat, on renvoyât la pro-
position à <fc* bureaux qni nommeraient, pour l'examiner, une
autre comiukaion. ëubaidiairement ente, on réclamait le renvoi
de k discussion, sons prétexte que la Chambre n'avait pas eu
le lampe d'étudier les dispositions toutes neuves que la commis-
sion foi présentait. Ma» . pourait-il dépendre d'une fraction de
commission, le rapport une fois feit, la Chambre saisie, le débat
ouvert, de dessaisir tout à coup l'Assemblée, d'arrêter la discus-
sion et le vote par une démission stratégique? Poser cette ques-
tion, <f était la résoudre. Cependant ort se jeta dans d Incroyables
subtilités. M. Senard affirma qu'il n'y avait pas en de démission
donnée : M. Germain Samrt fut de l'avis contraire. Les loyales
explications de M. Senard remportèrent sur l'esprit de r Assem-
blée. Membre de la majorité de la commission, M. Senard ne se
considérait pas comme démissionnaire. 11 s'était abstenu, mais
sans hésiter à se réonir à la minorité pour examiner avec elle
l'article relatif aux associations. L'honorable représentant ajoutait
qu'à ses yeux cet article, rédigé de la manière la plus libérale, Jetai*
en grande partie r objection constitutionnelle^ M. le général de
Lamorictère, président pour ce jour, réussit i détourner la dis-
cussfoïi des chîearrts déliées dans lesquelles M. Dupont (de Bus-
sac) cherchait à l'égarer. Sur les observations judicieuses de
M. Deslongrais, l'Assemblée décida : 1° qu'il n'y avait pas lieu
à nommer iib* nouvelle commission; **-qu'tu Heu d'ajourner le
débat* elle entendait le reprendre tout As suite. Sur cette doublé
décision, quntynts membres des bancs extrêmes .se retirèrent
fantyamment et la diacussidn continua.
M. Emmanuel Atag» Vnltacha à critiquer les dispositions non-
velles, et aussi la loi dans son principe et dans ses parties déjà
168 HISTOIRE DE FRANCE. (1849.)
votées. M. Ajlies répondit avec talent. Sur l'article 2, H. Senard
adjura encore la commission de préciser nettement ce qu'elle en*
tendait par des réunion* permanentes et par un objet déterminé.
Des explications furent données par MM. Laboulie et Odilon Ba>
rot (23 mars).
M. Senard insista, soutenant que la loi nouvelle offrirait moins
dé garanties à Tordre» moins de sûretés à la .société que la loi
abrogée. En effet, les clubs étaient interdits ; mais, en revanche, les
associations non publiques étaient permises par l'article 1 3, et Von
n'avait pas cru devoir limiter le nombre des associés. On aurait
donc des clubs : seulement le public ne serait pas admis aux
séances. Le commissaire de police représenterait seul la surveil-
lance et l'autorité. Bien plus, ces associations non publiques
pourraient avoir, quand elles le voudraient, des séances publi-
ques, en se transformant pour ce cas en simples réunions, c'est-
à-dire en remplissant les formalités imposées aux réunions.
Enfin la discussion était arrivée à son terme. La Chambre,
après avoir adopté successivement tous le3 articles du projet, dé-
cida qu'elle passerait à une troisième délibération (24 mars).
Les travaux ultérieurs de l'Assemblée ne devaient pas lui per-
mettre de remplir ce programme. Au reste, l'adoption provisoire
de la loi n'empêcha pas une centaine de députés séparatistes de
produire la protestation suivante :
« L'article 1« de la loi sur les clubs est une violation de la Consti-
tution.
» Nous ayons protesté par notre vote , nous avons protesté par notre ab-
stention, et nous persistons à nous abstenir, parce que nous ne vouions par*
ticiper en rien à une loi qui est nu attentat flagrant au droit naturel et à la
Constitution. »
C'était ainsi que la Montagne entendait le respect dû ausuffirage
universel. M. de Lamennais avait rédigé cette pièce, La presse so-
cialiste répondit à cet appel de la minorité révoltée par une dé-
claration dans laquelle elle affirmait la Constitution violée» tout
en invitant le peuple au calme. « Le peuple restera calme, tl
attend. »
LE DROIT DE RÉUNION. 16©
En rétamé , si celte loi devait être promulguée > méritait-elle
les violences des partis extrêmes? On ou pouvait douter. Ce qu'elle
présentait surtout de remarquable, c'était le luxe de précautions
dont elle entourait le droit de réunion. Le mot seul de club était
supprimé : quant i la chose elle-même, il semblait qu'elle sortît
du débat plus forte, plus consacrée que jamais* Il restait à savoir
par l'expérience si. l'Assemblée, loin de supprimer le danger, ne
venait pas de l'organiser. ,
m HISTOIRE DE FRANCE. (1849.)
CHAPITRE XI.
LES écONOXIBS DE LÀ GORftTITUAMtK.
Travaux FINANCIERS. — Retour à la proposition de M. Bfllault. — Discus-
sion, M. Passy, réduction de la proposition à ses termes pratiques, .rejet.
Budgets. — Demande de deux douzièmes provisoires, les frais de représen-
tation Un président de la République, encore la Constitution violée, vote
dû crédit. — Budget des dépenses. — Absence d'un rapport général. — Le
budget de la République rouge, M. Mathieu ( de la Drôme ). — . Criti-
ques rétrospectives, dilapidations de la monarchie , M. Fould et les
financiers du Gouvernement provisoire. — M. Passy, discussion sérieuse,
chiffres et faits, amélioration. — Travaux publics, chemins de fer, écono-
mies inintelligentes, M. Dufaure et M. Passy, M. Napoléon Daru et
M. Stourm, réductions radicales et leurs conséquences. — Agriculture et
commerce, M. Buffet, M. Tourret, désorganisation proposée de renseigne-
ment agricole et des manufactures nationales. — Intérieur, préfets mis à la
retraite, scandale parlementaire, ordre du jour, projet de loi spécial ; rejet du
traitement du général Changarnier, le double commandement» projet de loi
sur cet objet, suppression de l'inspection des théâtres. — Instruction pu-
blique, manie encyclopédique de la commission, réductions nombreuses, insti-
tuteurs primaires. — Affaires étrangères, réductions, M. Bastide et les traités
de 1815. — Cultes. — Finances, remboursement de l'impôt des 45 centimes,
M. Chavoix et M. Flocon; journée des aveux, M. Duclerc, proposition de
banqueroute, impôt sur les riches, papier-monnaie, M. Ledru-Rollin, rejet
de la proposition ; pensions des pairs et sénateurs, M. Lherbette; réductions
radicales, receveurs généraux ; encore la banqueroute ; M. Goadchaud et
M. Ledru-Rollin, accusation contre M. A. Fould, témoignages contradic-
toires. — Budget particulier de l'Assemblée. — Marine, proposition de dé-
sorganiser la flotte, impossibilité pratique des réductions, P Assemblée les
repousse. — Justice, la magistrature inamovible. — Guerre, rédactions de*
sorganisatrices de l'armée, ajournement significatif, M. Guichard et le sens
vrai des réductions. — Budget des recettes. — Amendement de M. La-
trade, suppression de l'impôt des boissons, vote désastreux.
Concurremment avec ses antres travaux politiques et adminis-
tratifs, l'Assemblée étudiait les ressources financières du pays, et
LES ÉCONOMIES ME LA CÔNOTïïtJANTE. lït
rit, «vue pins de sète que d'expérience 'à introduire des re-
fermes plus on moins heureuses dans le bndget du pays. Mais
d'abord elle avait dû balayer de sa route certaines propositions,
financières seulement par l'apparence, et qui ne servaient peut-
être que d'étiquette àdes manoeuvres politiques; de ce nombre était
la proposition de M. Billault (Voye% plus haut page 35).
Cette proposition vint à discussion le 9* janvier, M. Passy n'eut
pas de peine i en démontrer le véritable sens et la portée. M. le
ministre des finances établit les différents motifs pour lesquels le
vote des dépenses doit toujours précéder celui des recettes, il
fit remarquer qu'aux époques de trouble et en temps de
guerre H est impossible de faire face aux dépenses arec les seules
ressources de l'impôt. Or, pouvait-on affirmer qu'on se trouvait
aujourd'hui dans une situation normale ? M. Fassy exposa encore
me série de chiffres précis. Les recettes ordinaires, dit- il, dé-
ftleation faite de l'amortissement, qui figure en recettes et en dé-
penses, de la dimination opérée sur l'impôt du sel, du déficit
prévu sur le revenu des forêts, ne peuvent être évaluées à
plu de t fin millions. C'est k ce chiffre de \$to millions que
M. Bfflanlt voudrait ramener les dépenses. Le budget qui a été
présenté s'élevanti 4,530 millions, ceseraient donc des économies
montant à 558 millions qu'il faudrait trouver pour pouvoir réta-
blir immédiatement l'équilibre t Or serait-il possible d'opérer
une pareille réduction sur les dépenses proposées 1 C'est ce doftt
il est facile de se rendre compte en décomposant le budget. Les
dépenses se divisent en deux parties, Tune irfédattible, l'attife
réductible ; la première» qui comprend la dette publique, les
dotations, les pensions, les restitutions et non-valeurs, les achats
nécessaires pour le service des pondtes, des tabacs <* des poètes,
les services départementaux avec affectation de ressources spé-
U s'élève à 690 aatttioni « reste par cotoséqoetit, 940 millions
là partie des dépensas réductible, tf**t*à<dke pour les dé-
penses consacrées aux services des départements nritigtétfete ;
sur ©sb 9i0 millions, tes trois ministère» qui, de l'aven même de
in wmsrissioo, peuvent offrir quelque priée aux réformateurs,
les ministères de la guerre, de la marine et des travaux publiée,
m absorbent ttt; encore ftnU-H retrancher, des dépenses affec-
179 HISTOIRE DE FRANCE. (1849.)
tées aux deux premiers, i 13 millions qui appartiennent aux ser-
vices de l'Algérie et des colonies ; de teUesorte que la partie des
dépenses réductibles sur laquelle on pourrait agir» n'est que de
595 million». Ainsi, ce que veut M. Billault, c'est qu'on trouve
moyen de retrancher 358 millions sur une dépense de 535 mil-
lions ! Réduite à ces termes pratiques, la proposition de M. Bil-
lault ne pouvait supporter l'examen. D'ailleurs, il faut l'ajouter,
M. le ministre des finances ne niait pas la possibilité d'opérer
des économies graduelles; mais il rappela à l'Assemblée qu'elle
avait elle-même, par ses votes, imposé 59 millions de dépenses
nouvelles au budget de 1849, tandis qu'elle avait* en réduisant
plusieurs impôts, diminué les ressources de] 52 millions. C'était
là, en effet, ce qui avait contribué à déranger profondément cet
équilibre qu'on proposait aujourd'hui de rétablir i tout prix,
M. Passy termina en déclarant que la proposition si peu sérieuse
de M. Billault ne pouvait aboutir qu'à la désorganisation des ser-
vices; si l'Assemblée pouvait l'adopter, elle reculerait certainement
ensuite devant cette œuvre de destruction.
M. Billault ne trouva d'autre moyen de. répondre que de dé-
placer la question. Négligeant tes objections si pratiques de
M. Passy, il se livra, une fois encore, à des. discussions de per-
sonne. Il protesta contre toute pensée d'arabition-personnelle, ré-
pondant ainsi à une objection peut-être fondée, mais que M. Passy
avait eu soin de ne- pas faire. Il reconnut ensuite que le vote des
dépenses doit en général précéder le vote des recettes, mais il
,prétendit que la proposition était justifiée par ces circonstances
exceptionnelles que M. Passy invoquait avec une tout autre auto-
rité. Il revint en termes vagues sur la nécessité de contraindre le
gouvernement à opérer de grandes économies. En vain lui cria-t-
on de préciser ces économies possibles/de livrer enfin son secret
financier : l'orateur se jeta dans les lieux communs ordinaires :
amplification des rouages administratifs, politique extérieure,
travaux publics, sans proposer une seule mesure sérieuse, sans
émettre une seule vue pratique. Evidemment M. Kllaolt se
croyait encore en 48*7 : son discours n'était qu'une erreur de
date.
Après une réplique de II. Rassy, qui 0t o)»server que le. budget
LES ÉCONOMIES DE LA GORSTITOANTE. 173
de 1849 présentait déjà une économie de 184 millions sur celui
de 4848, et que jamais, à aucune époque, on n'avait réalisé une
rédaction aussi considérable d'une année à l'autre, M. Stourra
essaya de passionner le débat, en se plaignant de ce que le mi- -
nistère eût été prâ dans la minorité, ce qui, suivant lui, expli-
quait pourquoi le Gouvernement nevoulait pas effectuer les écono-
mies désirées par la majorité. M. Stourro n'oubliait qu'une chose,
àsaTOir que ce budget, qu'il aeeusait, était précisément l'œuvre du
ministère précédent, du ministère de 1* majorité.
La proposition de H. BiUauLt ne put résister à la discussion :
elle fut repoussée par 39? votants contre 990. C'était là encore un
vote de conciliation (31 janvier).
Vers le milieu du mois de mars, il y avait déjà trois mois que le
projet de budget était soumis à la chambre et cependant la discus-
sion ne s'ouvrait pas. M. le ministre des finances dut, le 12 mars,
rédamer deux douzièmes provisoires. L'Assemblée les vota
sans difficulté; Mais à cette occasion s'éleva une question qui mit
an jour encore une fois les mauvaises dispositions d'une partie de
la Chambre pour le pouvoir exécutif. M. Marrast, président de la
commission de Constitution, avait annoncé formellement dans son
rapport que les frais de représentation de la présidence de la Ré-
publique égaleraient ou dépasseraient même le traitement fixe
accordé au premier magistrat de la France. Dans le projet de
budget, l'indemnité pour frais de représentation figurait à côté
do traitement, et depuis l'installation du Président dans ses
fonctions, cette indemnité était payée en vertu d'un état de ré-
partition dressé par le précédent ministre des finances, M. Trou-
Yé-Chaavel. Des cris, des interpellations passionnées accueil-
lirent la régularisation d'un crédit déjà sanctionné : M. De ville,
M. Ânteny Thouret, Virent là encore, une violation de la Cons-
titution. Ces scènes peu dignes de la représentation nationale
furent terminées par un scrutin qui accorda le crédit à une
majorité de 77 voix (43 mars).
La discussion s'ouvrit enfin, le 16 mars, sur le budget des dé-
penses. Pour la première fois on discutait un budget sur lequel la
commission n'avait pas fait de rapport général. M. Goudchaux,
rapporteur, déclara qu'il n'en ferait pas. Bien plis, la commission
174 HISTOIRE DE JIUNCJB. (1*49.)
n'avait pas acheté son travail sur les budgets particuliers de «ter
que ministère; la plupart de» rapporta relatifs à ces budgets n'é-
taient pas encere dépesés* Allait-on ouvrir «ne discussion gé-
nérale sur un budget dent Jes différentes parties n'avaient pat
môme été coordonnées dans tm travail d'ensemble? Ce se serais
donc qu'un tezte à déclamations*
M» Mathieu (de la Drôme) prit le premier la parole. L'orateur
annonça qu'il allait faire connaître le budget des répubHemut
rouges. Et d'abord il déclara que le parti auquel it appartenait
dans la Chambre ne vêlerait le budget qu'à trois conditions : si
l'on . supprimait ce qui restant de l'impôt do sel, si Ton suppri-
mait en totalité l'impôt des boissons, si Ton restituait aoi con-
tribuables las é$ c. perçus l'année précédente. Celait ftà le pro-
gramme à effet de la Montagne. En tout, le parti rouge réclamait
positivement une réduction de 350 millions sur les dépensée.
Dana cette réduction, l'armée était comprise peur la plus forte
pari. Une sollicitude toute nouvelle pour l'armée était, depuis
quelque temps, à l'ordre du jour danak Montagne* et M. Mathieu
(de k Drôme) se Ut l'organe de ces tendresses intéressées*
M» Jules de Laateyrie et M. Garnier-ffegès entrèrent dans k
politique rétrospective* Le denier eut le tort d'imiter M. Ma*
thieu (de k Drôme) dans des attaques peu adroites centre les
dilapidation de k monarchie :1a loyauté avec kqueHeM. Jules de
Laateyrie, l'un des pins constants adversaires dn Gouvernassent
de Juillet, reconnut que la triste situation des finances ne pouvait
être imputée qu'aux gouvernante du 24 Février, lui valut, de k
part de k Montagne, répithàte inattendue de roya Jtsfe (1 ft mars).
La voie des récriminations était ouverte. M. Achille Fenld, k
son tour, attaqua vivement quelques-unes des mesures financières
du Gouvernement provisoire. M. Goudchaux réftoudit avec ai-
greur* Ces débats inutiles et irritante furent arrêtés par une étude
sérieuse et pratique. M. Bapy signala une améttoratiea consi-
dérable dans les impôts indirects,, une situation ptos toaraM»
dea atone» Le ministre, d'aiMeurs» rendit pleine jeabce & *»
prédécesseurs MM» Gernier-fegès et Goudchawu
Cet emai de discussion générale fit enfin place aux discussions
dn services {il mars)*
LES ÉCONOMIES DE LA GOSSTITUÀHTE. 175
Le 22 mare, M. Dufeur* attaqua la réduction proposée par la
commission sur le budget des tiwmui publies. Ces réduction»
s'élevaient au chiffre de 47 millions. Pour le» travaux portés an
chapitre xi> entretien ou amélioration des routas et des ponts, le
GouTO nement demandait une somme ée 48 milHone 350,000 fi\,
que la commission proposait de rédaire à 14 milHons 600,000 ft\ ,
différence en' moins, 13 millions 150,000 fir. Sortant des limi-
tes de le discussion spéciale, M. Dufaure combattit en blee tontes
lesv réductions propesées. Dans la situation politique actuelle,
et après l*a prineipe» posés par 1a Constitution eHe»méme, il
n'était pas, selon l'orateur, de dépenses plus impérieusement
commandées par l'État que œlles qu'il pouvait faire pour les
travaux publics. Les sommes qu'il voudrait économiser de ce
côté, au lieu de les employer dune manière productive, il devrait
s'attendre à être obligé de les dépenser d'un autre cété, à titre
d'assistance improductive et dangereuse an double point de vue
de la morale et du revenu public Outre les motifs politiques, les
principes les plua simples de l'économie bien entendue né permet-
taient pas d'bésiter» Le territoire de la France était aujourd'hui
couvert de tronçons de travaux qui avaient déjà eoftté des som-
mée immenses et qui attendaient encore d'importants sacrifices
avant de constituer un corps où la vie pût circuler arec les loco-
motives sur les chemins de fer, avec l'eau dans les canaux, mec
lse voifam* sur les routes. Différer l'achèvement de ces travaux,
ce serait faire perdre à la France l'intérêt de capitaux énormes,
ce serait priver le pays des bénéfices, le trésor dos revenus que
produisent ces grandes ouvres d'utilité publique. Or ces revenus
peuvent atteindre des proportions considérables. Ainsi, dans
les département* do l'Ouest* où. il a été fait des rontes stmtégf-
qnea, la popriété a acquis, grées à ces votée nouvelles- de com-
BMiaicatiûn, une plue* value île ISO millions au moins ; et tandis
que , dens le reste de la France, r augmentation do produit des
impôts indirects a été en -moyenne, depuis 483t jusqu'en f 949,
de 40 popr 400, elle a été, dans ces mêmes département»,
de 6Q pour *0O, Il y plu*, ajoutait H. Dotare, l'fetemptieir
des travaux peut, dans certains cas, causer la porto sèche 4e total
on partie des capitaux avancée. Ainsi, par etissupte, sur Je cl»-
176 HISTOIRE DE FRANCE. (1849.)
min de fet déjà commencé de Châteauroux à Limoges, l'un des
plus maltraités, par la commission, il avait été ouvert, par suite
des difficultés naturelles du terrain, d'immenses tranchées que
les pluies de l'automne et du printemps combleraient s'il n'était
pas voté de fonds pour mener les travaux à l'état d'entretien ;
il avait été entrepris cinq grands tunnels où les ingénieurs avaient
à lutter contre des infiltrations abondantes, et qui seraient in-
évitablement noyés si on les abandonnait pendant une campagne.
Que l'avis de la commission triomphât, et ce seraient autant de
travaux à refaire» autant de millions à dépenser de Nouveau.
Telle fut l'élégante et solide argumentation de M. Dufaure.
M. Passy appuya ces conclusions. Il y a économies et économies,
dit le ministre. Était-ce à dire cependant qu'il fallait pousser avec
une égale activité toutes ces immenses entreprises où la France
s'était naguère lancée avec tant d'ardeur? Sans doute, notre puis-*
sancé financière avait vu restreindre ses limites : mais il n'était
pas juste d'exagérer comme à plaisir cet amoindrissement réel
des ressources du pays, pour se refuser à des dépenses produc-
tives auxquelles on pouvait faire face sans avoir recours à aucun
moyen extraordinaire.
Quelques mots prononcés par M. Passy sur l'état satisfaisant
du trésor parurent fournira M. Goudchaux une occasion pour
rentrer dans la discussion générale, et pour prouver que la mo-
narchie conduisait le pays sur une pente fatale à laquelle l'avaient
arraché M. Goudchaux et ses amis, La Chambre se refusa i en-
tendre ces récriminations rétrospectives (22 mars)»
Le lendemain, malgré les sages conseils de M. Dufaure et de
M* Passy, l'Assemblée adopta, dans une certaine mesure, le
système d'économie qui allait priver d'ouvrage des milliers
d'ouvriers. Le chapitre xi fut voté -avec des réductions qui ne
montaient pasà moins de 10 millions. Combien de temps se passe-
rait-il avant qu'on ne fût forcé de reprendre, par des crédits
extraordinaires, ces inintelligentes économies? M. -Grandin, mal-
gré les clameurs de la Montagne, fit entendre ces mots piquants :
a Ce sont les partisans du droit an travail qui demandent la sup-
pression du travail* »
U était cependant impossible de ne pas reconnaître la
LES ÉCONOMIES DE LA COMSTITUANTE. 1T7
renée entre le temps présent et celui où mit été esquissé le
budget de 1849. Dans les mois qui suivirent la révolution de
Février, la situation financière était telle qu'on pouvait raisonna-
blement parler à cette époque de suspendre les chemins de fer.
La compagnie de Lyon s'estimait heureuse de tendre à perte
à l'État tout ce qu'elle avait fait et acquis. Aussi n%était»i) pas
étonnant que le budget de 1849, préparé quelque temps après,
portât l'empreinte de. cette situation désespérée; Le Gouverne-
ment proposait de diminuer fortement les al local ions; le comité
des finances, justement effrayé de la décroissance du revenu
public, avait été d'avis qu'il fallait les restreindre encore. Sur un
chemin, celui do centre, section de Paris à Chftteauroux, l'allo-
cation proposée par le Gouvernement n'allait plus qu'à 2 millions
et demi. Le comité des finances voulait la réduire à 500,000 fr.
Aujourd'hui, des économies aussi radicales n -avaient plus d'op-
portunité.
Le chapitre xn, consacré à la navigation fluviale, et réduit par
la commission du chiffre de 45 millions à celui de 40 millions
770,4100 fr., fut voté, ainsi que le chapitre xni (canaux), réduit
de 9 millions 800,000 fr. à 6 millions 770,000 fr. (26 mars).
Le chapitre znr, ports maritimes et phares, se trouva défini-
tivement rédoit dé 4 millions 269,000 fr. sur une- somme
totale de 14 million) 200,000 fr. réclamée par le ministre.
Le chapitre xy, dessèchements et irrigations, sur lequel la
commission proposait une diminution de moitié, 400,000 fr. sur
800,000 fr., souleva une discussion longue et confuse. Le résul-
tat fut qu'en votant 400,000 fr. pour ce chapitre, il serait ajouté
au chapitre m (personnel du corps des ingénieurs des ponts-et-
chaussées) une somme de 300,000 fr. destinée à des études, ou
même, si faire se pouvait, à des travaux dé dessèchement et
d'irrigation.
Le chapitre xti, 4 million 500,000 fr., consacré à solder des
travaux nécessité» par les dernières inondations de la Loire, fut
voté-sans discussion,
Ici arrivait le chapitre xvu, consacré aux travaux des chemins
de fer, pour lesquels le Gouvernement demandait un crédit de
88 millions 700,000 fr., que la commission proposait de réduire
42
m msTon* de frange, (tsw.)
à 6* imitions 673,000. Sur ce sujet si important, M, Napoléon
Paru porta te premier la parole. Son discours, pourri de frit* et
de chiffres» entièrement dégagé do passion politique, n'en Art
pas moins systématiquement interrompu par la Montagne. La
conclusion de r orateur fut que le résultai réel des propositions
de la ooflMmsstott, si elles étaient adoptées, serait, en cowpro-
mettant nn capital immense, d'enlever du travail aux classes la-
borieuses; qu'après d^jà tant de crises douloureuses, si l'on ne
voulait pas que rétablissement du régime nouveau restât dans la
mémoire des populations comme une époque de calamité uni-
verselle, il fallait en appeler au^ ressources du pays et montrer
que le Gouvernement républicain, lui aussi, est capable tout au
moins de continuer ces grtndes entreprises qui doublent la puis-
sance d'un peuple et répandent le bien-être dans les classes les
plus pauvres des citoyens. M. Daru, rappelant avec plaisir les
paroles rassurantes du ministre des finances, pressa le Gouverne-
ment de traduire ces paroles en actes significatif» et de profiter
du mouvement d'amélioration qui se manifestait dans les alaires
pour réveiller l'esprit d'association qui seul est asses puissant
pour terminer le réseau de nos chemins de fer, lu ressources
oratoires du budget ne devant jamais pouvoir y suffire.
Ce magniiqne discours, ce langage si pratique et si élevé tout
à la fois semblait avoir convaincu l'Assemblée. Mais la foreur des
économies n'était qu'assoupie. M. Stourm, rapporteur de la com-
mission» vint défendre avec habileté les conclusions du rapport.
Ces conclusions n'allaient à pas antre chose qu'à maintenir un
statu quo énervant. La presque totalité des allocations consenties
par la commission n'étaient destinées qu'à liquider des dépenses
<Mjf à réalisées, à licencier des ateliers, à régulariser la suspen-
sion et l'ajournement indéfini des travaux.
Un représentant voulut toutefois aller plus loin encore t M. Des-
molles demanda que le crédit alloué aux chemins de 1er pour
l'exercice 4849 fût réduit à ft* millions (27 mars).
L'Assemblée se contenta d'adopter les réductions déjà radica-
les de la commission, et aussi toutes celles qui suivirent, sauf une
seule qui concernait les travaux k exécuter au ministère de Tin*
•UnUUr.
LES ÉCÛBÛMIBB DE LA OOamTUAJJTE. iTf
Sar la proposition de k aoaireassioa, et eaea rasseatteaaal Ai
iMn, l'àêieaùàét adopta an article additions^ fui dispo-
sait, ooairairemeat i ftssage sum j«M|ii'«ttv ^rm kgfeadgetespé*»
après arair éléaaftés cl prottulguis, d«noaeVÛHit<*i*-
; pomr las divan départements (38 mn).
Peur 1» badget 4e ruprwjwttaf* «t da cam&mc*, h mmmmm
s'était montrée osetas paramaaiaase. Me n'aiait proposé «pi'aa
petit nontore de rédittftioas s'étend A d«s dsjfras peu oeasHé-
rafates. IL firdfctdéfaadit d'aiUears se» auaistère avec talent et
fermeté, Parai les réductions adoptées, oa peut citer «elle de
18,060 frM npplsrnHe à 1a dhrisioa des km*, qui se trouvait
ainsi eoppritnée et réonie à celle de l'agrioalftare ptapreaseat
dfrfte. Le maistr*, «eatae M. Mamel fisxthe, rapporiear, combattit
cette rédaetiea dont l'effet aérait peat-dtr* de déaorgsaiftff «ne
branche importante de l'admiaistfatioa pnUiejae.
La pftas coosidéraMe des rédaction* proposées par la «munis*
emeoaeislaitdaMamtelrsjecettittaatdai WMM* fr,
sot le crédit de 2 millions 745,000 fr. relatif à raaaeigacaiOMt
pvsjéessioflad de i'asjmnUara. Ce crédit «aait priaoipalaaent
pcasr bntde peanvoir à raigaaisasioQ de l'easaifatanaal agricole
efrpids les baaee filées par le décret du 3 octobre JSé* {aéyan
IMnauaire précédent, p. ÎTty On sait qu'aux terme* de œ décret,
fJsaaeiflsieBBet agricsto ae diiissit «a trois desjrés comprenant
lesfewss écoles, oa éoales primaiMS «k i'agriealtnre, les écakis
idRiesiidss fsa ea fenaeieat, poar aiasi dire, renseignes»**
secondaire, «t rtoaùtot national, qai ea dtajit, ea qaelsjae aorte,
fticcie normale. L'allocation parlée aa èadget ne frisait ajaa
ie «redît eneert pu éedécoet da h «eftafere pour ta
de ««dite» établissements» La eemmissian, aa aqu*»
daat la portion da cnédit affectée au* fenaeanéeales, avait proposé
fejaanieisat de la partie destinée aax deax degrés les plus
dleaés de ranaeigaeaBeaL La coasécpienoe de celle rédaction,
c'était donc d'ajourner i'eiéoaUon da décret maté depais ait mois
4 peine* M. Sufet «t M. Tosmret, son prédéeesssar, aaaeur da
décret, «emtaMmat 4a oommtteioa aaec une isyfae pleine da
lacidfté. An mentent «à l'en cberdunt te moyen d'améKarer Je
«art dee «lasses ouvrières, 4110! de ptaa inoonséqncnt, aie $>lua
180 HISTOIRE DE FRANCE. (1849.)
impolitique que d'ajourner une dépense qui avait pour but de
développer l'agriculture et d'attirer la population, inoccupée des
villes vers les travaux des champs? Ce point de vue sur lequel
insista particulièrement M. Tourfet, décida la question dans le
sens contraire à la commission. L'Assemblée rejeta la réduction
de 1 million 400,000 fr., après avoir admis toutefois nn retran-
chement de 300)000 fr. consenti par le ministre.
£ La commission proposait encore une réduction de 100,000 fr.
sur le crédit de 639,000 frM relatif aux manufactures nationales
de Sèvres, des Gobelins et de Beauvais. M. Marcel Barthe avait
exposé dans son rapport que ces établissements, bons sous la
monarchie pour entretenir le luxe d'une cour et d'une aristocra-
tie, étaient devenus une anomalie et presque un scandale pour
l'austérité républicaine. En conséquence, il proposait de transfor>
mer la manufacture de Sèvres en une fabrique de poterie, et la
manufacture des Gobelins en une teinturerie! Ces étranges ins-
pirations furent accueillies comme elles devaient l'être, et le cré-
dit fut accordé*
Un crédit transitoire dfr 500,000 fr., réclamé par le ministre
pour les mesures à prendre, vu l'invasion récente du choléra»
fut rejeté après une épreuve douteuse. L'ensemble du service
fut voté à une grande majorité (29 mars).
La délibération sur le budget du ministère de ï Intérieur donna
lieu dès les premiers moments à un débat d'une violence peu
commune. M. Léon Faucher et M. Odilon Barrot, attaqués sur un
acte important de leur administration, M. Dufaure qui prêta son
appui au ministère, ne purent parler qu'au milieu d'interruptions
furieuses parties de la Montagne. 11 s'agissait d'un crédit demandé
pour subvention à la Caisse des retraites de l'administration
centrale. Un représentant, M. Brard, vint, à ce sujet, présenter
des observations sur la mise à la retraite de dix-huit préfets qui
avaient tous appartenu à l'ancien gouvernement : leur pension
avait été liquidée, bien qu'ils n'eussent pas trente ans de service,
par application d'un décret de 1806, qui établit une exception
en faveur des fonctionnaires atteints d'infirmités contractées dans
l'exercice de leurs fonctions. C'était là, aux yeux de M. Brard»
nn abus d'autant plus révoltant, que trois d'entre eux. étaient
LES ÉCONOMIES DE LA CONSTITUANTE. 181
maintenant replacés. Au reste, la liquidation avait eu lieu dans
les formes voulues par la loi et d'après les règlements en vigueur.
Les demande? de pensions avaient été renvoyées au conseil d'É-
tat, qui avait donné an avis favorable, et c'était sûr l'avis du con-
seil d'État que le ministre avait statué. Il serait impossible de re-
dire les injures prodiguées par une fraction de la Chambre à l'ad-
ministration. H. Léon Faucher fit observer que l'effet inévitable
de toute révolution est d'entraîner un certain nombre de mises
à la retraite, et qu'il était naturel de ne pas pousser les règles
jusqu'à l'extrême rigueur à l'égard de fonctionnaires subitement
frappés après de longues années de service. Il ajouta que lorsque
le conseil d'État avait reconnu les titres valables, le ministre n'a-
vait qu'à les enregistrer. C'est ce qu'avaient fait les ministres qui
l'avaient précédé, c'est ce qu'il avait fait lui-même. D'ailleurs,
H. Léon Faucher défendait moins sa propre cause que celle de
ses prédécesseurs, puisque, sur les dix-huit préfets, il y en avait
quatre seulement dont il avait envoyé la demande au conseil
d'État.
M. Rivet vint, à son tour, justifier le conseil d'État. Les pièces
loi avaient été transmises': il n'avait eu qu'à en constater la ré-
gularité. Ces explications furent complétées par M. Aufaure, qui
dit qu'on pouvait trouver la législation actuelle insuffisante, mais
que cette législation autorisait les pensions liquidées, et qu'il n'y
avait eu là ni scandale ni immoralité.
Le grief le plus spécieux portait sur la réintégration des trois
préfets admis précédemment à la retraite. Aussi, malgré M. Char-
ras, qui voulait que l'Assemblée nommât une commission d'en-
quête pour examiner les faits; malgré M. Goudchaux qui deman-
dait qu'on laissât ce soin à la commission du budget, les chercheurs
de scandale, abandonnant les mises à la retraite qui concernaient
aussi bien H. Ledru-Rollin que M. Faucher, concentrèrent tous
leurs efforts sur la nomination des trois préfets replacés en acti-
vité. M. Flocon dénonça ces fonctionnaires comme ayant trompé
le pays par des infirmités simulées, et le Gouvernement comme
leur complice. M. Perrée, oubliant sans doute les conditions du
pouvoir, proposa d'intimer à M. Léon Faucher Tordre de révoquer
les trois préfets réintégrée. H. Jules Favre scinda les deux que*-
181 HISTOIRE DE FRÀNCfL (1849.)
torts. Stir la premiers* e*Be qui concernait la liqunbtana des
pensions, il adoptait le renvoi proposé par M. gondebanx. 8ar la
seconde, il proposait d'exprimer on blâme direct et formel contre
le mmvtàrs. M, Ibvre appuyait ta proposition d'argnaneota que
M* Odikxi Barrot A' eut pas de peine à réfuter. Etait-ce donc li-
brement, de leur plan gré çtié ces trois préfets avaient résigné
leurs fonctions pour faire raidir leurs droit» à la retraite. Non, on
les avait destitués : on avait brisé violemment leur carrière. Frap*
pés dans leur avenir, ils avaient osé du droit qui leur appartenait
rigoureusement, littéralement; ils avaient demandé le seul etder*
Hier fruit qu*iis pussent réclamer de leurs longs et honorable» ser*
fiées; ils avaient fait valoir leurs titrée à la pension de retraite, et
fustiftê des infirmités contractées dans l'exercice de leurs fonction».
Aujourd'hui, sous le règne d'une administration moins violent*
et plus juste, pourquoi nrauraient4ls pas en les bénéfices d*wae ré*
paratlonî Pourquoi leur disputer l'honneur de consacrer i l'État
iee restes de leur forcé et de leur intelligence? Où était l'illégalité!
Où était l'immoralité? C'était la doctrine de l'opposition, s'écria
M. Odilon Barrot, qui était vue véritable immoralité. M. le
président du Conseil fil aussi remarquer dans quelle voie dange-
reuse l'Assemblée s'engageait en intervenant dans les choix faits
par le pouvoir exécutif. C'était une véritable usurpation de
pouvoir.
La question fut posée entre Tordre du jour motivé, présenté
par M. Jules Favre, et Tordre du jour pur et simple avec renvoi
a la eommiseion. Cette dernière proposition, conaentie par le
Gouvernement et présentée par M. gondehaux, obtint la priorité.
$08 voix se prononcèrent pour elle et 950 contre (2 avril).
L'incident, terminé dans la Chambre, ne Tétait pas dans le pay#.
De justes susceptibilités se soulevèrent en présence des aecnân*
tkms portées devant TAssemblée. M. le préfet du Rfaénecrut dé-
voir donner sa démission. Il était un dee trois préfets désignés.
M. Léon Faucher refusa de l'accepter, il rappela, dans une circu-
laire, qu'il avait arraché les trois fonctionnaires calomniée k nt
repos devenu nécessaire et il donna un témoignage public d'en*
time aux trots préfets du Rhône, du Cher et de la Hante-Garonne
pour lee soutenir contre dee outrages immérités. Le 7 avril,
LES ÉCONOMIES DE LA CORST1TOANTE. 1*1
M. Julee Fane prit texte de cette publication pour accuser
M. Léon Faucher d'empiéter sur les droite de l'Assemblée. Mail
celle-ci ne s'était pas prononcée sur la question des trois préfets
et M. Léon Faucher pouvait-il être coupable de défendre les
agents auxquels il avait accordé sa confiance et qu'il devait coi**
viir de sa responsabilité? L'Assemblée passa à Tordre du jour.
Le rapport sur l'affaire des pensions fut déposé le 3 mai. La
commission concluait que les pensions accordées depuis le 4CT jan-
vier 1S48 l'avaient été sur des certificats insuffisants ou entachés
de complaisance, et que les dispositions de ta loi avaient été vio-
lées. En conséquence, elle demandait nne révision nouvelle dans
le délai de trois mois- La loi spéciale proposée & cet effet fût votée
le 5 mai. Le Goivernement déclara, par l'organe du ministre de
l'Intérieur que, tout en trouvant quelque danger dans le prin-
cipe de la loi, il ne croyait pas cependant devoir s'opposer à l'a*
doptîon. Ainsi fut close celte affaire dont on avait voulu tirer un
tfandalf particulier à l'administration présidentielle.
A ce débat; tout empreint de passion politique, en succéda un
antre portant le même caractère. Sur la proposition de MM. de
Ludre et Ledra-RoUin, appuyée par MM. Degousée et Crémieux,
nne majorité dei soixante voix rejeta le crédit de 50,000 fr. ac-
cordé au commandant des gardes nationales de la Seine, oq pour
mieux dire au général Changarnier. On se rappelle cette question
d'illégalité, ces pouvoirs extraordinaires, incompatibles en effet
avec des tempe d'ordre et de calme, mais trop justifiés par les cir-
constances actuelles. La commission, argumentant delà diminu-
tion qu'avaient tubie les traitements des plus hauts fonctionnai-
res, proposait de réduire le crédit à 20,000 fr. C'eût été là un yote
financier : mais on voulait un vote politique* M. Ledru-RoDin se
porta garant du rétablissement de Tordre el de l'inutilité du
double pouvoir. D'ailleurs la Constitution était violée par cette
situation exceptionnelle que M. Ledru-Rollm s'exagérait jusqu'à
y voir une indépendance complète du ministère de la Guerre.
M. Faucher, malgré une évidente conspiration de tumulte, ré-
péta dans les termes les plus modérés que le pouvoir de M. Chan-
g&rnier n'était que temporaire. Mais 56i voix contre 304 suppri-
merait le crédit.
184 HISTOIRE DE FRANCE. (1849.)
Le Gouvernement, pour montrer sa bonne foi,, présenta, le 9 avril,
an projet de loi ayant pour but de régulariser la situation du général.
Il y demandait pour trois mois seulement la suspension des dispo-
sitions de l'article 67 de la loi du 22 mars 1851, quj interdit la réu-
nion dans les mêmes mains de ce double commandement. On crut
voir dans ce projet un moyen indirect de revenir sur le vote de
l'Assemblée. 11 n'en était rien. Il n'y avait là qu'une tentative de
conciliation. L'Assemblée se refusa à le comprendre. Le choix
de M. Martin (de Strasbourg) pour président, de M. Chauffeur pour
secrétaire, de M. Grévy pour rapporteur de la commission nom-
mée pour examiner le projet, prouva assez les dispositions de la
majorité. Un membre ayant proposé le rejet du projet, et la
mise en demeure du ministre d'exécuter, la loi Q>ns les vingt-
quatre heures, la majorité de la commission accueillit cette pro-
position. Une souscription s'ouvrit immédiatement dans les rangs
de la garde nationale pour suppléer l'indemnité rayée par la
Chambre : mais le général Changarnier se refusa noblement au
bénéfice de ce don volontaire. On répéta un mot significatif du
général en cette occasion : a Si l'émeute se présente, elle sera
encore réprimée gratis. »
Un autre chapitre du service de l'intérieur donna lieu à un dé*
bat assez vif. 11 s'agissait d'un crédit réclamé pour l'inspection
morale et politique des théâtres. M. le ministre de l'Intérieur
expliqua que ce crédit avait été inscrit au budget par M. Dufaure,
à la suite des plaintes qui avaient été formulées contre les piè-
ces scandaleuses représentées sur quelques théâtres. Il rappela
qu'averti par les inspecteurs, il avait pu mettre un terme à ces
scandales, soit en obtenant la suppression de certains passages,
soit en interdisant la représentation quand les directeurs refu-
saient de les supprimer. Quelques Montagnards se récrièrent
alors parce que le Gouvernement n'interdisait pas les pièces
réactionnaires. Mais bientôt la discussion s'agrandit. M. Jules
Favre prétendit qu'on rétablissait la censure, et plaida la cause
de la liberté illimitée, qui fut aussi soutenue par M. Victor Hugo.
M. le ministre de l'Intérieur répondit que le système suivi par
le Gouvernement, système répressif, ne pouvait être confondu
avec la censure, qui est essentiellement préventive. Il fut appuyé
LES ÉCONOMIES DE LA CONSTITUANTE. 185
par H. Aylies, qui, en se prononçant à la fois contre la censure et
contre la liberté illimitée, pensa que la véritable solution était
entre ces deux extrêmes. Le débat se. termina parle rejet du
crédit qui fut repoussé par 365 volants contre 332.
On pouvait prédire que. ce vote était un premier pas fait vers
le rétablissement de la censure théâtrale. C'est la conséquence
nécessaire de toute liberté illimitée (3 avril).
Les derniers chapitres formaient, £n quelque, sorte» le budget
de la bienfaisance publique. M. Léon Faucher le défendit éner-
giqnement contre les réductions proposées. Ainsi, le crédit ré-
clamé pour secours à des personnes dans l'indigence, fut main-
tenu au chiffre de 717,000 fr., malgré la commission qui voulait
Je réduire à 510,000 fr. C'était, il est vrai, une augmentation de
307,000 fr. sur, les années] précédentes; mais l'Assemblée se
rendit aux considérations que fit valoir M. le ministre de Tinté-
rieur, considérations tirées de la situation générale du pays et
de la cessation du secours que distribuait la liste civile. Il en fut
de même d'un crédit relatif aux secours pour les réfugiés étran-
gers, qui resta fixé à 1,600,000 fr., quoique la commission eût
proposé une diminution de 200,000 fr. Le chapitre des secours
aux condamnés politiques semblait trop élevé à M, Desmolles.
Une subvention annuelle de. 500,000 fr, n'était-elle pas suscepti-
ble d'engager les pauvres à commettre un délit politique? La com-
mission fit remarquer aussi, au sujet des secours aux combattants
de juillet et de février, dont le chiffre s'était accru, de 22,-000 à
150,000 fr., gue la lutte de février n'avait pas été assez sérieuse
pour motiver une augmentation aussi considérable. Malgré ces
justes observations, les chiffres des deux chapitres furent main-
tenus.
. La commission proposait encore de retrancher une. somme de
40,000 fr. sur le service des inspections établies près des mai-
sons centrales et des établissements de bienfaisance. Lar consé-
quence de cette mesure était de réduire ces deux corps à un seul
inspecteur. MM. Jules Favre et Dufaure se réuoirent à M* Léon
Faucher pour défendre le crédit primitif et le système. actuel des
inspections. Sans doute, le système attaqué n'avait pas produit,
jusqu'à présent, les résultats que Ton devait en attendre. C'était
186 HETOIRE DE FRANCE. (1849.)
une raison pour le réformer, mu pour te supprimer. D eonsti+
tuait on ressort indispensable à faction du pouvoir central sur
les nombreux établissements confiée à sa surveillance. Un pre-
mier pas avait déjà été lait dans la voie des améliorations recon-
nues nécessaires. Dans les derniers jours de son ministère,
M. Dofaure avait rempli l'engagement qu'il avait pris de réorga-
niser le service des inspections. Fallait-il désespérer de l'insti-
tution? L'assemblée rejeta la réduction proposée.
Le budget de l'Intérieur fût ensuite voté dans son ensemble à
la majorité de 644 vont eontre.5 (4 avril). .
Quelles économie* importantes pouvait avoir obtenues la corn*
mission sur le budget de V Instruction publique, qui ne s'éle»
vait qu'à SO milfcoaa? Elle arrivait à réduire à grand* peine
444,000 fr., mais en désorganisant d importants services. Ici, au
reste, comme dans tous les autres rapports, la commission du
budget cédait i la manie encyclopédique naturelle aux réunions
dépourvues d'une expérience suffisante. A chaque instant, elle
soulevait des questions de gouvernement et d'administration es-
sentiellement étrangères aux finances : ces questions, elle les d6»
cidait de son autorité privée, sans débat contradictoire, sans en-
tendre les hommes compétents, détruisant surtout ce qui existait,
mais ne rétablissant rien. C'était là une voie malheureuse. Les
réformes politiques et administratives . s'accomplissent par dea
lois spéciales. Lee Imposer par des mesures financières, à l'aide
de votes souvent mal compris, ce n'est pas réformer, c'est dés-
organiser. -
Malgré les efforts de M* de Falleux, auquel M. de Vaulabdle
vipt loyalement en aide, l'Assemblée sanctionna h plupart des
réductions proposées. Il y en avait quelques-unes d'essentielle-
ment regrettables, entre autres celle qui supprimait l'emploi de
bibliothécaire du ministère de l'Instruction publique. M. Chau-
ehart ne put faire revenir l'Assemblée sur eette mesure. Les
inspecteurs généraux furent plus heureux. Leur traitement, que
la commission proposait de réduire à 6,000 fr., fat maintenu i
8,000 fr. La commission, sans attaquer radicalement l'institution
même du concours général, obtint que le crédit fût réduit de
10,000 fr. à 10,000, désirant par là v»ir borner le concoure au*
LES ÉCONOMIES DE LÀ CONSTITUANTE. 187
chtfM» supérieures* Signalons oacor» ^suppression ém chaire*
de théologie. Mais tel, lacomatisskm se trouvait d'accord «rot
1* clergé lui-même. Où pouvait se Mlîdter de ?oir enfin les étn*
dee théotogiqnes repliée* sous l'autorité exckisive'des év équcs
(5 avril).
Restait un chapitre importait, celui qui concernait les insti-
tuteurs primaires. Longtemps avant la révolution de Février,
tons les partis étaient d'accord pour une augmentation de traite-
ment de ces utiles fonctionnaires. M. Pascal Duprat propeeait an-
jourd'hui irae augmentation de 1 million «00,d00 fr. ao moyen
de laquelle le traitement pourrait être porté à on miniihum de
600 fr. pour les instituteurs, de 400 fr. pour les institutrices.
L'augmentation fat portée par la Chambre à i million, ce qui éle-
vait à 590 fr. le traitement des instituteurs communaux. D'antres
augmentations forent accordées, Tune de 200,000 fr. aiedée à
ta réparation des écoles communales; l'antre de 400,000 fr. pour
les saHes d'asile.
Le budget des Affairée étrangères fht tété presque sans discos*
slon, avec les réductions proposées par la commission et faible-
ment Contestées par le ministre. Ainsi une des branchés du ser-
vice Intérieur, la direction politique, fut mutilée parla suppression
de cinq employés sur dix-sept. On pot remarquer quelques ob*
servations de M. Bastide, qui crut le moment favorable pour se
défendre d'avoir jamais reconnu, pendant son administration, les
traitée de 18*5 (9 avril).
Les crédits des Cultes et les quatre premiers chapitres (dette
publique) du budget des Finances, adoptés sans débats aérien,
r Assemblée entendit les développements d'un amendement pro-
posé par M. Cbavoix pour ordonner le remboursement aux con-
tribuable* de l'impôt des 45 centimes. Cette proposition , qui
n'était au fond qu'une machine de parti, amena une discussion
rétrospective. Ce Ait, comme le dh M. Ledru-RoMin, h jour é&t
confessions.
Od entendit d'abord des discours où la proposition était, en
apparence au moins, prise au sérieux. Par une de ces contradic-
tions monstrueuses, dont les époques révolutionnaires peuvent
soutes ftmroir f exemple, on vit eeax-fà même quiAvaient rendu
188 HISTOIRE DE FRANGE. (1849.)
l'impôt nécessaire, qui l'avaient fait subiniu pays, l'attaquer avee
le plus de violence, se récrier contre les souffrances qu'il avait fait
peser sur les populations, et réclamer qu'on le restituât à tout
prii. M. Flocon,- ancien membre du Gouvernement provisoire,
fut un des acteurs de cette comédie de popularité. Il est vrai que,
pour mettre sa responsabilité à couvert, il affirma qu'il avait com-
battu l'impôt des 45 centimes de compagnie avec M. Ledru-Rollin;
mais M. Ledru-Rollin lui-même allait donner à cette insoutenable
assertion le plus sanglant démenti.
Le moment des aveux était vena. M. Duclerc monta à la tri-
bune : on allait donc savoir la part véritable, prise par chacun des
membres du Gouvernement provisoire, à la création de cet impôt.
Les causes de cette mesure, extraordinaire, M. Duclerc les accusa
très-nettement : c'étaient les circulaires de M. Ledru-Rollin ; c'est
au ministre de l'Intérieur du 24 février qu'il fallait attribuer sur-
tout cette origine de l'impopularité de la République, et non pas
à M. Garnier-Pagès.qui, lui, avait combattu dans le conseil pour
que cet impôt ne fût porté qu'au chiffre de 45 centimes pour
franc, tandis que d'autres proposaient 1 fr., 1 fr. 50 cent, et
même 2 fr. C'est la politique de M. Ledru-Rollin qui, en inquié-
tant la France, avait rendu cet impôt inévitable, avait tari tout i
coup et si complètement les ressources du Trésor, que des propo-
sitions de banqueroute avaient été faites dans le sein du Gouver-
nement provisoire.
C'étaient là d'étranges révélations, des accusations bien graves.
Le seul mot de banqueroute eut le pouvoir de soulever des récla-
mations immédiates. MM. Ledru-Rollin et Flocon insistèrent
pour que M. Duclerc déclarât que la proposition de banqueroute
n'était pas partie de leur initiative. Il est vrai que M. Ledru-
Rollin avoua aussitôt ce que M. Duclerc avait eu la discrétion
de ne pas dire, à savoir que c'était lui qui avait proposé 1 fr.
50 cent»; il est vrai aussi que, dans sa pensée, cet impôt ne devait
frapper que sur les riches! Qui ne reconnaissait là les inspirations
financières du 15 mai? On pouvait s'étonner seulement que
M. Ledru-Rollin, qui revendiquait l'honneur de cette idée de
confiscation, repoussât l'idée de banqueroute. Ce n'était pas
tout. L'horreur de M. Ledru-Rollin pour la banqueroute ne
LES ÉCONOMIES DE LA CONSTITUANTE. 189
ratait pas empêché de proposer le papier-monnaie. Quinte jours
après la publication du décret do 42 mars» le ministre de l'In-
térieur, instruit du mauvais effet produit par cette charge extraor-
dinaire, proposait au Gouvernement provisoire d'y renoncer,
mais pour y substituer, par compensation, rétablissement d'un
impôt proportionnel et progressif, et la création d'un papier*
monnaie hypothéqué sur les domaines nationaux, c'est-à-dire
la résurrection pure et simple 'des assignats. On voit de combien
peu il s'en était fallu que la révolution de 184? ne reproduisit
les plus mauvais jours de 1 793.
Après M. Ledru-Rollin, M. Crémieux vint aussi, pour son
compte, repousser l'initiative d'une proposition de banqueroute*
M. Dupont (de l'Eure) nia que cette proposition eût jamais été
agitée dans le Gouvernement provisoire. M. Dupont (de l'Eure)
avait-il tout su? M. Duclerc persista dans son affirmation.
L'incident vidé, quoique d'une manière incomplète, l'Assem-
blée reprit la proposition de M. Chavoix, sous-amendée par
M. Flocon, Cette proposition reposait sur les combinaisons les
plus extraordinaires; les sommes de 100 francs et au-dessus de-
vaient être remboursées en rentes 5 OjO, et toutes les autres
en titres collectifs de rentes S 0;0 ; or, pour donner une idée
du résultat pratique de ces singulières conceptions, M. Passy
déclara qu'il n'y avait pas. moins de 5 millions de contribuables
auxquels les 45 centimes n'avaient pris, en moyenne, que 2 fr.
50 céftt., de telle sorte qu'il aurait fallu créer 5 millions de cou-
pons de rente de 20. centimes. Il est vrai que M. Flocon, ren-
chérissant sur H. Chavqix, proposait, au lieu de rembourser en
rentes, d'effectuer le remboursement en six ans au moyen d'an-
nuités applicables au dégrèvement de l'impôt annuel ordinaire;
mais le budget ne présentant pas d'excédant de recettes, il en se-
rait résulté qu'on aurait accordé par exemple au contribuable taxé
i 190 francs d'impôt, un dégrèvement de 7 à 8 francs à titre de
remboursement des 45 centimes, mais qu'où lui aurait demandé
7 à 8 francs de plus^pour les besoins de l'exercice courant.
Voilà pourtant à quelles conséquences pratiques conduit la pas*
«on politique et l'inexpérience des affaires. La Chambre refusa
194 HISTOffiE DE FRANCE. (1849.)
de s'associer à ces mesurai et «lie repoussa l'amendement Chs>
voix-Flocon, par ht question préalable, à la majorité de 44 4 voix
contre 419, «a scrutin secret <I2 avril).
Le débat fut ensuite porté sur le chapitre inscrit au budget du
ministère des Finances sous le titre de pensions de la pairie, de
«saies de pairs et d'ancien* sénateurs. Le rapport de la nom-
mjssion, tout en oondusnt en> faveur du crédit de 440,000 fr.
demandé pour cet objet, insistait' surtout sur A 'opinion de la mi*
uorité qui réclamait la suppression des pensions [données aux
pairs. Cette opinion se produisit sous la forme d'un amendement
que M. GiaU-Biïoin se chargea de développer» Il s'agissait, an
fond, de savoir ai ces pensions avaient été régulièrement «oocé*
dées ; or, oe qui était incontestable, c'est que la loi du £8 mai
18*9 les avait consacrées et rangées au nombre des dettes de
l'État; vouloir les rayer aujourd'hui, après une jouissance de
vingt années, c'était inquiéter tous les créanciers de l'État, c'é-
tait ébranler la foi dans la fidélité de l'État à remplir ses engage*
usants. Mais bientôt l'amendement proposé par MM. Glaàs-Bisoin*
Aubry et Durand-Savoyat, pour annuler las pensions de l'as**
sienne pairie) disparut devant un amendement plus laigs de
M. Lherbette, qui proposait le rejet de (eut le chapitre. 11 s'agis-
sait d'annuler d'un coup d'anciens services, de dépouiller des
veuves et des orphelins. Aussi M. Lherbette fut-il couvert d'ap-
plaadtssements partis de quelques bancs de la Chambre*
Aux arguments passionnés de M. Lherbette, qui réveillait d'au*
cieunes discordes, M. le ministre des Finances répondit en rame»
nant la discussion sur le terrain des principes. Quel que flrt le
titre auquel ces pensions eussent été obtenues, quelque intar»
prétatien que les dissensions politiques voulussent donner à la
•loi qui les avait créées, ces pensions existaient en vertu d'une loi)
celle du 28 mai 1829, et cette loi avait constitué une obligation
sucrée» M. Goudchaux vint aider honorablement il. flassj dans sa
lutte pour l'honneur de la France. Le principe de la idéUté de
l'État à ses engagements prévalut malgré M. Lherbette, malgré
M. Gkis-Biuoin, malgré la Montagne et ses clameurs* Toutefois,
ce ne fut pas sans peine : à un premier scrutin de division, IV
LES ÉCONOMIES DE LA CONSTITUANTE. 101
meodement de M. Lherbette ne fut rejeté qu'à une majorité de
13 voix, 336 contre 323; à un second scrutin le chapitre ce fut
adopté qu'à la majorité de 543 voix contre 512.
L'opposition prit ta revanche en faisant adopter une rédac-
tion de 153,000 fr. sur un crédit de 400,000 fr, qui figurait
depuis i 834 au budget pour secours aux (pensionnaires de l'an-
cienne liste civile de S. M. Charles X. il. Passy aurait veula une
réduction moins forte, afin de ménager la transition. Mais m
partie de l'Assemblée réservait sa pitié pour des infortunes d'une
autre espèce ( 1 5 avril).
Ce n'était pas tout* Le 16 ami, l'esprit de désorganisation
remporta encore un regrettable triomphe. L' Assemblée Tota une
réduction d'un million sur le service de la trésorerie ; cette diminu-
tion, qai portait pour environ 750,000 fr. sur tes receveurs géné-
raux et pour 250,000 fr. sur les receveurs particuliers, allait jeter
la plue grande perturbation dans le service et peaMtre même le
rendre impossible. La commission du budget, à laquelle revenait
l'initiative de cette proposition, avait soutenu que les receveurs
généraux frisaient des bénéfices exagérés, et qu'il n'y avait pas de
maison de commerce qui ne se chargeât du service moyennant des
avantages moindres que ceux .qui leur étaient accordés; le rap-
port s'était borné à émettre cette assertion sans prendre la $eine
de la démontrer ; M. Gouttai, et surtout II. Goudchaux, essayè-
rent cette démonstration ; mais II. Passy releva les erreurs de
toute aorte qu'ils avaient commises, erreurs de fait et erreurs de
raisonnement, et les considérations qu'il développa avec autant
de clarté que de force de logique, auraient sauvé la question, s'il
avait eu affaire à des esprits moins prévenus. On connaît les fonc»
tions attribuées aux receveurs généraux dans notre organisation
financière; Usent un double caractère, et ils remplissent un dou-
ble WHe, celui d'administrateurs financiers et celui de banquiers
du Trésor ; comme administrateurs, ils centralisent les recettes
effectuées dans leur circonscription, et ils sont responsables de
la geetion de tous les comptables placés sous leurs ordres ; comme
banquiers du Trésor, ils alimentent la caisse des payeurs placés
près d'eux, assurent les services dans leur sphère, transmettent les
excédante, lorsqu'il y en a» à la caisse centrale du Trésor, et, au
192 HISTOIRE DE FRANGE. (1849.)
contraire, lorsqu'il y a insuffisance, tirent sur elle on se font
faire ded envois directs; pour garantie dn maniement des fonds
qui leur passent par les mains, il fournissent, à l'intérêt de
3 p. OfO, des cautionnements qui s'élèvent à 27 millions, et ils
y ajoutent des avances de fonds et des encaisses qui, malgré la
gravité des circonstances, montaient, le ~31 décembre 1848, à
59 millions, ce qui représentait un double cautionnement de
66 millions. Les émoluments accordés aux receveurs généraux
étaient-ils de nature à motiver les réductions proposées par la
commission du budget? On va en juger. Ces émoluments sont de
deux espèces, en raison des doubles fonctions qu'ils remplissent.
A titre d'administrateurs financiers, centralisant les recettes, cha-
cun dans son département, il leur est alloué un traitement fixe
(6,000 fr. à chacun) et en bonifications, taxations ou remises sur
le montant des sommes perçues, une somme totale qui monte à en-
viron 2,250,000 fr.; mais il faut en déduire, pour les frais de bu-
reau etpourle complément d'intérêt du cautionnement, une somme
estimée à l,830,000fr., ce qui laisse un bénéfice de 420,000 fr.
seulement. Il fout y ajouter les bénéfices qu'ils font comme ban-
quiers du Trésor; mais ici, il importe de rectifier une erreur dans
laquelle était tombé le rapporteur : on s'imaginait tyue les com-
missions allouées aux receveurs généraux, pour leur concours au
service de trésorerie, dont ils sont exclusivement chargés, cons-
tituaient des bénéfices nets et entraient tout entières dans leur
caisse; il n'en était rien ; ces commissions allouées sur tous ver-
sements en effets de commerce, ou sur ceux qu'ils font effectuer
en numéraire à la caisse centrale, ne sont que la représentation
des frais de transmission ou de déplacement des fonds, que le
Trésor aurait toujours à supporter, quel que fût le moyen dont il
se servit. Le montant de ces commissions, pour service de banque
et opérations diverses, s'élève à environ 2,500,000 fr., qui peu-
vent laisser 1 ,200,000 fr. de bénéfice net aux receveurs généraux.
C'est donc, en totalité, 1,620,000 fr. qu'ils touchent pour leurs
doubles fonctions d'administrateurs et de banquiers du Trésor,
soit 1 8/600 fr. en moyenne. Ainsi le produit moyen d'une recette
générale, dans les conditions actuelles, n'est que de 18,000 fr.
Or pouvait-on trouver ce produit exorbitant, surtout si l'on re-
LES ÉCONOMIES DE LA CONSTITUANTE. 193
marquait que tout receveur général a des sommes considérables,
7 ou 800,000 fr. en moyenne, engagées au trésor, qu'il est res-
ponsable de la gestion des comptables sous ses ordres ; qu'il sup-
porte des pertes d'intérêt résultant de l'obligation de solder les
contributions en un d'exercice, et qu'il est, en outre, obligé i
des services gratuits pour les caisses d'épargne, les hospices, les
masses des condamnés, etc. Ajoutons que les receveurs généraux
ne retirent des sommes engagées par eux, soit i titre de caution-
nement, soit à titre d'avances permanentes ou accidentelles,
sommes qui s'élevaient i 66 millions le 10 décembre précédent
qu'un intérêt de 7,77 p. OjO, moyennant quoi ils endossent la
responsabilité des débets des agents comptables sous leurs ordres,
et ils font en outre gratuitement tous les services énumérés plus
haut.
A cette assertion de la commission, qu'il n'est pas de maison
de commerce qui ne se chargeât du service à des conditions plus
économiques, M. Passy opposa un chiffre péremptoire; il mit les
2,500,00.0 fr., alloués aux receveurs généraux pour commissions
de banque, en regard des opérations en dépenses qui s'élèvent
à 1,400 millions : c'est-à-dire que les receveurs généraux faisaient
le service de banque au prix d'environ 19 cent, pour 100 fr. ; or
où trouverait-on une maison, an établissement de banque qui pût
opérer à de pareilles conditions? M. Passy prouva qu'en Angle-
terre, où Ton emploie l'entremise des banques, le service coûte
trois fois plu* cher. On pouvait apprécier, d'après cela, les con-
séquences de la réduction. de 750,000 francs : le produit moyen
d'une recette générale descendrait de 18,000 fr. à 10,000; l'in-
térêt des sommes engagées tomberait de 7 fr. 77 c. à 6 fr. 50 c.
environ ; or, croyait-on qu'on pût trouver facilement, et surtout
dans les circonstances présentes, des receveurs généraux à de pa-
reilles conditions! Un seul fait, mais un fait significatif, répondrait
à cette question ; on sait que la recette générale du département
do Nord est la plus forte recette, et c'est probablement une de
celles que la commission du budget avait le plus en vue en pré-
sentant sa proposition ; eh bien 1 il n'était pas encore arrivé au
ministère des finances une seule demande, et plusieurs receveurs
généraux, qui occupaient des receltes moins considérables, avaient
15
tôt Hmom DE FRANCE, (lftfô.)
écrit pour réclamer «entre l'avancement qu'on pourrait être tenté
de leur donner ; tfeit que, pour la recette générale du Nord, 3
faut une misa dehors d'aumoin* i«7OO,O0O fr, or, si l'on ne trou-
vaii déjà que bien peu de capitaliste* qui voulussent; engager
de pareilles sommes aux conditions accordées actuellement,
que serait-ce sous l'empire de nouvelle* conditions t M. Passy,
qui soutint tout ce débat avec un talent reniarquabie, déclara que
le vote de l'Assemblée aurait probablement pour résultat d'eatrai»
ner beaucoup de démissions parmi les. titulaires actuels; c'était
là un avertissement grave et qui eût dû taire impression sur l'As-
semblée; on lui signitiaitque le service allait se trouver en péril;
mais il y avait un parti pris ; le vote fut rendu sous l'influence de
ces passions qui s'attaquent à toutes les positions élevées, et qui,
pour se satisfaire, qe regardent pas à désorganiser les services
publics (16 avril).
La commission proposait encore de faire subir an chapitre
concernant les percepteurs une réduction de 500,000 fr. M. Pasqr
consentit 200,000 fr,, et réussit à ramener la Chambre à ces
termes*
La commission avait mis deux motifs en avant : le premier,
c'est que Ton devait diminuer le nombre des percepteurs, qui
avait été augmenté outre mesure, ce qui permettrait de faire des
économies d'autant plus considérables que les remises qui leur
sont accordées décroissent d'une manière progressive en raison
de l'importance des sommes à percevoir; le second motif, c'est
qu'il y avait lieu d'appliquer uniformément le tarif adopté
en iSÂO pour les attributions de remises, tarif auquel dix-huit
cents perceptions n'avaient pas encore été assujéties. Quantau pre-
mier motif, M. Passy ne fit pas de difficulté de reconnaître qu'on
pouvait diminuer le nombre des percepteurs, non pas cependant
dans une proportion aussi forte que l'avait prétendu le rappor-
teur. Ainsi cette diminution ne pourrait pas être opérée. dans les
campagnes sans entraîner des pertes de temps et d'argent pour
les contribuables ; elle ne devrait porter que sur les perceptions
établies dans les villes. Dans les villes même, il fallait tenir com-
pte des conditions nécessaires à un bon service. A Paris, par
exemple, où U existait actuellement vieglr-neuf percepteurs, on
LES ÉC0MGHIES SE LA COÎWTITDAKTE. iflS
ne pourrait eertaiMmeat pas en supprimer qutterie, comme la
prétendait le rapporteur. La stfppmsmi »e démît pas aller au
thftàde meuf peur que le service n'en souffrit pas; «aïe ce que fit
sortent valoir M. Passy, cfest que, ai Ton m foula* pu porter
une atteinte faucete à des droite aequis, briper violemment dea
eaftatences, ai m devait procéder à la suppression des emploie
qu'an far et à mesure des vacances qui surviendraient par suite de
retraitée ou 4e décès. Quant à l'application uniforme du tarif,
sur laquelle on comptait pour obtenir ef autres économies, il ré*
suite Au débat que la commission avait commis une erreur
singulière; il était vrai que, i\ l'on rétablissait l'uniformité du
tarif, le trésor aurait de moins fortes remises à supporter vis-
à-vis de quelques-uns des percepteurs non encore soumis
au tarif de 4840 ; mais ce que la commission n'avait pas re-
marqué, c'est que, par contre, il en aurait de plus fortes à
supporter vis-à-vis de quelques autres ; de telle sorte que la ré-
duction obtenue par l'application uniforme du tarif, n'eût été que
de 5,000 fr. Si M. te ministre des finances réalisait des économies,
ce serait en procédant d'une manière tonte différente, c'est-à-dire,
eu maintenant l'état de choses actuel à regard de ceux qui
payaient des remises supérieures aa tarif de 4840, et en soumet-
tant à ee tarif ceux qui payaient des remises inférieures. C'est au
moyen de ces deux combinaisons : diminution du nombre des
percepteurs dans plusieurs villes à mesure des vacances : appli-
cation du tarif de 43*0 à ceux soumis actuellement à un tarif
moindre, que M. Passy réaliserait l'économie de 200,000 fr. à
laquelle il consentait, et qui fut votée par l'Assemblée (17 avril).
Tintent ensuite les chapitres concernant les dépenses des fo-
rêts, dés douanes, des contributions indirectes, en réservant tou-
tefois l'impôt des boissons, des poudres, des tabacs, et du serviee
administratif dos postes. Sur ce dernier chapitre seulement, il fut
îatrodutt une modification aux propositions du Gouvernement :
sur la demande de M. Gloxin, le crédit ouvert ponr les dépenses
du personnel administratif des postes fut augmenté d'une soumm
de «50,000 fr. destinée à améliorer la position des (acteurs ru»>
raux. La discussion s'engagea ensuite sur les dépenses du maté*-
rieldes pestes» M. le ministre des financée déclara >«e«Ioftr reooiv-
196 HISTOIRE DE FRANCE. (1849.)
cer à l'exploitation directe de la correspondance du Levant, et
mettre prochainement ce service en adjudication (18 avril).
La commission proposait la suppression de quatre lignes de
malles-postes. L'Assemblée maintint le service de Lyon à Mu-
lhouse; mais elle rejeta les crédits demandés pour les lignes de
Lyon à Marseille, de Lyon à Bordeaux et de Bordeaux à Nantes
(19 avril).
On en était là de la discussion des crédits de finances, lorsque
M. Goudchaux, signalé depuis quelques jours dans des journaux
de province comme l'auteur de la proposition de banqueroute,
prit ce prétexte pour ramener les débats sur cette question. Déjà
M. Achille Fould, accusé également du même fait par des jour-
naux d'opinion contraire, s'était contenté de démentir, par la
voix de la presse, une aussi invraisemblable calomnie. M. Goud-
chaux ne se contenta pas de cette réparation. 11 en appela aux
scandales de la tribune. 11 se plaignit amèrement de la calom-
nie; il se glorifia longuement d'avoir, au mois de mars 1848,
avancé le paiement du semestre du 5 p. 0/o« Ceci répondait à
quelques observations présentées, le 17 mars, par M; Achille
Fould : celui-ci avait dit que le premier ministre des finances de
la République n'avait pas compris tout de suite la gravité de la
situation ; M. Fould trouva, cette fois encore, une confirmation
de son opinion dans les paroles même attribuées par M. Goud-
chaux à un membre 4u Gouvernement provisoire, à savoir que
l'anticipation du paiement du semestre de la rente 5 p. 0/0, en
mars 1848, pouvait être comparée à un bal que donnerait un né-
gociant la veille du jour où il déposerait son bilan.
Que M. Goudchaux eût proposé la banqueroute, personne, au
fond, ne pouvait le croire; mais qu'il eût accepté le ministère
des finances avec une sorte de terreur, qu'il eût été saisi de ver-
tige à la vue des difficultés énormes de sa tâche, qu'il se fût
laissé entraîner à des mesures qu'en tout autre moment sa
loyauté devait sévèrement juger, c'est ce qui était connu de tout le
monde. Après avoir proposé la consolidation des bons du Trésor
et des livrets des caisses d'épargne au cours de 48 et de 75 fr.
ne l'avait- il pas acceptée aux cours de 55 et de 80! N'était-ce
pas là une banqueroute partielle, et l'Assemblée n'en avait-elle
LES ÉCONOMIES DE LA. CONSTITUANTE. 19T
pas jugé ainsi en revenant sur ces conditions, qu'elle n'avait vo-
tées que sur l'avis de M. Goudchaux? Sans doute M. Goqdchaux,
avec une honorable sincérité, avait reconnu à la tribune que le
jour où il avait proposé le chiffre de 48 fr. pour la conversion
des bons du Trésor, avait été un jour néfaste dans sa vie finan-
cière, reconnaissant ainsi implicitement le caractère spoliateur
de la mesure. Aussi, pouvait-on s'étonner aujourd'hui de voir
11. Goudchaux retourner contre ceui qui avaient réparé ses fau-
tes, les indignes attaques qui l'assaillaient lui-même. On ne pou-
vait, en effet, se tromper au sens caché du discours de M. Goud-
chaox : altaquer H. Foold à propos d'un discours de deux mois,
c'était le désigner suffisamment comme le promoteur de la ban-
queroute. Au reste, M. Ledru-Roilin, dont l'indignation à propos
d'une mesure qui ne dépassait pas en conséquence les 1 fr. 50 c.
et le papier-monnaie, fut au moins aussi éloquente que celle de
M. Goudchaux, M. Ledru-RoMin démasqua le sens caché du dis-
cours précédent en demandant à , M. Fould si ce n'était pas lui
qui avait proposé la suspension du paiement du semestre.
M. Achille Fould répondit par une dénégation formelle; mais
M. Goudchaud, quittant tout à coup ses allures de discrétion et
de réserve, désigna hautement M. Fould comme l'auteur de 1?
proposition. C'était un coup de théâtre, auquel M. Ledru-Rolli
eut l'imprudence de donner sa valeur véritable par ce mot pi-
quant, mais maladroit au reste, qui fut entendu de l'Assemblée
tout entière : « M. Scribe n'eût pas trouvé mieux I »
Il est inutile de dire qu'aux affirmations réitérées de M. Goud-
chaux, M. Fould opposa les dénégations les plus formelles. M. Mar-
rast vint' à son tonr certifier qu'il se souvenait parfaitement
qu'au mois de mars 1848, le ministre des finances du gouverne*
ment provisoire l'avait entretenu d'un projet de banqueroute
suscité par M. A. Fould. Or le plan de M. Fould, mal compris,
sans doute, par H. Goudchaux dans ce trouble immense qui avait
paralysé l'esprit du ministre des finances de mars 4848, avait été
celui-ci : garder les fonds en caisse pour assurer le service, con-
vertir en rentes, par un arrangement équitable et facultatif, les
dépote des caisses d'épargne et les bons du trésor; faire appel au
1M HIOTOHtE DE FRANCE. (!«*.)
patriotisme de* estojen* pour les engager * enticiper te paiemes*
do cofttribatiane * au be*om, emprunter à la Banque,
M. Crémieoi apport», lui aussi, son témoignage centre M. Achille
FenU; il était parmi* peut-être de récuser le mémoire de l'ho*
nereble ministre du gouvernement promaire, défais la célèbre
affaire av ec MM. Landrm et Porlalis, qui entraîna s* sertie de
Cabinet (Veyei YJrmmire précédent, p. 196).
L'henoraM* M. Betbmec* apportait, de son oété, à M. A. Poald,
un témoignage tout différent* c feu aviea confiance dans le* res-
source* du pays, vous censidériea comme sacrés toue lea enga-
gements de l'État* » Telle fut la déposition de M. Mettront, qui,
an reste, affirmait que M. Goodcbuut ne lai avait jamais parié
d'ane conversation entre lui et M. FOuld. e 11 ne n'appartient
pas* ajoutait M» Betbmout, d'expliquer U$ rmmmo* de m» mé~
mofrr » (2! avril).
la budget dee finances, l'AesemMée fit euceéder son buég*
particulier, fixé par la commission à la somme de 8 militons
3»*,064 fr. Le dernier budget de l'ancienne Chambre des Déps>
tée n'avait été que de 174,699 fiv
ici se pinçait la discussion don des services le» plus importante:
do budget de la murène»
On se l'appelle qu'une première réduction de tt millions sur
le budget de la marine, réduction exigée par M. Gendcbeu, alésa
ministre des finances, avait été consentie par M, Veroiaac- Lésera
dits inscrite au budget rectifié de 18é8 étaient de 4tf4,86M4Sfr«
Le Goavernemeet demandait penr la marine! en 4849, la somme
de 4£9,8figf0*6 fr. Ainsi l'adroiftistralion elle-même proposait
ane diminution de 9&,e&7,429 fr. De ce projet de budget, qni
perlait ainsi la trace de pénible* sacrifices, la aeeeveommiseiAn
avait eberebé à retrancher encore 40 million*. CTeeVà-dire qu'un
bddget qui, en 4848, s'élevait à 1*1 milHens, serait réduit bru*-
fjuement, en 4 §49, i 89 millions» On avait voulu, disait-on, léduim
le budget dé In marine au nombre d'officier» déterminé par lebud-
gst de 4840. (Tétait une gnnde faite de beltotter amai centiaaei»
sèment on corpequi a besoin sntte^deeUbàlité. Mois peisqnU était
indispensable desaceanmettie^eecere fasB*tMems*éneoelce
LES ÉCONOMIES DE LA COHSflTtJÀNTE. Ift
léifoences par le plos d'équité et le plus de discernement possiMé.
Dopais 1 MO, le personnel de la marine mit été accru suivant des
proportions différentes. Le corps des officiers de vaisseau avait
été augmenté d'an quart; le génie maritime, des deui tien; le
commissariat de ta narine, d'un tiers; les officiers de santé, d'an
tiers. Or, la bOQs-commisskto n'avait tenn aucun compte de ces
ckifres dans son travail. Les officiers de vaisseau supportaient
presque sente la diminution qu'il avait fallu opérer ponr rentrer
dans tes limites dn budget de 1040. Le génie maritime restait
intact, alors que les travaux des constructions navales étaient
cowédfraMemennregtreffits. On privait le Havre, Mantes et Bor*
desra de lears commissaires- généraux, et Ton obtenait, par ce
nerifce, une économie de 5,000 fr« On enlevait 1,900 hommes
i l'artillerie de marine» et il en résultait qtfit ne resterait plus,
daas ce corps, qu'un artilleur par canon. On diminuait de 9,000
ssUats et officiers te corps dé Flnffcftterie de marine. Mais, comme
ils étaient à peine assez nombreux ponr faire le service , te dé*
patentent de la guerre devrait fournir des sokfate de Fafmée de
Ugae ponr la garde des porta. Ce qu'on retranchait k nn dépars
temeat serait reporté sur Tautre. Four arriver k réaliser des
économies plus spécieuses que réelles, on jetterait le déeoura*
paient dans les nags de Y*méê de mer. On priverait la flotte
àm services de 190 officiers et de 93 officiers supérieurs. On
Miserait k terre petfdant plusieurs années, sans possibilité d'à*
tassaient, avec une solde insuffisante pevr vivre faœorabtement,
ces lieutenants de vtissèeti qui sdnt ta toree vtte et r espérance
delà marine,
Lee réductions considérables proposée» par la eammissiofl
fiwtaknt sur tes dea* grande* divisions du département, le pef»
sonnet et le matériel.
Quant au matériel, en ifa pas oobfté l'acclamation spontanée
dv patys, de la prtlse et de ta chambre, votant à Fnnanintité*
après dem éloquente discours de MM. Thier* et de Lamartine*
la subvention de 03 minions demandée en *B46 par M, l'amiral
de Mackau, alors ministre de la marine, pour l'aeeroissenfent da
Matériel delà flotte <Veyet rAnmurit* pour 1046). Ce crédit,
fépcrtt m une période de sept années, n'était pas encore «puisé»
200 HISTOIRE DE FRANCE. (1849.)
Sans don te, on pouvait en ajourner l'application, et réduire
pour un temps les dépenses, au moins celles qui n'étaient pas in*
dispensables au matériel.
Mais quant au personnel, les mêmes sacrifices étaient-Us pos-
sibles? Ce personnel militaire et navigant, force réelle de la
flotte, pouvait-il être atteint sans rendre impossible, dès le len-
demain, le service ordinaire de l'état de paix? Pour la guerre,
on. pouvait au moins affirmer qu'il faudrait l'augmenter immé-
diatement. La marine anglaise compte 4,700 officiers, la marine
française 1 ,600 ; dans la marine anglaise, le rapport des officiers
avec le nombre total des bâtiments est de 7 pour 1 ; en France,
de 4 i?2 pour 4 seulement. Qu'arriverait-il donc avec une ré-
duction nouvelle? D'ailleurs, on ne décrète pas la création spon-
tanée d'officiers de marine comme on décrète leur suppression
instantanée. La République voudrait-elle, une fois encore, atta-
cher, son nom aux plus tristes souvenirs de nos annales ma-
ritimes?
M. Charles Dupin fit ressortir avec une grande autorité, dans
une note importante distribuée à l'Assemblée, le peu de raison et
l'immense danger des réductions radicales demandées par la
commission.
En somme, dans le rapport, le nombre des bâtiments de guerre
se trouvait fixé à 328 bâtiments de tout rang, dont 100 bâtiments
à vapeur. L'effectif des équipages s'élevait à*28,788 marins. D'a-
près les calculs de la commission, son effectif de 26,902 marins
suffisait pour tous les besoins du service, et c'est sur cette base
que s'appuyaient ses propositions. Voici l'article réglementaire
qu'elle arrêtait pour la fixation du cadre des officiers : 4 amiral,
9 vice-amiraux, 19 contre-amiraux, 80 capitaines de vaisseau,
170 capitaines de frégate, 500 lieutenants de vaisseau, 550 en-»
saignes, 300 élèves. La réduction serait opérée au fur et à me-
sure des vacances. Le total des économies acquises par ce sys-
tème s'élevait à 40 millions 754,856 fr. La commission appelait»
en outre, l'attention de l'Assemblée sur le traité passé entre la
France et l'Angleterre pour la répression de la traite des noirs.
Ce traité, disait-elle, n'ayant pas produit les résultats qu'on était
en droit d'en attendre, le Gouvernement aurait i chercher à
LES ÉCONOMIES DE LÀ CONSTITUANTE. 201
en obtenir le plus tôt possible l'annulation par voie diploma-
tique,
La discussion s'engagea le 26 avril, souvent passionnée, pres-
que toujours inexpérimentée. Le résultat désorganisateur des
conclusions du rapport fut si évident qu'avant de rejeter une ré-
daction de 192,000 fr., demandée sur le personnel, l'Assemblée
se trouva dans la nécessité de voter d'abord sur un article addi-
tionnel qui n'était rien moins qu'une nouvelle loi à rendre sur
rétat-major de la flotte, depuis les amiraux jusqu'aux aspirants.
Ge n'est qu'à la majorité de 40 voix que la Chambre dut de ne
pas se laisser entraîner à un abus si singulier. M. Bureaux de
Pusy, M. Perrinon soutinrent les propositions de la commission
que Ma Dofaure combattit avec ce talent lucide qui le distingue.
Le chiffre demandé par le Gouvernement fut adopté, sauf une
légère réduction de 9,000 fr.
11. de Lamartine avait commencé un discoure en Rétablissant,
comme M. Dofaure, sur le terrain des faits; mais le brillant ora-
teur s'égara bienlôt dans l'examen des questions de paix et de
guerre en général (26 avril).
Il ne s'engagea ensuite de débat sérieux que sur la solde, et,
partant, sur le nombre des matelots qui devraient être embarqués
pendant l'année 4849. A cette époque déjà avancée de l'année,
la commission proposait de ne voter que les crédits suffisants
pour entretenir un personnel de 25,502 matelots embarqués,
lorsque déjà, le 10 avril, et conformément aux prévisions du bud-
get précédent , le chiffre des hommes présents sur les bâtiments
de guerre était de 28,438. Si l'Assemblée se fût conformée aux
prescriptions du rapport, le ministre eût-il rappelé, pour les dés-
armer, quelques-uns des bâtiments qui figuraient dans les stations
navales de la Pkrta, ou des mers de l'Iode et de la Chine, ou de
Tahiti, ou de la côte occidentale de l'Amérique? Non; il aurait
fallu imposer en totalité à l'escadre de la Méditerranée les réduc-
tions versées sur l'ensemble. MM. Dofaure et le général de Lamo-
rtcîère firent ressortir l'impossibilité pratique d'un vote semblable,
et les membres les plus ardents de la Montagne eurent seuls le
courage de voter la réduction. M. Schœlcher lui-même combattit,
en ce sens, MM. Goudchaux, Guichard et Perrinon. U est vrai que,
(
(i&9.)
/
200 HISTOIRE DE T
Sans doute, on pouvait en^ * ans a* *Pr
pour un temps les dépenses t **>
dispensables au matériel. > \ ?' ^n^
Mais quant au personr ' * n,r
sibles? Ce personnel > % A *
ûotte, pouvait-il être// X * a"a PIq*> .
demain, le service • l ^ tt l'animent des im%
on. pouvait au wfL$ ***, dans le* colonies . Qti*é-
diatemcnt. La vrf jdmer l'organkafton de la guerre
française 4,60 / .a à ces malheureuses imptattioits en
avec le noraj ' «effectif de nnftnterie de marine,
de 4 1/2 p ^m un amendement de M. Charles Dupio, qai
duction r ,«ndre aux ouvriers des arsénaut 500,000 fh re^
tanée <* ^r j* commission* Vainement M. le ministre des Tr*-
*nrtar ptfWics fit-il observer qu'en ce moment, où les travaux de
che .tfttdion dam to porta de commerce étaient considérable-
**' j£T'«,éf,lls> l€B «w™*1* iwvoyé» des arseaan* de rÊtaf affalent
^^er dans la miièrt ; la rédaction Ait adoptée (27 Avril).
14 lendemain, par suite de plusieurs irrégularités slgnetéee
4,04 le résultat du scrutin de division auquel l'Assemblée avait
jjfocédé la vrille air >e crédit relatif à rinfetiterfe de marine, fl
/tt fait un nouveau tour de scrutin qai prodei stt une majorité de
63 vôii contre la rédnetion* Les garnisons des colonies se se
raient doue pas aMMies au moment où elles étaient plus néces-
saires que jeamis»
M. Kaagnin réussit ensuite à faire maintenir dans les crédift
affectés à Takiti, une somme de 50,000 fr.. pour prouver que
P Assemblée ne s'associait pas à l'idée d'une évacuation proposée
par M. Aylien*
Le budget de la mariée Ait on An roté dftns sdn ensemble
(M avrils
Le budget de la /•**<* né donna liée qu'à de «outrtes éipffes-
tiens échangées entre te minfetr* de la ttsfiee et le rapporteur
de la ceoransaioB. M demeura convenu , de part et d'autre, que
Ms rédactions jugées possibles et tféeessafres dans les traitements
àè la magistrature ire pMMtonf s'epéref quant fc présent. Ltf
feree des thaïe* ea aidait r^Joevffemenf aprèsrle to» df h M
LES ÉCOHGIHÇ CONSTITUANTE. 205
<rgante*ti°D P*iç £l concluait à la stfppres-
orvovBêl de 'ère créés en 1840, et
\ le min H Pour l'artillerie, la
"tes $ | batteries; elle de-
y -^ l ombre des régi-
o pas en» 4 ; réduction dans
u>oeeMion bien grav* * i/ e,,e voulai*
^** prononcées par le gouvernent^ ,<ïeux <xJm-
^rUin nombre de magistrat*. Bt cependant, la . ' de 1 ar^
proclamé la principe de l'inamovibilité, ( ceux
Sur le budget de la Guerre, comme sur presque toos les * '8 à
les proportion* de la commission modifiaient profondémea\ ^
cbiiTreu portée te projet de budget; elles reposaient sur nus £,
minutioD considérable de l'effectif prisent sons les drapeau*
Lo bodget de la guerre, présenté par le Gouvernement, mon-
tait à 954 millions ; cette somme n'était pss seulement inffriefcre
ava dépenses effectuées pendant l'année 1848, qui avait absorbé
419 millions, mais qui doit êtrs considérée comme une année anos*
maie, elle était encore au-dessous des dépensée des années 1*47
et 1 tée, qui avaient été pour la première, de 375 millions* et, pont
le seconde, de MO ; et cependant» sur la somme de 954 million*,
demandé* par le Gouvernement peur 1849, la commission pro-
posait d'opérer des rédactions moment à 49 militons, ce qui le r*>
mènerait à 314 mettions ; elle produisait» es outre, un aperçu qui
la lirait tomber à t80 mlttkmepoar 48*0. Le rapport de M. Gré-*
terht e'atiaebeit à développer cette opinion, qu'A Importe moine
d'entretenir en permaneaco «ne armée considérable que 4e le
ménager ono réserve ponr pourvoir eux éventualités de la guerre*
lf voûta* 'qu'on flt paeser plue dTwmmes sons tes dnpeeui, et
qn'o* le* y laissât moins longtemps. En conséquence de ce sy »*
Mme destructeur, voici la réduction immédiate que proposait
tfeftteteer i&cemmfesioft : oo mit qœ le nombre actuel des
troupe*, par suite des erreonstanos* politiques, dépassait ceint
do Wf ,999 hommes, qui avait servi de base au projet présenté pef
I* gouvernement. Au i* février 1848, l'eicédent était do 79,099
hommes et do 8,090 ebevaui ; noue avions 993,099 Homme* ei
Fftnétef 79,990 en Algérie, Pour retenir 4 l'ettciif de bodget,
HISTOIBE DE FRANCE. (1849.)
bietM après, M. Seteateter repartit i la tribnne pour appuyer
la réduction proposée sur l'effectif des garnisons à entretenir
dans nos eotomes. Pouvait-on méconnaître que, pendant long-
temps, après le brusqoe affranchissement des colonies, Tordre et
1* paix n y reposeraient que sw le nombre des soldais que la
métropole pourrait y entretenir. M * Schoelcher alla pins Foin : fl
pressa le ministre de pourvoir sans délai à Farmément des mili-
ces, c'est-à-dire de la garde nationale, dans les colonies. Qn*é-
tait-ce antre chose qw de réclamer l'organisation de la gnerre
civile ? L'Assemblée s'associa à ces malheureoses inspirations en
votant la réduction de l'effectif de nnfonterte dé marine.
On repoussa enfin tm amendement d4 M. Chartes Bupto, qui
proposait de rendre au* ouvrier» des arsénau* 500,000 fr. re-
tranchés par la commission. Vainement M. le ministre des Tra-
vaux publics fit-il observer qu'en ce moment, oA les tmatrt de
construction dans les ports de commerce étaient considérable-
ment ralenti», les onvrlers renvoyés des arsenaux de TÉtat allaient
tombe? dans la misère; la réduction fot adoptée (27 frvtiî).
Le lendemain, par suite de plusieurs irrégolarltée signalées
dans le résultat d» ssrntin de division auqnel l'Assemblée atait
procédé la veille ssr le crédit relatif à l'irtffemferie de marine, fl
fnt fait un notresn tour de scrutin qai produisit un« majorité do
63 Tôix centre ht rédaction. Les garnisons de» colonies ne se
raient doue pas attribues au moment où elles étaient pins néees*
mires que jamais.
IL Meegnin réunit ensuite à Mrs maintenir datte les crédits
affectés à TaèuU, une somme de 50,000 fr., pour prouver que
1? Aseesiblée ne s'associait pas à l'idée d'une évacuation proposée
par M* Àyfiee,
Le bidgtt de la nasrlié fot ffifid totê dftns sdn «nsomUo
(18 avril).
Lé tarifent de la JmMo* im (tonna lien qu'à 4e courtes oipRea*
tiets éeàangées entra te ministre de ta Jtwtiee et le rapportent
do la <*Mrissioft* M demewa eotveira , de part et d'antre, qoo
tes rédactions jugées passibles et nécessaire* dans les traitement*
dé te magistrature ne pwvttenl s'opérof quérnt k présent. La
fetoe ém rirtie* e* eti^t r^jéa*^^
LES ÉCONOMIES DE LA CORSTITUANTE. 103
sur l'organisation judiciaire et le» rédaction* qu'eHe amènerait
dan» le perooirael de la magistrature (Fbys* plm loin). ProTt-
soireoent, M. le ministre de la Juetiee prit l'engagement de se
conformer aux vues de l'Àesemblée, en se toisant trae loi de ne
pourvoir aui vacante» que dan» le» limites rigoureusement né-
cessaires pour ne pas entraver l'administration de la justice. C'é-
tait là ooe coneeesioa bien grave : on maintenait ainsi les sus-
pension» prononcées par le gouvernement provisoire contre an
eertain nombre de magistrats. Et cependant, la Constitution avait
proclamé le principe de l'inamovibilité.
Sur le budget de la Guerre, comme sur presque tons le» antre»,
le» propositions de la commission modifiaient profondément lel
chiffrai portée au projet de budget; elles reposaient sur une cfr
minntion considérable de l'effectif présent son» le» drapeau*
Le budget de ht guerre, présenté par le Gouvernement* mon*
tait I 884 millions ; cette somme n'était pas seulement inférieure
an dépense» effectuée» pendant Tannée 1848, qui avait absorbé
4*9 million», mais qui deitètre considérée comme une année anoe»
date» elle était encore au-dessous de» dépense» des années 184?
•t 1846, qui avaient été pour la première, de 87& millions, et, pont
1* seconde, de 880 ; et cependant» sur la somme de 884 miUion*,
demandée par le Gouvernement peur 184$, la commiwttre pro»
posuit d'opérer des rédaction» moment 8 48 millions, ce qui le m»
mènerait à 344 taillions ; elle produisait, en outre, un aperçu qui
h ferait tomber à 880 mittîonepoar 1880. Le rapport deM,Gré-
terf il rattachait à développer cette opinion, qu'il Importe moine
d'entretenir en permanence «ne armée considérable qae de le
mdaager une réservé pour pourvoir aux éventualité» de la guerre*
Ê voulait qu'on Ht passer plus d'homme» sous tes drapeau*, et
qu'on le» y laissât moins longtemps. En conséquente de ce *f»*
tome destrtieteftr, vote* la réduction immédiate que proposait
é'éftfetner lâcemmfsakm : on sait que le nombre actael des
tfeope», par suite des cîreonstanesa politique», dépassait eekfl
de Stl ,008 bemme», qui avaif servi de base au projet présenté paf
le Aettvernement* An i * fétrfer 1 848, l'eicédant était de 75,008
hommes et de 8,000 ehevaux ; noue avion» 98&,0ûO bomme* el
r fanée et 7M00 en Algérie, Pour munir è reffeeti* du budget*
tOt HISTOIRE DE FRANGE. (1849.)
il faudrait donc renvoyer la classe de 4842, fortede 61,500 hom-
mes, et 13,500 soldats de la classe de 1843. Mais ce n'était pas
tout. La commission n'entendait pas que Ton conservât ces
381,000 hommes passé le l'r juin. Elle voulait qu'à partir de
cette époque, l'effectif fût ramené, tant en France qu'en Algé»
ree, à 284,000 hommes et à 68,000 chevaux, de telle sorte qu'on
devrait congédier les classes de 1843 et de~1844 et n'appeler que
40,000 hommes du contingent de 1848. Si l'on déduisait de ce
chiffre de 284,000 hommes les états-majors, la gendarmerie et
les vétérans, il en résultait que l'armée serait réduite à 258,000
hommes n'ayant en moyenne qu'environ deux années de service.
En comparant cette situation à celles de 4844, 1845 et 1846,
on aurait en France une diminution de 40,000 hommes,
dont 25,000 hommes d'infanterie, 9,500 de cavalerie, 3,500
d'artillerie, 1,450 du génie, et 1,050 des équipages militaires.
A côté de la force numérique des corps, vient se placer, pour
son influence dans les dépenses de l'armée, la composition des
cadres. Le nombre de nos régiments d'infanterie était actuelle-
ment de cent, non compris dix bataillons de chasseurs à pied*
La commission était d'avis de conserver les cent régiments, mais
de réduire le nombre des bataillons de trois à deux par régiment
en temps de paix, et de supprimer en outre les dix bataillons de
chasseurs à pied. Si cette combinaison était adoptée, nn tiers
des officiers des régiments deviendrait disponible. Ils seraient
détachés à tour de rôle, disait le rapport, pour le recrutement et
pour les revues de la réserve, ainsi que pour divers emplois des
places qui n'exigent pas une instruction spéciale. Indépendam-
ment de ces propositions, qui touchaient au personnel des offi-
ciers, la commission demandait s'il ne serait pas possible de
retrancher plusieurs emplois dans les régiments, de réunir les
fonctions d'adjoint au trésorier et de porte-drapeau, de faire
remplir celles du lieutenant-colonel et du major par le même
officier, ou du moins de donner au major les attributions ac-
tuelles du trésorier. Enfin, la commission insistait pour qu'on
entrât, dès à présent, dans la voie qu'elle indiquait en laissant an
moins un emploi sur trois sans y pourvoir et en réduisant i deux
cents au plus les admissions nouvelles à l'école de SaintrCyr. En
LES ÉCONOMIES DE LA. CONSTITUANTE. 205
ce qui concernait la cavalerie, le rapport concluait à la suppres-
sion des quatre escadrons de cavalerie légère créés en .1840, et
de cinq escadrons de guides créés en 1848. Pour l'artillerie, la
commission réclamait la suppression de 26 batteries; elle de-
mandait qu'on fit porter la réduction sur le nombre des régi-
ments, parce qu'il en résulterait une plus grande réduction dans
le nombre des officiers, des canonniers et des chevaux ; elle voulait
aussi diminuer le train des parcs des pontonniers de deux com-
pagnies par escadron. Quant aux travaux extraordinaires de l'ar-
tillerie et du génie, qui embrassent les travaux de défense et ceux
de casernement, la commission les réduisait de 17 millions à
9 millions, en émettant le vœu qu'à l'avenir les projets fussent
établis de manière à ne pas excéder une allocation annuelle de
8 millions, qui serait suffisante, d'après le rapport, pour ter-
miner en quatre ou cinq ans l'ensemble des travaux entre-
pris.
Enfin l'administration de l'Algérie serait diminuée de 32 à 28
millions, diminution qui porterait sur les différentes branches des
services civils.
Tel était l'ensemble descombinaisons.de la commission, dont
l'effet inévitable serait la complète désorganisation de l'armée*
La discussion, ouverte le 3 mai, porta sur le point le plus im-
portant : la réduction des cadres de l'armée active. Cette proposi-
tion soulevait deux objections graves, l'une de pure forme, l'autre
essentiellement politique. La constitution des cadres de l'armée
est une question organique, et précisément une de celles qui se
rattachent à l'organisation générale de l'armée. Or, était-il pos-
sible de discuter une question semblable dans la loi du budget, au
moment même où on allait voter sur l'organisation de la force
publique ? ( Voyez le chapitre suivant )• D'un autre côté proposer
de réduire les cadres de l'armée, c'était proposer le désarme-
ment, c'était décider que toutes chances de guerre et de compli-
cations antérieures s'étaient évanouies. C'est à ce point de vue que
la proposition fut combattue par une incontestable autorité, celle
do général de Lamoricière. M. Mauguin appuya cette éloquence,
spéciale par une revue un peu trop générale de la politique eu-
ropéenne. Le débat finit par un ajournement qui fut voté sur la
SM HISTOIRE DE FRÀHCE. (iStt.)
proportion 4a général Cavaignac et appuyé par M. le mfnitto de
la guerre. En d'outrée termes t'était décider que lee cadres de
l'armée active fieraient fixés, comme le prescrirait la Constitu-
tion, par «ne loi spéciale à présenter dans le délai d'un an.
Les rédactions proposées sur le traitement des généraux de
division et des généraux de brigade commandant en Afrique,
n'eurent pas l'assentiment de l'Assemblée. Elle rejeta également
une réduction sur les indemnités accordées an capitaines qui
commandent des troupes en état de rassemblement (3 mai).
On s'occupa ensuite de la gendarmerie mobile que la commis-
sion proposait d'incorporer dans la garde municipale, afin d'ob-
tenir une économie de 300,000 francs ; le général ftaraguey-
d'Hilliers combattit cette proposition, en invoquant les services
rendus par ce corps et en insistant sur la nécessité de le. mainte-
nir dans son organisation actuelle ; il parvint à faire prévaloir son
opinion, et la réduction demandée par la commission tut re-
poussée.
Le chapitre des frais de justice militaire souleva une question
grave; la commission proposait la suppression de l'indemnité al-
louée aux officiers en retraite qui remplissent les fonctions de
commissaires et de rapporteurs ; c'eût été, en réalité, l'abrogation
du décret du Gouvernement provisoire, quf avait enlevé ces fonc-
tions aux officiers en activité pour les confier à des officiers en
retraite ; la commission n'avait vu qu'une affaire d'économie,
là où il s'agissait à la fois de bonne administration et de
bonne justice ; heureusement l'Assemblée rejeta cette proposi-
tion ; les officiers de l'année ne seraient plus enlevés désormais à
leurs occupations actives, et les officiers en retraite, appelés près
des conseils de guerre, formeraient un parquet permanent qui
conserverait les bonnes traditions.
Vint ensuite la question qui dominait tout le budget de la
guerre, la question de l'effectif. Nous avons déjà fait connaître
les propositions de la commission : elle demandait qu'à dater du
4«r juin notre effectif fût ramené à 284,000 hommes ; c'était
97,000 hommes de moins que l'effectif porté au projet de budget;
c'était 168,000 hommes de moins que celui qui est actuellement
sous les drapeaux. D est inutile de foire ressortir les funestes
LES ÉCONOMIES DE LA CQBBHïtJANTE.
séquences qu'une pareille réduction de l'innée aurait nliplnfins
dans las circonstances actuellea; jamais peut-être la paittiqua
extérieure n'avait présenté autant d'embarras et de difficultés* A
l'intérieur, on avait à protéger la société centre de* epneme qui
ne prenaient pas seulement la peine de déguiser leurs projets.
C'était surtout de l'armée française qu'on pouveit dire qu'elle ml
l'armée de la civilisation. Envisagée sous le peint de m de notre
organisation joUilaire» la réduction proposée par la commissk»
n'aurait pas eu des résultais moins déplorables; pour ramener
l'effectif au chiffre indiqué, il aurait fallu renvoyer les bornâtes
appartenant aux quatre classes les plus anciennes. On aurait ainsi
privé l'armée de ses vieux soldais* c'est-à-dire de sa plus grande
force, et comme le» soua-ofliciers et les caporaux sortent de leurs
rangs, il s'en serait suivi qu'on aurait vu des régiments se trouver
sans un sous-officier et un caporal,
H était difficile de répondre à ces arguments pratiques que lit
valoir M. le ministre de la guerre, que développèrent après lui
M* Jules de Lasteyrie, M. de Lamartine, H. le général de La-
moricière. Un membre de la commission. M* Guichard, révéla
assez imprudemment la pensée véritable cachée derrière ees éco-
nomies funestes : on n'avait pas mécoQAU la gravité Oh dreons*
tances, mais l'administration actuelle n'avait pas les empathies
d'une partie de l'Assemblée. Ainsi, on portait la perturbation
dans l'année pour satisfaire des rancunes personnelles (8 mai).
La Chambre se refusa encore à ratifier la plupart des réduc-
tions proposées sur le matériel de l'artillerie, ainsi qu'une écono-
mie de 50,000 francs sur le personnel des poudres et salpêtres,
qu elle rejeta au scrutin de divison, par 282 voix contre 247
(0 mai).
Une diminution de 700,000 francs, demandée sur les places
fortes fut égalemeut repoussée.
Sur le chapitre de l'Algérie, la Chambre consentit à réduire à
12,000 francs Je traitement du gouverneur-général (12 mai).
Nous renvoyons au chapitre spécial sur les colonies le débat
qui s'engagea sur les résultats obtenus en Algérie dans les colo-
nies de 1848.
Avec le budget de la guerre était complété le budget des dé-
906 HISTOIRE DE FRANCE. (1849.)
penses. Le budget des recettes vint à discussion le 17 mai. Aus-
sitôt on vit surgir, sous la forme d'amendements, une foule de
dispositions qui devaient porter des atteintes plus ou moins graves
au revenu public. Ce n'était pas assez d'avoir obtenu déjà la di-
minution de la taxe des lettres et la réduction de l'impôt du sel;
ces deux mesures avaient laissé dans les ressources du Trésor
un vide qu'on n'avait pas encore trouvé moyen de remplir. Par
exemple, on vint demander que l'Assemblée décrétât l'abolition
de l'impôt des boissons à partir du 1er janvier 1850. M. Lalrade,
auteur de l'amendement, laissait à trouver au ministre des finan-
ces le moyen de remplacer cette importante ressource. M. Passy
et M. Gouin n'eurent pas de peine à démontrer ce que cette pro-
position avait de dangereux» Supprimer l'impôt des boissons,
c'était enlever encore au Trésor le revenu de plus de 100 mil-
lions. Où trouverait-on le moyen de combler ce nouveau vide? Il
faut le dire avec regret, l'Assemblée adopta l'amendement de
M. Lalrade à la majorité de 293 voix contre 259. 11 est juste de
dire que l'Assemblée constituante n'avait plus que quelques jours
à vivre. Elle imitait donc Je Gouvernement provisoire et préparait
de gatté de cœur à l'Assemblée législative tous les embarras qu'on
lui avait légués i elle-même !
Le scrutin sur l'ensemble de la loi de budget donna pour ré-
sultat t sur 581 votants, 571 contre 10.
ÉBAUCHES ET AVOftTEMENTS LÉGISLATIFS. 90»
■^■« —
CHAPITRE XII.
ÉBAUCHES ET AVORTEMENTS LÉGISLATIFS.
Organisation judiciaire. — Ancien projet, nouveau projet; désorganisation
et réforme; cour de cassation, chambre des requêtes; plaidoyer de M. Dupin,
Jet smax coaattnaate*, la grande et la petite ; MM. Valette et Odilon Barrot,
utilité et abus de la chambre des requêtes ; personnel, nombre de» conseillers;
cours d'appel, suppressions, et réductions; interruption, remaniement du
projet; institution nouvelle de la magistrature, amendements de M. de
Montafeabert et de M. Jures Favrc ; inamovibilité; M. Crémieux était-i!
réfwWicain le 24 février; r Assemblée arrête la discussion ; pourquoi on
axait voulu réorganiser la magistrature ; prorogation de Tétai provisoire.
Organisation de la FORCE publique. — M. Charras et l'armée française;
projet de M. de Lamoricicre ; y avait-il urgence, ou même opportunité; éco-
nomie du projet, remplacement, discussion, M. lé ministre delà guerre,
Ml(. Besnard, Branet, Sainte-Beuve, Baragaa^HilUers, de Parièu, Victor
Lefranc; le véritable inventeur de l'organisation proposée, M. Jeffres; la
commission hostile au principe du remplacement; pécule, cotisation, pension
de retraite; ajournement du projet.
Responsabilité des ministres et du président de la république. —
Ajournement.
Loi organique de l'enseignement. — Rapport de M. Jules Simon.
Cautionnement des journaux. — Demande de prorogation de la loi du
9 aont 1848, rapport de M. Dupont (de Bussac) ; adversaires dn cautionne-
ment, M. Ledru-Rollin ; prorogation de la loi; liberté accordée au colpor-
tage, an criage et à Ta/fichage jusqu'aux élections; les journaux et les cà-
Bibus DE main-morte. — Voted'une taxe nouvelle.
Impôt son les successions et donations. — Retrait du projet.
Timbre des effets de .commerce. -*- Ajournement.
£o même temps qu'elle s'occupait du budget et qu'elle reflé-
tait dans des discussions nombreuses les émotions politiques du
14
210 HISTOIRE DE FRANCE. (181».)
pays, rAsscmWêe avait à examiner un grand nombre de projets
ou de propositions de Tordre administratif. Là, presque tout était
à faire, car les premiers mois de la Constituante avaient été em-
ployés à désorganiser la plupart des institutions fondamentales.
Tout avait été remis en question, magistrature, armée, finances,
Tesprit de réforme >avait tout attaqué, comme la Constitution
même du pays. Aujourd'hui se représentaient la plupart de ces
tentatives ébauchées pendant les jours de l'anarchie. Le Gouver-
nement, l'Assemblée elle-même avaient a lutter de toutes parts
contre les efforts inexpérimentés des désorganisateurs, contre les
théories mal étudiées, si facilement acceptées la veille.
Le 2 février, par exemple, revint à l'ordre du jour un projet
relatif à l'organisation judiciaire. Il ne restait là, i la vérité, que
quelques traces du projet rédigé par la commission que le Gou-
vernement provisoire avait instituée quelques jours après la ré-
volution de Février. Ce premier projet, on se le rappelle, rema-
niait de fond en comble, dans son ensemble et dans ses détails,
toute l'organisation judiciaire de la France. Les tribunaux d'ar-
rondissement étaient supprimés; le nombre des cours d'appel
était réduit de vingt-sept à dix-neuf; l'institution du jury était
appliquée aux mises en accusation et au jugement des délits
communs en matière correctionnelle ; un grand nombre d'offices
ministériels étaient abolis. Enfin, le corps entier de la magistra-
ture devait recevoir une institution nouvelle, et l'inamovibilité
des magistrats, base de leur indépendance et de leur autorité,
était proclamée incompatible avec le Gouvernement républi-
cain.
Le nouveau projet de loi, préparé par M. Marie et examiné par
une commission dont M. Boudet était rapporteur, n'avait pas, à
beaucoup près, une portée aussi révolutionnaire. C'était plutôt
une loi de réforme qu'une loi d'organisation. EU* «'attachait i
corriger, à perfectionner les détails, plutôt qu'à remanier l'en-
semble des institutions judiciaires. Rien n'était innové dans les
principes, dans les juridictions, dans la compétence. Et pourtant
les regrettables inspirations de MM. Crémieux et Martin (de
Strasbourg), s'y faisaient encore reconnaître par quelques côtés.
Aussi, pouvait-on penser, avec M. Bouliier de l'Écluse, que tout
ÉBAUCHB8ETAV0BTEîffifn»IJÈfiBLATlFS. *tt
ce qaïïl j atait de ttomn dans l*f>r«j«t4tMt m danger udffr-
toMe : rboaocaUe représentant formatait ««Ni opinion par m
amendement radical ainsi «reçu : « i'organisatisn actuelle 4e h
justice est maintenue, a Cette orgi— isatisa*, ea «Cet, avec «as
droonscriptieiis, n* ébatte pat consacrée parnneeipCrienoefc
cinquante ans? La plupart des corn» et des tribunaux n'ataienttti
pas remplacé 4'aacieMet juridictions pnmnciaies auxquelles
s'attadieient 4es souvenirs, des habitudes, 4és intérêts respec-
tables? Le nouvel ordre de choses promettait, il «al frai, la justice
à boa marché: mais, par «ne contradiction éclatante, ft étei-
gnait la jastiee do justiciable et aérait peur eftt de la rendre plus
lente et ptns coûteuse. Depuis un demi-siècle, les mêmes limites
étaient tracées atix circonscriptions j udietaires et eux circonscrip-
tions administratives : par la juxta -position de ces deux pou*>
voirs, n'étaiMl pas évident qu'on avait routa leur donner les
moyens matériels d'unir et de concerter leur notion poar la
rendre pins puissante et plus sftreî
Le nouveau projet se divisait en dewx parties essentielles. La
première avait poar but 4e modifier la composition des cours et
des tribunaux, en réduisant le nombre des magistrats et celui des
cears existantes. La seconde rêvait Tordre et les conditions 4e
la candidature à laquelle l'aride tS de la Constitution atart sou-
mis les nominations et l'avancement dans la magistrature, fin
outre, le projet de la commission comblait une lacune du projet
ministériel, en déterminant les causes qui pourraient motiver
l'admission des magistrats à la retraite, et les formes 4ans les-
quelles elle devrait être poursuivie et prononcée d'après Tar-
tide £7 de la Constttafion.
La première question que «enlevait le projeMtait relative à la
cour 4e cassation. Cette cour renferme une chambre civile, une
éhambre criminelle et une chambre des requêtes. L'existence 4e
la chambre des requêtes est fondée sur le respect d* à l'autorité
ée la chose jugée. 11 n'y a pas trois degrés de juridiction; H n*y
en a que deui : le tribunal de première instance et la cour d'ap-
pel. Quand ces deax degrés de juridiction ont été parcourus, te
procès est vidé, la décision est acquise i la partie qui a triomphé.
Quanti la partie qui a succombé, si elle est condamnée Injuste-
212 HISTOIRE DE FRANCE. (1S49.)
ment, c'est un malheur, mais on malheur irréparable, parce
qu'il y a fin i tout, ai que les procès ne doivent pas s'éterniser.
La cour de cassation n'est pas un troisième degré de juridiction,
«'est un remède extrême établi par la loi dans l'intérêt de la loi,
«on dansielui du plaideur. Si le plaideur en profite, ce n'est
jamais qu'indirectement. Il suit de là que la voie de cassation ne
doit pas Couvrir légèrement, selon le caprice, la mauvaise hu-
meur et l'entêtement des plaideurs. La chambre des requêtes est
une barrière établie contre l'abus de cette faculté. Ella a pour
mission de recevoir les pourvois en matière civile, de les sou-
mettre à un premier examen» aans débat contradictoire; de faire
un triage entre ceux qui sont sérieux et ceux qui ne le sont pas ;
de laisser passer les uns et d'écarter les autres. Cette première
épreuve, en arrêtant sur le seuil les pourvois inconsidérés,
a pour effet nécessaire de les rendre moins nombreux, d'assu-
rer le respect de la chose jugée, d'épargner à la justice la perte
d'un temps précieux, et à la partie qui a gagné sa cause en der-
nier ressort les ennuis et les frais d'un nouveau procès.
Cependant le projet de loi préparé par le dernier cabinet pro-
posait de supprimer la chambre des requêtes et de la remplacer
par une seconde chambre civile. Cet article du projet, abandonné
par le cabinet actuel et repoussé par la commission, fut repris à
titre d'amendement par M. Waldeck-Rousseau. C'est sur ce point
que porta la première discussion importante. M. Dupin débuta
par une vigoureuse sortie contre ces législateurs inexpérimentés
qui semblaient avoir entrepris de tout désorganiser pour se don-
ner le plaisir de tout reconstruire; démolisseurs qui portaient la
hache sur toutes nos institutions, quelles que fussent leur date et
leur origine. Des cris furieux accueillirent ce jugement sévère,
mais si bien motivé. M. Dupin sut calmer cette agitation par on
mot cruel, en rappelant que cette grande institution, à laquelle
on voulait porter un coup funeste, était l'œuvre de l'Assemblée
constituante, de la grande» La Montagne, après avoir essayé de la
colère, se réfugia dans l'ironie, et des rires bruyants éclatèrent a
chaque mot de M. Dupin. Mais l'habile et vigoureux orateur sut
encore ramener le silence en rappelant quelle était l'attitude
tout au}rement digne de l'ancienne Constituante» quand les
ÉBAUCHES ET AV0RTEMENT5 LÉGISLATIFS. 213
Tronchet, les Treilhard, les Cambacérès fondaient cette organi-
sation jadiciaire que toute l'Europe nous en? ie.
Ed présentant son amendement, qui supprimait la chambre
fies requêtes, M. Waldeek-Rousseau avait au moins apporté, non
des injures, mais des arguments. Il s'était attaché à prouver que
h chambre des requêtes était un rouage inutile dans cette grande
et savante machine qu'on appelle la cour de cassation. L'insti-
tution, d'après lui, était vicieuse en ce qu'elle amène d'intermi-
nables délais qui entravent ta marche régulière de la justice. En
outre, elle altère l'unité de jurisprudence, si nécessaire à un tri-
bunal régulateur de tous les autres tribunaui. M. Waldeck-
Rousseau pensait que, dans certaines questions, parmi les plus
graves et les plus compliquées du droit civil, la chambre des
requêtes et la chambre civile ont une jurisprudence différente.
9e plus, il y a des questions qui n'arrivent jamais à une solution
définitive, parce qu'elles sont toujours arrêtées, au seuil de la
chambre civile par la chambre des requêtes qui refuse d'accueil-
lir les pourvois. Par eiemple, la question du mariage des prêtre»
reste éternellement en litige, parce que la chambre des requêtes
n'a jamais souffert qu'elle fût discutée et tranchée par un arrêt
de la cour suprême. D'où il suit que la qoestion est décidée en
sens contraire par des tribunaux différents, sans que la cour de
cassation, appelée à rendre la jurisprudence uniforme, puisse
faire cesser ces divergences d'opinions.
C'est, cette argumentation que M. Dupin combattit avec
bonheur. Sans méconnaître les imperfections du règlement ac-
tuel de la chambre des requêtes , il défendit l'institution en
elle-même. If. Dupin admit l'utilité d'un roulement des magis-
trats qui composent la chambre des requêtes. Il demanda qu'on
obviât aux inconvénients incontestables des lenteurs et des délais
qui, dans l'état de choses, y attendaient les pourvois. Mais il
soutint qu'il fallait conserver dans son intégrité l'organisation de
la cour suprême. La chambre des requêtes, comme il le dit, a
pour résultat d'écarter 400 pourvois sur 600 déférés à sou exa-
men. Ce sont donc 400 arrêts qui se trouvent ainsi protégés
contre des attaques téméraires, 600 plaideurs dont la justice a
consacré les droits, et qui obtiennent ainsi, sans dérange-
2H HfâXOtftE DE FRANCE. (1849.)
ment et sang frais, te maintien de* décisions souveraines (5 fé-
vrier).
Professeur i l'École de Droite jurisconsulte distingué, M. Va-
lette, lui aussi» critiqua l'organisation de la chambre des requêtes,
et soutint que cette institution était eu désaccord avec te véri-
table but de 1* cour de cassation. Ce but, c'était, selon lui, de
fixer la jurisprudence, de maintenir la pureté de la doctrine, de
faire respecter la loi, d'établir l'unité entre les diverses juridic-
tions. Or, M. Valette croyait que la chambre des requêtes para-
lysait l'intention du législateur, en arrêtant, au seuil du prétoire,
des questions importantes dont la solution est indispensable et
qu'écartent éternellement des. arrêts qui leur ferment l'accès de
la chambre civile, où elles seraient discutées et tranchées défi-
nitivement.
Etranger au projet de loi, ce ne fut pas comme ministre de la
justice, mais comme jurisconsulte, comme avocat autrefois placé à
la tête du barreau de la cour de cassation, que IL Odilon Barrot
prit la parole» L'orateur ramena la question à ses termes les plus
simples. 11 était naturel qu'on différât d'avis, suivant l'opinion qu'on
se serait formée sur te rôle constitutionnel que la cour de cassa-
tion remplit dans l'ensemble des institutions judiciaires. Si Ton
se plaçait au même point de vue que M. Marie, qui détendit vive-
ment le projet, si Ton voyait dans la cour de cassation un troi-
sième degré de juridiction, un véritable tribunal jugeant de plus
haut et avec des formes extraordinaires, alors il fallait convenir
que la chambre des requêtes est un rouage inutile, une cause de
lenteurs et d'embarras dans l'expédition des affaires. Mais si l'on
se plaçait au même point de vue que M. Dupin et que M. Barrot,
si l'on voyait dans la cour de cassation, non un troisième degré
de juridiction, mais une institution particulière* élevée sur tes
confins du pouvoir judiciaire et du pouvoir législatif, destinée à
prévenir les empiétements de l'un sur l'autre, alors il Allait voir
dans la chambre des requêtes un ressort essentiel et nécessaire à
l'accomplissement régulier de cette haute mission que la cour de
cassation remplit dans l'ordre constitutionnel. Alors ces lenteurs
tant blâmées devenaient des garanties salutaires pour l'intérêt gé-
néral et pour le maintien de la chose jugée* Le temps perdu,
ÉBAUCHES ET AYOftTEMENTS LÉGISLATIFS. 815
selon les adversaires de la chambre des requêtes» à l'examen préa-
lable des pourvois, était largement compensé par le temps qu'elle
épargnait à la chambre civile en rejetant 400 pourvois sur 600.
Quant aux contradictions signalées entre les décisions de la
chambre des requêtes et celles de la chambre civile» quant au
trouble qui pouvait en résulter dans la jurisprudence, n était-il
pas évident que cette objection s'adressait avec bien plus de force
au nouveau système, i celui qui créerait deux chambres civiles
au lieu d'une, deux chambres siégeant côte à côte et jugeant les
pourvois dans une indépendance absolue Tune de l'autre.
Combattu par cette argumentation vigoureuse, le système de
M. Marie devait succomber. L'amendement fut rejeté et l'arti-
cle 1er fut adopté tel qu'il était proposé par la commission. La
cour de cassation continuerait d'être divisée en trois sections : la
chambre civile» la chambre des requêtes et la chambre criminelle
(9 février).
M. Dupin combattit encore la réduction proposée du nombre
des conseillers de la cour de cassation. Ce personnel, dit l'ora-
teur, a été calculé sur une population de 25 millions d'habitants :
la population dépasse aujourd'hui 35 millions, et l'on songe à
réduire le nombre des conseillerai Déplus, les labeurs qu'on im-
pose aux magistrats de la cour suprême sont de la plus haute
gravité ; ils exigent l'examen le plus mur, l'attention la plus sou-
tenue, l'étude la plus patiente. Or, presque tous ces magistrats ne
sont plus dans la force de l'âge; si leur intelligence est mûrie par
l'expérience et fortifiée parla pratique judiciaire, leurs corps sont
fatigués, U ne faut pas les accabler de travaux qu'ils ne pourraient
rapporter. M. Dupin combattit notamment la limitation à deux
du nombre des présidents de chambre. Sur ce point, M. Routier
défendit l'œuvre de la commission. Celle-ci avait pensé qu'il
était inutile de placer un président de chambre auprès du pre-
mier président qui, comme on sait» siège ordinairement à la
chambre civile. Mai* M. Rouher n'acceptait pas la réduction du
nombre légal des conseillera appelés à prononcer les arrêts. 11 fit
observer qu'il n'était pas indifférent, comme on le pense généra-
lement, que le nombre des juges fût plus ou moins restreint. La
discussion «et pi us approfondie» plus éclairée» plus précise»quand
216 HISTOIRE DE FRANCE. (1849.)
les juges sont^en nombre suffisant. L'expédition des affaires est
aussi pins prompte et l'autorité de la chose jugée en devient plus
imposante.
Cette argumentation fut reprise et développée avec talent par
MM. Isambert et Baroche. Ce dernier rappela un fait décisif. Tout
te monde rend justice au zèle et à l'activité des magistrats de la
cour de cassation. L'arriéré de Tannée dernière était cependant
de 1,400 affaires. Il était donc évident que le personnel, loin
d'être trop considérable,* était plutôt insuffisant. L'Assemblée
adopta le chiffre de 39 conseillers et la limitation du nombre de
conseillers à 9 pour pouvoir rendre des arrêts. Ne pouvait-on
pascrairfdre que cette réduction, qui réalisait une économie in-
signifiante, ne fût nuisible aux intérêts des justiciables en aug-
mentant l'arriéré des affaires à juger ?
Après la question du personnel, venait une autre difficulté. On
voulait remédier aux abus du règlement de la chambre des re-
quêtes. On proposait deux remèdes : le rétablissement du rou-
lement et un nouveau règlement. Après une discussion confuse,
l'Assemblée adopta la première rédaction de la commission.
Peut-être ce nouveau vote était-il encore regrettable. L'unité de
la jurisprudence pourrait en souffrir.
On passa ensuite aux cours d'appel. Les circonscriptions ac-
tuelles furent conservées. La suppression des chambres de mise
en accusation, à l'exception de celle de Paris, fut adoptée. On dé-
cida que les arrêtés devraient être rendus par sept conseillers
(40 février).
Le 4 2, les réductions proposées dans le nombre des chambres
et des magistrats de cours d'appel furent toutes votées, malgré
les efforts d'orateurs nombreux qui les combattirent dans un in-
térêt local trop évident pour être cou testé. Une seule modifica-
tion fut faite au projet; le président de la chambre civile fut
maintenu à côté du premier président. En revanche, f Assemblée
avait supprimé la place de premier avocat général partout ailleurs
qu'à Paris. Innovation malheureuse, vigoureusement combattue
par M. Berville. Les procureurs généraux étant des hommes
politiques , il était désirable qu'un "premier avocat général ,
homme exclusivement judiciaire, fût placé à la tête du par-
ÉBAUCHES ET AVORTEMENTS LÉGISLATIFS. 217
quet; c'était un paissant moyen d'émulation dont on se privait
pour économiser 20,000 francs (12 février).
Là en était armée l'étude de la loi lorsque des préoccupations
politiques et des propositions d'une autre nature firent disparaître
pendant un mois de l'ordre du jour le projet sur l'organisation
judiciaire. Le 7 avril, enfin, la discussion se rouvrit, mais cette
fois pour établir si l'on ajournerait ou non le projet. Ce qui ren-
dait la discussion urgente, c'est qu'il importait de mettre au plus
tôt un terme à la situation précaire ou la magistrature était re-
tenue depuis un an, et de lui donner une institution nouvelle et
définitive. Après les observations présentées en ce sens par le rap-
porteur, M. Boudet, et par M. Odilon Barrot, il fut décidé que Ton
passerait immédiatement à la discussion. Le projet avait été re-
manié par la commission et considérablement simplifié. Le titre V,
relatif aux candidatures, aux nominations et aux avancements
dans la magistrature, avait été supprimé tout entier. Ainsi le
projet était maintenu élagué de sa partie la plus importante, de
celle qui en constituait véritablement la partie organique. Il ne se
composait plus, pour le resté, que du titre IV, qui avait pour ob-
jet de régler la mise à la retraite des magistrats, pour cause d'âge
et d'infirmités ; puis du titre VI, qui déterminait l'âge de l'ad-
mission dans la magistrature et quelques conditions relatives aux
officiers ministériels ; enfin du titre VU, qui contenait les disposi-
tions transitoires. Un assez grand nombre de ces dispositions
furent votées sans débat sérieux et sans modifications impor-
tantes.
La discussion resta ensuite fixée sur une question assez ardue
pour dérouter l'Assemblée. Une disposition formelle interdisait
ani avocats la faculté de plaider devant les chambres des cours
et des tribunaux où siégeraient comme présidents et juges leurs
parents en ligne directe, ou leurs frères et leurs beaux-frères. A
regard des avoués, l'interdiction serait absolue. Les parents à ce
degré ne pourraient être, l'un magistrat, l'autre avoué à la même
cour, ou au même tribunal. Le même article ajoutait que le pou-
voir exécutif, en instituant la nouvelle magistrature, ferait cesser
toute incompatibilité de cette nature. Mais comment cette dispo-
sition serait-elle exécutée ? Serait-ce le magistrat qui devrait se
218 HISTOIRE DE FRANCE. (1849.)
retirer devant Ta vocal ou l'avoué? Seraitrce l'avocat ou l'avoué
qui devrait céder la place au magistrat? Les uns conclurent
pour la magistrature, les autres en faveur du barreau. Il fallut
renvoyer l'article à la commission sans avoir pu réussi* à s'en*
tendre (9 avril).
Le lendemain» l'Assemblée s'occupa de décider dans quelle
forme l'institution nouvelle serait donnée à la magistrature, et
comment s'accompliraient les réductions prescrites par la loi
dans le nombre des magistrats composant les cours d'appel et
les tribunaux. Le projet proposait d'exécuter littéralement le
vœu de la loi, même au prix d'une atteinte portée au prin-
cipe de l'inamovibilité pour celte première organisation de
la magistrature. Ainsi le principe, maintenu pour l'avenir,
serait violé , pour celte fois seulement , disait-on , et sans
tirer à conséquence. Pour éviter cet inconvénient, M. de Mon-
talembert proposait un expédient quf consistait à donner l'in-
stitution à tous les magistrats actuellement en exercice, et à
n'opérer les réductions qu'au fur et à mesure des extinctions.
M. Jules Favre allait plus droit au but : il proposait de conser-
ver purement et simplement le corps actuel de la magistrature,
en réservant la question relative à la réorganisation des. tribu-
naux. En d'autres termes, il proposait de considérer la loi nou-
velle comme non avenue.
L'amendement de M. Montalembert maintenait le principe de
l'inamovibilité danssarigueur absolue : l'orateur le développa avec
l'élévation ordinaire de sa parole. Pour lui, l'inamovibilité de la
magistrature était encore plus une institution sociale qu'une
institution politique. La magistrature, l'armée, la religion sont
les derniers remparts qui restent à la société quand elle a vu fa-
talement tomber tous les autres.
L'adversaire naturel de ces pensées de conservation, M. Gré-
mieux, attaqua l'amendement comme contraire à l'article 114 de
la Constitution. M. Crémieux, on se le rappelle, avait, de sa pro-
pre autorité, déclaré l'inamovibilité de la magistrature incompa-
tible avec le principe républicain. Aussi, M. Crémieux fit-il en
même temps le procès à la magistrature inamovible, à la monar-
chie, à la corruption. Qui pouvait nier, en effet, que M. Cré-
ÉBAUCHES ET AVOKIEMENTS LÉGISLATIFS. 219
nÎMi n'eut été républicain, au mains le soir du 24 février? L'ho-
norable M. Baie eu doutait cependant» Mai* M. Crémieux déroen-
lit imperturbablement des anecdotes qui bientôt allaient devenir
de l'histoire.
L'Assemblée ne donna pas gain de cause à la désorganisation
d'une des forces te» plue inattaquable» de la France, et, après cette
longue discussion, elle décida, à la majorité de 843 voix contre
88, qu'elle ne passerait pas à la troisième délibération du projet
de loi* Ainsi le projet du Gouvernement et le travail de la com-
mission échouaient devant le bon sens de la législature. Ainsi on
évitait ce triste résultat de mettre en péril nos admirables insti-
tutions judiciaires, d jj^ranler le respect du à la magistrature, de
froisser des intérêts sérieux, sans qu'une idée nouvelle, sans
qu'une amélioration sérieuse pût servir de dédommagement. Une
étrange fatalité avait pesé, depuis la révolution de Février, sur
F organisation judiciaire. On avait semblé croire qu'à toute force
il fallait faire subir à notre justice nationale une profonde trans-
formation. Beaucoup d'hommes étaient tout à coup parvenus au
pouvoir qui avaient été autrefois justement condamnés par la ma-
gistrature française : de là était venu qu'on avait attaqué le ré-
gime judiciaire. Les attaques avaient eu d'abord l'amertume
d'une vengeance et l'apparence d'une rancune. Ce n'était qu'avec
peine que la partie modérée du^Souvernement provisoire avait pu
arrêter les conspirateurs de la veille, hommes d'État du lende-
main» dans leur œuvre de démolition : plus d'une fois, pour sau-
ver le corps, ils avaient du faire le sacrifice des individus. Le
calme rétabli, il avait été question d'une réforme : mais cette
réforme n'était pas autre chose qu'une destruction déguisée. Plus
tard, enfin, on était revenu à des idées plus saines, mais on n'a-
vait pu encore s'empêcher de porter à l'organisation judiciaire,
sou» préteate d économies insignifiante» et d'améliorations sans
portée, de» atteintes qui en altéraient la constitution si forte et en
compromettaient l'ensemble. Aujourd'hui l'Assemblée avouait
avec une honorable franchise qu'il n'y avait qu'à maintenir dans
son intégrité l'édifice judiciaire (10 avril).
La question revint à propos du budget de la Justice (voyes le
chapitre précédent). 11 lut reconnu alors que la prochaine Assem-
220 HISTOIRE DE FRANCE. (1849.)
blée aurait à fixer le sort de la magistrature, tenue en suspens
par le décret du Gouvernement provisoire, qui la soumettait à une
institution nouvelle* La commission du budget demanda, i cette
occasion» qu'il ne fût rien changé à l'état actuel de Tordre judi-
ciaire, et que le Gouvernement s'astreignit à ne nommer à aucun
des emplois vacants ou qui le deviendraient, jusqu'à ce que celle
loi fût intervenue. M. le ministre de la Justice acoéda avec une
regrettable facilité à ce vœu qui maintenait individuellement les
suspensions prononcées par le Gouvernement provisoire. On n'ap-
prit pas sans surprise que M. le ministre venait de faire cesser
seulement depuis quelques jours la suspension collective dont
deux tribunaux entiers, ceux de Perpignan et de Géret, avaient
été frappés dans Tannée précédente (3 mai).
Une autre force vive du pays, l'armée, n'avait pas plus que la
magistrature échappé aux attaques de l'esprit désorganisateur. On
se rappelle les tentatives de M* Gharras après février 4848. De
tout cela, il ne restait aujourd'hui qu'un projet de loi relatif à
l'organisation de la forée publique. Le 5 avril, M. de Lamorictère
déposa son rapport. Le 2* avril commença la deuxième délibé-
ration, c'est-à-dire la discussion sérieuse.
Le titré du projet promettait peut-être plus qu'il ne pouvait
tenir. La force publique se compose, dans son ensemble, de
l'armée et de la garde nationale : le projet ne s'occupait que de
l'armée. En tout temps, c'est une grave question que celle qui
touche à l'organisation de l'armée. Les plus grands intérêts de
l'État et de la société, l'indépendance et la sûreté du territoire,
la grandeur et la puissance du pays, Tordre intérieur, les garan-
ties des familles, les droits essentiels des citoyens sont engagés
à la fois dans le débat. Porter la main sur la législation qui les
concerne et les régit, même en présence d'une incontestable né-
cessité, n'est pas Une œuvre à foire à la légère. Or, le moment
était-il opportun pour aborder une question de cette importance?
Était-ce bien à la veille d'une dissolution et d'élections générales,
que l'Assemblée pouvait la discuter avec la maturité convenable?
Enfin, si Ton regardait aux portes de la France, on voyait une
armée campée au pied des Alpes, prête à franchir la frontière au
delà de laquelle pouvaient l'appeler, à chaque instant, les corn-
ÉBAUCHES ET AVORTEMENTS LÉGISLATIFS. 921
plications de l'Italie. Le moment élait-il bien choisi poar se livrer
ï des expériences, pouf» improviser un système de recrutement,
de réserve, d'organisation complète. Cette armée, telle qne la mo-
narchie l'avait léguée à la République, tous s'accordaient à la
trouver admirable par son esprit, par sa discipline, par sa tenue
militaire. La démagogie seule, vaincue par cette force restée in-
tacte sur les ruines de la France, pouvait désirer qu'elle fût en-
tamée, et lui livrât passage. Fallait-il risquer d'altérer cette ma-
gnifique économie? Sans doute, la législation qui régissait
actuellement Tannée n'était pas parfaite, surtout en ce qui con-
cernait les remplacements. Mais cette législation était éprouvée
par une application de trente ans, consacrée dans les habitude» et
les mœurs des. populations. D'une exécution facile et simple, elle
aswrait le recrutement de l'armée sans embarras, sans résistance.
L'urgence n'existait donc pas.
M. le ministre de la Guerre, qui combattit la loi dans tous ses
détails, insista vainement pour le renvoi du projet au conseil
d'État. L'ajournement après le budget fut même rejeté.
Tonte l'économie du projet consistait en deux mesures pure-
ment financières, à savoir : i° la fixation, par la législature, au
commencement de cbaque année, d'un prix (lie et déterminé à
payer par tous ceux qui voudront se faire remplacer ; 2° l'éta-
blissement d'une cotisation proportionnelle aux contributions
payées par le père et la mère de tous les jeunes gens qui se fe-
raient remplacer ou qui seraient exemptés du service par le sort.
La première disposition tendait à empêcher la spéculation à la-
quelle se livrent les compagnies pour le remplacement militaire.
Ces* compagnies seraient détruites par le fait de l'adoption du
projet. L'État se substituerait à elles, et le Gouvernement pour-
voirait directement au remplacement au moyen des sommes qui
seraient déposées entre les mains des percepteurs par les jeunes
conscrits qui voudraient s'exonérer du service. Quant à la coti-
sation imposée aux familles des remplacés ou des jeunes gens
favorisés par le sort, elle serait destinée à donner des primes au
réengagement de soldats libérés du service militaire» et, en outre,
i former un pécule que recevrait chaque soldat au mofnent où il
rentrerait dans la vie civile. Cette combinaison, qui semblait au
228 HISTOIRE DE FRANCE. (1*49.)
premier aspect conçue dtos un esprit tout démocratique, ne
serait au contraire qu'une loi -d'inégalité et de privilège. C'est
ce que démontra M. ie inmistre de la Guerre, et, après lui,
101. Baragoay-d'Hilliers et Besnard. Dans l'état actuel des choses,
le service militaire est «ne obligation imposée à tous les citoyens,
sa&s distinction. La loi autorise ie remplacement, mate elle laisse
le remplacé responsable. Elle ne connaît que lui. Si le rempla-
çait vient à déserter, par exemple, le Gouvernement s'adresse au
conscrit et lui dit : Rejoignes les drapeaux ou fournisse» un
homme à votre place. Nul n'est exempt, vis-à-vis de l'État, pour
son argent. Le riche comme le pauvre doit le service personnel-
lement. Au contraire, le projet de la commission créait un droit
pour celui qui, désormais, aurait payé le prix du remplacement.
L'État n'aurait pins rien à lot demander, de sorte qu'il faudrait
inscrire à l'avenir dans la loi : « Tout citoyen doit le servtee per-
sonnel, ou une somme d'argent. » Le privilège créé par cette dis-
position devenait bien phis frappant si Ton passait de la théorie
à l'application. Qu'arrive-t-il aujourd'hui? les ouvriers, les
hommes à gages, les paysans peuvent se faire remplacer, lors
même qu'ils n'ont pas, au moment du tirage de la conscription,
la somme nécessaire. Ile font des transactions avec les compa-
gnies, ou avec leurs remplaçants eux-mêmes, souvent pris dans
les rangs de l'armée, parmi les soldats libérés du service; ils
obtiennent du crédit. Lorsque l'État aurait pris la place des
agents actuels du remplacement, lorsque les contrats particuliers
seraient interdits, quiconque ne pourrait pas, avant le tirage,
déposer à la caisse du percepteur la totalité de la somme fixée par
le Gouvernement, se verrait obligé de partir. Les riches s'exempte-
raient facilement du service; les pauvres n'auraient plus aucun
moyen d'y échapper. Enfin, le prix d'exonération fixé par l'État se-
rait le même dans les pays pauvres que dans les pays riches.
Autre inégalité. Celle qui résulterait de la cotisation i payer par
les remplacés et par les jeunes gens que le sort aurait favorisés,
n'était pas moins frappante. Quelles seraient les bases de cette
cotisation? Les quatre contributions directes. C'était dire que les
propriétaires fonciers, quelle que fut l'étendue de leur propriété,
apporteraient la plus grande partie de ce nouvel impôt. Or, qui
ÉBAUCHES ET AVORTEMENTS LÉGISLATIFS. 223
ne sait que la propriété foncière est considérablement grevée en
France? On demanderait au paysan qui possède un coin de
terre nne contribution nouvelle outre le prix du remplacement
qu'il aurait déjà soldé pour son fils? Et cet impôt nouveau ne
serait pas peu de chose : car, pour payer les primes et le pécule
institués dans le projet de loi, il faudrait doubler la contribution.
Cependant, tout le monde sait que la contribution n'est pas la
représentation exacte de la fortune. Tel qui ne paie qu'un impôt
mobilier peut être en meilleure position que tel autre qui verse
dans te3 caisses de l'État plusieurs milliers de francs pour ses
contributions foncières. L'inégalité existait donc encore ici. En-
fin on prétendait faire une loi populaire. Peut-être rapproche
des élections n'était-elle pas étrangère à l'empressement ma-
nifesté, sur certains bancs, pour le maintien du projet à l'ordre
du jour. Erreur! Jusqu'ici les familles des campagnes avaient
une chance au moins d'échapper à la conscription, la chance du
sort. On leur ravissait cette chance, puisqu'on leur demandait
un impôt en argent lorsqu'elles auraient réussi à éviter l'impôt
du sang.
Telle était l'économie du projet nouveau : tels en étaient les
vices démontrés de la façon la plus claire par M. le ministre de
la Guerre. Mais M. le ministre ayant déclaré qu'il réservait pour
la troisième lecture tous les amendements qu'il lui semblait
nécessaire de proposer, dix-huit articles, sur soixante et onze,
forent yotés presque sans discussion (24 avril).
Le lendemain, la question du remplacement fut soulevée. Le
système nouveau présentait des complications inextricables. Il
donnait lieu à des objections de toute [sorte, administratives, po-
litiques, financières. C'est à ces points de vue divers qu'il fut
combattu par MM. Besnard, Brnnet, Sainte-Beuve, le général
Baraguay-d'Hilliers, de Parieu, Victor Lefranc. II ne fut guère
défend a que par M. de Lamoricière et les membres de la com-
mission. Ce projet, en définitive, appartenait tout entier à
M. Joffrès, avocat du barreau de Paris. L'organisation actuelle
était due à deux hommes illustres et compétents, le maréchal
Gourion Saicit-Cvr et le duc de Dalmatie.
L'Assemblée comprit toute l'importance de la question, et,
224 HISTOIRE DE FRANCE. (1849.)
sur ia demande de H. Goudchaux, elle remit son vote à une autre
séance, voulant se donner le temps d'aviser (25 avril).
Au fond, il faut le dire, le projet allait plus loin que l'appa-
rence. M. Charras, membre de la commission, avait avoué à la
tribune que si certaines dispositions de la loi proposée portaient
l'empreinte de quelque embarras, c'est que les auteurs avaient
été gênés par le maintien du remplacement, auquel il était op-
posé pour sa part. Était-ce donc là le vrai mol du système ?
Interrompue jusqu'au 1er mai, la discussion générale s'atta-
cha encore au recrutement nouveau. M. le général de Lamoricière
apporta à son système l'appui d'un talent lucide et d'une ner-
veuse éloquence. Sans doute, l'honorable général fut accusé à
tort de vouloir introduire une sorte de socialisme dans l'armée.
Améliorer le sort du soldat en lui créant un modeste pécule, c'é-
tait obéir à une pensée généreuse. On put s'étonner de voir
M. Goudchaux signaler dans cette institution du pécule un danger
pour la liberté, celui de la création d'une garde prétorienne.
M. de Lamoricière réussit à faire adopter l'article 52, c'est-à-dire
le principe de l'exonération. On laissait, au reste, à la loi an-
nuelle du contingent le soin d'en fixer le prix.
A la suite de ce vote décisif, le projet soulevait deux autres
questions de principe d'un non moins grand intérêt. Indépen-
damment de la somme fixe qui formerait le prix de l'exonération,
le projet établissait un nouvel impôt proportionnel qui, sous le
titre de cotisation, pèserait sur tous les jeunes gens non appelés
sous les drapeaux, même sur ceux qui auraient été légalement
exemptés pour leur inaptitude au service militaire. Le principe de
la cotisation ne fut pas moins vivement combattu que celui de
l'exonération lui-même ; il soulevait des objections tout aussi
graves. Le service militaire, impôt essentiellement personnel et
par conséquent fixe, pouvait-il devenir, comme l'impôt foncier,
proportionnel à la fortune? C'était là un principe tout nouveau
qu'on cherchait à introduire dans la législation. La seconde ques-
tion contenait la rémunération du service militaire. Celte rému-
nération consisterajt-felle dans un pécule une fois payé, comme le
proposait le projet, ou dans une pension de retraite, comme le
demandèrent quelques orateurs?
ÉBAUCHES ET ÀVORT£MH*TS LÉGISLATIFS.
là en était l'étude du-projet nouveau lorsque, te 5 mai, fat
coté le budget de la Guerre. On a va dan le chapitre précédât
que, sur un amendement rédigé par le général €av aigaac et ao
eepté par le ministre de la Guerre» l'Assemblée avait reconnu la
nécessité de renvoyer à un an l'obligation faite au Gouvernement
de présenter une loi spéciale sur l'organisation de Tannée. Ainsi
était tranchée provisoirement la question par le maintien de l'or-
ganisation actuelle. Tel avait été le résultat de la déclaration
d'urgence.
Une autre loi organique, mise à l'étude par la Chambre, ne put
pas plus aboutir et fut abandonnée après une première lecture*
C'était celle concernant la responsabilité des ministres et du pré»
sident de la République (16 mars).
Une autre non moins importante, n'arriva pas même i discus-
sion et ne produisit qu'un remarquable rapport de M* Jules
Simon.
C'était la loi organique de l'enseignement. Jusqu'ici* dans
toutes les questions , l'Assemblée constituante avait eu la pré-
tention d'innover, de substituer l'imagination A l'expérience.
Rien de semblable dans le rapport de M. Jules Simon. La loi
nouvelle fondait le gouvernement de l'Instruction publique sur
(rois principes depuis longtemps consacrés : elle voulait que
l'instruction publique fût gouvernée par un conseil un, stable, in-,
dépendant. Au premier coup d'oeil, il est vrai, on apercevait trois
conseils dans le projet : mais il était évident que ces trois conseils
n'en feraient au fond qu'un seul, et que le conseil appelé de l'en*
seignement public serait le noyau et le centre du corps entier. 11 y
avait eu dans la commission, comme dans iepaysmêftoe, diverses
influences, les unes favorables à l'Université et aux études classi-
ques, les autrespréoccupées avant tout de la liberté de l'enseigne»
méat et des institutions privées : quelques-uns s'étaient attachés
à ridée de l'École polytechnique comme au modèle de la bonne
instruction. Ces diverses influences auraient peut-être longtemps
lutté les unes contre les autres. Mais, pressée parle temps, la
commission de l'Assemblée nationale avait cherché à concilier*
Am partisans désuétudes classiques, elle avait acoordé le conseil
dit de l'enseignement public; aux défenseurs des établissements
1»
«ATOME m PRÀKO&. (1B49.)
frivés, elle avait donné le conseil de l'enseignement pmé ; aux
mute de EÉcole polytechnique et de l'enseignement réaliste, elle
«mit demie leconstil de perfectionnement ; mats elle -avait en la
pensée de fondre ces trois conseils dans ttn seul, avee le conseil
- ée l'enseignement publie comme pivot. Quand H 'sétait agi de dé-
terminer à- quelles eonditionslesvétiiblissements privés pourraient
e^nivrir, ht commission avait en le même esprit de conciliation
qnft ttégenl du conseil de l'instruction publique; elle avait admis
les divers systèmes proposés depuis quelques années. Ainsi, qui-
oonque vendrait fonder nn établissement d'instruction devrait
avoir certains grades ; mais comme il est -des personnes qui se dé-
tient de l'impartialité des Facultés, la commission instituait un
jury chargé aussi de délivrer dés diplômes de capacité. On pour-
rait donc être instituteur à deux titras différents : ou bien à titre
de gradué des Facultés, ou bien 4 titre de breveté do jury . Mais le
rapporteur ne dissimulait pas dans son rapport ^inconvénient de
cette combinaison ; il était même convaincu que l'opinion pu-
blique créerait une aorte d'inégalité entre les gradués et les bre-
vetés ; préférant de beaucoup les gradués aux brevetée ; de telle
torte-qu'an bout de quelque temps, le jury chargé de délivrer ces
breveta tomberait dans une sorte de désuétude. Ici peut-être l'es-
prit de conciliation n'aboutissait qu'au tâtonnement."
Un caractère semblable marquait l'invention d'un second jary
Ai capacité proposé dans l'article 18 du projet. Voici pourquoi la
commission créait ce jury spécial : Lee instituteurs gradués pour-
raient oèrrir un établissement d'instruction ; ce serait le, sans
doute, lapins grande catégorie. Ceux qui répugneraient a pren-
dre iea grades- ou qui ne pourraient les obtenir, auraient un re-
cours onfert devant le jury qui les breveterait après les avoir em-
aspnés* Ce serait la seconde dasse, moins nombreuse, moins
accréditée peut-être. S'il restait encore après cela des aspirants
incapables du grade, incapables dn brovet, ceux-là auraient pour
derrière ressource ua jury spécial.
Après cette création malfeeureuse, le projet revenait i P expé-
rience. L'inspection serait faite dans tons lee établissements, qoek
qu'il* fussent, par des humtae* spéciaux et compétent*. L'igno-
wm ne pourrait pan s^ériger o» impartialité. Le baccalauréat
ÉBAUCHES BT ÀVOftTGHSiTS I^BGJJ^ITIFS. WJ
serait conféré par |e# Fettilfét, pwe W Us Faeoliés aussi mut
«péetalee al compétentes. Lee fonctionnaires chargés 4e dernier
l!ÛHrtFtictio* et réduction d*ps les établissement* de l'ÉUt «e
seraient pas arbitrairement choisi* et avancés pu la faveur w-
WiérisIK et le corps wstigoapt ne serait pas gouverné par le*
bureau», Tel était ee projet dans lequel, à cité de quelques ho-
norable? doctrines, on retrouvait les teeUtione de conciliation
entre 4*ft principes jpcompatibles, proelaméfts d'une manière si
brillante par If. Thiers au 184* ( voy ** VAnnwirt)* L'Assemblée
législative trouverait dans le rapport de M. Jules Simon ua eioei-
tpnt mémoire à consulter.
Faisons maintenant uae rapide revue des projets ou proposi-
tions d'initiative étudiées «par l'Assemblée constituante dans les
deruiers jours de sou existence, ta plupart des résultais à si*
fjwter 4ms cet ordre de travaux n'ont pas une haute importunée
et portent presque tous un caractère provisoire. Mais ils entrent,
pou? leur part, dans la physionomie complète de la Chambre.
Une loi du 9 août 1848 avait réglé le cautionnement des jour*
naui (voyez V Annuaire précédent, p. 268 et 270). Ses disposi-
tions devaient cesser le 1er mai. Nais la loi organique de la presse
éfeet du nombre de celles qui avaient été renvoyées à la prochaine
Assemblée, le Gouvernement demanda, le & avril, que la loi du
0août, en ce qui concernait le cautionnement, fût maintenue. La
prorogation était proposée pour trots mois. L'urgence fut consen-
tie. Hais la commission qui, aui termes du règlement, aurait di
faire sou rapport dans les trois jours, n'ayant pas donné signe de
vie jusqu'au i 7 avril, le ministre de l'Intérieur dut prier T Assem-
blée de délibérer immédiatement sur le projet. Cette réclamation
eut peur effet défaire présenter le rapport de M. Dupont (de
La eomméssieu proposait en réalité une législation nouvelle :
diminution de moitié du cautionnement, réduit à 41,000 francs ;
dispense du cautionnement pour tout journal nouveau, pendant
lue quarante-cinq jouce qui précéderaient les élections générales;
suspension pendant le même délai des règlements imposés au col*
peetage et à la distribution des écrits, àrafftrfiage, etc., teJtesétaiout
loi principales dispositions 4» prtjfet. Cet eneemMe paraissait
228 HISTOIRE DE FRANCE. (1849.)
calculé pour rendre à la France, au moins jusqu'aux élections, le
régime tumultueux, la liberté illimitée de la presse des premiers
mois de la révolution . MM. Ledru-Rollio, Pyat, et quelques antres
membres de la Montagne allaient encore plus loin : ils propo-
saient, par amendement, de supprimer, dès aujourd'hui, tout
cautionnement. C'était là, au fond, l'idée même de la commis-
sion. M, Dupont (de Bossac) avoua que, forcé de violer là
Constitution par le maintien provisoire du cautionnement, fl
cherchait à la violer le moins possible en se rattrapant sur la ré»
duetion du chiffre.
MM. Méaulle et Base firent justice du système nouveau dans te
discussion générale. M. Baze proposait de trancher la question
entre les deux projets par un vote de priorité. Il demandait, et
conséquence, à reprendre le projet primitif comme amende-
ment. L'Assemblée vit là uue infraction au règlement. Restait
l'amendement radical de M. Ledru-Rollin. L'auteur et ses ara»
prétendaient que la presse n'est pas libre avec Je cautionnement
modéré qu'on lui impose. M. Faucher invoqua les (bits, cita des
articles assez violents pour prouver que la liberté de la presse,
sous ce régime, n'avait rien d'illusoire. L'amendement de M. Le-
dru-Rollin fut rejeté à une majorité de 42S voit contre 994.
L'article Ier de la commission, qui réduisait le cautionnement,
Ait également rejeté à la majorité de 552 voix contre 291 . Il en
lut de même pour l'article 2, supprimant le cautionnement pen-
dant quarante-cinq jours; la Chambre le repoussa, à la majo-
rité de 381 voix contre 261 . Enfin, l'article unique du Gouverne»
ment fut adopté.
Tout n'était pas fini cependant. La commission avait vonle
exempter de l'autorisation préalable le colportage, Faflicinge et
le criage des journaux jusqu'aux élections prochaines. A celle oc-
casion, M. Charras dénonça la prétendue partialité du Gouverne-
ment qui permettait l'entrée dans les casernes aux fout joarnena
et l'interdisait aux mauvais. M. le ministre de l'Intérieur dédi-
ra, de la manière la plus catégorique, qu'aucun membre ém
Gouvernement n'avait autorisé la distribution d'atioen écrit pott~
tique dans l'armée. Au milieu du plus violent tumulte, le i* pa-
ragraphe de la commission fut adopté par 318 voix eoatt* SM.
ÉBAUCHES ET AVOR'fEMEHTS LÉGISLATIFS. 22B
L'ensemble de l'article fut voté à la majorité de Z2S contre 311.
Ainsi l'Assemblée autorisait l'agitation la plus effrénée pendant
près d'un mois (20 avril).
Le lendemain, M» Base réussit pourtant à faire adopter une
disposition additionnelle par suite de laquelle les distributeurs,
crieors et afficheurs d'écrits devraient justifier auprès du maire,
dans la commune duquel ils se livreraient à ces opérations, que
récrit colporté, crié ou affiché, aurait été déposé au parquet du
procureur de la République ; ils devraient même en déposer un
exemplaire à la municipalité. La loi fut adoptée dans son en-
semble par 550 voix contre 79 (21 avril).
Le premier mois de Tannée parlementaire avait esquissé un
certain nombre de projets, abandonnés depuis pour des questions
phi* graves. 1/ Assemblée en reprit quelques-uns.
Nous avons parlé plus haut (p. 27) d'un projet de loi ayant pour
but de soumettre au droit de mutation les biens de main-morte,
c'est-à-dire les immeubles passibles de la contribution foncière,
qui appartiennent aux départements, aux communes, aux hospi-
ces, aux établissements religieux, aux bureaux de bienfaisance
et aux sociétés anonymes. Il s'agissait, on se le rappelle, d'éta-
blir sur ces biens une taxe annuelle qui pût équivaloir aux droits
de transmission des propriétés ordinaires qui changent de mains,
par suite de décès ou de mutations entre-vifs. Aux termes du
projet, cette taxe devait être calculée sur le pied de 62 centimes
5 millièmes pour franc du principal de la contribution foncière
établie sur les biens de main-morte.
La deuxième délibération s'ouvrit le 9 février. Un amendement
de M. Huot, qui affranchissait de toute redevance les immeubles
des établissements charitables et qui réduisait la taxe des autres
biens de main-morte à 50 centimes pour franc, et des observa-
tions de M. Rasset, qui attaqua le principe même de la taxe, en
soutenant qu'elle était injuste et qtf elle ne donnerait que des pro-
duits peu considérables, amenèrent à la tribune M. le ministre
des Finances. M. Passy eut peu de peine à démontrer l'équité de
la taxe; Userait, au contraire» inique de soustraire i l'impôt des
immeubles dont la superficie totale occupe le dixième du territoire
français, et, dans F état actuel des finances, il était important de
230 HlSTOIftE flE JRAKCE. (184$.)
ne négliger aucunes ressources. Les paroles de If . Passy détermi-
nèrent l'adhésion dé l'Assemblée qui rejeta les amendements
et vota la redevance de 62 centimes, établie par 1è projet ( 9 fé-
vrier).
(Jn second projet relatif à l'augmentation de l'impôt sur les
successions {voyez plus haut, p. 24) fut discuté & nouveau le
30 janvier. Après avoir adopté l'article qui portait de 23 à 75
centimes lé droit de mutation sur les biens meubles en ligne
directe, l'Assemblée rejeta celui qui devait porter l'impôt sur les
immeubles de 1 fr. a 1 fr. 80 cent. Sur la proposition de M. le
ministre des Finances, le projet tout entier fut renvoyé à la com-
mission. Le 1er février, la commission, par l'organe de M. de
Parieu, proposa le chiffre de ! fr/ 40 cent, qui se rapprochait
autant que possible de celui qu'elle avait fixé primitivement. On
s'accordait généralement a reconnaître que la différence établie
par les tarifs actuels entre les meubles et les immeubles était
beaucoup trop considérable; aussi la Commission avait-elle atté-
nué cette différence en triplant le droit sur les premiers et en
ne l'augmentant que de 50 0/0 sur les seconds; il y avait d'ail-
leurs plusieurs motifs, k ses yeux, pour maintenir une distinc-
tion : les valeurs mobilières étant plus faciles â dissimuler, il im-
porte de ne pas accroître la prime de la fraude ; elles donnent
lieu àdes évaluations plus rigoureuses; enfin il y a quelque chose
de démocratique i prélever des droits moindres sur les valeurs
mobilières qui composent le plus souvent l'actif des successions
recueillies par les citoyens pauvres.
Malgré ces ^motifs, l'Assemblée repoussa encore lé chiffré de
1 fr. 40 cent. La commission déclara alors qu'elle n'avait plus
qu'à retirer son projet dont l'économie se trouvait détruite, fl en
résultait que l'Assemblée devait revenir au projet primitif, pré-
senté par l'ancien Gouvernement et tendant à établir un impôt
progressif sur les successions. Il était impossible à M. Passy d'ac-
cepter une pareille situation ; mais, Comme M. le ministre des
Finances ne pouvait retirer le projet sans apporter un décret du
président de la République, il réclama l'ajournement, afin
d'avoir le temps de remplir cette formalité. L'ajournement fut
prononcé ( 4 * r février).
ÉBAUCHES ET A VORTBifcNTSLfiGlBLAnFS. 28f
Uo projet nouveau, présenté le 9 février, réglait le timbre des
eAete de commerce, des actions dans les. compagnies et sociétés
de finances, de commerce et d'industrie, et des polices d'assu-
rances. Le projet ne reparut à l'ordre du jour que le 4& mai,
c'est-à-dire i une époque où l'Assemblée ne pouvait .discuter
utilement et avec calme les dispositions de 11 loi. Après une dis-
cussion pénible de quelques instants, on s'aperçut que le projet
noierait des questions trop graves pour pouvoir être résolues
dus les circonstances actuelles. En conséquence l'ajournement
fat prononcé (19 avril).
Tel est l'inventaire exact, mais peu brillant, des travaux sérieux
de la Chambre. Comment eût-elle pu se livrer à des études pro-
fitables quand des luttee personnelles, quand des scandales ineeS»
omeat renouvelés, quand des Interpellations, sans autre résul*
Wqae le tumulte* quand enfin une agitation stérile l'occupait
M entière.
2tt HISTOIRE DE JTOAWGE. (ttW.)
CHAPITRE XIII.
AGITATION ÉLECTORALS, DÉSOKBRES , UTOPIES.
Agitation sotnrde, mû sédnam», banqueta. — 11 fedru-Rollin, flatterie à
J'armée. — Énergie de 1 autorité, 4XMnmUuirea.de police du» les hanqafts,
barrière du Maine. — Interpellations, encore le droit de réunion, ordre du
jour. — "Violences des clubistes, scènes de désordre. — Approche des élec-
tions, union électorale, comité dé la me de Poitiers, fusion des opinions mo-
dérées, propagande de l'anarchie, propagande de Tondre; programmes éleeto*
raax ; la rue de Poitiers, le Palais national, les amis de la Constitution, la
Montagne; comités bonapartistes. — Les clubs déguisés en réunions électo-
rales, doctrines sauvages, les clnbistes h la 6" chambre» escroqueries, dé-
lations. — Interpellations nouvelles sur te droit de- réunion, M. FétnrPyaft,
M. Pierre Leroux et son miroir, calomnies, M. Léon Faucher et la Mou*
tagne, ordre du jour. — Suspension des réunions électorales socialistes de par
le comité démocratique-socialiste, protestation, excitations et prudence. —
Agitation dans la rue, rassemblements/ arrestation, de trois représentants,
interpellations à ee sujet. — Arrestations nombreuses v saisie de pièces,
vehme démocratique, solidarité de la presse socialiste. — Réaction légitime,
banquet de Moulins, M. Ledru-Rotlm chassé, le désordre appelle le désordre,
interpellations, refus d'une enquête parlementaire. — Émeute année h Dijon,
dissolution de la garde nationale. — Anniversaire de la proclamation de la Ré-
publique, question de l'amnistie, glorification des. transportés, apothéose des
assassins du géuéjral de Bréa; l'écbafaud politique.— Procès du 15 mai,
.haute cour de justice de Roorge*, verdict, révélations étranges, complicité
dans le Gouvernement; accusations mutuelles de délation, Huber, Barbes et
Blanqui ; théories révolutionnaires, souveraineté du but, comment on fait une
révolution. — Le socialisme et la pratique, liquidation de la Banque du
Peuple, M. Considérant et le phalanstère ; rêveurs et factieux.
En janvier, le parti socialiste, affaibli par une première dé-
faite, la lutte sociale de 1848, avait eu recours à l'arme des mi-
AGITATION ÉLECTORALE. 283
nerités factieuses en se réfugiant dans les comploté. Désormais, il
en était réduit i un système d'agitation, d'inquiétude. Il travail-
lait à troubler par des démonstrations extérieures le pays qu'il
n'espérait plus gouverner, ni même surprendre. Au commence-
ment du mois de mars, à Clermont-Ferrand, à Villefranche
(Aveyron), à Saint-Céré (Loty et dans vingt autres endroits, des
cris séditieux étaient poussés , des banquets s'organisaient dans
lesquels on buvait : « Aux victimes de juin ! Aux frères assas-
sinés 1 » A Langeac (Haute-Loire), les adeptes de la démocratie
sociale se livraient, vêtus de rouge, à une hideuse orgie à la suite
de laquelle ils brûlaient les blancs, ou les guillotinaient en effi-
gie. A Toulouse, oa insultait les lieux saints. A Paris, dans un
banquet de la salle Martel, M. Ledru-Rollin dévoilait ainsi les
espérances nouvelles du soeialisme auquel il venait de se rallier
si franchement : a Leur armée, disait l'ancien membre dn Gou-
vernement provisoire, leur armée! 'Mais n'est-elle pas composée
de voe frère*? Qu'ils la laissent passer un mois seulement à Paris,
et. elle sera, socialiste, s C'est qu'en effet, le socialisme adoptait
un plan nouveau, la désorganisation de la seule grande force qui
eût survécu intacte à la révolution de Février,, de l'armée qui l'a-
vait vaincu. Des bancs les plus élevés de l'Assemblée nationale,
commodes bat-fonds des clubs sortaient des flatteries empressées
pour ces soldats auxquels le socialisme, prodiguait, la veille , tant
d'insultes. Ici, on réclamait le vote pour les années même en corn*
pagne; là, on imaginait un prétendu banquet de sous-officiers
socialistes contre l'existence duquel protestaient les sous-officiers
du régiment désigné. Il est vrai qu'en même temps, 1 Narbonne
et i Carpentras, les émeutiers insultaient et frappaient la troupe
de ligne toujours modérée dans la répression, mais incorruptible.
A Nevers, deux coups de feu accueillaient ilue patrouille. A Vou-
xiere, uu ancien militaire était lâchement assassiné sur la grande
route, parce qu'on le savait attaché aux souvenirs impériaux.
En présence de ces actes insurrectionnels, l'énergie ne faisait
pas défaut à l'autorité. Armée de la loi de 1790, elle envoyait des
commissaires de police dans les salles de banquets et de clubs
pour y exercer leur surveillance. A Paris, dans un banquet de la
barrière dir Maine, le droit de l'agent public ayant été méconnu,
234 HISTOIRE DE FRANCE. (I*i9.)
il fit expulser les spectateurs. Ce fut, pour MM. Martin-Bernard,
Pierre Leroux et Letru-flollin , Toceasfon de s'élever à l'Assern*
blée n a Honnie contre un acte dans lequel ils voyaient un alternat
au droit de réunion (5 mars). Ce ne furent plus, telle fois,
MM. Gtifcot et DuchAtel qui eurent i défendre les droits du pou-
voir : la lot de 4790 fut intoquée par M. Odilou-Barrof. (Tétait là
séance du 2f février 4848. Mais les rôles étaient changés. C'était
aujourd'hui M. Odilon Barrot qui réclamait les garanties essen*
tielles de Tordre et de la paix publique, au milieu des thèmes
clameurs que soulevait, un an auparavant, la parole de-M. Hébert.
L'ordre du jour pur et simple fit justice des interpellations.
L'exaltation des clobistes, les agitations qui suivaient /tous leurs
pas ne justifiaient qae trop la vigilance du Gouvernement. À Lo*
dève, les membres d'un club fermé par décision du tribunal em-
ployaient la violencç contre les agents de l'autorité : il fallait
l'intervention de la force armée pour les mettre en faite. A Saint*
Clar (Gers), un club se formait sans remplir les formalités légales,
et il en sortait, chaque soir, des bandes qui faisaient retentir
les rues de clameurs anarchiques. A Prades, un rassemblement
de même espèce accablait d'une grêle de pierres te ftJtis~préftt
qui s'opposait courageusement à l'inauguration du bonnet ronge.
A Carpentras, l'émeute socialiste envahissait un cercle d'amis
de Tordre, montrant ainsi comment elle entendait la liberté
de réunion.
De son côté, le ministère faisait preuve d'impartialité en inter-
disant une société formée dans plusieurs départements sous le
nom d'Association fraternelle des amis de Tordre. C'est qu'en ef-
fet, la société menacée ne. s'abandonnait pas elle-même. Le sen-
timent conservateur était désormais passé du Gouvernement dans
la société tout entière. Habituée, jusqu'alors, à être guidée et
soutenue, elle avait été un moment privée de toute protection
extérieure. Elle avait dû, par là, reconquérir son initiative, et
cet affranchissement acheté si cher pouvait faire espérer la ré-
sistance dans le présent et la sécurité dans Ta venir.
Les élections approchaient î celte initiative devenait double-
ment nécessaire. L'union de la France dans l'élection du 40
décembre, était une leçon. Cette union toute spontanée s'était
ÀGWAfK** ÊLiîCTOhALÊ. 235
manifestée déjà dans les élections précédentes, dan* lVmpres-
sêffient dès gardé* nationales à courir à I* défense de l'ordre pu-
blic. On grand nombre de citoyens éclairés formèrent une réu-
nion, dite de la rue de Poitiers, dans laquelle ils cherchèrent à
reproduire ce rapprochement de tous les anciens partis pour la
protection de l'ordre social, tin comité centra! fut formé des re-
présentants les plus distingués de toutes les nuances de f opinion
modérée (I). Poinaifron s'étonner de rencontrer dans cette bril-'
iante association des éléments jusqu'alors hétérogènes? M. Thiers
y ftgurait à côté de M. Berryer, M. de Montalembert à cdté de
M. Cousin, M. de Noallles près de M. de Persigny. C'est que des
raisons, supérieures aux passions, avaient effacé les rivalité* an-
ciennes et fait taire toutes les considérations dé parti. Toutes ces
personnalités contraires se rencontraient sur un terrain neutre,
comme foutealesopmionsdrssidentess'étaient coudoyées, s'étaient
confondues au jour du combat suprême de la société poursa propre
existence. La situation n'avait pas changé.. La fusion de la rue se
retrouvait dans le scrutin. C'est que le pays était toujours me-
nacé , sinon par une franche et brutale agression , au moins par
lès sourds efforts du socialisme. Le parti démagogique avait bien
su abdiquer ses rivalités personnelles pour se rallier sous im dra-
peau unique : le parti de Tordre et de la liberté se ralliait, lui,
sous le drapeau dé la société qu'il avait h défendre.
La fusion une fois opérée, le comité de la rue de Poitiers ne
(1) Voici les noms des membres qui signèrent la première déclaration :
MM. Ayliee, Baraguay-d'Hillicrs, Ferdinand Barrot, Bauchàrt, Base, Beau-
atet (étf là 0éa*e), Bécfaàrd, de BtHéytae, feftrard, Berryer» Bineaa, Blin de
Beardefi, Boajeun» de Broflit, maréchal Bugeaud, de Cambacéree, de Chaleie*
Périgord, Cbambolle, Clary, Coati, Cousin» Dahirel, Dariste, Daru, Benjamin
Deleasert, Derijoy, de Sèze, Durand (de Romorantin), Ûuvergier de Hauranne,
Aétrilte FfcoM, Gamoa, Ofangferdefe Marinière, d'ftautsonyille, d'Heecltereii,
Victor 8*g0, <k Kerdral, Lacas», de LaJerraanays, de Laferié-Metni» dé Larey,
Jales de Lasteyrie, de Laussat, de l'Épinay, Levavasseur, Léo» de MaJevilIe,
Mole, de Montalembert, de Mornay, Lucien Murât, de Noailles, général d'Or-
«aoo , de Padoue, Casimir Périer, de Persigny, général Pyat, Pis ca tory,
Farta, de La Redort», téfnanîd de Saint» Jtan-d'Aitgely, de Rémusat, de
Baiperilla, de Rian<s«y, de La Rochetto, Roger (dn Nord), Roukar, Satrvaira*
Barthélémy, Strnch, Tasrhereau, Àmédée Thayer, Thiers, Vieillard, de Vogué,
de Wagram.
9M HISTOIRE DE FRANCE. (1840.)
dut pas borner ses efforts aux. élections prochaines. Les doctrines
les plus perverses étaient propagées, sous toutes îes formes, au
sein des populations laborieuses. De* associations fortement or-
ganisées cherchaient à s'étendre sur la France entière, et travail*
laient activement à soulever contre Tordre social toutes les pas*
sions et toutes les. souffrances* La Propagande démocratique et
sociale venait en aide à ces associations, en jetant non-seulement
dans les ateliers des villes, mais au milieu .des campagnes, une
masse d'écrits les plus propies à enflammer, à égarer les es-
prits. Pour atteindre ce but, tous les moyens paraissaient bons,
et récemment un comité avait été jusqu'à s'adresser directement
aui instituteurs primaires, en sollicitant leur concours ; enfin, à
Paris et dans les départements, des souscriptions étaient ouvertes
pour distribuer gratuitement ou i très-bas prix des journaux et
des brochures incendiaires dont on inondait même les casernes.
En présence de cette activité destructive, le comité de la rue de
Poitiers s'était demandé s'il était permis aux honnêtes gens, aux
bons citoyens de rester inactifs, ou si ce n'était pas pour eux. i
la veille surtout des élections, un devoir d'accepter la lutte et
d'opposer à la propagande de l'anarchie la propagande de
l'ordre.
Cet appel fut entendu : ouverte Je 28 mars, la souscription
du comité recueillit 50,000 fr. en quelques heures. Un mois
après, le comité avait fait paraître £77,000 exemplaires de divers
écrits anti-socialistes et patronné quelques journaux hebdomadai-
res. Efforts louables sans doute ; mais la défense égalait-elle Pé-
nergie de l'attaque?
Une autre association fut fondée pareil élément et se recruta d'é-
léments semblables. L'Union électorale, formée de comités de sec-
tion, de comités d'arrondissement et d'un comité central sur la
base des circonscriptions de la garde nationale, se donna pour
but la désignation des candidats futurs au moyen d'élections pré-
paratoires. La liste des candidatures définitives qui devait sortir
de ces épreuves préliminaires résumerait l'expression vraie de
la majorité des amis de Tordre. Enfin, la presse modérée elle-
même organisait an comité central pour raffermissement des
principes sociaux.
AGITATION ÉLECTORALE. 987
Ainsi comtitaé*, les deux partis rivant présentèrent tesrt pie*
grammes.
Le comité de la rue de Poitiers «'en tint, par prudence, à te
formule de l'ordre* Son manifeste n'affirmait qee te désir de res>
taurer la tranqattlité et de calmer peur ainsi dire te système ter*
rca* de la société, si vivement ébranlé par les utopies, les !**
volutkms et les lattes sociales* Une antre réenton dite du Palai*
nmtionat, composée de répaMieaîas modérés de la teille, saint te
même exemple. Toutefois, tout en voulant la restauration de
Tordre, elle demandait le maintien et te développement régulier
des institutions républicaines.
L'wociation de$ Amis de ta Constitution formulait, comme suit
Je but de ses efforts économiques et sociaux :
Filles dm. tempe, les réformes, dam teor enchaînement successif, n'oit de H-
sntes que celles de U perfectibilité de l'homme et de m tocîété. Elle» doivent
être érigée» en institutions à mesure qu'elles Arrivent en maturité. Les princi»
pales réformes qui, dès à présent, sent mûres et doivent être opérées, sont :
l'instruction gratuite qni est une dette de l'État, comme la Justice-, et oui seule
peut donner au suffrage universel toute son eflicuoité; — rergaaisanen de Pen-
ueSgueuient professionnel ; — la condition des instituteur! moins prétoire et
pins relevée; — l'inamovibilité des desservants et l'amélioration de lenr sort; —
rappucatkm graduelle de ce principe écrit dans la Constitution : la propor»
tioonaHté des impôts, en commençant cette réforme pur ceux oui s'écartent N
plus de cette règle, tels que l'impôt du sel qui peso oorticolieiuuatSjt sur l'agri-
culteur, et l'impôt dos boissons qui stérilise une vaste partie du sol, diminue la
richesse nationale, fait perdre à l'État plus qu'il ne lui rapporte; — l'organisa*
tioav do la force publique ou triple point do vue de la réduction des charge* on
l'État, de Togalûé devant l'impôt et de U sécurité intérieure et extérieure do U
République; — l'organisation du crédit par des institutions qui le rendent
moins cher et plus accessible; —la réforme hypothécaire; — la simplification
des rouages administratif, multipliés à l'excès depuis trente ans au préjudice
du Trésor public et de la prompte expédition des affaires ; — la révision des leio
de procédure qui rendent la justice trop lente et trop coûteuse; — la création
d'institutions de prévoyance et de retraite pour les travailleurs ; — l'organisa-
tion de r assistance publique.
U y avait encore là des formules très-vague* de socialisme et
beaucoup d'inexpérience. , ^
Les montagnards de l'Assemblée (55 représentants) publièrent
aussi une adresse dans laquelle ils établissaient leurs doctrines sur
HJSTpJftE DE FBAMCB (1*49 j
intérieur, riirtWwif, leiwwtfUnwpMite wni« mUitatj*,rios-
tructioD et Tordre. C'est M. Félii Pyat qui rédigea ce mafjifetJ* dé-
damatoir* at yidMaa* lequel se trouaient toute* ka tMetie* eo-
oialisias i ladpailaii travail, le drait an ofédil> l'État bajrqirier te
pauvres, l'absorption de» ioduetrias par l'&tat, l'impôt progpttwf,
eitfn toqtes les autres conséquence* socialiste* de la Gonstîtuliam
otc. Citait un «ilanga confus 40 fourrions»*, fia pfPwiU«îs»a,
4e fiOflunuiiiaiDa et de ma* prof*aUiftfte d'éceiMma potitiqws.
Noos voulons reconnaître à tons le droit à la propriété par le droit au tra-
vail. Qu'est-ce que le droit au travail? C'est la droit m crédit. Bt qo'est-eeqae
lé droit a« crédit? G'eat le droit ao capital, « 'oat-Miro aju moyaos, ans wstru-
ments de travail. L'article ]3 de la Constitution a promis des institutions de
crédit : le crédit, c'est la mise en circulation de la richesse commune, c'est la
vie même de l'Etat, et la vie collective ressemble à la vie individuelle. L'État
doit, comme le comr envoie Je sang an» membres, distribua? la crédit mis
citoyens qui le lui rendent par l'impôt. II faut doue que l'Etat, suivant l'ar-
ticle 13 delà Constitution, institue, organise le crédit public; il faut que, par
un bon système de banques cantonales et départementale* reliées entre ailes
et à nue banque nationale, il supplée ou crédit privé qui, soit douane*, insuffi-
sance on malveillance, s'est retiré du corps social et l'a nojajyso. U faut qu'il
fesse *u grand ce que la Banque de France fait en petit avec un capital pat*
treiut, usuraire et mal garanti : il faut qu'il prête au lieu d'emprunter; il faut
qu'il prête m" imumoWe comme sur meuble, sur valeurs présentes comme sur
produit* À venir ; qu'il «oit **6* réel et personnel. •
Jl faut qu'il fusse aussi baisser l'intérêt de l'argent du plus) eu pis*; il fiant
qu'il arrache l'agriculture, l'industrie et le commerce à l'exploitation féodale des
hommes de banque et de bourse, aux agioteurs et aux usuriers patentés ou mar-
rons; il faut qu'il ranime, qu'il redouble la foret, la vie, l'activité do la nutiou,
qu'il fournisse h tous ses ummbros, h tous 1er citoyens, ■ssoeiéw ou isolés, lo tra-
vail, c'est-à-dire la propriété, c'est-à-dire la liberté.
En résumé :
Suffrage universel et direct ; unité de pouvoir, distinction de fonctions ;
l'exécutif révocable et subordonné au législatif; point de président; la liberté
de la pensée, quel que soit son mode de manifestation Individuel ou coHeetif,
permanent ou périodique, par la parole ou par la presse; U liberté entière sans
aucune entrave préventive ou fiscale, sans cautionnement, privilèges, cen-
sore ou autorisation ; liberté absolue sans autre limite que la responsabilité ;
rehaussement des fonctions d'instituteur ; émancipation du bas clergé ; applica-
tion lu pins Usge possible de Mloctioa «t du concourt à soutes lus tressons
publiques; réforme du service militaire;, abolition complète des impôts qui
frappent Jes objets de consommation de première nécessité, comme le sel et le»
boissons ; révision de l'impôt financier et des patentes ; établissement de f impôt
putgwitif ot prtptisJssiuui tu» Mt mono net, ioumobater etiaoutliur ;
AGITATION ÉLECTORALE K)0
jeaaenldcs 4fr centime*; esnloitetiaq, par rÉiat, de» chemins d« fer, s»***, an-
naux, assurances, etc.; rédaction des gros traitements, augmentation des petits;
réforme administrative , judiciaire et pénale ; abolition de la coutrainte par
eerps; abolition 4e la peine de mort ; amnistie; encouragement à l'agriculture
#t à l'iitetotrie; enfin, droit à renseignement ai «irait au travail par le créait
et r association.
Voilà ce qn* nous voulons, ce que le peuple peut avoir, s'il le vept, avec |e
suffrage universel qu'il a déjà, et sans fusil, sans émeutes, sans secousse, eji
se barricadant dans la- loi, en s'armant de son vote, par la seule force du nombre
et 4a l'nuinn, il peut, s'il le Tant, tirer de l'urne, pacifiquement et progressive-
ment, toutes ces conséquences des trois grands principes de la révolmiou, c'est-
à-dire .le Gouvernement de tous par tous et pour tous, la République uue et
indivisible, démocratique et sociale.
Promesses irréalisables, aspirations confuses, théories mal di-
gérées. Où la Montagne, une fois parvenue au pouvoir, prendrait-
elle donc l'argent nécessaire à la fondation de ses quatre mille
banques» car elle en annonçait une par canton ; à son budget de
la guerre, car elle menaçait toute l'Europe ? Qu'était-ce que cet
impôt pogreasif, impôt inquisi tonal, confiscation en permanence?
Pourquoi, lorsque M. Tbiers et dix outres orateurs étaient venus
en démontrer l'absurdité, reprenait-on aujourd'hui cette thèse
qu'on n'avait pas osé soutenir dans le parlement? Ce n'était donc
qu'en leurre aux passions populaires. Exciter par tous les moyens
possibles le pauvre contre le riche, l'ouvrier contre le patron,
l'homme qui a besoin du capital d'autrui contre le capitaliste,
voilà la tâche glorieuse que s'était imposée le manifeste de la
Montagne. Le rtcfc, disait ce triste document, a, depuis trente*
quatre ans, spolié le pauvre de 13 milliards par l'effet de l'as-
siette «de l'impôt : assertion inqualifiable et dont on se gardait
tien d' administrer la preuve. Haine féroce et aveugle, ignorance
profonde, c'était là tout Je bagage des réformateurs.
Pour compléter ce tableau de la France électorale, il faut ajou-
ter à eee différentes associations quelques comités bonapartistes
qui avaiaat persisté à s'isoler du comité de la rue de Poitiers.
L'agitation électorale commença. Déjà depuis quelque temps
las clubs» pour échapper aux prescriptions de la loi de 1790 et
4u décret du 27 juillet 184$, s'étaient transformés en réunions
élsnlawkwT Cee<kibs déguisée sa chargeront bien vite de justtfier
2*0 HISTOIRE DE FRANCE. (1&49.)
par leurs violences l'insuffisante surveillance de l'autorité, « L'é-
meute est un devoir sous l'oppression actuelle a s'écriait un ora-
teur. Un autre se voyait forcé 4e se justifier de n'avoir pas, pris
part à l'insurrection de Juin, t II faut tuer tous ceux qui nous
sont opposés » disait un partisan de la fraternité humaine élu à
l'unanimité par la réunion. « 11 faut anéantir tous les agents de
la police » s'écriait un habitué de club, exhalant ainsi ses rancu-
nes. Telle était l'attitude de ces réunions dont on voulait intor*
dire l'entrée aux magistrats. Si la morale publique y était odieu-
sement outragée, la morale privée Savait pas plus à gagner a ces
spectacles dont les directeurs faisaient de véritables exploitations
commerciales. Trois clubistes, souvent condamnés pour délits-po-
liliques et célébrés comme des martyrs de la république sociale,
vinrent continuer leur apostolat devant le tribunal de la polioe cor-
rectionnelle. La 6e chambre infligea à l'un d'eux une année de
prison, et à deux de ses complices quatre mois de la même peine.
Ces fougueux adversairesde l'exploitation de l'homme par l'homme
avaient détourné le produit d'une quête faite au profit de la fa-
mille d'un insurgé de juin. Médecins sans clientèle, avocats sans
cause, ces hommes ne vivaient que de contributions indirectes
levées sur leur crédule auditoire, sous prétexte de droits d'entrée,
de collectes, de cotisations, de quêtes de toute nature. Pour
dernière honte, le procès révéla que les fondateurs de ce club
adressaient au ministre de l'Intérieur un rapport quotidien sur
les séances, et qu'ils recevaient cinq francs par chaque communi-
cation semblable. Tels étaient les instituteurs du peuple,
M. Pyat n'en persista pas moins à renouveler le 28 avril, les in-
terpellations de M. Ledru-Rollin et à contester au commissaire de
police le droii d'assister aux réunions politiques électorales. Des
désordres récents prouvaient assez la nécessité de cette surveil-
lance à laquelle se prêtent tous les bons citoyens qui n'ont rien
à cacher. Des voies de fait, des insultes grossières aux orateurs
trop modérés avaient signalé quelques-unes de ces réunions : et
cependant M. Pierre Leroux proposait la substitution d'un sténo-
graphe à l'assistance du commissaire de police. fl donnait i cette
création originale le nom plus original encore de miroir. Toula
la Montagne accusait avec des parafes-outrageantes M. Léen Fau-
AGITATION ÉLECTORALE. 241
cher, objet spécial de sa haine, de prétendues brutalités commî-
tes par lès agents de la poliee. Aux démentis les plus explicites,
m défi de traduire en justice les auteurs de ces violences, la
Montagne répondait par d'indicibles injures. A ces calomnies,
M. de Larochejaquelern opposa les brutalités commises par des
démagogues dans une réunion qu'il présidait, et l'honorable
représentant réclama, au nom même de la liberté, une surveil-
lance qui, bien loin d'être une cause d'ombrage, était à ses yeux
une protection. H. le ministre de l'Intérieur, qui n'avait opposé
m scandaleuses interruptions et aux grossièretés dont on l'accablait
qa'one calme énergie, sut convaincre la Chambre. L'ordre du
jour pur et simple fut voté, cette fois encore, à une grande
majorité.
il n'est pas dans les habitudes de la démagogie de se plier aux
décisions de la majorité. Aussi le Comité démocratique socialiste,
au nom des droits antérieurs et supérieurs aux lois positives,
déclara-t-il que le droit de tenir une réunion électorale en de-
hors de toute surveillance est au-dessus des lois elïe-mêmes.
Partant de ce principe étrange dans une république où toute
autorité procède de l'élection, les prétendus délégués du peuple
annoncèrent dans un manifeste la suspension des réunions élec-
torales démocratiques socialistes jusqu'à ce que le droit fût rendu
sans entraves. Il résultait de ce document que la démagogie se
considérait comme en état de légitime insurrection : si elle ajour-
nait tout appel à la force, c'est qu'elle redoutait un échec, « Le
jour n'est pas venu. Le peuple choisit son jour et ses armes. »
Ceci signifiait que le vrai peuple n'était rien moins que disposé à
nne insurrection nouvelle.
Cependant ces excitations ne devaient pas rester sans résultat.
Une certaine émotion se manifesta dans les bas-fonds de la popu-
lation parisienne. Des rassemblements interceptèrent pendant
quelques jours la circulation sur les boulevards, surtout aux
abords de la porte Saint-Denis. Pendant quelques soirées, l'auto-
rité ne crut pas devoir prendre des mesures énergiques qui n'au-
raient pas paru assez justifiées. Mais enfin la sécurité de la capi-
tale était troublée, le commerce languissait; il fallut mettre lin
à ces désordres : la loi sur les rassemblements fut affichée. Le
242 HISTOIRE DE FRANGE. (1849.)
quartier devenu le siège de manifestations inquiétantes fut cerné
et. de nombreuses arrestations furent opérées sans résistance.
Cette attitude vigoureuse de l'autorité suffit pour mettre fin kim
troubles sans portée. Trois représentants, MM. Doutre, Jouin et
Mathieu Louisy avaient eu le tort de se mêler en curieux aux ras-
semblements. Arrêtés comme d'autres» ils portèrent leurs plaintes
devant l'Assemblée nationale. Ils se plaignirent, comme c'est
l'ordinaire, de la brutalité des agents de police, et il ne manqua
pas de voix sur la Montagne pour accuser la police elle-même de
provoquer à F émeute. M. le président du conseil répondit que
c'était sans doute sans intention mauvaise que d'honorables re-
présentants avaient grossi a la masse inepte de ces curieux qui,
toutes les fois que la place publique est envahie par des factieux,
s'empressent d'aller faire nombre au risque de donner un élé-
ment nouveau à l'émeute. » Mais n'était-il pas assez naturel que
des agents, eiposés pendant plusieurs heures aux huées et aux in-
sultes de la multitude, traitassent sans trop de cérémonie ceux
qui ne se reliraient pas devant les sommations légales? Une en-
quête fut, au reste, ordonnée par M. le ministre de l'Intérieur,
et, pour éviter à l'avenir de pareils incidents, il fut résolu que ai
jamais des représentants du peuple se trouvaient en pareille oc-
currence, ils seraient conduits devant le bureau de l'Assemblée,
afin que la part fût faite immédiatement à l'inviolabilité des
représentants et aux exigences de la justice. M. Doutre et
plusieurs de ses collègues , tout en se plaignant de violences,
avaient prodigué à M. le ministre des insultes et l'avaient haute-
ment accusé de provocation : M. le président du conseil pro-
testa énergiquement contre ces imputations surannées, a Peut*
être un jour, dit- il, saura-t-on par qui ces désordres ont été pro-
voqués : car il ne manque pas d'hommes qui se tiennent derrière
les factieux de la rue, et qui attendent les événements, sauf à les
désavouer ensuite quand ils n'ont pas tourné selon leur désir
(30 avril). »
La violence appelle la violence et le désordre engendre le dé-
sordre. L'opinion publique venait d'être initiée aux incroyables ré-
vélations amenées par des perquisitions et par des arrestations ré-
centes* Chez quelques sociétaires socialistes avaient été saisies des
AGITATION ÉLECTORALE. 243
pièces, élucubralioa d'esprits en délire, des projetante décrets
indiquât connne devant inaugurer l'avènement de la démocratie
socialiste. Spoliation, épurations, fusillades, tell étaient les plana
dea reformate un. Sans doute il ne fallait pas étendre la solidarité
de cas hideuses rêveries s sans doute les chefs de la démocratie
n'avaient aucun rapport avec les juges avinés de Vebmes ridi-
eilet; nais enfin ces monstruosités n'excitaient en aucune façon
l'horreur de là presse socialiste. On journal , La vraie Hépubliquei
ptait jssqn'à nn certain point la solidarité de ces menaces
, et le nom de Marat était glorifié par un autre jour-
nal comme celui du seul homme qui eftt compris la révolution
c avec cette sûreté de coup d'œil qui n'a jamais eu d'égale, » et
4» disait: c Né faites pas en deui Ibis ce que vous ponves faire
en nne fois, a Quoi d'étonnant qu'en face de pareilles dispositions
da parti démagogique, les populations tranquilles de la France
s'indignassent de voir une des recrues les plus nouvelles, un des
néophytes les plus fervents de ce parti, apporter le désordre dans
leurs paisibles provinces? M. Lcdru-Rollin eut ce cruel mécompte
d'être chassé d'une ville qu'il s'apprêtait à initier au socialisme.
Va banquet démocratique avait été organisé i Moulins. Sept à huit
cents individus, enfants, femmes, habitués de clubs et de ca-
barets se réunirent le mardi 1er mai pour recevoir le chef socia-
liste* L'immense majorité de la population paisible se réunit,
ette aussi, mais pour proléger la ville contre les désordres que
toisait présager l'animation des partisans de la Montagne.
Cependant le banquet commença : les discours se succédèrent;
nais, à chaque cri de vive Ledru-RolMn! vive ta Montagne ! la
feule qui entourait le local du banquet répondait par des cris de
vive Napoléon! à bas V agitateur! à bas les fainéants! à bas les
rouge* ! ébat tes 4B centimes ! Ces cris c'étaient des paysans, des
ouvriers qui les poussaient. On s'indignait de voir quels hommes,
quelles femmes servaient de cortège aux députés de la Montagne.
Le banquet fut envahi, les drapeaui furent lacérés et M. Ledra-
RolKn dot se soustraire à cette ovation inattendue. Lui et ses
■sais s'apprêtèrent à quitter la ville inhospitalière. Mais ils eurent
rimprndenee de faire traverser à leur voiture la place de l'hôtel
de vHle, foyer de l'irritation populaire, (ci se passa une scène
i
i
2tt HISTOIRE DE FRANCE. (1849.)
regrettable. Eu un instant les chevaux furent arrêtés, les glaces
de la voiture furent brisées à coups de pierres. Heureusement la
garde nationale était sous les armes et de nombreuses patrouilles
sillonnaient' Moulins. Des officiers s'interposèrent, empêchèrent
qu'on ne coupât les traits et le postillon put enfin enlever ses
chevaux. M. Ledru-Rollin put heureusement s'échapper sain et
sauf, et la voiture disparut au milieu des huées et des impréca-
tions. Ce départ suffit pour rendre le calme à la ville.
Tels furent les faits dont M. Ledru-Rollin vkit entretenir l'As-
semblée avec une émotion facile à comprendre. Il pria l'Assem-
blée d'ordonner une enquête. On pouvait s'étonner de cette de*
mande. Pourquoi une enquête parlementaire ? La justice du pays
n'était-elle pas là et ne saurait-elle pas faire son devoir? Sans
doute, répondit, en quelques nobles paroles, M. le président du
conseil, il ne fallait pas permettre que les dissidences politiques
dégénérassent en violences et en attentats ; autrement ce serait
la guerre civile. Mais ne voyait-on pas à quel point sont dange-
reuses , pour la paix publique , ces manifestations plus ou moins
spontanées, dans lesquelles les orateurs se plaisent, par des dis-
cours incendiaires, à échauffer les esprits, à surexciter les pas*
sions et les haines politiques? Et si, au sortir de ces banquets
révolutionnaires, des pensées de violence germaient dans quel-
ques têtes, sans doute il fallait que la justice frappât les coupa-
bles. Mais ceux qui ne craignaient pas de remuer les populations,
en faisant appel aux plus détestables instincts , n'assumaient-ils
pas aussi sur leur tête une grave responsabilité?
L'Assemblée, en n'ordonnant pas d'enquête spéciale, prouva
qu'elle s'en rapportait à l'action de la justice ordinaire (2 mai).
Si la population de Moulins repoussait le désordre par le dé-
sordre, au moins la démagogie ne put-elle invoquer aucun pré-
texte pour justifier les manifestations violentes dont Dijon fut le
théâtre. L'anniversaire de la proclamation de la République par
l'Assemblée nationale y fut signalé par une émeute de la nature
la plus grave, une émeute de la force armée. Des artilleurs d'une
légion récemment dissoute ayant paru i la revue en uniforme,
quelques-uns furent arrêtés et conduits au poste du Palais-des-
Ëlals. A la suite de la revue, un grand nombre de gardes natio-
AGITATION ÉLECTORALE. 245
naax se portèrent sur ce poste pour délivrer les prisonniers. Une
faible troupe de la ligne, attaquée à la baïonnette par les gardes
nationaux, défendit courageusement le poste et garda ses prison-
niers. La gendarmerie, maltraitée et accablée par le nombre, se
?U enlever les siens. Une atteinte aussi grave portée à la disci-
pline, à l'autorité et à la loi, demandait une répression sévère.
Les prisonniers relâchés forent repris; des mandats d'amener fu-
rent décernés contre les hommes qui avaient fait de l'uniforme
nn drapeau pour l'émeute; la cour d'appel évoqua l'affaire. Mais,
avant toute répression judiciaire , le Gouvernement devait un
exemple aux populations. Sur le rapport du ministre de l'Inté-
rieur, le président de la République prononça la dissolution de
Ja garde nationale de Dijon.
A Paris, la célébration du premier anniversaire de la procla-
mation de la République eut lieu avec une grande pompe et ne
fut l'occasion d'aucune scène regrettable. Des cris de vive Napo-
léon! vive la République! furent mêlés de quelques cris de vive
la République sociale! vive V amnistie! L'amnistie était, en effet,
la question du moment. Déjà, plus d'une fois, la proposition
d'une amnistie en faveur des. transportés de juin avait été sou-
mise à ia Chambre, Le 2 mai, cette proposition se présentait, non
plus sous le patronage un peu compromettant de M. Lagrange,
mais sous la forme d'un amendement introduit dans le projet de
loi relatif & la célébration de l'anniversaire du 4 mai. La Chambre
maintint cependant ses voles précédents; l'amendement de la
commission, bien que modifié par un sous-amendement de
M. Senard, qui proposait, en adoptant l'amnistie, d'accorder au
Gouvernement un délai de six mois pour l'accomplir, fut rejeté
à la majorité de 339 voix contre 288 (î mai).
Des grâces nombreuses avaient, d'ailleurs, été déjà accordées.
Une commission nommée par la Chambre elle-même avait pro-
cédé, quelques mois auparavant, à Ja révision des dossiers. Sur
l'avis de cette commission, un grand nombre de prispniiiers
avaient été mie en liberté. Deux cents autres grâces avaient été
prononcées récemment, et, eoûn, M*, le ministre de l'Intérieur
annonçait qu'une nouvelle mesure de clémence aurait lieu à l'oc-
24* HISTOIRE DE FRANGE. (1S49.)
easion même de la fête du 4 mai. La question se réduisait donc à
lavoir si le moment était venu de rendre à la sooiété, par une
mesure générale, et sans exception, tout ce qui restait des hom-
mes transportés après les journées de juin. Ce n'était plus qu'une
question d'opportunité , et l'Assemblée ne voulut pas prendra
sur elle la responsabilité d'une mesure que le Gouvernement,
mieux informé, déclarait dangereuse. Le rapporteur de la oont*-
mission, M. Gouttai, n'eut pas de peine à démontrer que la trans-
portation est une mesure exorbitante de salut public. Il n'était
que trop vrai, comme le démontra l'honorable rapporteur, que
les transportés n'étaient ni des condamnés, ni des accusés, ni
même des prévenus, puisque, à proprement parler, on ne leur
avait pas fait de procès, puisqu'ils n'avaient été ni entendus, ni
confrontés, ni jugés. C'étaient des prisonniers de guerre, et de la
phis détestable des guerres, la guerre civile. Or, ces prisonniers.
là, ou les garde tant que la paix n'est pas conclue. La société
était-elle redevenue assez forte, Tordre était-il assez assuré, c'é-
taient là des questions dont le Gouvernement seul pouvait être le
juge. C'est ce que déclarèrent MM. Odilon Barrot et Léon Fan-
cher. M. le président du conseil n'eut pas de peine à prouver qu'il
serait de la plus haute imprudence d'imposer au Gouvernement
un délai fatal dans lequel il dût être forcé d'ouvrir les portes des
prisons, au risque d'exposer le pays aux horreurs de la guerre
civile. Sans doute, on comprenait une pensée d'amnistie à un
moment de notre histoire , quand le Gouvernement n'était plus
contesté, quand les discussions ne portaient plus que sur des
questions secondaires, quand les adversaires du popvoir s'incli-
naient devant lui ; alors l'amnistie n'était pas seulement de la
générosité, c'était de (a justice. Mais si les hommes que l'on von*
lait amnistier étaient tous les jours proclamés dans certains jour-
naux, et jusque sur les places publiques, non comme des hom-
mes égarés, mais comme de glorieux martyrs; s'il se produisait
des provocations incessantes, non pas seulement à les imiter*
mais à les venger; aurait-on le courage de prendre, à la face du
pays, la responsabilité d'une générosité cruelle et terrible pour
lé pays?
AGITATION ÉLECTORALE . 247
Cest qu'en effet, quelques jours avant <5ette discussion, lorsque
la vindicte légale s'appesantissait sur quelques-uns de ces hom-
mes que tous les partis repoussent, parce que ce ne sont pas des
hommes égarés, mais de misérables assassins; lorsque la hache
de la loi tombait sur ces coupables qui avaient trouvé moyen de
flétrir jusqu'à la guerre civile elle-même, on avait vu des trans-
portés célébrer la mort de ces assassins, non pas comme une ex-
piation, mais comme un martyre, et jurer sur un catafalque
qu'ils vengeraient leur trépas. La presse socialiste s'était associée
à ces hideuses manifestations.
C'est qu'en effet, le 17 mars, le glaive de la loi avait atteint
deux des assassins du général de Bréa et du capitaine Mangin.
Lahr (Nicolas) et Daix (Henri-Joseph) avaient payé de leur tête
ce crime sauvage commis de sang-froid sur deux parlementaires.
Trots autres coupables, également condamnés à mort, Chopart,
Nourrit et Vappreaux jeune, avaient vu commuer leur peine en
celle des travaux forcés à perpétuité.
Deux journaux socialistes eurent le triste courage de s'associer
au crime que punissait la justice humaine. Ils accusèrent le Gou-
vernement d'avoir relevé l'échafaud politique!
La société poursuivait en même temps une autre réparation.
Les accusés de l'attentat du i 5 mai comparaissaient devant la
haute cour de justice de Bourges. Après des débats prolongés
pendant près d'un mois, l'arrêt fut rendu le 3 avril ; six d'entre
eux, Degré, Larger, Borme, Thomas, Courtaiset Yillain furent ac-
quittés. Déclarés coupables d'un double attentat ayant pour but
de renverser le Gouvernement et d'exciter la guerre civile dans le
pays, les accusés Armand Barbes et Alexandre Martin, dit Albert,
furent condamnés à la déportation; Louis-Auguste Blanqui, à
dix années ; Joseph-Marie Sobrier, à sept; François- Vincent Ras-
pail, à six ; Benjamin Flotte et Auguste-François Quentin, à cinq
années de la même peine. Les accusés contumaces, Louis Blanc,
Caussidière, Hounean, Laviron, Seigneuret et Chancel furent
condamnés à la déportation.
Ce qui ressortait des débats qui avaient précédé le verdict,
c'était que les accusés avaient fait peser mutuellement sur eux-
248 HISTOIRE DE FRANCE. (1849.)
mêmes des charges plus accablantes que celles du réquisitoire
public. Ils s'étaient adressé, des imputations plus graves que
celles dont ils se prétendaient injustement atteints par la réaction.
D'étranges révélations étaient sorties de ce procès sur l'histoire
politique de la dernière année. On avait entendu l'accusé Ras-
pail désigner des hommes placés dans le. Gouvernement provisoire
comme les véritables promoteurs de l'attentat. La manifestation
factieuse avait été, selon lui, organisée dans le club des du 6$, dont
Longepied était le président. Or, à ce club des clubs, M. Ledra-
RoIIin accordait une subvention de 400,000 francs pour peser sur
les élections. Aussi, quand Longepied avait été arrêté à la suite de
l'attentat du 45 mai, il avait en quelque sorte signiûé avec me-
nace aux hommes du pouvoir l'ordre de son propre élargisse-
ment; et il avait été mis immédiatement en liberté.
Nous l'avons dit, les accusés ne s'étaient pas plus ménagés
eux-mêmes qu'ils ne ménageaient leurs ennemis politiques. Un
ancien secrétaire de M. Caussidère, M. Monnier, avait signalé
comme un des espions de la monarchie, un des vétérans des so-
ciétés secrètes, un héros de conspirations, un martyr sous la mo-
narchie, celui-là même qui, le 45 mai, déclarait de sa propre
autorité la dissolution de l'Assemblée nationale. Il est juste
d'ajouter que, placé ainsi entre deux accusations, dont l'une me-
naçait sa liberté, l'autre son honneur, Huber, jusque là contu-
mace, n'hésita pas à se constituer prisonnier, mais trop lard,
pour prendre part aux débats.
Une accusation du même genre avait été produite contre Blanqui
dans les premiers jours qui suivirent la révolution de février.
Une publication insérée dans la Revue rétrospective avait tendu à
représenter comme un faux-frère le factieux modèle, le type du
conspirateur. Selon Blanqui, ce document célèbre. avait .été dé-
libéré en conseil desministres.
L'accusation fut reproduite à Bourges et par l'homme que la
démagogie considère comme le plus pur de ses chefs. Barbes
se chargea d'un réquisitoire particulier contre celui qu'il con-
sidérait comme un dénonciateur. Vous seul, dit-il à Blanqui,
pouviez savoir les détails contenus dans ce rapport. Vous avez été
AGITATION ÉLECTORALE. 349
gracié en 1846. 11 est vrai que tous n'acceptiez pas- votre grâce.
Mais vous n'étiez pas en prison & Tours, vous étiez dans un lieu
de plaisance, bien nourri, montant achevai.
Celte sortie foudroyante provoque une scène plus déplorable
encore. Un séide ardent de Blanqui, Flotte, jette un défi à Bar-
bes, l'apostrophe outrageusement, le menace du poing et c'est
avec peine que deux gendarmes peuvent le contenir. Alors Bar-
bes se lève, l'œil en feu, la main tendue vers Blanqui et il s'écrie :
t On a plaidé pendant un mois pour avoir sa liberté : qu'on plaide
maintenant une dernière heure pour sauver son honneur. »
An milieu de ces violences instructives, le président de la
haute cour se voyait réduit au rôle inattendu de conciliateur. II
ressortait, en effet, de singuliers enseignements de ces scènes
si tristes. Le premier, si l'on en croyait les accusés, c'est que
tous les complices de l'attentat du 15 mai n'étaient pas sur le
banc de l'accusation. Le second, le plus grave sans doute, c'est
que les démagogues qui prêchent l'union et la fraternité, sont
animé» les uns envers les autres de haines profondes et incu-
rables; c'est. qu'unis pour détruire, ils s'entre dévoreraient le
lendemain du triomphe.
La théorie des révolutions était aussi sortie plus nette des dé-
bats de la haute cour. On avait pu s'étonner jusqu'au i 5 mai que
des républicains, après avoir proelamé le dogme de la souveraineté
populaire et inauguré le suffrage universel, protestassent la fois
et contre les décrets d'une Assemblée nationale issue du suffrage
universel, et contre la volonté même du peuple exprimée par
l'universalité des citoyens réunis. L'accusé Barbés se chargea d'ex-
pliquer cette étrange anomalie. Pour lui, pour les révolution-
naires, le principe républicain ne consistait plus dans la souve-
raineté du peuple, souveraineté qui se manifeste par les majori-
tés. Le Gouvernement des majorités, pour Barbes, c'était la
tyrannie. Il y a, ajoutait-il, une souveraineté supérieure à celle
du peuple, la souveraineté du but. 11 est vrai que le but n'est pas
le même pour tous, et que l'idéal change avec les théoriciens de
la République. Le but de M. Proudhon n'est pas celui de M. Con-
sidérant, encore moins celui de M. Cabet. La souveraineté du
bat, c'est donc le délire de l'individualisme.
250 HISTOIRE DE FRANCE. (1849.)
Il n'y eut pas jusqu'aux témoins qui ne se chargeassent d'appor-
ter dans ce procès des révélations piquantes. Le 19 mars, devant
la haute cour de justice de Bourges, M. Ledru-Rollin-, cité
comme témoin, donnait ainsi avec une franchise un peu im-
prudente la théorie des révolutions prétendues populaires :
« Est-ce qu'on fait uue révolution avec des mots, avec des non* propres?
Est-ce que, quand on veut faire une révolution au profit de la royauté, on crie :
Vive le roi? Est-ce qne, quand on fait une révolution an profit de la régence,
on va «r«er : Vive la régence? Non, on $aisit le sentiment ont domina dans
la foule, on l'excite, on s'en empare; puis, avec un tour de main, on subsli"
fue au Gouvernement dont on ne veut pas celui dont on veut. »
Parmi toutes les histoires de la révolution de Février, il n'en
est peut-être pas de plus claire, de plus instructive, de plus
complète malgré sa brièveté; que cet aveu quelque peu indiscret
fait par l'ancien membre du Gouvernement provisoire.
Gomme pour donner un commentaire pratique à ces théories
révolutionnaires ou socialistes, pendant que les victimes des pas-
sions démagogiques allaient expier une fois de plus dans les ca-
chots leurs tentatives insensées, d'autres martyrs, aussi aveugles,
mais moins coupables, expiaient leur folle confiance dans des sys-
tèmes impraticables. Les uns, séduits par les pompeux menson-
ges de Tlcarie, allaient perdre dans les déserts de l'Amérique
leur santé, leur fortune et même leur vie. D'autres, plus heureux,
n'avaient à regretter que des capitaux imprudemment engagés
dans les stériles entreprises des réformateurs. Ainsi, le 1 1 avril.,
la Banque du peuple, si pompeusement annoncée par M. Prou-
dhon, entrait en liquidation. Depuis l'ouverture de la souscription,
l'opération n'avait pas tout à fait réalisé une somme de 18,000 f.
Or, comme elle ne devait fonctionner que quand elle aurait réuni
un capital de 80,000 fr., la société mourait avant même de naî-
tre. Et cependant il avait été dépensé pour ce projet de so-
ciété 8,147 fr. dont M. Proudhon se portait personnellement res-
ponsable. G'est la première fois qu'on voyait dépenser les fonds
versés pour une entreprise avant la constitution de la société.
M. Proudhon alléguait pour sa j ratification, et la situation per-
AGITATION ÉLECTORALE. 531
sonneUe que loi faisait une récente condamnation judiciaire, *t
l'impossibilité de (aire gérer l'entreprise par un autre que lui-
même. lf« Prosdhon te défiait à la fois et de l'intelligence et des
intentions de ses disciples et de ses collègues. Le socialisme n'é-
tant, avouait-il, qu'un débordement de théories contraires, il y
avait one foule d'antagonismes à concilier, de têndanees folles k
arrêter. M. Prondhon avait craint les écarts d* imagination de
ses collègues déjà conpables envers lui à1 idées ennemies, de sug*
gestions perfides, d'indiscrétions inewousables.*
Après cet échec, M. Prondhon allait*!! réalieer les promesses de
son programme, disparaître de V arène révolutionnaire, demander
pardon à UtsœUtè et à ses frères du trouble jeté dans leurs ornes ?
Nsn sans doute, il. Prondhon continuerait, comme par le passé, 4
déclamer «entre la société» è la démolir selon son expression,
sauf à n'avoir pénr édifier sur ses ruines qu'un monument comme
la flanque du peuple.
L'eiemple de oelte chute n'effraya pourtant pas un autre apô-
tre socialiste, M. Victor Considérant. Lui aussi en appelait à la
pratique : seulement, iHemendait i la France les frais de l'ei-*
pirienee.
An se rappelle que M. Considérant avait, Tannée précédente,
réclamé de l'Assemblée quatre séances de nuit pour l'exposition
de ses doctrines : réduisant ses prétentions,* il insistait aojour*
d'hui pour une seule séance de jour et l'Assemblée ne crut pas
devoir loi refuser cette faveur. Pendant trois heures, le disciple
4e Fourier mit à l'épreuve la patience de Is Chambre. Après les
déclamations habituelles sur l'état de la société, M. Considérant
proposa enta son remède. Au point de vue théorique, ce remède
n'était pas autre chose que Passoeiation du capital et du travail par
l'établissement 4e banques territoriales dans chaque arrondisse-
«aent. C'était le crédit foncier. M. Victor Considérant ne s'était pas
aperçu, sans doute, qne. cette association eiiste naturellement
èw l'industrie, dans le commence, dans toutes les grandes en-
tfçpi>ise«, Héritée U est vrai pas 1» liberté humaine dont le so-
eîaliame fctf si bon marché, Au point de vue pratique, e'est4-
diie poflKHft*e| a* ohet de aefte, le remède consistait surtout &
atfiriw *M.Cti>aidértilllt«tti,iM hertanes éo terrain, à
252 HISTOIRE DE FRANCE; (18*9.)
proximité de la capitale, avec un phalanstère tout construit. Cette
proposition fut accueillie avec une certaine hilarité. M. Victor
Considérant accumula pour la justifier, toutes les théories de son
maître, attraction, travail attrayant, etc. Moins exclusif, au reste,
que d'autres inventeurs, M. Considérant réclamait pour toutes le*
autres fantaisies socialistes, Banque du peuple, Icarie, Triade, le
bénéfice d'expériences semblables. Le budget de l'État serait
chargé de subvenir aux entreprises de tous les rêveurs qui imagi-
neraient un nouveau mécanisme social. A l'exemple de M. Prou*
dhon, M. Considérant faisait son testament politique. S'il échouait,
il déclarait consentir à* être envoyée Charenton.
Senl M.Desjobert crut devoir répondre au disciple de Fourier :
l'honorable représentant contesta que ce fût un bon emploi de
l'argent des contribuables que de le jeter ainsi en holocauste à
ces réformateurs de toute espèce : toutes ces sommes, à son avis,
iraient rejoindre l'argent dépensé par M. Cabet en Icarie, par
M. Proudhon dans la Banque du peuple, par les fouriéristes eux-
mêmes dans les différents essais qu'ils avaient tentés, notamment
à Condé-sur-Vesgre et à Citeaux* Mais ce qui touchait surtout
M. Desjobert, c'était l'encouragement qu'on donnerait ainsi à des
doctrines qui portent atteinte aux principes fondamentaux de la
société, aux lois essentielles de la morale. H suffit à l'orateur de
citer quelques écrits de l'école phalanstérienne sur la propriété et
la famille. Certaines théories plus ridicules encore qu'immorales
sur le mariage rappelèrent involontairement aux auditeurs le
genre d'expiation auquel le réformateur se condamnait lui-même
à l'avance, en cas d'insuccès (14 avril).
C'est ainsi que les novateurs se chargeaient eux-mêmes de dé-
montrer ou le ridicule, ou l'impuissance de leurs doctrines. Mais,
dans les bas-fonds de la société, ces attaques incessantes contre
l'ordre établi, ces promesses illusoires d'un avenir de bonheur et
de jouissances enfantaient des haines sauvages et de monstrueu-
ses espérances. Le socialisme pratique répondait aux rêveurs par
le cri de : Vive la guillotine ! Dans les Pyrénées-Orientales, les
maximes du droit au travail étaient appliquées par des bandes de
malfaiteurs. En haut, d'inofènstts rêveurs : en bas, des malheu-
reux démoralisée prêts à tmdiiwr tes théories d'une Arçon san-
AGITATION ÉLECTORALE. %3
glante ; à coté, enfin, et plus coupable* que Unis les autres, 4es
hommes de parti prompts à profiter 4e toutes les passions, à ex-
ploiter tous les prétextes au profit de leur ambition. Tel était le
tableau que présentait la société française au -moment ou, sur un
prétexte nouveau, la démagogie fit contre Tordre une nouvelle
tentative.
9S4 HISTOIRE DE fHANflR. (1*4*-)
CHAPITRE XIV.
ROMS À PARIS.
La question d'Italie, proclamation de la République à Rose, faîte da pape,
interpellations de M. Ledru-Rollin, M. Droaiu de Lhuys repousse toute soli-
darité avec la République romaine, déclaration politique. — Interpellations
nouvelles, MM. Bpvignier et Ledru-Rollin ; politique rétrospective, MM. de
Lamartine, Cavaignac, Emmanuel Arago, ordre da joar pur et simple.
— Marche rapide des faits en Italie, chute de S. M. Charles- Albert,
rôle de la France dans les négociations, résolution du comité des affaires
étrangères, MM. Billault et Lcdru-RolHn, M. Jules Favre demande un vote
d'énergie, ordre du jour de M. Flocon, Tordre du jour pur et simple repous-
sé ; nouveaux débats rétrospectifs, MM. Ledru-Rollin, Cavaignac et Thiers,
la guerre et la paix, amendement de M. Payer, adoption. — Demande bTiu-
tervention, protestation de MM. Ledru-Rollin et Emmanuel Arago, l'interven-
tion décidée x sa signiûcation. — Départ des corps expéditionnaires, occupa-
tion de Civita-Veçchia, échec sous Rome, interpellations de M Jules Favre»
il blâme le ministère et demande un acte de vigueur, déclaration et eiplica-
tions ministérielles, ordre du jour de la commission, documents étranges
communiqués par M. Flocon, adoption de Tordre du jour motivé. — Sens de
ce vote, qu'y a-t-il a faire? envoi de M. de Lesseps, difficultés de la négo-
ciation; lettre de M. le président de la République au général Oodiaot;
demande de mise en accusation du président de la République et des minis-
tres, demande de reconnaissance de la République romaine, M. Ledru-Rollin,
ordre du jour du général Changarnier, insultes h l'armée ; ordre du jour pur
et simple; la mise en accusation repoussée ; les Romains de Paris.
Les questions extérieures, questions d'influence et de légitime
amour-propre national, ont, surtout en France, le privilège de
passionner les masses. Aussi l'abaissement de la France atait-il
été une des machines les plus ordinaires de l'opposition sous la
HOME A PARIS. 3%
monarchie ; aussi la Pologne avait-elle été le prétexte do 15 mai*
L'Italie devait servir de prétexte à une nouvelle journée.
On verra plus loin (Italie) quelle récompense la démocratie
italienne préparait au premier pape dont le nom ait patroné dans
le monde les idées de liberté. Déjà» on se le rappelle, le Gouver-
nement du général Cavaignac avait annoncé hautement une in-
tervention en Italie. (Voyei Y Annuaire précédent, p. 588.) La
nouvelle de la proclamation de la République à Rome et de la
fuite dn pape à Gaëte vint, dans les premiers jours de l'année,
rendre cette intervention plus nécessaire encore. Quant à l'op-
position radicale, elle s'empressa de prendre position par des
interpellations adressées au ministère et d'établir une prétendue
solidarité entre l'insurrection romaine et la révolution de Février
(31 février).
M. Ledru-Rollin s'en chargea, a Le pape a été chassé de la
ville éternelle ; comme prince temporel, il est frappé de dé-
chéance, et la Constituante romaine a proclamé la République.
Voilà de bonnes nouvelles l » s'écriait M. Ledru-Rollin, et il
demandait aux ministres s'ils étaient, comme lui, disposés à mon-
ter an Gapitole , ou bien s'il serait vrai que, par une coupable
connivence, ils fussent sur le point de tolérer une expédition qui
serait dirigée sur la Romagne par le roi de Piémont, pour réta-
blir le souverain pontife dans sa puissance temporelle, pendant
que les escadres combinées de la France et de l'Angleterre sur-
veilleraient les patriotes italiens dans les eaux de Gènes et de
Civita-Vecchia. M. Drouin de Lhuys répondit que le Gouverne-
ment ne dirait ni ce qu'il proposerait, ni ce qu'il ferait plus tard,
omis que, dès à présent, il pouvait déclarer qu'il ne regarderait
jamais la République française comme solidaire de toutes les ré-
publiques qui croiraient devoir se proclamer. Cela dit, M. le mi-
nistre des Affaires étrangères, sans contester les droits de la po-
pulation de l'État romain, sans aggraver, par aucune parole im-
prudente, la situation du pape, marqua nettement les difficultés de
la question. C'était le double caractère de Pie IX , comme prince
temporel de Rome» comme chef spirituel de l'Église» qui créait «es
difficultés. A titre de prince qu'il eût perdu sa couronne, nul
Gouvernement étranger» sans doute, n'avait rien à y voir ; mais
256 HISTOIRE DE FRANCE. (1849.)
le souverain pontife doit être libre, et la catholicité entière est
intéressée à ce que cette liberté soit réelle et notoire. Gomment
concilier ces deux intérêts? Là était le problème, là se rencon-
traient à la fois et les droits et les périls d'une intervention.
M. le ministre des Affaires étrangères était d'avis que la meil-
leure solution serait celle qui ferait vivre dans un mutuel accord
le pouvoir temporel et le pouvoir spirituel dans la vieille capi-
tale du monde chrétien. Dans tous les cas, il réservait pour la
France toute sa liberté d'action; il demandait que, lorsqu'elle
aurait une résolution i faire prévaloir, elle prit son jour, son
heure, sans attendre le mot d'ordre des factions qui agitaient l'I-
talie. Ce jour-là, il consulterait l'Assemblée, il viendrait deman-
der hautement son concours et son adhésion. M. Ledru-Rollin
répliqua avec peu de bonheur et amena, à la tribune M. Coquerel
qui, tout en restant protestant, sut s'associer généreusement aux
sympathies du monde catholique. « Savez-vous, s'écria-t-il, qui
vient d'être expulsé par les ingrats Romains? Ce n'est pas seu-
lement le pape, c'est le premier ami des libertés italiennes? »
L'orateur finit en ajoutant que la République française ne pou-
vait être solidaire d'une république qui avait débuté par deux
crimes.
Tel fut le premier engagement sur la question italienne.
Une seconde passe d'armes, tout aussi inutile, mais plus bril-
lante, s'ouvrit, le 8 mars, par des interpellations nouvelles de
M. Bovignier. L'auteur des interpellations dénonça violemment
les projets des royautés coalisées du Nord contre l'indépendance
italienne et peut-être contre la République française.
M. Ledru-Rollin reprit le même thème, mais avec plus de mo-
dération et d'éloquence. Ce qu'il y avait de commun aux deux
discours, c'était cette idée que, par son vote du 24 mai 1848,
l'Assemblée s'était engagée à soutenir toutes les républiques qui
pourraient éçlore dans le monde.
Un mot de M. Ledru-Rollin, s'étonnant d'être seul à défendre
la politique du Gouvernement provisoire, amena à la tribune
M. de Lamartine. A travers mille contradictions, l'illustre ora-
teur, tout en louvoyant entre les politiques les plus contraires,
sans en adopter aucune, parut toutefois protester contre Tinter-
ROME A PARIS. 257
prçtaJton étrange qu'on Tenait de faire de Tordre du jour du 24
mai. 11 faut rendre au fond cette justice à M. de Lamartine, qu'il
n'avait jamais entendu rendre la France solidaire de tous les
mouvements qui se produiraient en Europe au nom de la liberté.
La conduite comme les intentions de l'ancien membre du Gou-
vernement provisoire avaient été dans un heureux désaccord avec
les brillantes imprudences de son manifeste. Tout en revendi-
quant la responsabilité de ses actes, M. de Lamartine répudia la
responsabilité de la politique suivie par ses successeurs, ajou-
tant qu'il n'accusait pas cette politique, mais qujl y avait entre
elle et la sienne l'épaisseur des Alpes.
Celle phrase appela à son tour à la tribune le général Gavai*
gnac. L'ancien chef du pouvoir exécutif, qui avait su, sous un
Gouvernement militaire, maintenir la paix de l'Europe, dit avec
une grande verve de bon sens qu'il y avait quelque chose de plus
difficile que de se séparer de la politique de ses successeurs, c'é-
tait de se séparer de celle de ses prédécesseurs. (1 ne fut pas
difficile au général d'établir l'identité de sa politique et de celle
de II. de Lamartine. Au reste, sous les deux Gouvernements, la
position n'avait-elle pas été identique? L'anarchie intérieure
n'avait-elle pas paralysé l'action extérieure? Par celte expression :
V épaisseur des Alpes, dit en terminant M. Cavaignac, avait-on
voulu séparer ceux qui avaient franchi les Alpes et ceux qui
étaient demeurés au pied des Alpes? Cette allusion transparente
à la déplorable expédition de Chambéry motiva unç réplique de
la part de M. de Lamartine, qui déclara n'avoir jamais autorisé,
ni même connu cet acte de propagande agressive. M. Emmanuel
Arago, lui, en avait eu connaissance; il l'avait désapprouvée;
l'expédition s'était organisée sous ses yeux. Mais il avait été im-
puissant à la prévenir.
Là fut tout l'intérêt de la séance. Recueillies par M. Sarrans
jeune, les interpellations perdaient tout leur intérêt. Deux ordres
du jour motivés furent déposés, l'un par M. Jules Favre, l'autre
par M. Martin de Strasbourg. Mais l'ordre du jour pur et simple
eut la priorité et fut adopté par 438 voix contre 341 (8 mars).
* Quel avait été le résultat de cette joute oratoire féconde en
scandales? Le ministère, qui seul pouvait fournir quelques rcn-
17
258 HISTOIRE DE FRANCE, (1849.)
geignements, s'élait retranché, comme à l'ordinaire, dans la ré-
serve. C'est la nécessité de toute administration. Il faut à la di-
plomatie la liberté d'action, incompatible avec les indiscrétions
parlementaires. M. Drouin de l'Huys se contenta de dire, comme
l'eût fait tout autre ministre à sa place, que l'Assemblée connais-
sait les intentions du Gouvernement dans la question italienne,
qu'elle les avait approuvées; que tous ses efforts tendraient à
éviter la guerre, tout en conservant une attitude digne à la
Fiance.
Pendant ces débats inutiles, les faits se pressaient en Italie.
Entraîné par une noble , mais fatale ambition , et, surtout, par
les vaines fanfaronnades de la démagogie italienne, le malheureux
roi du Piémont abdiquait sa couronne en brisant son épée (!).
Ce dénouement rapide, mais non imprévu, fut annoncé, le 28
mars, à l'Assemblée nationale, par M. le président du conseil.
M. Odilon Barrot se borna à ajouter que le Gouvernement fran-
çais, bien que ses conseils eussent été méconnus à Turin, avait
la ferme intention de faire respecter l'intégrité du territoire du
Piémont et les intérêts et la dignité delà France. Cette déclara-
tion causa une émotion profpnde. .
La presse opposante, tout en accablant de ses calomnies, tout
en accusant de lâcheté le seul homme de l'Italie qui eût tenté vail-
lamment la fortune, se hâta d'enjoindre au Gouvernement fran-
çais d'entrer immédiatement en campagne. On oubliait, sans
doute, que, Tannée précédante, pareille situation s'était présen-
tée sans que les accusateurs d'aujourd'hui eussent fait autre
chose que ce que Ton allait faire encore, négocier. Un armistice
avait été conclu, et le ministre des Atîaires étrangères, M. de La-
martine, avait signifié aux parties belligérantes que la France
serait contre la première des deux qui romprait l'armistice ; que
si l'Autriche en prenait ^'initiative, l'armée française passerait
les Alpes; que si Charles Albert, au contraire, donnait le signal
des hostilités, la France l'abandonnerait à son sort. Le Go u ver-
(I) Voyea pour tons le» détails le chapitre Italie* Noua y rninopn gainai ni
peur tow les détail* relatifs à l'action (raeçaise dans les Étais rtnajoa» cttfe
action ayant été intimement lice à l'histoire de l'Italie.
ROME A PARIS. 859
nement afctuel n'atait pus dévié un seul jour de la politique tra-
cée paf cette déclaration. Gomme ses prédécesseurs, il n'avait
rien épargné pour empêcher Charles Albert de commettre la faute
«l'une levée de boucliers ; comme eux, il recourrait aux moyens
dfptomatiqoes suffisante pour sauver le Piémont des conséquen-
ces de sa faute.
Le 30 mars, on savait déjà, à Paris, que les efforts réunis de
■H. Boisée-Comte et Abereromby avaient abouti à la ratification
d'un armistice et à l'assurance donnée par le maréchal Radetzky
fane prompte évacuation du Piémont, avec la réserve de l'occu-
pation provisoire d'Alexandrie. Ces nouvelles, communiquées par
M. Je ministre des Affaires étrangères parurent à l'Assemblée na-
tionale aussi favorables qne possible dans la triste situation que
le Piémont s'était faite. Toutefois, une interruption violente de
la part de quelques membres accueillit un passage de la dépêche
ofe il était dit que la grande majorité de la population de Turin
désirait la paix.,
M. Drouin de l'Buys expliqua en quelques mots tes inten*
ttons du Gouvernement. Elles étaient de défendre l'intégrité du
territoire sarde, et de sauvegarder les intérêts et h dignité de
Il France. Mats ce but, pouvait exiger, selon les circonstances,
d'autres moyens que les négociations diplomatiques. Aussi, If. lo
mmstre déclarait-il que le cabinet acceptait avec reconnaissance
ta termes d'une résolution adoptée la veille [par te comité des
afttires étrangères, et dont M. Bixio tenait de donner lecture.
voici la teneur :
« L'Assemblée nationale, jalouse d'assurer la conservation des deux plus
grands intérêt* qui lai soient confiés, la dignité de la France et le maintien de la
paix fondé sur m respect des nationalités ;
9 S'aasociaut au langage tenu dans la séance du 28 par M. le président du
conseil des ministres ;
i Confiante, «Tailleurs, dans le Gourernement du président de la Répn-
» Déclare que ai, pour mieux garantir l'intégrité du territoire ptémontaia et
mieux sauvegarder les intérêts et l'honneur de la France, le pouvoir exécutif
croyait devoir appuyer ses négociations par l'occupation partielle et temporaire
eftut point quelconque de Ntalie, 4 trouverait dans l'Assemblée nageasse te
fis* aincûre tt te pis* fniter concours. »
260 HISTOIRE DE FRANCE. (1849.)
Cette énergique modération ne pouvait être du goût de l'op-
position radicale. Une de ses recrues les plus récentes, M. Bil-
lault, ouvrit l'attaque contre le cabinet en signalant la déviation
prétendue de la politique française dans la question italienne. U
rappela les termes du manifeste, la résolution du 24 mai, et dé»
clara qu'à ses yeux la France avait engagé sa parole et qu'elle de-
vait y faire honneur. Mais ce que l'orateur évita de rappeler,
c'était les refus répétés des Italiens eux-mêmes et les modifications
que cette vaine outrecuidance avait dû amener dans les résolu-
tions du Gouvernement français. M. Drouin de l'Huys rétablit les
faits dans leur véritable jour.
Après les explications données par M. le ministre des Affaires
étrangères, M. Billault monta à la tribune pour combattre la réso-
lution du comité des affaires étrangères. Cette résolution impli-
quait un vote de confiance ; or, M. Billault déclarait qu'il n'avait
que défiencepour la politique du cabinet. Que voulait donc l'ora-
teur et comment entendait-il que la question fût résolue? Il fut
impossible de le comprendre. Car, pour M. BiHault, toujours car
semé dans ses habitudes de stratégie parlementaire, il ne s'agis-
sait encore cette fois que de renverser un ministère* M. le mi-
nistre des Affaires étrangères se crut donc autorisé à dire que ce
n'était pas le moment de faire à là tribune de la politique de fan-
taisie. M. le ministre n'avait pas à discuter des systèmes qu'on
ne lui offrait pas : il n'avait qu'à justifier la conduite du Gouver-
nement. U présenta avec lucidité l'exposé de la situation diplo-
matique depuis février. La politique du cabinet, dit-il, est celle de
l'Assemblée nationale elle-même, celle quia été tour à tour con-
sacrée par l'ordre du jour du U mai et par l'approbation solennelle
donnée à la conduite du général Gavaignac. L'honorable général
l'avait dit, aux applaudissements de la majorité : il ne pouvait
convenir à la France de laisser compromettre son initiative tant
qu'elle ne croyait pas de sa dignité et de son intérêt d'engager
une autre lutte que celle de la diplomatie. Charles- Albert avait
méconnu les conseils que lui avaient donnés les divers cabinets
qui s'étaient succédé depuis le k mai ; mais la France ne ferait
pas défaut à la défense des droits légitimes du Piémont, et elle
entendait assurer l'intégrité de son territoire. L'Autriche avait
ROME À PANS. 261
déclaré, longtemps ayant l'issue de la lutte qui Yen ait de se ter-
miner, qu'elle n'entendait pas entamer le territoire des États
sardes. Le cabinet français avait pris acte de cette déclaration,
dont il avait posé lui-même les termes comme une. condition de
la, paix ; il entendait qu'elle fût respectée. Il ne doutait pas qu'elle
le fût; mais, si une prétention contraire était élevée de la part de
l'Autriche, il n'hésiterait pas à prendre lui-même, sur un des
points quelconques du territoire, une position qui pût garantir
l'indépendance des États voisins et la dignité de la France. Le
ministère était donc tout disposé à accepter, sur les interpella-
tions qui lui étaient faites, soit l'ordre du jour pur et simple, soit
l'ordre du jour motivé par M. Bixio, et dans lequel se trouvait
parfaitement résumée la pensée politique du cabinet.
M. Ledru-Rollin vint apporter une raison de plus en laveur de
l'ordre du jour pur et simple. L'orateur trouvait l'ordre du jour
de M. Bixio ridicule* Et, en effet, en présence des déclaration*
expresses de l'Autriche avant et après la victoire, déclarer solen-
nellement qu'on voulait sauvegarder l'intégrité du territoire pié-
montaiç, n'était-ce pas ce qu'on appelle en langue vulgaire en-
foncer une porte ouverte? Ce que voulait, au reste, M< Ledru-
Rollin, c'était la reconnaissance . des républiques de Rome et de
Florence. Mais n'était-ce pas la guerre? U n'y avait là rien d'ef-
frayant pour l'orateur qui affirmait qu'au moment de sa chute, la
commission executive était prête A agir et à occuper Nice. Il fal-
lait donc briser la ligue des rois et former celle des peuples.
M. Jules Favre, membre du comité des affaires étrangères,
vint ensuite expliquer à sa manière, la résolution proposée par
M. Bîtio. U déclara que cette résolution ne contenait pas seule-
ment un vote de confiance mais aussi un vote d'énergie. Cette in-
terprétation appela de nouveau M. Drouin de Lhuys à la tribune
pour dire, que s'il acceptait l'ordre du jour proposé par M. Bixio,
c'était en le dégageant des commentaires trop absolus qu'on en-
tendait y ajouter.
M. Flocon, à son tour, proposait un ordre du jour ainsi con-
çu : «L'Assemblée, persistant dans son ordre du jour du 24 mai,
pour en assurer l'exécution, invite le Gouvernement à prendre
HISTOIRE ttÈ FfcAWCE. (1849.)
les moyen» nécessaires pour assurer l'affranchissement de l'Ita-
lie. »
L'ordre du jour pur et simple demandé par H. le général Ba-
raguay-d'Hilliers, fat d'abord repoussé par 442 voix contre S27
(50 mars). Alors M. Thiers monta à la tribune. On allait voter
sur l'amendement de M. Flocon. M. Thiers demanda qu'on s' ex-
pliquât avec franchise. Etait-ce la guerre qu'on proposait?
Ici s'engagea un débat accessoire. M. Ledru-Rollin avait dit qu'A
ne reconnaissait pas lu politique du Gouvernement provisoire
dans la conduite tenue par le cabinet à la tête duquel était placé le
général Cavaignac. L'ancien chef du pouvoir exécutif releva cette
provocation, et déclara qu'en effet, si la politique du Gouverne-
ment provisoire était telle que H. Ledru-Rollin l'avait développée,
11 n'avait nulle envie d'en accepter la solidarité, et que ce n'é-
tait pas cette politique qu'il avait suivie. Quand il était à la
tête du pouvoir, il n'avait jamais cessé de se considérer comme
l'agent des volontés de l'Assemblée nationale, et les votes qui
avaient consacré sa conduite avaient prouvé qu'il avait constam-
ment fait prévaloir l'opinion de la majorité. Après avoir ainsi jus-
tifié la ligne diplomatiqae qu'il avait résolument maintenue, on
pouvait croire que l'honorable général s'expliquerait aussi sur les
actes du cabinet aetuel. Etait-il vrai que le système suivi aujour-
d'hui ne fût que l'application des errements adoptés par le cabi-
net précédent? M. le général Cavaignac se borna à déclarer
qu'outre les deux politiques il y avait eu une coupure. Quelle était
la portée de cette parole? On ne pouvait y trouver une suffisante
netteté.
M. Ledru-Rollin avait eu encore recours à cette tactique parle-
mentaire qui consiste à mettre les hommes politiques en oppo-
sition avec leur passé. Il s'était donné le plaisir facile d'opposer
M. Thiers des années 1859 et 1840 à M. Thiers d'aujourd'hui.
M. Thiers vint prendre une éclatante revanche. Avec une ironie
mordante, le spirituel orateur vint louer le grand agitateur du
Gouvernement provisoire, non pas de son audace, mais de sa pru-
dence. Vous avez eu, lui dit-il, plus de sagesse que vous n'en con-
seillez au gouvernement de M. Barrot, sans avoir comme lui l'et-
ROME A PARIS, 90»
case de* circonstance*, si favorables alors A nne guerre de propa-
gande, Bi défavorables aujourd'hui.
Cette satisfaction personnelle n'était pas, au reste, le but du
discours de M, Thiers. Il voulait surtout mettre l'opposition
eta demeure de se prononcer, ou pour la paix, ou pour la guerre.
L'intérêt et la dignité de la France ne pouvaient rester cachés dans
les mystères d'une équivoque. La politique du cabinet actuel!
c'était la paîi; la politique contraire, c'était la guerre sans doute,
à moins qu'on lie voulût se réfugier dans cette troisième poli-
tique, ta pire de toutes, qui consiste à ne rien faire, en semblant
faire quelque chose.
La guerre ! quel intérêt commandait k la France d'épuiser non
trésor et de sacrifier le sang de ses enfants ? Un intérêt d'honneur?
Non, car la France ne s'était point engagée dans la lutte qui Ve-
nait de se terminer dans îeâ plaines de Novare, et qui avait été
commencée contre son vœu, malgré ses conseils. Sans doute H y
avait dans cette affaire d'Italie une question d'influence; mais n'y
avait-il pas d'antres moyens de la résoudre que par la force du
canon, et cette question valait-elle que la France se lançât dans
une guerre qui serait une guerre contre le continent tout entier,
en présence de l'Angleterre, neutre à coup sûr, à moins qu'elle
ne fût rivale? Or, la France était*e!le prête à affronter de pareil»
lés éventualités? Sans doute elle s'était déjà trouvée seule contre
tous, et elle était restée victorieuse ; mais c'est qu'alors toutes les
forces de la nation, soulevées par l'agression de l'ennemi, s'étaient
réunies dans on élan suprême pour affranchir le sol de la patrie.
Mais ces efforts désespérés que l'invasion inspire à un grand peu-
ple, éroit-on qu'Us 8e retrouvent aussi unanimes, aussi puissants
quand il ne s'agit plus que d'une question d'influepce? La France,
disait-on, aurait la sympathie des peuples. Mais ces peuples, s'é-
criait l'orateur, où sont-ils? Où étaient leurs soldats quand ces
bnrves Piémontais qni combattaient pour eux refaisaient tuer sur
le champ de bataille? Où sont les légions de la Toscane quand il
s'agit de se battre? Elles s'agitent dans les clubs, et Rome en est
encore à trouver une épée qui remplace le stylet imprimé tout
sanglant snr le blason de sa nouvelle république.
Etait-il vrai que la politique actuelle fût celle du Gouverne-
264 HISTOIRE DE FRANCE. (1849.)
ment provisoire, de hi Commission executive et du cabinet du
24 juin? M. Thîers, reprenant tous les actes de Jla diplomatie,
les manifestes, les dépêches et les votes de l'Assemblée elle-
même, voyait partout l'empreinte de la même pensée, c'est-à-
dire, la négociation pacifique des intérêts italiens. M. Ledro-Rol-
lin avait été au pouvoir : qu'avait-il fait? Avait-il lancé au-delà
dés Alpes les légions françaises ? Il n'y avait jamais songé. C'est
que les hommes les plus ardents et les plus passionnés, alors
qu'ils sont en présence des faits, hésitent eux-mêmes et reculent
Ce que n'avaient pas fait le. Gouvernement provisoire, la Com-
mission executive, le généraHlavaignac alors que l'Autriche était
battue, alors que Vienne et Berlin étaient au pouvoir de l'insur-
rection, pouvait-on penser à le faire aujourd'hui?
En proclamant dans son ordre du jour du 24 mai l'affranchisse-
ment de l'Italie -, que voulait l'Assemblée ? Voulait-elle prêter à
»
la Lombardie et à la Vénétie l'épée de la France pour repousser
la domination de l'Autriche? Non, car c'eût été là une déclara-
tion immédiate de guerre. Elle voulait que la médiation de la
France résolût pacifiquement cette grande cause de l'affranchisse-
ment de l'Italie. L'Assemblée n'avait donc pas à se donner, tm
démenti ; elle n'aiait qu'à persister dans la vbie qu'elle avait
tracée : elle avait surtout maintenant à protéger l'intégrité d'an
État voisin contre toute extension illégitime de la part de l'Autri-
che. Mais la première condition de l'affranchissement d'un peuple»
c'est .que lui-même il sache se montrer digne de la liberté.
Toute cette argumentation étincelante d'esprit et de bon sens fat
entremêlée de dures vérités à l'adresse de la démagogie. Ce lan-
gage vraiment politique auquel la représentation nationale n'était
plus habituée Ot une vive et profonde impression sur l'immense
majorité de la Chambre. Aussi, M. Ledru-Roliiu, pour en atténuer
l'effet, vint-il faire un appel aux passions révolutionnaires. Mali-
cieusement accablé sous le poids d'éloges ironiques, désigné avec
honneur comme représentant de la diplomatie pacifique, M. Le-
dru-Rollin, sans trop s'inquiéter de traiter la question qui lui
était offerte, s'empara avec habileté du langage tenu en 1840 par
M. Thiers. Il demanda à l'ancien président du conseil du 1er mars,
si ce n'était j>as aussi pour une question d'influence qu'il avait
ROME A PARIS. M5
failli embraser l'Europe tout entière. Mais, quelque talent que
put mettre l'orateur de la Montagne dans ces attaques rétrospec-
tives, il fallait revenir à la question actuelle : il fallait prendre
parti. « Ne vous cachez pas derrière des rédactions ambiguës »
avait dit M. Tbiers. » M. Ledru-Rollin devait donc choisir, a Ce
que je veux, dit-il enfin aux applaudissements de la Montagne,
c'est la guerre plutôt que la paix à tout prix. » Mais n'y avait-
il pas encore là une. ambiguité ? Qu'était-ce que la paix à tout
prix, et où commencerait le cas de guerre ?
Quant à sa conduite eora;ne membre du Gouvernement pro-
visoire, M. Ledru-Rollin n'hésita pas à s'en accuser en toute hu-
milité ; et il déclara que s'il avait un regret dans le cœur, c'était
de n'avoir pas, au lendemain de Février, lancé les armées de la
France au cœur de l'Italie.
Cet acte de contrition fut, pour M* Odilon Barrot, le signal d'une
vigoureuse réplique, a Nous ne sommes pas venus au pouvoir,
s'écria M* le président du conseil, pour réparer les regrets de
M. Ledru-Rollin, mais pour réparer ses fautes et relever les ruines
dont il a semé le sol de la patrie. »
M. Odilon Barrot reprit ensuite la question dans les termes où
l'avait posée la veille M. le ministre des Affaires étrangères, et il
déclara q*e le Gouvernement acceptait l'ordre du jour de M. Bixio,
tel qu'il était amendé par M. Payer. M. Payer proposait de re-
trancher les considérants rédigés par M. Bixio.
Le débat épuisé, l'ordre du jour de M. Payer fut adopté par
4*4 voix contre 320 (30 mars).
Cependant les événements marchaient en Italie. Dès le 16 avril,
M. le président du conseil était amené à déclarer que le mo-
ment paraissait venu de pourvoir aux prévisions de l'ordre du
jour dp 30 mars; qu'une crise était imminente dans les États ro-
mains, et que la Rrance n'y pouvait rester indifférente; a qu'en-
fin le protectorat deços nationaux, leâojn de maintenir notre lé-
gitime influence en Italie, le désir de contribuer à obtenir aux
populations romaines un bon gouvernement fondé sur des insti-
tutions libéra!esvtout faisait un devoir au Gouvernement d'user
de l'autorisation qui lui avait été accordée et d'entretenir sur le
pied de guerre le corps expéditionnaire de la Méditerranée.» M. le
260 HISTOIRE bi FRANCE. (1849.)
président du conseil ajoutait que, sans entrer quant à présent
dans plus de détails, ce qu'une certaine réserve lui interdisait, it
pondait déclarer que « du fait de notre Intervention sortiraient dif-
férentes garanties et pour les intérêts de notre pays et pour la
cause de la vraie liberté. * En- conséquence, M. le président du
conseil demandait l'allocation d'un .crédit ettraordinaire de
1,200,000 fr. pour subvenir aux éventualités de l'expédition
projetée.
Une commission fut nommée immédiatement. tJitanime sur la
question d'urgence, elle eut quelque peine à s'àccotder sur le fond
même delà proposition. M. Jules Favre, son rapporteur, déclara
que la commission, tout en accordant l'allocation, n'y consentait
que sur la promesse faite par M. le président du conseil et M. le
ministre des Affaires étrangères que les armes françaises ne se-
raient pas dirigées contre la République romaine. Le rapport n'in-
diquait pas nettement la politique adoptée par le Gouvernement,
et M. Emmanuel Arago voulut obtenir des explications plus Caté-
goriques. M. Emmanuel Arago ne comprenait pas que la France
pût mettre le pied en Italie autrement que pour soutenir la Répu-
blique romaine ou tout au moins pour empêcher qu'elle ne fût
renversée. Etait-ce làleréleqo'on voulait faire jouer à la France?
M. Odilon Barrot répondit avec quelque embarras. Kl se borna
à dire qu'il ne s'agissait que de sauvegarder ladlgnité et l'influence
légitime de la France en Italie. Des événements graves se prépa-
raient dans les États romains qui pourraient avoir pour consé-
quence la restauration du Saint-Père. Dans cette perspective, trois
partis se présentaient entre lesquels il fallait choisir : ou bien mar-
cher au secours de la République romaine et prendre sa défense
les armes à la main. Ce n'était là ni la ligne tracée par l'ordfe
du jour de l'Assemblée, ni celle que le Gouvernement se propo-
sait de suivre. A toutes les époques, soit par ses discours, sett
en refusant de recevoir officiellement les envoyés de la Répu-
blique romaine, il avait prouvé qu'il n'entendait établir aucune
solidarité entre la République française et celle de Rome» Ou
s'abstenir : mais c'était permettre à l'Autriche d'exercer feeule son
influence en Italie; c'était compromettre peut-être en même temps
que les intérêts français, l'intérêt et la libellé des nafans eux-
ROttlE A PARIS. 2«
mêmes. Le troisième parti, c'était de mettre le pied en Italie et
de ne pas permettre que si des événements prêtas s'accomplis-
saient, ils s'accomplissent en dehors de l'influence française. C'est
& cette résolution que s'arrêtait le Gouvernement) comme le plus
en rapport avec la dignité et les vrais intérêts de la France.
Ces déclarations forent accueillies avec violence sur les bancs
de l'extrême gauche. M. Ledru-Rollin traduisit cette altitude dans
nn discours menaçant qui trouva une calme et énergique réfuta-
tion daûs les paroles de M. le général de Lamorkière.
L'article \tx du projet fut adopté par 395 voix contre 283. Mais,
dus le vote sur l'ensemble, la Montagne s'abstint systémati-
quement pour enlever au scrutin le nombre de votes exigible
(16 avril). La même manœuvre fut reproduite le lendemain.
Mais, cette fois , le projet fut adopté à la majorité de 388 voix
contre 161, sur SU9 votants (47 avril).
L'intervention était décidée.
Intervenir à Rome, en présence des dangers qui menaçaient le
Gouvernement do Saint-Père, ce n'était autre chose que la poli-
tique immémoriale de la France en Italie. Autrefois h Ancêne,
aujourd'hui à Civita-Vecchia, l'intervention libérale d'une armée
française prévenait l'intervention despotique d'une armée autri-
chienne. Telle avait été peut-être la pensée du général Cavai-
gnac lui-même, qui avait annoncé, sinon entrepris, une expédi-
tion de ce genre. Tons l'approuvaient alors et cet acte d'énergie
eût prévenu sans doute bien des difficultés politiques, bien des
malheurs regrettables. Quelques-uns avaient vu dans la manifes-
tation avortée du général Cavaignac une manœuvre ' électorale.
Vieux vaut croire que la pensée de l'intervention avait été sé-
rieuse et loyale. Mais alors le général avait dû reculer devant les
préjugés démagogiques, devant les nécessités de parti.
Les événements se succédaient avec rapidité.Le Gouvernement
français se hâta de réunir à Toulon un corps expéditionnaire placé
sous le commandement du général Oudinot, et l'occupation de
Civita-Yeccfaia fut le premier acte de l'intervention française.
Bientôt parut une dépêche publiée le 6 mai et qui portait que
le général Oudinot s'étant mis en marche sur Rome, où, suivant
tons Tes renseignements, il était appelé par le vœu de la popu-
268 HISTOIRE DE FRANGE. (1849.)
Jation, aurait rencontré delà part, des étrangers qui occupaient
Rome une résistance plus sérieuse qu'il ne s'attendait à la trouver.
Le général avait cru devoir prendre position à quelque distance
de la ville et il y attendait le reste du corps d'expédition. Ces nou-
velles firent une vive impression au dehors et au dedans de l'As-
semblée. Le 7, des interpellations furent portées à la tribune.
Quelles circonstances avaient amené ou provoqué cet engage-
ment imprévu ? Quelles étaient les causes, quelle était la gravité
de r échec subi par nos armes? Tous l'ignoraient, le Gouver-
nement, comme l'opposition. Et cependant M. Jules Favre crut
devoir apporter, non pas seulement des interpellations, mais un
acte d'accusation contre le ministère. Il l'accusa d'avoir trompé
l'Assemblée, d'avoir surpris à sa confiance un vote favorable à l'in-
tervention dont il aurait adroitement dissimulé le but ; d'avoir
joué enfin un double rôle, en déclarant publiquement que l'inter-
vention avait pour but non pas de coopérer à l'anéantissement
de la République romaine, mais seulement d'empêcher que cet
événement, prévu par tous, ne s'accomplît sous l'influence exclu-
sive de l'Autriche, tandis que le général Oudinot était parti, muni
d'instructions et d'autorisations nécessaires pour marcher sur
Rome et pour y entrer, si besoin était, les armes à la main. A
l'appui de ces accusations, M. Favre rappela les déclarations faites
par M. le président du conseil devant le comité des affaires étran-
gères et devant l'Assemblée elle-même, et il s'efforça de démon-
trer que l'attitude du général Oudinot sous les murs 4e Rome
était entièrement contraire à ces déclarations. M. Jules Favre
conclut en demandant qu'une commission de quinse membres
examinât sans délai les instructions données au général Oudinot.
Il demanda, en outre, que l'Assemblée, faisant acte de vigueur,
retirât la direction de cette expédition à un ministère en qui elle
ne pouvait avoir confiance, et qu'elle envoyât sur le théâtre des
événements, près du général Oudinot, deux de ses membres char-
gés de lui transmettre ses instructions. En formulant cette propo-
sition, réminiscence d'une époque fameuse, M. Jules Favre ou-
bliait, sans doute, et M. le président du conseil se chargea de le
lui rappeler, que, la constitution de 1848 a organisé un pouvoir
exécutif avec des attributions restreintes il est vrai, mais aux-
ROME A PÀBI8. 90»
quelles on ne saurait, sans une usurpation fiagraiite, porter at-
teinte. On confondait la Constituante avec la Convention. Quant
au fond dn débats M. le président du conseil, repoussant avec in-
dignation l'accusation de mensonge et de trahison si légèrement
dirigée contre le Gouvernement, se demanda si, avant de forma*
1er des imputations aussi graveB, il ne convenait pas d'examiner
les pièces, de prendre connaissance des instructions données an
générai, enfin de connaître les événements. Or, M. Odilon Barrot
déclara que les instructions données au général Oudinot étaient
entièrement conformes aux paroles prononcées devant l'Assem-
blée, lors du vote qui avait autorisé l'expédition, et il en donna
pour preuve que la proclamation affichée & Civita-Vecchia, lors
du débarquement, proclamation dont M. Favre lui-même avait
loué les termes pleins de bienveillance et de fraternelle amitié
pour le peuple romain, était en réalité l'œuvre du ministère des
Affaires étrangères. Au reste, loin de s'opposer à' l'examen des
dépêches et des instructions données par le Gouvernement au
commandant de l'expédition, H. Odilon Barrot dit qu'au besoin
il provoquait lui-même cette mesure , et qu'il insistait pour
qu'elle fût immédiatement mise à exécution, parce qu'il ne
saurait convenir au Gouvernement de rester plus longtemps soup-
çonné d'avoir manqué à son devoir et à sa parole. Une commis*
sion fut nommée immédiatement d'un commun accord.
Dans les bureaux, M. le président du conseil résumait ainsi la
situation de Rome. Le roi de Naples a franchi des frontières ; il
marche de Térracine sur Rome. L'Autriche s'avance sur Bolo-
gne et sur Ancftne avec 25,000 hommes. L'amiral français
Ricaudy aura devancé les Autrichiens àAncéne; une interven-
tion d'humanité l'y appelait. Fallait-il, en présence de ces faits,
gue l'Assemblée se mit en contradiction avec ses votes précédents,
qu'elle déclarât, au profit de la République romaine, une guerre
à l'Aptriche, qui pourrait devenir une guerre européenne ? Ce
serait courir aux aventures. Ou plutôt fallait-il que l'armée fran-
çaise se concentrât à Civita-Vecchia, qu'elle y attendît passive-
ment les événements, malgré l'échec subi? Restait un dernier
parti qui consistait à marcher sur Rome, en considérant le fait de
guerre qui venait de s'accomplir comme un motif, mais dans le
flW HISTOIRE BE FRANCE. (1849.)
(terme dessein^ tout ert faisant respecter le drapeau français, de
sauver, autant que possible, la liberté italienne. C'était là, aelo*
M. Barrot, le meilleur parti à prendre. Jusque là rien de phi
net; toutefois M. le président dit conseil croyait devoir ajouter
que, dans sa pensée, le pftpe, tôt ou tard, serait rétabli à Rome,
ma» que son poutolr temporel serait modifié. II Ajoutait cette
étrange doctrine que la sécularisation du pouvoir était deve-
nue inéfitable. Qui autorisait M. Barrot à tenir ce singulier lan*
La commission immédiatement Constituée nomma M. Goud-
ehaut, son président, et M. Chavoht, son secrétaire. M. Senard,
nommé rapporteur, proposa, le soir même, un ordre du jour
ainsi motivé :
« 1/AeeemWée Datàooale invita le Gouvernement à prendre, «ans délai, les
mesures uécesaaires pour que l'expédition d'Italie ne «oit pas plus longtemps
détournée du bat qui Ini avait été assigné. »
M. le ministre des Affaires étrangères, pour mettre à même l'As-
semblée d'apprécier les instructions dont le général Oudinot était
porteur, en donna lecture. L'extrême gauche interrompit fré-
quemment, surtout les passages où il était dit que fa France ne
reconnaissait pas la République romaine et qu'elle était venue
pour donner du courage'et de l'appui aux honnêtes gens. Le mi-
nistre déclara que toutes les circonstances qui avaient motivé l'in-
tervention, et qui devaient engager les Français à marcher sur
Rome, s'étaient rencontrées; que le général Oudinot n'avait reçu
ordre de se diriger sur Rome que si, d'une part, il ne rencon-
trait aucune résistance, et, d'autre part, s'il n'y était appelé par
le vœu des populations. Or, le ministre déclara que tout autori-
sait à croire que le général n'avait pas dépassé ces instructions.
« Que véut-on d'ailleurs, ajoutait-il? A-t-on la prétention que la
France recule? Cela est impossible. L'Autriche et les Napoli-
tains marchent sur Rome. Le drapeau de la France ne peut pas
céder la place. »
Ce qui eût dû peut-être dominer toute cette discussion, c'était
ROME A PARIS. 171
i'abêeoc* évidente d'informations sérieuses* Personne ne couuù*-
sait les faits : que pourrait donc être uu vole, sinon un acte de
passion? M. Flocon eut bien» à la vérité, la prétention d'éclairer
P Assemblée par Ja lecture d'une lettre sans caractère officiel* On
y faisait une terrible peinture de l'accueil reçu par nos troupes.
M. Flocon foulait habilement dissimuler une partie de cette cor*
respondance •: c'est qu'il y était parlé d'un fait qui défait causer
une indignation profonde dans des cœurs f raiment français. Il y
était dit que nos soldats s'étaient heurtés contre des barricades
êlef ées par des mains françaises ; que des Français étaient orga*
nîsés en légion et décidés à combattre le corps expéditionnaire.
U en résultait, en outre, cet aveu que Rome était pleine d'aven*
turiers de toutes les nations.
Malgré ces tristes indications, M. Senard persista, au nom de
la commission , dans la rédaction de son ordre do jour motifé :
il chercha, il est frai, à en atténuer la portée en déclarant que
ffntention de la commission n'était pas d'obliger le Gouverne*
ment, quels que fussent les événements, à quitter le territoire de
Rome, mais bien, tout en lui laissant sa liberté d'action, de lui
faire comprendre que l'Assemblée persistait à ne pas vouloir que
les armes de la France servissent à détruire la République ro-
maine. L'ordre du jour fut adopté à la majorité de 328 votants
contre 241, sur 569 (7 mai).
Le vote du 7 mai avait été un vote de mauvaise humeur. Mats
comment exécuter un vote semblable? Quel en était le sens, et
tous le comprenaient-ils de la même manière? Fallait-il rappeler
l'armée expéditionnaire? Quelques-uns le pensaient , sans réflé-
chir à la flétrissure qu'un pareil acte eût imprimée sur la France.
Fallait-il foire des soldats français, les appuis de la république
des assassins de M. Rossi? Certains l'eussent voulu sans doute , et
Tordre du jour avait pour eux cette signification? Fallait-il désa-
vouer un général après un échec? C'eût été là une honfe. Fallait-
il entamer des négociations avec la démagogie romaine? Mais c'eût
été la reconnaître. Le ministère voulut foire honneur au dan-
gereux testament de l'Assemblée. H envoya un diplomate nou-
veau, M. de Lesseps. M. de Lesseps était chargé de ramener à son
but r expédition d'Italie. Que voulait dire cette phrase? Qu'il fa!^
272 HISTOIRE DE FRANGE. (1849.)
lait négocier avec Mazzini? Mais c'était reconnaître la République
romaine. Et d'ailleurs, sur quoi négocierait-on? L'expédition
avait pour but de rétablir le Gouvernement du pape : serait-ce là
le sujet des communications faites au chef des démagogues ita-
liens? Conduite délicate, pour ne pas dire impossible , que celle
d'un négociateur qui ne peut négocier ni avec quelqu'un, ni sur
quelque chose.
Ce vote, outre sa gravité naturelle, car il semblait imposer une
reculade aux armes françaises, soulevait d'ailleurs de sérieuses
questions constitutionnelles. Que l'Assemblée portât un vote de
censure sur le Gouvernement, elle ne faisait qu'user bien ou mal
de son droit ; mais qu'elle se chargeât elle-même d'exécuter,
n'était-ce pas empiéter singulièrement sur les attributions du
cond pouvoir de délégation populaire ? On se demandait si Y
semblée nationale pouvait raisonnablement prétendre à diriger
ces opérations militaires qui se passaient sur un théâtre éloigné,
et les décréter dans l'ignorance absolue de toutes les circonstan-
ces locales ou éventuelles. En supposant que le général Oudinot
eût dépassé ses instructions, n'était- il pas de la plus simple jus-
tice d'attendre que les faits fussent exactement connus? Au lieu
de cela, on arrachait un vote de passion fondé sur des relations
sans autorité. Il y a doue, se disait-on, des hommes et des partis
pour lesquels un malheur national n'est qu'un sujette triomphe,
et qui se consoleraient volontiers de voir un corps d'armée fran-
çais écrasé, pourvu qu'un ministère le fût avec lui. N'était-ce pas
là se battre contre la France, comme les démagogues français de
Home? •
Un nouvel incident vint encore enflammer la lutte. Les jour-
naux rendirent publique une lettre adressée par M. le président
de la République au général Oudinot. Louis-Napoléon Bonaparte,
devançant l'opinion avec tact et courage, y disait : * Notre hon-
neur militaire est engagé : je ne souffrirai pas qu'il reçoive au-
cune atteinte. » (Voyez le texte aux Documents historiques.) La
lendemain, 9 mai, M. Ledru-Rollin, s'appuyant sur les dépêchée
reçues jusqu'à ce jour de l'armée d'Italie, en conclut que l'expé-
dition, commandée par le général Oudinot, était dirigée contre
la République romaine, et que dès lors le pouvoir exécutif s'était
ROME A PARIS. X»
n» en opposition flagrante avec l'article 5 de la Constitution, qui
défend à la République française de s'armer contre la liberté des
peuples ; il en conclut également que la République romaine
n'était pas un vain fantôme, comme on s'était plu à le faire croire
à l'Assemblée. En conséquence, il demanda formellement la
mise en accusation du président de la République et des minis-
tres, et une résolution formelle de l'Assemblée consacrant la
reconnaissance de la République romaity*. Qiumt à la lettre du
président de la République, M. Ledru-Rojlin signala seulement
on fait auquel il attachait une extrêmç gravité. Cette lettre, dit il»
a été affichée dans les casernes, accompagnée d'un commentaire
du général en chef Changarnier, et dans lequel on lit la phrase
suivante : «Faites que cette lettre soit. connue dans- tous les
rangs de la hiérarchie militaire. Elle doit fortifier rattachement
de l'armée au chef de l'Etat, et elle contraste heureusement
avec le langage de ces hommes qui, à nos soldats, frappés par le
feu de l'ennemi, coudraient envoyer pour tout encouragement
un désaveu. » M. Ledru-Rollin demandait si un pareil commen-
taire n'avait pas pour but de désigner l'Assemblée aux baïonnet-
tes, au profit d* un régime impérial ou royal, et si la lettre du pré-
sident, « accompagnée du langage hautain de son prétorien, »
ne démontrait pas que partout, au dehors comme au dedans,
s'agitait la contre-révolution.
M. le président du conseil répondit avec chaleur : il releva le
gant qui lui était jeté, et il déclara que, lui aussi, il appelait un
vole solennel de l'Assemblée y que depuis trop longtemps on
cherchait à accabler le Gouvernement sous des insinuations per-
fides et calomniatrices, qu'il fallait aujourd'hui déchirer tous les
voiles; qu'en un mot, il sommait ses adversaires de formuler
une proposition positive sur laquelle l'Assemblée pût être appe-
lée à prononcer immédiatement. Abordant ensuite les affaires
d'Italie, M. Odilon Barrot se plaignit avec indignation de la per-
sistance avec laquelle un certain parti, sans connaître les faits,
et sur la foi d'une correspondance qui ne prouvait qu'une chose,
i savoir qu'il avait de puissants amis dans la place ennemie,
prétendait profiter comme d'une bonne fortune d'un échec mo-
mentané de nos armes. A cçs mots de « bonçe fortune, » toute
18
»4 HISTOIRE DE FRANCE. {1849.)
l'extrême gauche se leva, en demandant le rappel à Tordre do
ministre, et lui adressant des interpellations violentes. Pendant
plusieurs minutes, l'Assemblée resta en proie à la plus vive émo-
tion ; mais M. le président du conseil tint tête à Forage. « Àvea-
vous donc, ajouta- t-il, perdu toute notion du juste et de J'iiyaste?
Eh quoi ! lorsque chaque jour vous jetez incessamment à la face
du Gouvernement l'accusation du crime de trahison, vous ne
toulez pas lui laisser la liberté de dévoiler à son tour et vos pro-
jets et vos sympathies? » Et comme M. Flocon lui -lançait la quan-
tification d'accusé : « Vous dites que je suis accusé, s'écria M. Gdi-
lon Barrot, mais devant qui? est-ce devant vous? si cela était,
dites donc que je serais d'avance condamné. Mais je ne recon-
nais pas voire jugement, car vous et moi nous avons d'autres
juges; nous avons cette Assemblée tout entière, à l'apprécia-
tion de laquelle je serai toujours heureux de soumettre mes
actes : nous avons aussi ce juge souverain dont les délibérations
commencent, et qui bientôt aura prononcé entre vous et nous...
Redouteriez-vous sa décision, et la violence de voire langage ne
serait-elle donc que le signe précurseur de votre défaite? »
Ces paroles furent couvertes d'applaudissements, qui redou-
blèrent encore lorsque, repoussant le reproche qui lui était in-
cidemment jeté par M. Clément Thomas de pousser à la guerre
civile, M. le président .du conseil déclara que, de la part du pou-
voir, l'excitation à la guerre civile ne serait pas seulement l'acte
le plus criminel, mais, en. même temps, l'acte le plus insensé.
La guerre civile ! Ah I si dans de pareilles circonstances elle pou-
vait éclater, la responsabilité en serait, ajouta-t-il, à ceux qui
professent qu'il y a quelque ehose au-dessus du suffrage univer-
sel ; à ceux qui, lorsque les comices du pays se sont réunis pour
élire le président de la République, ont traîné l'élu du pays dans
la fange de la diffamation; à cette presse qui, tous les jours, pro-
voque à dégrader celui que le suffrage universel a honoré. S'ex-
pliquant ensuite sur Tordre du jour du général Changarnier,
M. Odilon Barrot n'hésita pas à reconnaître que s'il avait en réa-
lité le sens qu'on loi attribuait, il serait répréhensible, puisqu'il
tendrait à censurer une délibération de l'Assemblée. Restait la
proposition faite de reconnaître la République romaine. Hais
ROME A PARIS. 275
était-il besoin de discuter une proposition qui, présentée dans
le moment où le sang de dos soldats coulait sous les murs de
Rome» blessait si profondément tous les sentiments français?
M. le président du conseil le repoussa donc dédaigneusement,
et il conclut en demandait àl'Assetoblée de ne pas permettre que
les difficultés de la situation s'aggravassent par des équivoques,
des doute* et des incertitudes*
M. Jules Fatre parut alors à la tribune. À défaut de documents
nouveaux, l'orateur crut devoir apporter une lettré émanée du
ministère de ta Guerre de la République romaine, et de laquelle*
il serait résulté que non -seulement le général Oudinot aurait
attaqué Rome à coups de canon, mais encore qu'un grand nom-
bre de soldais français faits prisonniers, indignés d'avoir été
trompés sur le but de l'expédition, se seraient offerts à combattre
dans les rangs des Romains contre les Autrichiens. A ce passage,
reconnu plus tard comme un odieux mensonge, et qui semblait
indiquer de la part de nos soldats l'intention de déserter le dra-
peau français, une agitation inexprimable s'empara de l'Assem-
blée. M. le général Bedeau se précipita vers la tribune : de ton*
les parts ces interpellations énergiques furent adressées à l'ora-
teur : «N'insultez pas l'armée. » On voyait d'ailleurs une injure
laite à l'Assemblée dans la lecture, comme d'un document offi-
ciel, d'une "pièce émanéto d'un Gouvernement que la France
n avait pas voulu reconnaître, et qui cherchait aujourd'hui fi
flétrir l'honneur de nos soldats. If. le ministre de la Marine pro-
testa par quelques paroles chaleureuses en faveur de- l'armée
française et de sa fidélité au drapeau. M. le général Lefto re-
pouesa à son tour avec indignation les calomnieuses allégations
puisées dans des correspondances hostiles. « C'est bien assez,
dit-il, d'avoir tenté d'humilier l'armée en lui fermant, il y a
quinze mois, les murs de Paris. Elle s'est vengée depuis en sau-
vant la société : ne la flétrissez' pas aujourd'hui. Je n'ai pas l'hon-
neur d'être citoyen romain, moi ; le titre de citoyen français
suflK à mon ambition : c'est donc comme Français que je parle,
laissant à d'autres le soin de faire acte de patriotisme en prenant
contre nous la défense de la République romaine. »
11 fallait arriver à un vote. M. Jules Pavre, modifiant la pro-
278 HISTOIRE DE FRANCE. (1849.)
position de M. Ledru-Rollin, s'était borné à demander que l'As-
semblée, se retirant dans ses bureaux, nommât une commission
chargée de formuler une résolution qui déclarerait le ministère
déchu de la confiance de l'Assemblée. L'ordre du jour pur et
simple fut réclamé et mis aux voix : il donna au ministère une
majorité de 329 voix contre 292.
L'ordre du jour adopté, on mit aux voix une proposition de
H. Babaud-Larrbière, tendant i ordonner des poursuites contre
le général coupable de désobéissance au décret dn 14 mai. La
proposition fut repoussée à la presque unanimité.
Enfin, on vota sur la demande de mise en accusation du prési-
dent de la République et de ses ministres. 538 voix contre 138
firent justice de la proposition. Quant à la reconnaissance de la
République romaine, il n'en fut plus question (41 mai).
Sortie de l'Assemblée, l'agitation se continua dans les partis.
On vit éclater une sorte de patriotisme excentrique parmi les
partisans de la République romaine. Si quelque bulletin étran-
ger racontait un échec de nos armes, ce bulletin était reproduit,
commenté avec passion par les journaux socialistes. Les récits
les phis grotesques étaient accueillis s'ils étaient défavorables a
l'armée française. On transformait en héros de Saragosse ces
pauvres Romains que la terreur conduisait sur les bastions de
Rome, et que les forcenés de la légion étrangère traînaient sur les
remparts. Le Peuple rapportait avec enthousiasme cette lettre
bouffonne pour qui connaît la population romaine : « Le quar-
tier de Trastevère entier, enfants, hommes et femmes, est en
armes aux barricades ; les femmes menacent, après avoir épuisé
tous moyens de défense, de jeter de» croisées leurs petits enfmis
<ur les assaillants. »
ROME A PARIS. 277
HAPITRE XV.
LU DHUUBli J0GM I» U COWSTITBAUT*.
Mutent télégraphique de H. Léon Faucher, discussion violente, accusation
d'influence électorale, explications, ordre du jour motivé de M. Millard, vote
de blftme, démission de M. Léon Faucher. — Congés nombreux, vides dans
r Assemblée, mouvement électoral, le suffrage à deux degrés, opérations pré-
paratoires fcYUuÛM éUc&rale, liste du ifotàmoi; scission de dix-sept
journaux de la presse modérée» liste socialiste, listes diverses. — Résultai
des élections, majorité nombreuse et minorité compacte, sens nouveau de cette
minorité, le socialisme parlementaire; émotion publique. — Derniers travaux
de l'Assemblée, abolition de limpot des bsisuens, vote hostile an général
Chungarnier, agitation électorale après les élections, bruits de conspiration,
l1 armée est «elle socialiste. — Encore les questions extérieures; entrée des
Rosses en Hongrie, l'Italie; ordre du jour belliqueux de M. Joïy, rédaction
nouvelle de M. Cavaignac ; M. Ledru-BolKn, allusions regrettables ; expé-
dient révolutionnaire, hf . Gondehaui et la permanence ; adoption de l'ordre
du jour de M. Cavaignac. — Encore des conspirations, revue, cris inconsti-
tutionnels, M. Considérant et ses quarante infirmiers; acte d'accusation
contre le général Cbangarnier ; déviation des débats, M. de Falloux et la
Montagne, les ateliers nationaux, gagné jm de tout et cmpaèlts de rùm;
M. JoJy et M. de, Falloux, luttes personnelles, ordre da jour pur et simple. ,
— L'amnistie et M. Flocon. — "Testament de la Constituante, l'adresse aux
Français, de IL Antony Thouret; vote d'un décret de remerciements,
M. Base; discours de clôture par M. Armand Marras! ; permanence étrange,
défiances et regrets, les non-reéluf ; derniens adieux.
Résumé généra), la Constituante devant l'histoire.
Tout n'était pas terminé par le vote favorable au ministère.
A la suite de la discussion, M. le ministre de l'Intérieur crut de-
voir en foire connaître le résultat dans les départements par une
«78 HISTOIRE DE FRANCE. (18*9.)
dépêche télégraphique adressée aux préfets, et conçue- en ces
termes:
DÉPÊCHE TÉL&GRAPHIQUE.
Le ministre de V Intérieur au préfet de.,,,.
» •
« 12 mai, ont* heures do matin.
» Après une discussion très-animée sur les affaires d'Italie, V Assemblée
nationale a repoussé par Tordre du jour pur et simple, à la majorité de 329 von
sur 621 votants, la proposition de M. Jules Favre, de déclarer que le ministère
avait perdu la confiance du pays. Ce vote consolide la paix publique; les agita-
teurs n'attendaient qu'un vote de l'Assemblée hostile au ministère pour courir
aux barricades et pour renouveler les journées de juin.
» Paris est tranquille.
* Parmi les représentants du département ont voté pour Tordre du jour et
pour le Gouvernement : MM
* Se sont abstenus ou étaient absents : MM »
Cette dépèche devint le sujet d'une discussion violente et tu-
multueuse. Selou les uns» il était cartaiu que les départements,
instruits des menées qui pourraient tendre à faire ajourner les
élections, avaient besoin d'être rassurés; cela était d'autant plus
nécessaire» que les nouvelles les plus alarmantes y avaient éé^k
été répandues. On citait, par exemple, un journal de province
qui avait publié, comme certain, le fait de l'arrestation des mi-
nistres et celui de l'avènement de M. Ledru-Rollin à la dictature.
Il était donc nécessaire d'opposer à tous ces bruits un énergique
démenti, et de faire participer les habitants des provinces i It
satisfaction publique qui avait accueilli le vote de l'Assemblée.
Mais, disaient les autres, la dépêche allait jusqu'à mentionner
les noms des représentants de chaque département qui avaient
voté pour ou contre le Gouvernement. On pouvait comprendre
la juste susceptibilité de ceux qui, comme M. Millard (de l'Aube),
vinrent demander au ministre dans quel but avait été faite cette
publication et quelle solidarité on entendait établir entre les
représentants hostiles à la politique du ministère et les agitateurs
de la place publique.
D'autres, enfin, avec M. Clément Thomas, insinuaient déjà que
LES DERNIERS JOURS DE LA CONSTITUANTE. 879
si celte dépêche télégraphique constituait une manœuvre électo-
rale, que s'il était prouvé que les élections avaient eu lieu soui
l'influence de la note ministérielle, il serait peut-être du devoir de
l'Assemblée d'annoter les élections. Cet empiétement sur les droits
de l'Assemblée législative ne fut pas approuvé par la majorité.
Mais, en dehors de la question d'influence, restait l'apprécia*
lion de la dépêche en elle-même. M. Léon Faucher s'empressa
de donner satisfaction à de légitimes susceptibilités, et il désa-
voua loyalement l'intention qu'on loi supposait d'avoir voulu
faire peser aucun soupçon injurieux sur des membres de P As-
semblée. Quant i la publicité donnée aux votes, de quoi peut-on
se plaindre, ajoutait M. Léon Faucher? Cette publicité n'est-elle
pas chaque jour donnée par le Moniteur et reproduite par les
départements? Ces explications furent asses mal accueillies.
MM. Senard et de Larochejacqoelein les combattirent avec chaleur,
en insistant principalement sur le rapprochement que semblait
faire la dépêche entre tes noms dés votants et des projets de guerre
civile. Ce fut en vain que M. le président du conseil, parlant au
nom de la conciliation, rappela à l'Assemblée toute la réserve
que lut imposait désormais sa situation exceptionnelle lorsqu'il
s'agissait d'émettre un vote politique. Au reste, on put voir,
par la discrétion même avec laquelle M. Odion Barrot glissa sur
le fond du débat, que la dépêche lui était inconnue et qu'il en
approuvait peu les termes.
La discussion fit naître un ordre du jour motivé, conçu d'a-
bord dans des termes très-explicites et très-sévères, modifié en-
suite par son auteur, M. Millard, dans les termes suivants :
* L'Assemblée nationale, blâmant la dépêche télégraphique
adressée le 1t mai par M. le ministre de l'Intérieur aux préfets,
passe à l'ordre du jour, s
Cette proposition soulevait nue question grave, celle de savoir
si l'Assemblée actuelle pouvait constitutionnellement apprécier
un fait relatif a la sincérité des élections, ou si l'appréciation de
ce fait ne devait pas naturellement appartenir à l'Assemblée leV
gtslative. Celte dernière opinion ne fut pas celle de l'Assemblée.
Le nombre des votants était de 5*4 : l'ordre du jour fut adopté
280 HISTOIRE DE FRANCE. (1819.)
à la majorité de 819 toht contre S. One partie du «été droit de
l'Assemblée s'était abstenue ( 1 4 mai ) ,
Beaucoup regrettèrent ce vote. Déjà, pur toute la France, le
scrutin était fermé; 1* Assemblée législative «Hait sortir de l'unie
électorale. Les pouvoirs de F Assemblée constituante expireraient
après quinte jours. Cette situation inouie d'une Assemblée
assistant et survivant à la naissance d'une Assemblée nouvelle
devait peut-être imposer à celle qui finissait des devoirs de bon
goût. loge et partie ,- poirvait-elle être impartiale dans cette
cause?
Quoi qu'il en fût, ce Vote n'atteignait qu'un acte isolé d'an mi-
nistre, et la majorité avait entendu dégager complétensent la
question d'influence électorale; l'auteur de l'ajnendement lui-
même, H. Mil lard, l'avait déclaré en termes formels.
A l'issue de celte orageuse séance, M. le ministre de l'Inté-
rieur déposa sa démission entre les mains de M. le président de
la République. Ce n'était là, à la vérité, qu'un échec personnel;
mais beaucoup pensèrent que, si on considérait l'énergie avec
laquelle le ministre tombé avait épuré et renouvelé l'adipinistn-
tion départementale, sa chute était une perte sensible pour le
parti de Tordre.
On l'a vu, toutes les lottes engagées depuis quelque temps
dans l'Assemblée nationale reposaient sur une question capitale,
la question même de sa durée. Résolue par un- vote courageux,
cette question l'était encore et par le sentiment même du pays
et par l'attitude de l'Assemblée. Des congés étaient demandés par
un grand nombre de représentants : un vide niJNmt s'opérait
dans les rangs de l'Assemblée avant qu'elle n'eût décidé sa sépa-
ration. Le mouvement électoral était déjà commencé dans la pays.
A Paris, VUniofi électorale s'organisait et soumettait aux votes
préparatoires de la population une liste de cinquante noms, choi-
sis dans toutes les nuances du parti de l'ordre, et parmi lesquels
une première élection aurait à choisir les vingt-huit noms de la
liste définitive. Il en était ainsi par toute la France : des comités
préparatoires consultaient l'opinion, et le Suffrage à deux degrés
s'établissaitdans leshabitudesde la nation , malgré les prescriptions
delà Constitution de \ 848. A côté de ce mouvement significatif, Fa-
LES DERNIERS JOURS DE LA CONSTITUANTE 281
gitatien électorale duparli démocnit^ocavakaussimsignification
également opposée aux intentions delà loi. Descomités non sortis
de réfection, arrêtaient secrètement des listes définitives qu'on
imposait ani électeurs sans les consulter en aucune façon. C'était
encore le suffrage à deux degrés, moins la liberté des choix. On
voit ce que, des deux côtés, devenait dans l'application le suffrage
Les opérations de V Union électorale pour le département de la
Sema, firent sortir du vote préparatoire de 5¥,097 électeurs la
liste suivante de vingt-huit candidats définitifs : MM. Dubure,
Bippoiyte Passy, Bedeau, Lamoricière, Odjlon Barrot, Ferdinand
de Lasteyrie, Léon Faucher, Bugeaud, Moreau, Thiers, Cavaignac,
ravin, Garnon, de Falloux, Wolowski, Mole, Peopin, Roger (du
Nord), Achille Fould, de Montalembert, Coquerel, Rapatel, Victor
Hugo, Bixio, Chambolle, Boisse), Marie, Lucien Murât. Expres-
sion de la fusion des. amis de Tordre, disait le comité de V Union,
cette liste devrait être le signe de ralliement de tous ceux qui
voudraient se ranger avec Velu du 10 décembre, sous l'égide de la
Constitution, autour du drapeau de tordre dans la République.
(9 mai.)
Mais on avait compté sans les fantaisies du caprice individuel.
Ce n'est que dans les opinions qui s'appuient sur les classes les
moins intelligentes de la société, qu'il est possible de faire ac-
cepter eans discussion un mot d'ordre. Le jour même où cette
liste paraissait, le National publiait la sienne, et, sur cette der-
nière, on retrouvait les noms de MM. Dubure, Cavaignac, Lamori-
cière, Marie, Ferdinand de Lasteyrie. Quelques journaux repoussè-
rentune combinaison quirencontraitsescandidats dans deuxcamps
opposés : ou pomma les cinq candidats des deux listés d'opter entre
Tune des deux. Aux- cinq noms suspects on proposait desubstituer
eenx de MM. Garaier-Pagès, de. Bar, Gourgaud, Piat, Louis-Lucien
Bonaparte. Ées premiers symptômes de division paraissaient d'au-
tant plus graves, que l'esprit de discipline u'avait pas cessé de
régner dans le camp qui e'iutittdait définitivement socialiste. Là,
vingt-huit candidats choisis en secret étaient imposés à la masse
électorale du parti : aucune-discussion n'était permise.. Ces vingt-
huit noms étaient les suivants : MM. Bac, Boicbot, Cabet, Charas-
MS HISTOIRE BE FRANCE (18W.)
sin. Considérant, d'Alton-âhée, Bemay, Genitter, Greppo, Hervé,
Hisay, Lagrange, Lamennais, Laaglois, Le bon, Ledru-RoUia,
Madier de Montjau, Malarmet, Montagne, Perdiguier, Prondhoo,
Félix Pyat, Rattier, Ribeyrolles, Savary, Thoré, Vidal.
Ainsi, il y avait en pcéience quatre listes principales, celles de
l'Union électorale, des socialistes, de la presse modérée (liste de
scission), et des Amis de la Constitution. Cette dernière qui re-
présentait le. parti des républicains de la Teille, non encore passés
aux socialistes, proposait entre autres noms ceux de Mil. Arago,
Bastide, Billault, Bûches, Carnot, Degousée, Dupont (de l'Eure),
Jules Favre, Flocon, Forestier, Guinard, Lamartine, Marrast. On
comptait encore deux listes moins importantes, mais qui ne de*
vaient pas laisser que d'ajouter à la confusion : 4° la liste dn co-
mité présidé par M. de Larochejaoqaelein, laquelle empruntait
seulement quinze noms à la liste de V Union électorale ; 2» la liste
du comité bonapartiste.
Le 18 mai, le résultat des élections de Paris fut connu. Il ne
répondait pas, comme on pouvait s'y atteadre, aux espéraoces
du parti modéré. Sur les vingt-huit représentants nommés, dix-
huit appartenaient à la liste de Y Union électorale, les dix antres
à la liste socialiste. (Voyez aux Documents historiques les listes
complètes.) Aucun des candidats substitués de la presse mqdérée
n'avait été nommé. Les dix-huit candidats appartenant en propre
à la liste des Amis delà Constitution avaient échoué dans le scru-
tin. Aucun des candidats élus n'avait réuni la majorité absolue. Le
nombre des votants était de 274,000, majorité absolue 137,000.
Or, le candidat sorti le premier de l'urne, M. Lueien Mural,
n'avait pas atteint le chiffre de 155,000 voix. 1+ seule lotte sé-
rieuse s'était établie entre les deux listes de Y Union et des sotia*
listes. Les antres n'avaient fait passer aucun candidat qui leur lût
propre. La-scission des dix-sept journaux modérés n'avait donc
ett pour résultat que d'assurer cinq noms de plus à la liste socia-
liste. Et pourtant le parti modéré avait montré dans ces élections
une discipline qu'il n'avait pas encore connue, et dont tout Thon*
near revenait à rtfrwonlJ^orafo.Qaantaa parti socialiste, il avait
manœuvré avec un admirable en semble. La différence de 30,000 voix
qui se ffli8*'1 remnrquerentrelepremieret le dernierdescarMlîdata
LES DERNIERS JOURS DE LA CONSTITUANTE. 283
delà-liste^ ne pouvait être attribuée qu'à l'appoint fourni par la
liste des républicains de la veille. Pour ceux-ci, la défaite était
entière. Étrange retour de la fortune politique ! Les noms autour
desquels venait, un an auparavant, se grouper le nombre le
plus imposant de suffrages, étaient précisément ceux-là qui res-
taient cette fois dans le plus complet abandon. MM. de Lamartine,
Dupont (de l'Eure), Arago, Garnier-Pagès, Armand Marrast, n'a-
vaient pas même la moitié des suffrages recueillis par le dernier
des socialistes.
Les résultats électoraux du reste de la France reproduisirent à
peu de chose près les mêmes situations et les mêmes résultats.
En somme, près de cinq cents membres appartenaient dans la
représentation nouvelle aux nuances diverses de l'opinion modé-
rée; plus de deux cents au parti ultra-démocratique. Une majorité
formidable était acquise au parti modéçé s'il savait conserver l'u-
nité entre ses éléments si divers; une minorité évidente, mais
compacte, était acquise au socialfsme. En présence de ce résultat
inattendu,, l'opinion publique s'émut. Il y avait désormais autre
chose que la République à l'horizon des partis. .
Le 15 mai, l'Assemblée législative était nommée : le 27 seule-
ment expiraient les pouvoirs de la Constituante. Ainsi commen-
çait, pour durer douze jours, cette situation inouïe, mais légale,
d'une Assemblée fonctionnant en présence de son successeur en-
core inconnu. Au milieu de cette anomalie, la Chambre qui allait
finir saurait-elle s'imposer l'obligation de n'user qu'avec réserve
de ses pouvoirs expirants? S'abstiendrait-elle d'hostilités systé-
matiques contre le pouvoir? Devenue complètement irrespon-
sable, u'abuserait-elle pas de cette situation exceptionnelle? La
sagesse qu'avait montrée l'Assemblée en signant son abdication,
pouvait faire espérer qu'elle ne se laisserait pas entraîner aux
regrets et aux rancunes.
Restait le budget que la Constituante fêtait donné la tâche de
voter. Les crédits provisoires accordés expiraient après quelques
jours et, si le budget des recettes n'était pas \oté, il ne serait plus
possible de percevoir les impôts indirects à partir du i«r juin.
Cependant, et lorsque l'Assemblée avait si peu de temps à consa-
crer à l'étude sérieuse des finances, une foule de propositions
284 HISTOIRE DE FIUNCE (1849)
incidentes, et toutes de tactique, vinrent charger son ordre du
jour. Le 16 mai, M. Grévy appela l'attention de la Chambre sur
le projet de loi relatif à la réunion du commandement de la
garde nationale et des troupes entre les mêmes mains. M. Larabit
flt remarquer que ce projet intéressait beaucoup plus l'Assem-
blée future que l'Assemblée actuelle. La demande de M. Grévy
fut repoussée. Le budget des dépenses était voté : on passa au
budget des recettes. Nous avons dit plus haut (voyez chapitres
précédents) par quel vote déplorable l'abolition de l'impôt des
boissons fut décrétée le 18 mai, et comment l'Assemblée expirante
léguait ainsi des embarras nouveaux aux finances de l'avenir.
Elle n'existait plus qu'en vertu d'une fiction légale, et cependant
elle créait sur un budget dont elle n'avait pas à s'occuper, celui
de 1850, un déficit nouveau de 100 millions. C'était là, selon
quelques-uns, une usurpation flagrante : beaucoup y virent une
regrettable tactique qui consistait à créer pour l'Assemblée nou-
velle un immense embarras si elle conservait le déficit, une im-
popularité certaine si elle rétablissait l'impôt.
Le lendemain de ce vote (19 mai)-, la Chambre désorganisait
le commandement de la force publique dans Je département de la
Seine, en rejetant le projet de loi présenté par le Gouvernement
pour régulariser la position du général Çhangarnier (19 mai,
293 voix contre 210).
Ces différents votes jetèrent une assez grande inquiétude dans
le pays. L'agitation électorale n'était pas éteinte avec les élec-
tions. Des cris de triomphe accueillaient dans le parti socialiste
l'échec des républicains de 1818 et la nomination d'une mino-
rité compacte. Les feuilles de ce parti prêchaient le calme an
peuple comme à la veille des jours de désordre : on semait la
défiance et l'irritation en annonçant tous les matins une cons-
piration du pouvoir, et ces bruits étaient accueillis avec faveur
par le parti qui disparaissait presque tout entier par suite des
élections nouvelles : c'était avec une joie secrète que les opi-
nions extrêmes propageaient ou acceptaient l'idée d'une attitude
menaçante du pouvoir. Sur 32,000 soldats appartenant au dé-
partement de la Seine, 6,000 s'étaient laissés prendre au désir
de porter deux soldats à l'Assemblée nationale. On en concluait
LES DERNIERS JOURS DE LA CONSTITUANTE. 285
que Tannée était socialiste, et qae tonte répression était devenue
impossible.
L'Assemblée, cependant, continuait arec an calme impertur-
bable i traiter des questions de première importance, i aborder
des projets de loi qui eussent demandé de longues et sérieuses
études. Le 21 mai, elle entamait la première lecture d'un projet
sur l'école d'administration. Il est vrai que le scrutin de division
ne pouvait réunir que 376 suffrages. Le 22, MM. Serrans, Joly
ctLedru-Rolîin interpellaient le Gouvernement au sujet de l'en-
trée des Russes en Hongrie. Il y avait sans doute quelque chose
de grave dans l'intervention d'une armée russe dans les Etats do
l'Autriche: mais y avait- il là, comme le pensait M. Ledru-Rollin, un
cas de guerre? Le manifeste de S. M. l'empereur de Russie paraissait
i l'orateur une déclaration de guerre ; et cependant il y était dit
formellement que la Russie entendait s'abstenir de s'ingérer
dans les affaires domestiques des' autres pays; elle ne s'oppose-
rait en aucune façon aux modifications qu'il leur plairait d'ap-
porter à leurs institutions ; on y circonscrivait avec soin l'action
que la Russie prétendait exercer aux contrées limitrophes de ses
frontières. (Voyez plus loin Allemagne et Russie.) Pour confir-
mer ces protestations par une preuve publique , le Gouverne-
ment russe venait de reconnaître Officiellement la République
française. Telle fut en substance la réponse de M. Odilon Barrot.
En même temps, M. Sarrans reproduisait les interpellations
de îa semaine précédente sur les affaires d'Italie, déclarant que
le temps des négociations était passé, qu'il fallait prendre un
parti, mais n'en indiquant pas. M. Drouin de Lhuys s'en référa
à ses explications antérieures; nn agent français était parti poor
le quartier général de l'expédition d'Italie, emportant pour ins-
truction le compte-rendu de la dernière discussion qui avait eu
lieu. En ce qui concernait l'intervention russe en Hongrie, M. le
ministre des Affaires étrangères répéta qu'il avait transmis ses
observations aux cabinets européens par la voie diplomatique,
qu'il n'entendait pas en employer d'autres pour le moment, et
que si Ton était d'avis de recourir à des mesures plus énergi-
ques, il fallait' les formuler d'une manière catégorique» afin que
38« HISTOIRE DE PHANCB. (ftgftSv)
chacun acceptât franchement la responsabilité de aes conseils et
de ses propositions.
M. Joly répondit à cet appel» et formula une rédaction très-
claire. Son ordre du jour demandait que l'Assemblée, protestant
contre Je manifeste rusée et contre une coalition nouvelle, enjoi»
gnit au Gouvernement de prendre immédiatement les mesura
les plus énergiques pour fajre respeeter le principe de l'indépen-
dance et de la nationalité des peuples partout où il serait me-
nacé.
Cet ordre du jour, c'était la guerre. D'un autre côté, selon one
autre fraction de l'Assemblée, l'adoption de l'ordre du jour por
et simple ne pourrait-elle pas donner lieu au dehors à des inter-
prétations fâcheuses ? Répondrait-il , cet ordre du jour, i h
préoccupation générale des esprits ? Ce furent là les graves consi-
dérations qui engagèrent le général Caraignac à' formuler une
rédaction nouvelle. L'intervention de l'honorable général dans le
débat produisit une vive impression. Plusieurs fois, du haut des
bancs de la Montagne, de violentes interpellations lui forent
adressées ; il les repoussa avec dédain, en déclarant que la ques-
tion était trop grave pour qu'il songeât à en faire un débat per-
sonnel. Le général résuma sa pensée dans ces mots : a On a ea
tort d'attaquer la République romaine, mais on n'est pas obligé
de là servir. »
Mais il fallait conclure, et l'ordre du jour du général Gavaigaac
parut vague et obscur. C'était une recommandation au Gouverne-
ment, une tentative faite pour éveiller sa sollicitude. A ce point
de vue, dit M. Odilon Barrot, on pouvait l'accepter. Mau\ il n'en
restait paa moins ceci, à savoir que l'on cherchait un principe
d'action immédiate dans une manifestation parlementaire, et qoe
le vote u aurait aucune signilication précise. Aussi, les partisans
de la guerre repoussèrent-ils, comme le Gouvernement lui-même,
cette rédaction sans couleur. M. Ledru-Rollin insisla sur les dan-
gers de la situation : il le fit avec chaleur; mais bientôt, entraîné
par sa parole plus loin, sans doute, que sa pensée, l'orateur alla
jusqu'à rappeler un des plus mauvais jours de la première révo-
lution. Expliquant la siniatre journée du 10 aoftt, par le wft»
qu'une portion de l'Assemblée nationale de 1792 lit de voter une
LES DERNIERS JOURS DE LA CONSTITUANTE. 287
déclaration de guerre en réponse au manifeste du duc de Bruns-
wick, If. Ledru-Rollin jeta, au milieu de i'eflervescence des es-
prits, une menace d'insurrection et de guerre civile. Ces allusions
regrettables furent énergiqnement repoussées par M. le président
du conseil : « Quoi donc, s'écria-t-il, ce n'est pas dans le senti-
ment des véritables intérêts du pays, c'est dans une pression
violente, c'est dans la crainte d'une émeute que l'Assemblée doit
puiser sa délibération! Je ne comprends pas cette politique qui
veut la guerre et les énormes sacrifices qu'elle entraîne, et qui
commeuce par ces appels à l'agitation de la place publique et
paralyse ainsi i l'avance toutes les forces du pays. »
On allait voter sur l'ordre du jour pur et simple. Mais un grand
nombre de représentants, M. Mauguin i leur tête, reconnaissant
que la question était du ressort do l'Assemblée législative, s'abs-
tinrent de voter. Quarante voix manquaient pour la validité du
scrutin. Alors, M. Goudchaux proposa, si le vote n'était pas com-
plété dans un délai donné, de déclarer l'Assemblée en perma-
nence. La proposition fut votée à la presque unanimité, mais par
un nombre de suffrages inférieur à celui qu'exigeait le règlement.
Cet expédient révolutionnaire eut un plein succès, et Tordre
du jour pur et simple fut repoussé par 459 toit contre 53, sur
52î votants (22 mai).
Le lendemain, la priorité fut accordée à l'amendement du gé-
néral Cavaignac. « C'est là un escamotage, » s'écrie M. Deville,
organe peu châtié de la Montagne. M. Marrast persiste malgré
rfnsolte. Alors on a recours à la tactique. If. Flocon cherche à
persuader à la Chambre que les deux amendements expriment la
même pensée. Le général Cavaignac repousse loyalement cette
association. Il n'a voulu que signaler un danger sérieux, appeler
l'attention du pouvoir exécutif sur une éventualité de guerre,
mais non consacrer une sorte de solidarité entre la République
française et 1er autres républiques européennes. Cette loyale
interprétation dissipe les incertitudes du parti modéré, et Tordre
do jour du général Cavaignac est adopté à la majorité de 51 1 voix
contre Jfcl.
Deux jours s'étaient passés dansées interpellations stériles:
de nouveaux incidents surgirent immédiatement pour créer de
288 HISTOIRE DE FRÀMCK. (184»-)
nouveaux embarras. ParmLles conspirations imaginaires créées
par les journaux , la Démocratie pacifique.an avait inventé une
tellement circonstanciée que II. Crémiëux crut devoir dénoncer
sur ces preuves le pouvoir exécutif. Une revue avait eu lieu le
20 mai et, selon le jçurnal, ou avait voulu s'assurer des disposi-
tions de l'armée. Un complot devait éclater Je 17. De là des inter-
pellations nouvelles. M. Considérant parut à la tribune, invoquant
comme preuve principale des mouvements de troupes suivant lui
calculés, et même l'arrivée à Paris de quarante infirmiers appe-
lés pour les cruelles éventualités du combat. Geci tournait au ridi-
cule et à l'odieux ; lesjnfiriniers devaient, en effet, subvenir aux
nécessités d'une épidémie qui 'frappait en ce moment sur la
France : le choléra régnait à Paris. De toutes parts, l'Assemblée
demanda autre chose que des allégations, des preuves. M. Consi-
dérant répondit qu'il n'avait pas de preuves judiciaires, mais des
renseignements sûrs, et que d'ailleurs il n'avait jamais menti :
« Vous . avez menti, » s'écrie M. Pierre Bonaparte d'une voix
éclatante; vous avez menti ea disant que le président de la
République conspire contre la Constitution. »
Ces paroles ne firent qu'accroître l'agitation. M. Ledru-Rollin
comprit alors qu'il (allait détourner le débat si maladroitement
engagé : il le lit en portant à: la tribune un acte d'accusation
contre le général Cbangarnier. En vue d'une permanence pos-
sible, le président de l'Assemblée aurait fait demander la veille
un certain contingent de troupes, et le général Changarnier aurait
répondu en envoyant à tous les généraux de brigade Tordre de
n'obéir qu'au commandant en chef. M, Ledru-Rollin demandait
une commission d'enquête. Après lui, MM. Charras, Lagrange et
Michot dénonçaient des cris inconstitutionnels poussés par l'armée
qu'on aurait payée pour son enthousiasme décommande. Le gé-
néral Bedeau s'élança à la tribune et protesta énergiquement oontre
ces indignes accusations. A son tour , M. le président du conseil
repoussa avec indignation ces accusations soulevées par l'imagi-
nation des journaui, portées à lajribune sans le contrôle des
formalités légales, avec le dessein manifeste d'en faire un moyen
d'agitation, et peut-être de guerre civile, « Un.complot, s'écri*»
t-il, un complot an moment où va se réunir la nouvelle Assemblée
LES DERKH5BS JOURS SE LA CONSTITUANTE. 969
issue da suffrage du pays, ne serait-ce pas le comble de la folie ? »
Le 24 mai , la lutte dorait encore. H. Clément Thomas tou*
lait qu'on forçât le général Changàrnier i des explications person-
nelles: un autre membre s'écriait qu'il fallait le traduire révolu-
tionnairement à la barre. M. Ledn*-Rollin déroulait d'injurieux
commentaires sur le passé du président de la République. M. Flo-
con évoquait les tristes réminiscences de la réaction de 1815
et, prenant à partie M. le ministre de l'Instruction publique,
lui jetait l'odieux souvenir de Trestaillon. A cette inqualifiable
insulte, IL de Fallouz répondait énergiquement par le rappel
des journées du 10 août, do 2 septembre, du 31 mai, du 9 ther-
midor, de toutes ces crises honteuses et sanglantes couronnées
par ienr conséquence nécessaire , le coup d'Etat du 18 bru-
maire. Alors s'engagea une lutte étrange de tout un parti contre
un seul homme : de tous côtés descendaient de violentes inter-
pellations : chacune d'elles recevait de l'orateur sa réponse, et
quelquefois son châtiaient. Déjà l'incident remplaçait la question
principale dans les émotions de la Chambre. Attaqué^ pour la
part qu'il avait prise à la dissolution des ateliers nationaux ,
M. de Falloux, avec une impitoyable -lucidité , répandait la
lumière sur ces journées de juin et sur leurs causes encore mal
connues. Les traits les plus cruels de cette vive improvisation
arrachèrent des applaudissements nombreux à l'Assemblée. On
avait prononcé ce mot un peu superbe : Je ne veuœ plus, c Les
hommes dont la France ne veut plus, dit M. de Falloux, ce sont
les hommes qui sont capables de tout et les hommes qui ne sont
capables de rien. » (U mai.)
On était loin de la conspiration prétendue. Le lendemain, on
s'en éloigna plus loin encore. M. Xoly continua l'accusation.
Mais le principal accusé ce n'était pi ur M. le président de la Ré-
publique, ou le général Changàrnier, c'était décidément M. de
Falloux» M. Joly vint lire à la tribune des fragments isolés et
choisis de deux ouvrages de l'honorable ministre, Y Histoire de
saint Pie V et Y Histoire de Louis XVI. il ressortait de ces frag-
ments, pour M. Joly, que M. de Falloux avait fait l'apologie de
l'Inquisition et de la Saint-Barthélémy. Par malheur, les textes
empruntés à ce recueil périodique étaient falsifiés; Mais les ré»
19
990 HISTOIRE DE fftAJKX. (414*.)
cri «mations engendrent les récrimmatioiis, M. )foittaet-ftr~
ntui vint, à son tour, faire le procès aoi opinions républicaines
4e M. Jpiy. Il tira de la GmutU dm Tribuam* ut discours so-
lennel dani lequel M. Jely, proottrear-généraJ 4 la cour de
Montpellier en 1850, protestait de son détonement chaleureux 4
la monarchie constitutionnelle en général et an roi LooMfti-
Uppe en particulier»
Cependant la conspiration avrit entièrement dispara derrière
ees engagements rétrospectifs. H est vrai que M, le président de
contejl avait donné des explications complètes. La lettre du gé-
néral avait été écrite à une heure où l'Assemblée avait renoncé
4 la permanence ; en consignant les troupes, on n'avait fait que
prendre «ne mesure de sûreté générale; Perdre de n'obéir
qu'au* instructions d« chef militaire allait au-devant de la com-
plication des ordres, et ne pouvait avoir pour but de paralyser
J'exereiee du droit de réquisition attribué par le décret du
14 mai 1*48 nu président de l'Assemblée. D'ailleurs, ce décret
B'étaibil pus resté 4 l'ordre du jour dans toutes les casernes do la
division) Tout cela était trop clair : aussi, quand revint, quoique
wn peu tard, la demande d'enquête, M. Odilon Barrot put-il dire
qu'il n'y avait 14 rien de sérieux, et l'Assemblée loi donna raison
par on ordre du jour pur et simple voté 4 la majorité de 308 voie
eototre f€0 sur 868 votants (25 mai).
Tout n'était pas fini. A l'ordre du jour se trouvait inscrite une
proposition d'amnistie. M. Flocon y vit un moyen d'agiter les
deux dernières séances. Mais la Chambre s'y refusa et s'apprêta
à se séparer. Comment le faire? M. ftegousée voulait un compte*
vendu solennel des travaux de F Assemblée ; M. Antony Tbouret
tenait pour une adresse aux Français. La majorité préféra un
simple décret rédigé en ces termes par M. Base : s L'Assemblée
nationale vote des remerciements 4 la garde nationale et 4 l'ar-
mé* pour le concours énergique et dévoué qu'elles ont constam-
ment prêté à toutes les mesures décrétées pour le maintien de
f ordre et de la liberté, et le salut de la République, a
La dernière séance de la Constituante Ait terminée pat un dte*
cours do président. La parole de H. Armand Mérrast, reprdsen*
tant officiel de l'Assemblée, M digne, calme et mesurée; H parla
LES DERNIERS JOURS DÉ LA CONSTITUAIS TE. &<
auctoBvenanee des travaux qu'il avait éi longtemps diriges, ff jeta
sur la situation du pays un coup d'œil rapide, et commenta spiri-
tneflement le mot connu d'un programme récent : Ni réaction, ni
utopie. Il conclut en recommandant à tous le respect de la Cons-
titution qui avait été l'œuvre principale de dette Assemblée, de
la Constitution qui devait tout à la fou servir de règle et de bou-
clier; pnis 1 termina en poussant le cri dk : ft«* Ut République!
qui fat répété par des vtiit nombreuses.
Ainsi finit l'Assemblée constituante. Pendant vingt-quatre
heuresencore, le bureau et un certain nombre de membres sans
mission spéciale se constituèrent en permanence, les uns pour
D'iaferrompre en rien l'action du pouvoir parlementaire, les au-
tres pour manifester une fois de plus d'injurieuses défiances ou
(f/Mtile* regrets. Parmi ces derniers, comme parmi les promo-
teurs des dernières agitations parlementaires, on remarqua en
gitodè majorité les représentants non réélus. Enfin, le 28 mai,
lis nembres du bureau de l'Assemblée constituante reçurent le
karea» provisoire de l'Assemblée nouvelle, « potrr constater, dit
I. Verras! (voyez les Documents historiques), qae, sons Peut*
pire de notre Constitution répeblièatoe, il ne srarafty avoir tTto-
taraiftenee dans le pouvoir législatif. »
292 HISTOIRE DE FRANCE. (1849.)
^•a
RÉSUMÉ GÉNÉRAL
LA CONSTITUÀHtE DBVANT L'HISTOIRB.
On Ta tu, les derniers moments de l'Assemblée constituante
avaient paru manquer de cette dignité calme que la France «xige
de qui a l'honneur de la représenter. Après avoir, par un vote
digne d'éloges, fixé un terme à ses travaux, elle n'avait peut-être
pas su mourir. Dans les convulsions de soif agonie, elle avait
suscité, sans le vouloir sans doute, plus d'un embarras sérieux aa
Gouvernement. Fallait-il l'en accuser, ou n'était-ce pas plutôt li
la faute de cette coexistence fatale de deux pouvoirs indépen-
dants, et par cela même rivaux, que la Constitution avait impo-
sés à la France» Si l'Assemblée ne s'était pas associée aux injures
prodiguées au président de la République, elle avait ouvertement
patronéde fâcheuses défiances, de regrettables coups d'autorité. Il
s'était trouvé 361 voix pour refuser au lieutenant général Cban-
garnier une indemnité qu'autrefois on décernait d'enthousiasme
à MM. de Courtais ou Clément Thomas. « Ce qui se passe ici,
avait pu dire M. Léon Faucher, pourrait s'appeler 1a guerre an
pouvoir exécutif* » Et cette guerre , elle était devenue chaque
jour plus agressive, à mesure qu'approchait l'heure de la re-
traite. Ce n'est pas ainsi qu'avait fiai le pouvoir temporaire du
général Cavaignac. Il avait su descendre, et la dignité calme de
sa retraite n'avait légué au pouvoir du 10 décembre aucun héri-
tage difficile autre que la situation elle-même.
LES DERNIERS JOURS DE LA CONSTrTUANTE. 293
L'Assemblée s'était souvent laissé prendre *ux séductions de
l'économie. Elle avait cherché à restreindre les travaux publics,
tout en modifiant radicalement le budget des recettes par une
diminution énorme des impôts. Était-ce bien le moment lors-
que le pays se ressentait encore de la brusque disparition du
travail, et lorsque le déficit toujours croissant des finances récla-
mait l'emploi de toutes- les ressources ordinaires ?
Fallait-il pourtant méconnaître les services que la Constituante
avait rendus au pays? Elle avait intronisé le droit à la place du
fait, elle avait substitué une délégation régulière de la volonté
nationale à une violence de mauvais exemple. Elle avait tiré le
pays, sinon de la révolution, au moins de l'état révolutionnaire:
enfin, elle avait été longtemps le seul point de ralliement de
toutes les forces vives de la France. Avec elle, le pays avait pu
combattre l'anarchie.
Qu'a-t-elle fait, disaient ses adversaires? Elle a effleuré bien
des projets, abordé bien des questions : elle n'en a résolu sérieu-
sement aucune. On oubliait, sans doute» au milieu de quelles
agitations s'était passée l'existence de cette Assemblée. Si on con-
sidérait le nombre de ses membres, l'inexpérience; politique, ad-
ministrative et financière de beaucoup d'entre eux, on pouvait
«'étonner encore de ce qu'elle avait fait. Il est juste d'avouer
qu'un grand nombre de représentants, nouvellement arrivés à
la vie politique, avaient cherché à suppléer par un travail assidu
à tout ce qui leur manquait de science et d'habitude parlemen-
taire. Si ce travail s'était le plus souvent résolu en initiatives sté-
riles, en propositions impossibles, fajlait-il en accuser autre chose
que ce sentiment erroné partagé par une partie de la nation elle-
même, que la société était tout entière à refaire .'Beaucoup d'illu-
sions enracinées dans l'opinion publique avaient contribué à gas-
piller les forces et le temps de la Chambre. Four n'en citer qu'une,
te droit de pétition, cette arche sainte de la liberté pour l'ancien
libéralisme, était devenu ira embarras quelquefois dangereux,
plus souvent ridicule. A la date du 17 janvier, l'AsseiAblée n'avait
pas reçu moins de huit mille pétitions. Le texte même' de ces
requêtes, fruit des plus étranges initiatives, montrait mieux que
toute discussion ce que peut produire d'utHe ce droit de pétition
m HWTÛIAE m ffUNOE* (1M0.)
autrefois considéré qmum la base dee libertés puWiqae** I/we
d'elles demandait qu'on érigeât l'athéisme •» «cianoe et fo'oa
renseigné* dan» 1m collège*.
Si ffwtyua chose pouvait diminuer la sévéritééele France pour
l'AeseBMée expirante, c'était It logement mentant porté sarailo
pur k Montagne* Dana wo déeleraàon adressée, io S a?ril, ont
électeurs, les repréeentintsderopposition radicale condamnaient
mm la Constituante i
« Aon o&uvre, la Constitution, est entachée d'inconséquences... elle admet U
feia* do Mort et répaaste h èkAi au travail. Le meilleur de ses articles est
«ektf w «a pémat 1* **r|u»a>.« (fe^Ut^ueeeiéittot^ae c*to^êoao»m,
vwtafc à l'I^térieu* faible à ratfériaar et rétw**1 partout »
Ce qui avait mérité à l'Assemblée ces accusations ultra-radi-
cales, c'était ce bon sens profond dont elle avait souvent fait preuve
en condamnant de dangereuses utopies, cet esprit de réparation
qui l'avait animée à plusieurs moments de sa difficile carrière.
S'il était vrai de dire que le niveau du talent s'était abaissé de-
puis la révolution de Février dans la représentation nationale» il
n'était pas moins évident que les habitudes de haute convenance»
qui jusqu'alors avaient distingué la France parlementaire! n'é-
taient plus qu'une tradition. Le langage violent d'une fraction
nombreuse de l'Assemblée, avait donné souvent lieu à des inci-
dents pénibles pour la dignité de la France. Quelquefois mémo la
violence était descendue des paroles aux actes. Ainsi, un dos
membres de la. Montagne, M. Eugène Raspail, s'oublia jusqu'à
frapper, dans l'enceinte même de la Chambra, un de ses collè-
gues» M. Point* Ce dernier, qui ne connaissait pas mémo M. Ras-
pail, était accusé par l'auteur de l'insulte do l'avoir lorgné! Un
autre membre de la Montagne, M. Flocon, voulut, on no le croira
pas, s'opposer à ce que des poursuites fussent autorisées contre
le coupable. Il invoquait, pour le renvoi dans les bureaux, es
qu'il appelait des précédent* l « Je proteste, s'écria la général
Lebreton, je proteste contra cette expression. Pour f bonnenr des
Assemblées fraoçeisea, u n'y ajauaie en dans leur #ein de parail*
LES DEBMJBaS J09R8 BE Là GQHSVfltlANTE. 3»
et le boucher Legendre.
Bientôt, il est vrai, ce déplorable scandale devait devenir un
frécédent et trouver de» imitateurs.
Telle avait été cette Assemblée à qui, malgré des erreurs et
fes dûtes, rhistaire rendra sans doit» un honorable justice*
Héritière de ses travaux comme de ses dangers, l'Assemblée
législative aurait à remplir une mission aussi grande, aussi labo-
rieuse que celle de l'Assemblée constituante. Elle aurait à récon-
cilier les mœurs avec tes lois, et à faire supporter au pays les vices
mênei des institutions.
296 HISTOIRE DE FRANCE. (1849.)
CHAPITRE XVI.
LES PREMIERS JOUBS DE LA LÉGISLATIVE.
Ouverture de l'Assemblée législative, rassemblements, la République sociale»
les agitateurs refoulés ; discours de M. de Kératry, président d'âge; nomina-
tion des présidents de bureau, rassemblements nouveaux. — Seconde séance;
M. Kœnig et la Constitution; M. Landolphe demande une nouvelle procla-
mation de la République, silence de la majorité, explications de M. Ségar
d'Aguesseau, les deux Républiques, la Montagne socialiste, rappel à Tordre.
— Interpellations, déjà des défiances, le général Forey et le coinina^idement
de l'Assemblée ; M. Ledru-Rollin et M. de Kératry, tumulte, retraite dos
secrétaires, explications de M. de Kératry, le maréchal Bugeaud, paroles de
conciliation. — Vérification des pouvoirs, la dépêche Faucher, M. Rattier
, parle au nom de l'armée. — M. Dupin est élu président, force respective
des partis. — Remaniement da ministère, message dn président de la Répu-
blique. — Questions extérieures, rappel de M. de'Lesseps, attaque de Rome,
interpellations de M. Ledru-Rollin, la Constitution violée, demande de mise
en accusation, la déchéance sans phrases, manifeste démocratique ; explica-
tions ministérielles; M. Ledru-Rollin, appel saux armes; protestations de
MM. Ségur d'Aguesseau et Bedeau ; M. .Thiers déclare la délibération im-
possible ; vote de l'ordre du jour pur et simple. — Écho insurrectionnel ; ma-
nifestes de la Montagne, de la presse démocratique et dn comité démocra-
tique-socialiste ; proclamation des écoles. — Séance dn 12 juin: interpella-
tions de M. Grandin, M. Pierre Leroux, doctrines pacifiques, déclaration de
M* Dufaure ; rapport sur la mise en accusation, discussion sur le fond, de-
mande de production de pièces, M. Thiers et M. Ledru-Rollin, cosaques et
insurgés, M. F. Pyat, serment tragique, la mise en accusation repoussée. —
t Calme de Paris, le choléra, mort du maréchal Bugeaad, complications exté-
rieures, insurrection badoise, ses rapports avec la démocratie parisienne,
marche des Prussiens, insurrection hongroise, les Russes en Autriche, dé-
sordre et répression. — Tribuns et soldats, chefs véritables de la démago-
gie, histoire secrète du parti militant, la Solidarité républicain; direction
cachée, comité démocratique-socialiste, commission des vingt-cinq, comité de
la presse socialiste, propagande Macé, organisation redoutable. — Choix dn
prétexte, la question romaine, révélations imprudentes, la ttriiliif a
LES PREMIERS JOURS DE LA LÉGISLATIVE. 297
Bon* et à Pari*.— La société te Droite de l'Homme — parmiasuee, réu-
nion dans le» bureaux da la Démocratie pmcjfique, proclamations, commission
de délégués de la garde nationale, annonce d'une manifestation, appel à la
garde nationale, éléments nouveaux de trouble, les clubistes de province, les
graciés, préludes d'une journèev
Le 28 mai, à midi, eut lieu l'ouverture de l'Assemblée législa-
tive. Dès le matin, un millier environ d'hommes, la plupart en
blouse, stationnaient aux abords du palais législatif. Des groupes
compactes s'échelonnaient au commencement de la rue de Bour-
gogne et sur le quai qui fait face au péristyle. Quelques cris de
vive la République démocratique et sociale partaient de temps en
temps de ces groupes. Lorsque les représentants commencèrent
a arriver, cette foule grossit et se rapprocha du palais , de façon
qu'on put craindre un instant que la cour de l'Assemblée ne fût
envahie. Le général Changarnier dut s'entendre avec le président
d'âge, M. de Kératry, et des détachements d'infanterie et de cava-
lerie furent postés au dehors, de manière à garder les approches
et à faire circuler la foule au moyen de promenades inoffensives.
L'intérieur du palais était confié à la garde du général Forey. La
foule n'opposa à ces mesures pacifiques aucune résistance. Seule-
ment, chaque représentant était accueilli, à son arrivée, selon ses
opinions connues, par des cris portant le caractère ou de la pro-
vocation ou de la menace. Quelques meneurs espéraient une
répétition de la scène populaire du 4 mai 1848 et déjà quelques
représentants se montraient aux fenêtres de l'Assemblée pour
répondre aux cris des agitateurs , lorsqu'avec une précision mer-
veilleuse accompagnée d'une modération visible, la foule fut
repoussée et les abords du palais dégagés. Les sommations légales
avaient été faites.
A l'intérieur, M. de Kératry, dans un discours simple et mo-
deste, invoquait le concours et la bienveillance de ses collègues
pour l'aider dans les opérations préliminaires nécessaires i la
constitution définitive de l'Assemblée. M. Odilon Barrot vint
ensuite annoncer que le Gouvernement se mettrait en mesure de
présenter le compte-rendu de la situation politique aussitôt que
la Chambre serait constituée.
MB HISTOIRE MB FRANCK. (IMft.)
Le première eiprenrion de 1* pensé» politique ri» l'AssomMéc
fut 2a nontnetimi des président* o> bnreâut. Coftdllfttiftft et Mo-
dération, telle parât être la signification des noms de MM. Mole,
de Panât, Bugeaud, Bedeau, Ba roche, Dupin, Rénneat* Geoin,
deBroglie,Thier8, Bauchart,Mauguin, François Arago, Cavaignae.
Vers six heures et demie, et lorsque déjà la plupart des repré-
tentants avaient quitté l'Assemblée, una banda da 1 ,&ÛO hommes
environ se présenta de nouveau, entoura le palais aux cris 4e
vive h soûaiel vivt V amnistie! Fopoe fui pour dégager laa ave-
nues d'avoir encore recours 4 la cavalerie et quelques aireetations
durent être opérées.
Pendant que sa passait cet acte de profceotien plutôt que 4e
répression,quelques représentée U 4a la nouvelle Montagne prirent
à partie le vénérable présidant d'âge, lui reprochant d'inquiéter
la population parisienne en faisant garder laa abords du palais.
M. de Kératry répondit énergiquement par una approbation
complète des mesures prisas de concert avec -lui»
Ainsi se termina la première séanoa de l'Assemblée législa-
tive (1). La seconde devait dessiner plus nettement l'attitude
nouvelle de l'opposition. H. Kœnig vint d'abord se plaindre de
ce que le bureau, ayant fait distribuer un petit volume conte-
nant le règlement , n'eut pas fuit distribuer la Constitution. Or,
le petit volume contenait à la fois les deux documents et M. Ko&nig
provoqua l'hilarité générale en avouant qu'il ne l'avait pas mtee
ouvert. Mais alors s'éleva un incident plus grave. Un représentant
nouveau de la Montagne, M. Landolphe rédama contreFouM d'une
formalité selon lui essentielle, la proclamation officielle de la Répu-
blique. L'orateur prit sous sa protection las rassemblements delà
veille et fit un crime à l'autorité des masures qu'elle avait priées.
Puis, il proposa de réparerl'oubli par lui dénoncé et, an eri de vivt
laMpubliquel qui termina son discours» la Montagne répondit par
une acclamation unanime. L'immense majorité de l'Assemblée
demeura silencieuse et calme. Un membre nouveau du côté droit,
M. de Ségur d'Aguesieau , expliqua las motifs de celte attitude.
La majorité était disposée à s'associer de emur et d'intention an
(1) 28 mai.
LES PBfiMBRS JOURS DE LA LÉGISLATIVE. 900
*n t non provoquai mm eHe n* foulait p» 4* cette
tatioo lui parût imposée par une fraction de ses membrse, ta nom
de quelques milliers de faotieui et de curieux décorés du nom de
peuple. L'Assemblée , dit l'orateur, n'est pas pins dans une frae»
tioo de ses membres que le peuple n'est dans cette poignée d'agi»
taleura et d'oisjfe qui assiègent les placée publiques; l'Assemblée
est dans l'ensemble de see membres, de même que le vrai peuplé
est dans l'universalité des citoyens. Ces explications données»
l'Assemblée s'associa tout entière au cri de vive la Répnbliqm l
Mais ici se démasqua l'opinion vraie de la minorité* La Repu*
bliqne acclamée la veille sur la place de Bourgogne , ee n'était
pss la République de la Constitution , mais ceUe des ateliers
nationaux, du Luaembeurg, des journées de juin. Son vrai nom,
une voix seule laodama, celle de M. Landolphe, -c'était la Repu*
bliqne sociale. A oeçri, soixante voii environ répondirent Là
minorité se plaçait franchement en dehors de la Constitution*
M. de Kératry rappela à l'ordre M. Landolphe, malgré des protes-
tations violentes et dé regrettables menaces (29 mai).
La troisième séance fut plus orageuse encore et les mauvais
jours de l'Assemblée constituante se trouvèrent même dépassés,
La substitution au général Lebreton du général Forey dans la
commandement du palais de la Chambre fut l'occasion d'un non**
veau scandale. M. Chavoix affirma que le général Forey avait
refusé d'obéir i tout autre qu'à son supérieur dans la hiérarchie
militaire, il y avait là, dit l'orateur, un légitime sujet de défiance*
M. Ledru-Rollin appuya à son tour sur les inquiétudes de son
parti qui pouvait craindre de voir l'Assemblée violée par les forets
mêmes destinées à la défendre. A ce moment, l'orateur échange
avec vivacité quelques paroles avec le président de la Chambrai
puis* se retournant vers l'Assemblée, il s'écrie que la liberté de la
triton* est violée en sa personne par le doyen d'ige. Une inteiw
ruption entendue de M. Ledru-Rollio, mais non de la Chambre*
lai avait» en effet, été adressée par 11. de Kératry. a Les envahis-
neuf» de l'Assemblée* avait dit l'honorable doyen d'âge» ne
aani pas dans ne* rangs* ils sent parmi vos amis politiques, a
Flotte*!* fois» IL Ledru-Hollin répèle ces paroles au milieu dee
300 HISTOIRE DE FRANCE. (184».)
clameurs de la Montagne, puis, déclarant que la tribune n'est plus
libre, il renonce à la parole.
Alors commence une effroyable scène de tumulte. Quatre des
secrétaires provisoires montent & la tribune et déclarent qu'ils
quittent le bureau. M. Barrot veut parler. « 11 n'y a plus de bu*
reau , » crie la Montagne. Plusieurs représentants, désignés par
leur âge, montent au bureau pour y prendre les places devenues
vacantes. «r L'ancien bureau 1 » s'écrie une partie de la Chambre.
Au milieu de cette tempête, le vénérable président prononce
quelques mots par lesquels il déclare retirer ce que ses expres-
sions pouvaient avoir eu d'offensant. Cet acte de courage et de
vraie dignité ne désarme pas le tumulte. Alors paraît à la tribune
le maréchal Bugeaud qui, en quelques mots pleins de noblesse
et d'esprit de conciliation, rappelle à la majorité que c'est i die
de donner l'exemple de la modération. Le due d'Isly termine en.
demandant que l'ancien bureau soit rétabli. La proposition est
votée à l'unanimité et le calme se rétablit (30 mai).
C'est au milieu de ces agitations que l'Asseftblée procédait k
la vérification des pouvoirs. Plusieurs élections furent attaquées
comme entachées d'illégalité par la dépêche de M. le ministre de
l'Intérieur (Voyez plus haut, page 278). Quelques autres avaient
été faites, dans le sens de la minorité, sous la pression de busses
nouvelles, la prise de Vienne par les Hongrois, la mise en accusa*
tion et l'incarcération des minisures. L'Assemblée ne jugea pas
qu'il y eût dans ces faits divers, attribués à des opinions diffé-
rentes, un abus d'influence électorale* Signalons, d'un côté, la
réponse de M. Lacrosse, qui se félicita d'appartenir à une admi-
nistration à laquelle on n'avait à adresser que de semblables
reproches ; de l'autre, l'attitude d'un sergent de l'armée de ligne,
M. Rattier, qui, à l'occasion des élections du Nord, protesta
au nom de l'armée tout entière. M. le général Gourgaud releva
énergiquement cette étrange prétention.
* Une sorte de trêve semblait établie entre les partis qui divi-
saient l'Assemblée. On en profita pour constituer définitivement
le bureau. Trois candidats étaient proposés pour la présidence.
La réunion dite du Conseil d'État, représentant la fraction la
LES PREMIERS JOURS DE LA LÉGISLATIVE. 301
plus nombreuse de la Chancre, portait M. Dupin. Une autre réu-
qk>n, présidée par M. Dnfaure et qui formait le parti intermé-
diaire de la Chambre, avait adopté M. de Lamoricière. Enfin, le
parti monUMpUÊrd on parti rouge (4), comme if se désignait lui-
même; volait pour M. Ledro-Rollin. M. Dupin aîné obtint
336 suffrages, M. Ledru-Rollin 184, M. de Lamoricière 76. Le
nombre des votants était de 609, majorité absolue 505. M. Du-
pin atné fut donc proclamé président- de l'Assemblée législative.
134 voix, tel était le chiffre de la minorité socialiste. Ce chiffre
ne fut pas même atteint dans les élections pour la vice-prési-
dence. MM. Baroehe, Bedeau, Jules de Lasteyrie, Denis Benoist,
Desése et de Rocqueville furent élus vice-présidents; MM. Ar-
naud (de l'Ariége), Peupin, Lacaie, Chapot, Heckeren et Bérard
furent proclamés secrétaires:
Le bureau étant définitivement constitué, le Gouvernement put
faire connaître à l'Assemblée l'issue de la crise ministérielle qui
s'était ouverte avec la retraite de M. Léon Faucher. Un message
du président de la République informa la Chambre des modifi-
cations apportées dans la composition du cabinet. M. Odilon Bar-
rot restait au ministère de la Justice avec la présidence du con-
seil ; MM. Passy, Rulhières, de Palloui, Lacrosse et de Tracy
conservaient les portefeuilles des finances, de la guerre, de l'ins-
truction publique, des travaux publics et de la marine. M. Da-
laure était nommé ministre de PIntérieur; M. de Tocqueville,
ministre des Affaires étrangères, et M. Lanjuinais, ministre du
Commerce. Ce ministère nouveau, dont la composition indiquait
une pensée persistante de conciliation, fft accueilli par les mur-
mures de la gauche et par l'approbation de la majorité.
L'honorable représentant de la Nièvre reprit ensuite, après
douze ans d'intervalle, possession du fauteuil qu'il avait occupé
pendant sept sessions consécutives de l'ancienne Chambre des dé-
putés. M. Dupin débuta dans ses fonctions nouvelles par une courte
allocution dans laquelle, après avoir rappelé la gravité des devoirs
*
(!) Nous n'attachons, bien entendu, aucune intention malveillante à celte
désignation acceptée hautement, par l'organe de M. Savoye. Le mot t»t devenu
*» HISTOIRE DE FRANCK. (18*9.)
imposé* sa président et à l'Assemblée elle-même, il flt appela
l'union des grands pouvoirs de l'État. « Il n'y â qu'a» pouvoir t
A l'ordre! » s'écrièrent quelques membres de là Montagne.
M. Dupin renvoyé les interrupteurs à la Constitution et termina
par ces mots : « Que Dieu nous soit en aida 1 Vive la Répu-
blique! a (S juin).
La vérification des pouvoirs terminée sans autre incident que
la radiation de l'élection dVrn failli non réhabilité, H. Germain
Sarrot, l* Assemblée reçut communication do message du prési-
dent de la République contenant l'exposé de la situation gêné*
raie (6 Juin). Le mérite essentiel de ce document, c'était d'obéir
littéralement aux prescriptions de la Constitution, article 9t, en
traçant un tableau de la Franc» tout administratif, sans phrases
d'apparat comme en contenait trop souvent l'ancien discours offi-
cie). La situation politique» telle qu'elle était dépeinte dans le
message, n'avait sans doute rien de brillant. L'état de la France
et de l'Europe y était apprécié sans illusion. Lea difficultés poli-
tiques y étaient envisagées avec calme et franchise» L'expédition
àa Rome y était considérée avec le caractère que lui avait attri-
bué le Pouvoir, celui de la conciliation et de la prévoyance*
Questions politiques» administratives, économiques, financières,
diplomatiques et internationales, tout était compris dans ce pro-
gramme, avec plus de sobriété toutefois que dans les messages
difos de l'Union américaine. Les documents statistiques les plue
importants et les plus divers sur les ressources du pays, sur ï'ap»
née» la marine, l'instruction publique, les colonies, lea douanes,
les voies de communication , le commerce , l'industrie» l'agri-
culture et les travaux publics étaient réunis et classés dans ce
méthodique inventaire. Les réformes de tout genre, les améliora-
tions reconnues possibles dans Tordre moral et dans Tordre so-
cial, étaient annoncées dès à présent en attendant qu'elles fus-
sent proposées à la sanction de l'Assemblée nationale.
Le premier engagement sérieux entre lea partis, trouva son
occasion dans les événements extérieurs. Des interpellations de*
mandées par M. Ledru-Rollin sur l'Italie commencèrent, le 7 juin,
aoua tonne d'incident. La question romaine était entrée dans un*
phase nouvelle (Voyez pour les détails le chapitre Italie)» H* 4i
LES PREWE&S JOUftS DE LA LÉGISLATIVE. 303
avait cru devoir conclure avec te gouvernement de la
Républiqne romaine une convention* dont les termes dépassaient,
diaait~on , les instructions qu'il avait reçues. De là le rappel
du ministre plénipotentiaire français. Wk Emmanuel Arago et
M. Théodore Bae, demandèrent s'il était vrai qu'on se fit écarté
do la politique solennellement adoptée par F Assemblée consti-
tuante. M. Odilon Barrot, tout en déclarant que le Gouvernement
avait désavoué dos actes contraires à ses instructions, s'en référa
à la discussion prochaine. Bans l'intervalle, arrivèrent des nou-
velles annonçant la prise des positions de la villa Panftli, de
l'église 8an~Panemio, et des villa Yalentini et Corsini, ainsi qne
le passage do Ponte-Molle.
Le lundi, 44 juin, le débat s'engagea. L'attitude de l'Assem-
blée était grave et solennel!*. C'était plus qu'une discussion,
t'était uuo tau* extrême qui allait s'engager. M. Ledru-Rollin
s'écria qu'il n'avait point de discours à faire, qu'il ne voulait point
interpeller le Gouvernement, qu'il ne voulait point de phrases.
A quoi bon? Ne savait-on pas que Rome avait été attaquée, que
des combats acharnés avaient été livrés sous ses murs, que le
sang français et le sang romain avaient coulé à flots? Ne venait-on
pas d'apprendre par des correspondance» particulières et par les
joontftta do Mantille, qu'après deux jour» d'une lutte terrible,
la villa Panfili, deux fois prise et reprise, avait fini par rester aux
Romains; qu'une partie de notre cavalerie avait été écrasée par
les batteries des défenseurs de la cité ; que cinq mille Français
avaient été tués ou blessés, et que le général Oudinot avait dû
demander et obtenir des triumvirs un armistice de vingt-quatre
tairas pour l'enlèvement des morts? Or, cette agression, dirigée
contre la République romaine, n'avait-elle pas été condamnée â
t'avance par le vote do 7 mai, en vertu duquel le Gouvernement
avait été invité à prendre toutes les mesures nécessaires pour que
^expédition no fftt pas plus longtemps détournée de son but? Le
siège de Rome n'avait-il pas été ordonné contre la volonté souve-
raine de l'Assemblée constituante, et n'impliquait-il pas la viola-
tion de Partiele 54 de la Constitution? La Constitution n 'avait-elle
fa» été pins directement violée encore dans l'article 3 de son
préambule t Évidemment! il n*y avait sut ces deux pointe aucun
304 HISTOIRE DE FRANCE. (1&18.)
doute possible, partant, point dé discussion nécessaire ; la con-
duite du Gouvernement ne méritait qu'un acte d'accusation. Ce
disant, M. Ledru-Rollin déposa sur le bureau un acte d'accusa-
tion contre le président de la République et ses ministres*
M. le président du conseil commença par désavouer complète-
ment ces étranges nouvelles, réunies sans doute pour les besoins
de la mise en scène, et que démentait sur tous les pointa un ré-
cent rapport du général Oudinot, seul document officiel encore
connu. Puis, sf adressant à la Montagne, il demanda si les auteurs
de l'acte d'accusation avaient, avant de le déposer, pris avec eux-
mêmes, l'engagement solennel de rester dans la légalité; s'ils
n'avaient point déjà protesté par anticipation contre l'arrêt du
tribunal souverain, l'Assemblée législative, et si leur intention
était sincèrement de ne point cumuler la lutte légale avec la sédi-
tion. C'était là une allusion transparente au langage des journau
extrêmes. La Révolution démocratique et sociale, du 10 juin, avait
demandé la déchéance sans phrases du président de la République*
L'association démocratique des. Amis de la Constitution avait
lancé un manifeste dans lequel elle rappelait à chaque citoyen :
a Que le dépôt de la Constitution et des droits qu'elle consacre,
est confié à la garde et au patriotisme de tous les Français, »
Rengageant ensuite dans l'examen des faits qui avaient amené
la question d'Italie au point où elle se trouvait aujourd'hui,
M. Odilon Barrot expliqua par quel enchaînement de circonstan-
ces on avait été amené à attaquer des populations auxquelles os
ne voulait dans l'origine apporter que protection et liberté. Après
avoir rappelé la glorieuse initiative du Saint-Père pour la causa
de l'affranchissement et sa fuite après l'odieux assassinat de son
premier ministre, M. Odilon Barrot exposa la situation délicate
qui était faite à la France par l'attitude prise dès lors par les
puissances catholiques, par leur volonté d'intervenir; plus tard,
par l'anéantissement de la puissance piémontaise et par la réso-
lution que manifestait l'Autriche de profiter de sa victoire, d'é-
tendre son influence sur toute l'Italie et de poursuivre la restau*
ration du Saint-Père sans conditions. La France fut sommée do
déclarer ce qu'elle voulait faire. Devait-elle associer son action i
celle des autres puissances T Mais elle eût dénaturé son caractère
LES PREÉOERS JOURS DE Là LÉGISLATIVE.
propre et menti à «m origine. Bevait*elle s'abstenir? MaiseUe.se
serait abaissée, et, n on accusait maintenant le ministère d'avoir
agi, on l'eût également accusé d'à? oir laissé faire. il fallait donc
intervenir ; tout le monde ea comprenait la nécessité dans l'As-
semblée constituante. Cette intervention devait-elle aller jusqu'à
la solidarité des deux républiques? Le ministère s'y était haute*»
meut refusé et l'Assemblée avait adhéré A ce refus. Une propo-
sition n'avait pas même été formulée en ce sens, L'abstention
n'étant pas permise, et la reconnaissance étant refusée, que
restait^ L'intervention exclusivement française, l'action propre,
isolée, indépendante, La France était intervenue ; elle avait mar-
ché sur Rome, parce qu'il y avait un événement imminent, la
chute de la République romaine. On ne croyait pas qu'il y eftt
résistance.; mais, dans tous les cas, envoyait- on des soldats pour
en faire uniquement des spectateur» et des négociateurs ? N'était-il
pas d'ailleurs urgent d'arriver à Rome avant les Autrichiens, afin
de pouvoir concilier la restauration du pape avec les garanties de
progrès et de liberté? Le général Oudinot avait rencontré la guerre
qu'il ne cherchait pas; il avait été reçu à coups de fusil ; il s'était
retiré; mais ce lait grave avait dû nécessairement intervertir les
{apports. Cependant, le vote du 7 mai ayant été rendu par l'As-
semblée constituante, le Gouvernement consentit à jeter un voile
sur le douloureux échec du 30 avril. A ses yeux, et d'après les ex-
plications fournies à la tribune tant par le ministre des affaires
étrangères, M. Drouin de Lbuys, que par le rapporteur de la com-
mission^ M. Senard, ce vote du 7 mai signifiait qu'il fallait que
le Gouvernement épuisât les négociations et les moyens pacifi-
ques* On négocia donc de nouveau ; on. envoya à Rome M. de
Lesseps; on poussa le culte de la temporisation jusqu'à laisser
s'écouler un mois en pourparlers, et le. respect de l'armistice
jusqu'à laisser les Romains -envoyer des troupes contre l'armée
napolitaine. Or, après un mois de vaines tentatives, où en étak-
on ? à un traité rédigé par M. de Lesseps, qui avait été consenti
à titre d'ultimatum par le général Oudinot et qui fut repoussé
avec dédain par l'Assemblée constituante romaine. La mission
de H* de Lesseps était dès lors terminée ; il ne lui restait plus
qu'à l'annoncer au Gouvernement romain ; au Heu do cela, il
20
MS HISTOIRE DE FRANCE. (ift|9>)
conclut otie nouvelle convention avec le triumvirat * et dtne cette
convention, qui portail que noire armée était eonaidéféo ciwe
«ne armée alliée, venant concourir à la défense in territoire, il
laissa stipuler que nos troupes ne pourraient entre» à Rapt *t
qu'elles devraient ee contenter de cantonnements ettérima.
Cotte convention était inadmissible ; die défait être i ejetée par
1e ministère français i après l'échec dit 90 avril, l'entrée de ms
•oWatB dans Mme était une nécessité.
- Telles furent les explications donaéeearec une eahne IwMité
pat M. le président du conseil. Noue avons en du malheur en
Italie, ajouta-t-il avec une noble tristesse. Mous avons voulu em-
pêcher le Piémont d'aller au-devant de sa perte, il n'a pae voulu
nous entendre, et il a été écrasé; nous avons voulu arrêter la
guerre en Sicile, les Siciliens ne nous ont pas écoutés, et ils ont
succombé à leur tour. Aujourd'hui nous allons porter aux Ro-
mains notre protection, ils nous reçoivent à coups de fusil, et,
par une invincible fatalité, d'amis nous nous trouvons changés en
ennemis,
Sans doute il y avait en des fentes, mais des fautes commises
par tous les partis. Hais à quoi bon discuter? La question vérita-
ble n'était plus dans Rome, mais à Paris» A peine M. Baroet
avait-il quitté la tribune, que M, Ledru-Rellin s'y élance à son
(dur. Il fait à son point de vue l'historique de la question se-
maine. Mais sa parole devient à chaque instant plus ardente,
geste plus passionné. Il ne discute plus, il apostrophe avec
véhémence sans égale le ministère auquel il reproche d'avoir
front une tache de sang. M. le président du conseil sourit déd
gneusement : alors, emporté sans doute par sa violence plus kia
que sa pensée, M. Ledru-Rollin- s'écria : t La Constitution a été
violée : nous la défendrons par tons les moyens possiMos^ tt
même par les armes! s Aussitôt, un tumulte effroyable Adou
dans l'Assemblée. La majorité proteste avec énergie : F extrême
gauche se lève et adhère avec enthousiasme à la déclaration de
guerre civile qui vient de descendre de la tribune. H. Dapta re-
pousse avec fermeté cet appel à la violence révolutionnaire for-
mulé dans le sanctuaire même de la loi. M. Ledru-Rellin est de-
bout sur son banc. On le presse, on le pousse, et il* répète, a«
LES PREMIERS JOURS DE LA LÉGISLATIVE. 907
apffaidtteemeots dé la Montagne, cette phrase qui 11'étair peut*
êlre qu'une témérité involontaire échappée au bâtards 4e rim-
provigatùm. Alors h» général Bedeau se précipite à la tribune, et
Merle avec cbaleur qu'un* minorité n*a pas le droit d'opprimer
la votante da pays, et que, quant à lai, il se soumettra tocrjfttrs
à la votatté de fat représentation nationale. M. Mgurwd'Agaefr»
seau hrî succède; H renvoie à M. Ledru-Rotttn injure pour in-
jure, et dit que ht tacbe de sang- est an front de ceux qui pont-»
sent tout à la Ibis à la guerre civile et à la guerre étrangère. Il
propose en même temps un ordre du jour qui donne une com-
plète approbation uni mesures ordonnées par le Gouvernement
H. le président de 1* Assemblée se bâte de mettre l'ordre dn jour
sut voit ; maïs H. Emmanuel Arago réclame la continuation du
débat. Plus catare que beaucoup de dés collègues, il a peut-être
compris les nécessités d'une atténuation. Alors la voix de M. Tbiers
se bit entendre. « Le cri oraux armes! » a été poussé, dit-il; il
n'est plus dé la dignité de l'Assemblée de délibérer, a M. AragO
insiste; mais on comprend bientôt qu'après l'appel aux armes
il n'y a plus rien à dire, et, sur la proposition de M. («arabit,
Tordre du jour pur et simple est volé par 561 voix contre 903,
sur 564 votants (41 juin).
A l'appel aux armes si imprudemment hncé du baat de la tri*
buse législative, répondit, dans les rangs de la presse et du
parti socialiste, un cri général d'insurrection. Ce fut d'abord un
Manifeste de la Montagne qui en appelait au peuple de la majo-
rité parlementaire, et accusait la représentation nationale de
violer la Constitution. Une autre pièce portant pour signature :
les membres de la presse républicaine, les membres du comité
démocratique socialiste, donnait avis que cinq représentants
avaient été délégués par la Montagne pour aviser et ajoutait : Tort
les républicains se lèveront comme un seul homme. Une pro-
damfttion dite du écoks, annonçait que les écoles de Paris n'ai-
tendaient que U signri des représentants pour matchtr en munit.
A l'ouverture de la séance du 12 juin, M. Grandin produisit ees
appels à la guerre civile, et demanda & la gauche si elle avait si-
gné, si elle avouait ces manifestes étranges; au ministère
qeetiee masures ii avait prises pour protéger la paix pablty*.
308 HISTOIRE DE FRANCE. (1849.)
ML Ledru-Rollin resta silencieux sur ton banc. M. Pierre Le*
roui vint répondre* I! protesta contre tout appel à la violence,
protestation honorable pourxelui qui la faisait, mais qui n'en-
gageait en rien la fraction militante de son parti. M. Dotante
déclara que le Gouvernement était prêt à défendre la Constitu-
tion, qu'il comprenait ses devoirs, et qu'il saurait les remplir.
Cependant, M. Lacrosse, an nom do ministère, avait insisté
pour que la mise en accusation du président de la République
et des ministres fût immédiatement l'objet d'un rapport. Ce
rapport, présenté par M. Daru, conclut, à l'unanimité, au rejet
de la proposition. Un membre de la gauche réclame des pièces
pour éclairer rassemblée sur la véritable situation de la qu
tlofi italienne. M. de Tôcqueville répond que les pièces les pi
importantes ont été publiées par le Gouvernement, et annale
par un démenti formel les déplorables nouvelles si légèrement
acçneillie&la veille. 577 voit contré 7 décident'qu'on passera & fa
discussion sur la fond. La Montagne avait' demandé le scrutin de
division pour gagner du temps : elle s'abstient de prendre part
au vote. Alors est reproduite la demande de production de piè-
ces : M. Crémieux insiste; M. Ledru-Rollin, revenu à un langage
pacifique, atténue, amoindrit, sans les retirer, ses paroles de ta
veille ? lui aussi demande des informations nouvelles.
Alors M. Thtere s'empare de la tribune, et dans une apostro-
phe brûlante, il dit à M. Ledru-Rollin : a Comment I hier vom
étiez assez convaincu pour faire un appel aux armes, pour pro-
voquer l'insurrection et pour faire couler des torrents de* sang;
et aujourd'hui vous n'êtes pas assez éclairés, et, vous demandes
dtos papiers. »
M. Thiers avait dit de l'expédition de Rome : C'est la guerre
entre Pordre-et la démagogie. Vous employez, s'écrie M. Ledni-
RoHin, les mêmes paroles qui se trouvent dans le manifeste de
l'empereur de Russie : « Les prétendus amis de l'ordre sont les
tuméeêCùêaquês. d M. Thiers répond, et sa réponse est sa»*
gkote : « Le pays jugera entre nous*, il jugera si entre rtioame
qui a prononcé tes paroles que l'Assemblée a entendues hier et
les insurgés de juin, il n'y a pas une liaison intime. »
L'Assemblée s'émeut à ces vives paroles, on y voit presque
LES PREMIERS JOURS DE LA LÉGISLATIVE. 309
mie prophétie et on comprend le danger qui phrae sot le pays.
En fain, M. Félix Pyat, rappelé plusieurs fois à Tordre pour ses
interruptions violentes, cherche à attirer l'attention par un ser-
ment dramatique : en vain jure-t-il sur le eadavre de se$ frères
que la Constitution est violée et somme*t»il if. Thiera de profé-
rer un serment semblable, M. Thters se préoccupe médiocre-
ment de cette injonction bisarre et l'Assemblée consultée repousse,
à la majorité de 377 voix contre 8 , la proposition de . mise en
accusation (l). Cette fois encore , la Montagne s'était abstenue
(12 juin)*
Cependant Paris restait sourd au excitations : la choléra se*
vissait, et, qnelqoes jours auparavant» P Assemblée avait perdu,
coup snr coup, plusieurs de ses membres. Le phis illustre capi-
taine que possédât la France , le maréchal Bugeaud , venait de
succomber, et sa mort, si douloureuse en toute autre circonstance,
empruntait aux dangers qui menaçaient le pays le caractère d'un
malheur public. A ces tristes nouvelles s'ajoutait l'inquiétude
causée par les menaces des partis extrêmes à l'intérieur : à l'exté-
rieur surgissaient de graves complications. Aux portes de la
France, l'insurrection levait son étendard dans le grand duché
de Bade et dans le Palatinat. Les chefs de ia réiottc ne cachaient
pas leurs sympathies peur les. théories sociales enfantées par la
philosophie allemande. Ils étaient en correspondance active, en
entente complète avec les chefs de le démagogie française. A la
tribune de la Constituante badoise, M. Brentano annonçait
hautement une insurrection victorieuse à Paris. Mais une armée
prussienne s'avançait pour balayer ces bandes de pillards *td'*e-
aaenns qui, au nom du peuplé allemand, venaient de prodamer
la République. En Hongrie, l'Autriche appelait à son secours
l'intervention du csar, et déjà les baïonnettes de Famée russe se
massaient sur la frontière de la GaHicie. A Rome, Mariai aftsnj-
dait , disait-il , de Paris de* nouvelles consolante, fii le désordre
était partout en Europe, la répression s'annonçait partout et tout
faisait prévoit qu'elle aérait irrésistible. Aussi , malgré le senti-
ment de malaise que causent toujours tes agitations politiques, la
(1) 376 voix éfaûtat néesitaifw p«r qm k senti* fat valVé.
MO HISTOIRE DE FRANGE. (1849.)
société française ne fr'eftrayeit-elle pu outre mesure der pénis
qui la menaçaient. Lahausse des fond? publics correspondait à là
ferme altitude eu Gouvernement et de la majorité nouvelle. Les
chefs intelligents de la minorité pouvaient-ils ignorer ces dispos
«liions? Non , sans doute • : maïs il est des forcée impérieuses et
secrètes qui poussent en avant les hommes les plus sages > du jour
ot ils ont accepté la direction des partis extrêmes. Us croient Poen-
mander ; ils ne font qu'obéir. Dans l'ombre de ces partis s'agitent
les chefe véritables, et ceux-là sont toujours les plus violente*
L'arme ordinaire des démagogies , les sociétés secrètes , artue
puissante, mais souvent terrible à ceux qui la maniant» n*a-
vait pas été abandonnée à l'époque où la France essafa ém
euffoge universel* A côté des anciennes sociétés qui fonction*»
naient toujours, s'étaient élevées des sociétés nouvelles, entre
autres la Solidarité républicaine, dont le but était d'organiser»
en vue d'une lutte, le parti démocratique et social. Des
lés de département, ; d'arrondissement, de canton, étaient
de porter par toute la France, à tous les degrés de la circonscrip-
tion administrative, la direction et la surveillance d'un comité
central présidé par M, Martin Bernard, représentant du peuple,
et ayant pour secrétaire' général M. DeUscluze* Dans ce conseil
général figuraient Ml. Ledru-Roliin , Fargin~FayoUe, De ville,
tiembon, Félix Pyat, représentants du peuple.
Préparer une immense violation de la Constitution pour le
four oè une insurrection serait possible, et cependant s'abriter
derrière nette Constitution , la déclarer .violée i chaque essai de
Gouvernement ou de l'Assemblée pour résister aux efforts soe*
terrains de l'association, tel fut le plan habile de la Sokdariêé
réfmbUcmne. A partir de ce moment, l'action de la société ae faii
aenlk sur les cbefc du parti. Le 16 janvier, le Gouvernement paa.
poee ne préfet de loi sur les clubs qui redoublent de îMtnoe z
le tf , par une entente manifeste, cinq jeurnaai socialistes et eee
délégation desclubsdemandcot la mise en accusation de minif tàea »
proposition formulée le même jour à l'Assemblée, par M« liiiier
RoÛn« De là le mouvement erorlé du 19 janvier.
L'approche des élections générales avait donné une nouvelle
énergie à la propagande i4rolarteaaatf». Ha séante dtoosanlàqae
LES PREMERS JOURS DE IA LÉGtStATIVE. 4i|
socialiste s'était organisé» Ses «ambres, entre entres l'abbé
Mentlonis ai Chipron, excitaient les représentants à i'uuuriw
tien, gonmmdaient leur tiédeur, échauffaient leur sèla* Lee
élections terminées, le comité ne désarmait pas : il confiait sas
pouvoirs k une commission intérimaire, dite des vingfecinf»
Enfin, subordonné à l'action du comité démocratique socialiste*
as comité de la presse sans organisation fixe se tenait prêt à lent
événement* Ces centre* divers, mais solidaires» étaient secondés
encore par un bureau de propagande établi par un M. Jean Maçé :
ce bureau s'était donné pour mission la distribution d'écrits
socialistes et d'appels révolutionnaires dans les villages et dans
les casernes.
(Test cette redoutable oiganisation qui choisit pour son prétexte
la question romaine. Un soldat indiscipliné de la presse socialiste*
MrProndbon, accusé de timidité par ses amis, révéla ce plan
avec une mauvaise bumeur imprudente, a Ce qu'il leur fout, s
dit-il en répondant à un article de la Révolution démocratique et
sociale qui engageait l'attaque sur ce nouveau terrain, a ce qu'il
leur faut, c'est une perpétuelle et fatiguante agitation qui, écla-
tant tout à coup, se termine par la création d'un comité de salut
public, où certains patriotes trouvent une occupation digne de
leur génie. Voilà ce qu'entendent ces messieurs par traditioti
de 95. Eh bien ! que la Révolution démocratique et sociale soit
satisfaite : ce qu'elle veut, elle l'aura... Certains signes nous aver-
tissent que notre belle patrie doit bientôt recevoir une petite vi-
site de la Providence, comme dit la Bible. Le peuple a soif d'ei~
péfience ; la bourgeoisie veut qu'on lui force la main, il faut 1
cette race blasée un mardi gras révolutionnaire de $iœ mois* .»
Le 2 juin, un membre 4e la commission des vingt-cinq,
M ♦ Àhfcê Battue, annonçait hautement, dans un club, que les
cfaefs étaient dan* le comité démocratique socialiste et parmi tel
kemtocs de la presse et de ia Montagne j que le peuple démit
Mrim les ftesufts prises par eux et s'ébranler comme un tcn|
homme* L'itsuirootion était annoncée. Le 4 joinv la demande
é'iaterpeUationfl frite par M. Ledra-RoUin correspondait avec
la reprise de proposition de mise en accusation du président,
avec les menace* de déebéaiwe faite* par les organes <ta eepai-
312 HISTOIRE DE FRANCE. (1849.)
lés. Le 7 jtifo, le journal de M. Delescluse, secrétaire- général de
la Solidarité républicaine, disait : « Bientôt la Montagne mira
Foccasion de parler au peuple, au nom de la Constitution vio~
fée... que tous les démocrates socialistes s'apprêtent à payer lenr
dette à la patrie et à l'humanité, d Le 9, le 40 juin, les clubs
surexcités redoublaient de violence. Dans un banquet des socia-
listes du Das-Rttin, on portait un toast au choléra, qui a emporté
le maréchal Bùgêaud, et on déclarait la patrie en danger.
Une active correspondance existait entre les démagogues de
Rome et les socialistes français : ce Nous attendons, écrivait-on,
quelque fait de Pans qui change d'un seul coup la tournure de
nos affaires (1). » Ainsi, par une lactique habile, tandis qu'à
Paris on se faisait un prétexte de l'expédition d'Italie pour
faire éclater un mouvement insurrectionnel, à Rome on ne pro-
longeait, par l'oppression et la dictature, Une résistance sans es-
poir et sans but, qu'en promettant le secours d'une insurrection
parisienne.
Le 10 juin, une commission de la société des Droits de
l'homme décide la permanence pour le 11, et cinq membres
sont chargés de se rendre chez divers'repréeentants de la Monta-
gne, a afin de savoir quelle sera leur conduite si la mise en ac-
cusation n'est pas votée. »
C'est ainsi qu'un pouvoir occulté avait conduit l'opinion dé-
mocratique avancée jusqu'à cet appel aux armes lancé, le i 1 juin,
du haut de la tribune, atténué le 12, mais accepté sans rétracta-
tion par la presse socialiste. Les chefs parlementaires du socia-
lisme ne s'appartenaient plus : il leur fallait marcher en avant ou
tomber.
A la suite du vote du 12 juin, la Montagne se rendît dans les
bureaux de la Démocratie pacifique. Là se trouvaient aussi les
membres de la commission des vingt-cinq et du comité de la
presse, ainsi que quelques délégués du Luxembourg. MM» Ledrn-
Rollin, Considérant et Félix Pyat rédigèrent une proclamation
m nom de la Montagne, et on convint d'y apposer les nsms te
(1) RecoeU éê pfecu du protêt dtototo», c. 990, 10S0.
LES PREMIERS JOURS DE LA LÉGISLATIVE. 313
signataires d'une adresse à la démocratie allemande, insérée
dans les journaux de la veille. Cette pièce était conçue en ces
termes :
AU PEUPLE rBAHÇAia.
. Le peuple seul est souverain.
Les délégués <Ju peuple, quels qu'ils soient, le président de#la République,
les ministres, les représentants eui-mémes, ne reçoivent et ne conservent leur
mandat qu'à la condition d'obéir à la Constitution.
• Quand ils la violent, leur mandat est brisé.
La Constitution dispose : « Article 54. Le président de la République
» Teille » la défense de l'État; mais il ne peut entreprendre aucune guerre sans
» le consentement de l'Assemblée nationale. »
Article 5 du préambule : « La République française respecte les nation»*
■ lités étrangères comme elle entend faire respecter la sienne; n'entreprend
» aucune guerre dans des rues de conquêtes, et n'emploie jamais ses forces
» contre la liberté d'aucun peuple. »
Or, le président de la République a déclaré la guerre à Rome sans le consen-
tement de l'Assemblée nationale.
Bien plus, au mépris du décret de l'Assemblée, du 7 mai, il a continué de
faire verser le sang français.
Enfin, il a employé les forces de la France contre la liberté du peuple ro-
Cette double violation de la Constitution est éclatante comme la lumière du
soiei].
Les représentants du peuple soussignés ont fait appel à la conscience
de leurs collègues en leur proposant la mise en accusation du pouvoir exé-
cutif.
La majorité de l'Assemblée a rejeté l'acte d'accusation ; elle s'était déjàreo*
due complice du crimejpar son vote du 1 1 , sur les affaires d'Italie.
Dans cette conjoncture, que doit faire la minorité?
Après avoir protesté à la tribune, elle n'a plus qu'à rappeler au peuple, à la
garde nationale, à l'armée, que 1'artide 110 confie le dépôt deda Constitution
et des droits qu'eUe consacre à la garde et au .patriotisme de tous les Fran*
çais.
Peuple, le moment est suprême I Tous ces actes révèlent un grand système
de conspiration monarchique contre la République. La haine de la démocratie,
mal dissimulée sur les bords de la Seine, éclate en toute liberté sur les bords do
Tibre.
Dans cette lutte engagée entre les peuples et les rois, le pouvoir s'est rangé
du cété des rois contre les peuples.
Soldats, vous comptiez arracher l'Italie am Autrichiens ; on vous condamne
à seconder les Autrichiens dans l'asservissement de l'Italie.
Au moment où la Prusse, la Russie et l'Autriche menacent vos frontières de
FEst, on vent faire de vous les auxiliaires des ennemis de la France.
314 HISTOIRE DE FlUJKiE. (lMfl.)
Garde* nationaux, ions êtes les défenseurs de l'ordre et delà liberté» I4 li-
berté et Tordre, c'est la Constitution, c'est la République.
Rallions-nous donc tons aux cris de : Vive la Constitution ! Vive la Ré*
publique I
Avril (de llsère), Anstett (do Bas-Rhin), Arnand (du Var), Bac (de la
Haute-Vienne), Banne (de ia Loire), Benoit (dn Rhône), Bertholon (de Plsère),
Brives (de l'Hérault), Bru y s (de Saône-et-Loire), Breymand (de la Hante-Loire),
Beyer (do Bas-Rhin), Bandsept (dn Bas-Rhin), Boch (du Bas-Rhin), Baudin (de
l'Ain), Bard (de Saône-et-Loire), Boysset (de Saône et-Loire), Boichot (de la
Seine), Aristide* Bouvet (de l'Ain), Burgard (du Haut-Rhin)* Cholat (de Pl-
sère), Commissaire (du Bas-Rhin), Considérant (de la Seine), Cantagrel (de
Loir-et-Cher), Cassai (dn Haut-Rhin), Crestin (du Jura), Chouvy (de la Hante-
Loire), Cbevelon (de la Haute-Loire), Coinbier (de l'Ardèche), Clément (de Pl-
sère), Delbetz (de la Dordogne), Détours (de Tarn-et-Garonne), Deville (des
Hautes-Pyrénées), James Demontry (de la Côte-d'Or), Dontre (dn Rhône),
Dulac (de la Dordogne), Duché (de la Loire), Délavai lade (de la Creuse), Derriey
(du Jura), Marc Dufraisse (de la Dordogne), Duputz (du Gers), Dussoubs (delà
Haute-Vienne), Daniel Lamazière (de la Haute- Vienne), Ennery (du Bas-Rhin),
Fargin-Fayolle (de l'Allier), Fond (du Rhône), Faure (dn Rhône), Fawtier (da
Haut-Rhin), Frémond (de l'Ain), Gambon (de la Nièvre), Gastier (de la Nièvre),
Gilland (de Seine-et-Marne), Gendrier (de Saône-et-Loire), Greppo (dn Rhône),
Heitsmann (de Saône-et-Loire), Hofer (dn Haut-Rhin), Jannot (de Saône-et-
Loire), Jehl (du Bas-Rhin), Joigneaux (de la Côte-d'Or), Jollivct (de la Dor-
dogne), Kcenig (dn Bas-Rhin), Kopp (du Bas-Rhin), Labronsse (du Lot), La-
claodure (de la Hante-Vienne), Lafon (du Lot), Lamarqne (de la Dordogne),
Lamennais (de la Seine), Landolphe (de Saône-et-Loire), Lasteyras (dn Puy-
de-Dôme), Lavergne (dn Tarn), Ledrn-Rollin (dé la Seine), Louriou (du Cher),
Madet (de l'Allier), Malardier (de la Nièvre), Martin-Bernard (de la Loire),
P. Mathé (de l'Allier), Mathieu (de la Drôme), Menand (de Saône-et-Loire),
Michel de Bourges (du Cher), Michot (dn Loiret), Mie {de la Dordogne), Miol
(de la Nièvre), Monnier (de la Haute-Loire), Morellet (du Rhône), Mornarx
Monleubeck (dn Haut-Rhin), Nadaud (de ia Creuse), Pelletier (dn Rfaône),
Perdigvîer (de la Seine), Pflieger(do Hant-Rhin), Pilhe* (de PAriége), Pons-
tande (de l'Ariége), Félix Pyat (dn Cher), Raconchot (de Saône-et-Loire),
Rantian (de PAlHer), Rattier (de la Seine), Richard (da Cantal), Richardet
(du Jura), Rifafldie (de la Dordogne), Hobert (de l'Yonne), Rochot (de »
Nièvre), Rolland (de Saône-et-Loire), Renjet (de Wsère), RotelK Mot)* (de
l'Ain), Rouaix (de l'Ariége), Rouet (de la Nièvre), Roogeot (de Saône-et*
Loire), Roussel (de l'Ain), Saînt-Féréol (de la Haute-Loire), Salmon (de la
Medrtbe), Sartin (de PAIlier), Savatler-Leroche (de PYonne), Savoy é (di
Bant-ftnin), Slgnard (delà Haule^Saône), Sommier (d* Jura), Suchet (dn Yar),
Terrier (de l'Allier), Testelin (dn Nord), Vautbier (dn Cher), Vignes (de PA-
riége), Yiguier (dn Cher), Brnckncr (du Haut-Rhin), Pierre Lefrane (des Py-
rénées-Orientales).
A la 8ui(* dg ;eJt* pradpa^ipp tfevait parçjtre, k tatfAMiig
LES PBSMBKS I0UB3 DE LA LÉGISLATIVE. «15
cette attn pièce qui répétait raccord des totem atti attes de le 44»
OtOcratie socialiste :
Le président de la RepobHque et let ministres sont bots h Ctasjita>
La partie de F Assemblée qui s'est rendue leur complice par son vote s'est mise
bon la Constitution.
La garde nationale te lève!
Let ateliers se ferment !
Que nos frères de Tannée se souviennent qu'ils sont citoyens, et que, comme
tels, le premier de lenrs devoirs eet de défendre la Constitution.
Que le peuple entier soit debout !
VIVE LA RÉPUBLIQUE!
VIVE LA CONSTITUTION!
Le Comité de la preste républicaine*
Le Comité démocràtique-êocialùte.
Lee déléguée du Luxembourg*
Le Comité dee Écolee, etc.
On s'occupait en même tempe des moyens matériels. Une
commission de délégués de la 5* légion, présidée par un capitaine
de la 3* batterie d'artillerie, organisait les préparatifs et les con-
vocations d'une manifestation pour le lendemain 13. Sous pré-
texté d'une réunion électorale, cette commission attendait les
ordres que devaient loi transmettre les représentants de la Mon-
tagne. Un appel à la garde nationale sortait, le 43 au matin, de
cette commission dite executive permanente. On y engageait
toutes les légions à se réunir à onze heures, au Château-d'Eau,
en face de la mairie du 5* arrondissement. On se rendrait là, en
tenue y sans aucune arme, et on se transporterait à l'Assemblée,
afin de lui rappeler le respect dû 4 la Constitution rdont la défense
est confiée au patriotisme de tous les, citoyens. C'était là, on le
voit, la reproduction exacte de la manifestation pacifique du 15
mai 4 848. Et cependant on savait que l'Assemblée législative ne
devait pas avoir de séance le 43.
Si l'on ajoutait i ces dispositions de la démocratie militante
les éléments non veaux de trouble matériel, les graciés de Cher-
ftft HISTOIRE DE FRANGE, (l«t.)
foule augmenta bientôt rapidement. Bcanoonp dtobifc attirés f»
l'annonce d'une manifestation, un certain nombre de citoyens
convaincus que la Constitution a été violée, les soldats ordinaire!
de tout désordre public, quel qu'en soit le préteite, enfin les ini-
tiés moins, nombreux, mais plus à craindre, tel était le personnel
de cette multitude croissante* A onze heures, M. Lacrosse, mi-
nistre des Travaux publics, passant sur le boulevard, suivi d'une
ordonnance, est reconnu et entouré* On veut le contraindre i
crier : Vive la République romaine! à bas le président! 11 crie :
Vive la République française ! vive le président! On saisit la brida
de son cheval : un homme lui crie : « Vous venes voir si c'est
une émeute; c'est une révolution : votre président et vous, vous
irez à Yincennes. x> Aux menaces succédèrent les violences, êtes
n'est qu'à grand'peine, les habits déchirés, qu'avec le secours de
M. Cent, ancien représentant de la gauche, que M. le ministre
parvient à échapper à ces foreurs. A quelques pas de là, den et-
Aciers d'état-major de la garde nationale sont assaillis et la*
s^tés,
Autour du Chiteau-d'Ean, la eotonae.se forme, Mioritds:
Vive la République romaine! vive la Constitution! vive Ratpail!
«tv# la Montagne! d bas les traîtres! Ces cris divers correspon-
dent aux nuances diverses d'opinions et d'intentions réunies.
M. Mon* Arago arme en uniforme de chef de bataillon de la
garde nationale ; c'est lui qw organise et dirige la colonne. Tous
ses efforts tendent à lui conserver une attitude pacifique.
Enfin, la colonne s'ébranle; 6,000 hommes, selon les uns,
$0,000 selon les autres, s'échelonnent sur la chaussée du boule-
vard. Dans le trajet, quelques enfants perdus de la manifestation
sHurrttent devant le poste du boulevard Bonne*NoiifeUe, et le
comment de rendre ses armes. Le sergent Terré, du 18» léger,
déconcerte par sa ferme contenance le groupe qui lui adresse
tette sommation. Sur le passage de la colonne, la foule est non*
brense. Elle parait plutôt curieuse qu'inquiète, et ne partage pas
l'enthousiasme qui semble animer la protestation qui s'avance.
La tète de la manifestation venait de dépasser la rue de la Paix
Am la direction de la Madeleine : vers une heure, le général
Ot ebef Chengarnier était arrivé dene^oetèerue, snhé 4*hm Iriffe
PARIS ET LYON, 13 ET *3 KJ1N. ftt
«•tome de geadarmes mobile», de dragon* et de «haneafi à
pied. A peine la manifestation a-t-elle passé devant le général,
i|ae les (soupes débouchent sur le boulevard, coupent e» dou* la
manifestation faisant faee à droite et à gauche à l'attroupement.
Lea sommation* sont fartes et les divers corps s'élancent. Des
chargea vigoureuses refoulent de la chaussée et de la contre-allée
dta boulevards la masse qui se reforme en fhvant par groupes
compacts, Quelques exaltés se jetèrent à genoux devant les sol-
dats, en criant : a Tireres-vous sur vos frères 1 » La troupe ne
tire pas, mais s'avance toujours, poussant en avant, sans violen-
ces, ceux qui toi font obstacle. Alors la manifestation se débande
dans tontes lés directions ? des cris isolés : Auw armes! se font
entendre; des pierres sont lancées sur la trotrpe. Au coin de la
nie de la Chaussée-d'Antin, un coup de pistolet part, un chasseur
eet frappé d'un coup de poignard et blesse lui-même dangereuse-
ment l'agresseur. Quelques hommes cherchent à brûler la devan-
ture d'un armurier, quelques tentatives de barricades sont es-
sayées, des voitures sont renversées, des chaises accumulée*, des
pavés remués : mais la rapidité des mouvements de ta troupe
déconcerte Pémeute naissante.
Dispersée sur lea boulevards, la manifestation se répand dans
les rues, au cri de : Vive la Constitution! Aux armes! Mais tous
les éléments étrangers ont disparu : le noyau seul est resté, sin-
gulièrement amoindri. Déjà les troupes ont fait halte à la Porte
Saint-Denis, et ré meute ne se fait plus reconnaître que par des
désarmements de gardes nationaux isolés, et par quelques Coups
de feu tirés* sans résultat, sur l'état- major du général en chef,
pas des hommes postés dans la petite rue Notre-Dame-dé-Bonne-
Monvetle.
Cependant les représentants de la Montagne se réunissaient
ras du Hasard, numéro 5, et l'artillerie de la garde nationale à
son état-major, au Palais-National. On comptait sur l'assistance
armée de Fartilierie tout entière, et ce corps, si distingué par son
«Mirage dans les journées de juin 1848, était l'espérance la plus
avouée de la démocratie militante. La légion se composait de
12 à 1,500 hommes : 300 environ se trouvèrent au rendez-vofflr.
Là, une sorte de revue fut passée. M. Ledru-ftollin et quelques
330 HISTOIRE DE FRANCE. (1849.)
antres représentants y assistaient. Déjà la nouvelle de la disper-
sion des pétitionnaires était arrivée, la maison de la rue du Hasard
avait été évacuée et un rendez-vous nouveau indiqué au Conser-
vatoire des Arts-et-Métiers. Malgré le contre-ordre eipédié an
colonel Guinard par l'état- major général, les artilleurs présents
se forment en colonne* M. Guinard leur fait une allocution qui se
termine par ces mots : « Que ceux qui partagent mes opinions me
suivent, que les autres se retirent. » Quelques armes sont char-
gées et on part aux cris de : Vive la République romaine ! Vive la
Constitution ! Jurons de défendre la Montagne ! Plusieurs repré-
sentants, entre autres MM. Ledru-Rollin, Boichot, Rallier, Gara-
bon, marchent en tête de la colonne. Déjà une moitié des artil-
leurs a disparu : des hommes en blouse se joignent au cortège.
De temps à autre, sur le chemin, le cri : Aux armes! est proféré
par les artilleurs. La population des rues parcourues ne répond
pas à ces cris-: elle est calme, étonnée, indignée.
On arrive au Conservatoire. Ce n'était pas sans raison que es
local avait été choisi. Depuis le 29 janvier, c'était là, pour l'in-
surrection, le centre naturel de réunion et de défense. Les molifc
de cette résolution s'expliquent par l'attitude prise, à cette époque,
par le colonel de la 6e légion, et par l'idée erronée qu'on se fai-
sait des dispositions de la légion tout entière.
Un poste de quinze voltigeurs du !«■ léger était établi à ren-
trée du Conservatoire dont la grille était ouverte. La colonne se
présente devant ces hommes, et M. Ratlier les somme de livrer
leurs cartouches, en s'annonçaut comme le représentant de l'ar-
mée. Le sergent s'y refuse, et le poste, trop peu nombreux pour
s'opposer à une invasion, se .retire dans une cour intérieure, ma*
sans rendre ses armes. M. Ledru-Rollin se présente au directes*
du Conservatoire, M. Pouillet, et l'invite à mettre à sa disposition
une des salles de l'établissement. Cette invitation équivalait à un
ordre. Une partie des envahisseurs se forme en commission et dé-
libère dans Tune des salles, tandis que l'autre organise un service
de sentinelles i l'intérieur et à l'extérieur. Trois barricades sont
commencées à l'intérieur, une quatrième s'élève dans la rue
Saint-Martin.
Que fait-on dans la salle des filatures, où les représentants dé-
PARIS ET LYON. 321
libèrent? On s'agite, on s'inquiète, on propose des mesures,
surtout on attend. On attend les masses insurrectionnelles, on
attend le peuple : rien ne parait. On attend H. Forestier et sa
6e légion qui doit couvrir le Conservatoire : M, Forestier ne paraît
pas. Un représentant, M. Suchet (du Var), se détache avec un
trompette artilleur et va chercher le colonel à la mairie : on ar-
rête les deux émissaires. Quelques hommes se portent rue Saint*
Denis et cherchent i entraîner un posté de gardes nationaux ; un
représentant, M. Beyer, est ileur tête; on l'arrête. Vers trots
heures, une proclamation *est lancée ; elle est ainsi conçue :
AD PKCPLI,
A LA GASPI NATIONALE,
A L'Aaitl!
« La Constitution est violée! Le peuple se lève pour 1a défendre. La Mon«
àmx ofMet/ Aux arwit» /
Vite la République Vive la Constitution!
Au Conservatoire des Arti et Métiers, le 13 juin, à deux heures.
Les rtprétetUanli dé la Montagn* :
Suivent les signatures des absents comme des présents.
Mais cette proclamation ne peut être affichée ; quelques exem-
plaires seulement sont arrachés ou saisis. Une compagnie de la
6* légion, cet autre espoir du mouvement, occupe la rue du Pon-
ceau ; elle est commandée par les capitaines Goubeau et Duputs.
Un garde à cheval vient l'avertir en toute hâte qu'une barricade
se construit rue Saint-Martin. Aussitôt elle part et arrive par le
passage Au Cheval-Rouge. Les artilleurs placés derrière la barri*
cade mettent fa crosse en l'air; les gardes nationaux leur crient
de défaire la barricade. Mais les fusils sont tournés contre la com-
pagnie Goubeau : une décharge a Heu et les artilleurs se replient
sur la grille du Conservatoire. Qui a tiré le premier? les débats
n'éehîrciitrat peut-être pas suffisamment ce point; mais de quelque
aiS HISTOIRE DE FRANGE. (1849.)
côté que soit parti le premier feu, qui est derrière âne barricade
ne peut être qu'un ennemi de l'ordre publie. C'est ce qu'a pensé
le capitaine Goubeau, qui fait battre la charge et lance sa compa-
gnie la baïonnette en avant. Une seconde et plus forte décharge
part du côté de la grille. D'autres coups de feo sont tirés de la nie
Crénelât par un groupe d'hommes en blouse et d'artilleurs. Per-
sonne n'est atteint. Le bruit de ces décharges amène du boule-
vard, au pas de course, quatre compagnies du 62e de ligne,
commandées par le chef de bataillon. Gelly de Montcla. Le géné-
ral L. Cavaignac et le colonel du 62' de ligne accompagnent cette
colonne qui franchit la barricade. Les artilleurs se précipitent
dans le Conservatoire dont ils essayent de refermer et de défendre
la grille ; mais une compagnie force eette résistance et pénètre
dans les cours : a Toilà la ligne ! p s'écrient le* artilleurs. La
déroute est déjà complète : par toutes les issues s'échappent les
défenseurs du .Conservatoire. Le lieutenant Castelbon arrive à la
salle des ûlatures : tous ceux qui s'y trouvent, représentants et
artilleurs, se précipitent dans le jardin par les fenêtres, par les
toits. M. Ledru-Rollin gagne le jardin en passant par un vasistas.
Les fuyards arrivent ainsi dans la rue Vaucanson, d'autres s'é-
chappent par une porte donnant sur le marché Saint-Martin.
En même temps, le colonel d'Alphonse lançait une compagnie
de voltigeurs contre trois barricades élevées dans les rues Jean-
Robert et Transnonain : après avoir reçu trois décharges sans
riposter, cette troupe s'emparait des barricades dans lesquelles
quatre insurgés tombaient morts et plusieurs blessés. Une autre
barricade avait été élevée rue Frépillon : le général Cornemuse
la faisait attaquer par une compagnie de grenadiers du 2i« de
ligue. Malgré un feu très-vif de mousqueterie dirigé des maisons
voisines, la troupe dispersait les émeutiers qui perdaient encore
trois des leurs dans le combat.
Au reste, si un instant on avait pu ignorer où était le quartier
général de Insurrection, les mesures étaient tellement prises par
le général en chef qu'aucune résistance sérieuse n'avait été pas-
sible. Ce quartier dans lequel, autrefois, l'insurrection s'était
trouvée maîtresse, était enveloppé comme dans un réseau de
baïonnettes, il en était de mémo de la ville tout entitee. Pendant
PAJltf m LYON. $&
qu'une barrière infranchissable liait établie sur 1* ligne des hau-
jevards, tpytea les positions importantes de Paris sur les deux
rites de la Seipe étaient occupées. Sur tout le pourtour de Paris,
les têtes de ligue des chemins de fer étaient mises à l'abri de loutç
insulte. Aucun symptôme d'insurrection ne se manifestait sur la.
rive gauche, et cependant,, là aussi la répression était prêle. Un
incident sans importance prouva la nécessité de ces mesures. Le
général Sauboul, insultésurJa place St-Sulpice par quelques gardes
nationaux de la 1 le légion, dut faire arrêter le colonel Pascal-
A'rnsj était terminée uup journée qui eût pu être funeste sans
l'admirable attitude de cette armée qu'on disait socialiste, sans le
calme profond de l'immense majorité de la population. L'avortè-
rent de lfl révolte avajt été sj complet qu'on pouvait s'étonner de
voir que deshommes d'une incontestable valeur politique,se fussent
laissés acculer ainsi dans une impasse. L'impuissance des chefs
à conduire leurs partisans, l'incertitude des uns, la défection des
autre», l'impatience de ceux-ci, les illusions de ceux-là, tout avait
contribué à amoindrir le mouvement, à diminuer le personnel de
l'insurrection. Ce qui éclatait surtout dans les actes, dans les leU
très des envahisseurs du Conservatoire, c'était l'ignorance pro-
fonde de l'état vrai des choses, de l'opinion publique. Tous se
croyaient entourés d'une immense révolte. Pour eux, Paris était
en feu : le peuple se levait de toutes parts, tandis qu'ils étaient
prisonniers sans le savoir.
A la permanence insurrectionnelle des Arts-et-ijé tiers, l'As*
semblée législative avait opposé la permanence légale. M. Ûdjlon
ftarrot avait, à deux heures et demie, réclamé cette mesure.
M. Dufaure demandait, en même temps, une délibération immé-
diate sur La mise en état de siège. Malgré l'opposition de M. La-
grange, une commission présentait à cinq heures et demie, par
l'organe de M. Gustave de Reaumont, un rapport concluant à l'a-
doption, tf. Pierre Leroux combattit la mesure en attribuant à
l'état de siège de 1848 tous les maux du pays. Ces paroles appe-
lèrent à la tribune le. général Cavaignac. L'honorable gépéral
prononça, avec une émotion profonde, quelques mots énergi-
ques ; « Vous dites que nous sommes tombés par l'état de sjége.
jjtçn; PQU$ np çoouncs j>as tombes; nous sommes descendu? du
1
324 HISTOIRE DE FRANCE. (1849.)
pouvoir... Le vœu national n'est pas de ces pouvoirs qui ren-
versent : il ordonne et nous obéissons... J'ai servi la République,
je ne servirai pas autre chose. Mais si jamais elle devait succom-
ber, sachez-le bien ! c'est vous qui l'auriez perdue. * D'unanimes
applaudissements accueillirent ce noble langage. La mise en état
de siège fut votée par 394 voix Contre 82.
Le lendemain, 14, la permanence durait encore. Des arresta-
tions nombreuses avaient été faites. L'action de la justice était
arrêtée en ce qui concernait les représentants du peuple compro-
mis. Les demandes d'autorisation de poursuites furent présen-
tées par M. Dufaure, comme d'autant plus urgentes, qu'en ce
moment même un des prévenus était sur la route de Lyon, où
un mouvement insurrectionnel paraissait imminent. Les autori-
sations furent accordées. {Voyez aux Documents historiques les
pièces officielles relatives à la journée du 13 juin.)
. C'est qu'en effet tout n'était pas fini avec la tentative avortée
de Paris. Les grands foyers d'industrie et de population étaient
enveloppés dans un vaste plan insurrectionnel. Dans plusieurs
départements, la presse démocratique-socialiste trahissait un plan
général par des appels au peuple, par des sommations à la Mon-
tagne, plus encore par des nouvelles anticipées. On annonçait que
la Montagne s'était constituée en Convention, qu'un décret avait
mis hors la loi le reste de l'Assemblée, que la révolution était
accomplie. A Reims, le 13, un président de elub signifiait au
sous-préfet la victoire d'une insurrection parisienne et la fia de
son mandat; à Toulouse, les clubs s'agitaient; à Bordeaux, te 15,
il fallut disperser de nombreux rassemblements ; à Lille, à la
même heure qu'à Paris, une affiche appelait le peuple aux armes;
à Amiens, on découvrait un complot tendant à s'emparer de la
préfecture, de l'hôtel de ville et du débarcadère du chemin de
fer ; à Maçon, a Dijon, à Valence, partout des appels à l'insur-
rection. Le 13, les démocrates de Limoges entourent la poste
avant l'arrivée du courrier. Ils attendent un événement prévu.
Le 15, leur agitation est extrême : vingt d'entre eux sont arrêtés.
A Strasbourg, des bandes veulent s'emparer de la préfecture et
de la citadelle ; à Colmar, on va livrer les porteB de la ville à un
chef socialiBteâ quand arrive de Paris la nouvelle de U victoire.
PARIS ET LYON. 325
Mais la mal heureuse ville de Lyon, depuis soixante ans si cruel-
lement éprouvée par la guerre civile, devait donner la preuve la
plqs terrible des nombreuses ramifications de la révolte.
Un journal socialiste de Marseille, la Voix du Peuple, avait ac-
cueilli, sur la foi d'un journal mazzinien, la Concordiade Turin,
des nouvelles mensongères, annonçant un prétendu revers et jus»
qa'à une défection en masse des troupes françaises devant Roule.
Le Censeur de Lyon reproduisit ce conte absurde et odieui avec
unempressementsignificatif. Une joie féroce' chez quelques fac-
tieux qui, pour le succès de l'anarchie, feraient litière de l'hon-
neur de la France, une profonde consternation dans la masse
crédule et honnête de la population, tels furent les résultats de
cette honteuse tactique. Le 12 juin, des rassemblements nom-
breux se formèrent : on y commentait les fausses nouvelles
que, déjà, cependant, M. Tourangin, préfet du Rhône, s'était
empressé de démentir. De vagues rumeurs parcouraient la
cité. Les anciennes associations de 1848 se retrouvaient en-
core toutes formées : clubistes et Voraces n'attendaient qu'un
signa). Le 13 juin, le parti militant attendait; le 14, les so-
ciétés secrètes étaient en permanence, mais une pluie torren-
tielle s'opposait tout à la fois et à la communication télégraphique
et i la réalisation des projets subversifs. Lé soir du 14, un bulletin
socialiste lança au milieu de cette fermentation ces prétendues
nouvelles télégraphiques qui révélaient un mot d'ordre insurrec-
tionnel : la Montagne est formée en Convention ; le peuple de
Paris se soulève; le président de la République et ses ministres
sont décrétés d'accusation. L'audace des factieux s'accroît de ces
bruits mensongers. Une colonne armée descend de la Croix-
Rousse, pénètre de vive force dans l'École vétérinaire, et la moitié
des élè?es va grossir les rangs des insurgés. Ceci se passait le 15
au matin. Des nouvelles rassurantes étaient arrivées de Paris ;
mais les factieux sont en mouvement; ils ne s'arrêteront plus. Le
tambour des Voraces bat le rappel à la Croix-Rousse et le foubourg
de Vaise est en fermentation. L'autorité civile et militaire a par-
tent doublé les postes ou pris des précaptions salutaires. Un dé-
arrive de Paris qui met en état de siège la ville de Lyon et
336 HISTOIRE DE FRANCE. (1849.)
toute la circonscription comprise dans la 6e division militaire
(Isère, Drôme, Ain, Rhône et Loire).
Un fait grave s'était passé dans la matinée du 15, le désarme-
ment de 1 50 hommes du 1 7e léger chargés de la garde de l'École
rétérinaire. Ce poste, surpris à l'improviste, n'avait pas eu le
temps de se mettre en défense. Plusieurs des soldais qui en fai-
saient partie s'étaient retirés dans les forts de la rive droite de la
Saône ; mais d'autres s'étaient laissé séduire par les êmeutîers
qui l.eâ avaient emmenés aux cris de : Vive la ligne ! Fallait-il
donc craindre dans l'armée des connivences avec la révolte, et
Ces calomnies que l'admirable attitude de l'armée parisienne ve-
nait de confondre si hautement , étaient - elles fondées pour
Pôrmée lyonnaise? Incertitude terribfe, mats qui ne pouvait ar*
rêler les généraux chargés de la défense. Le général de division
Gémeau, commandant de la 6e division militaire, et le général
Magnan, son digne collègue, savaient que quelques défection!
isolées ne pouvaient faire suspecter Tcxceîlent esprit des troupes.
Cependant, la bande partie de l'École vétérinaire avait désarmé
deux petits postes. Il devenait urgent de frapper la révolte. Les
généraux formèrent leurs colonnes d'attaque. Le général Gé-
meau se dirigea rapidement sur la préfecture que cernait en-
tièrement une foule compacte : l'hôtel fut promptemedt dégagé.
Ce n'était rien pour l'émeute que d'occuper la Èroix-Roosse,
ce faubourg, dont la population a de tout temps pactisé avec le
désordre^ Il lui fallait s'établir à Lyon. Pour cela, il fallait forcer
la porte des Bernardines qui établit la communication entre la
fcroix-Rousse et Lyon, et qui est complètement commandée par
Ta caserne crénelée des Bernardines. Vers dix heures et demie,
une colonne se présente devant le poste de la ligne, fort d'envi-
ron cinquante hommes, qui gardait celte communication, et de-
mande fe passage. Les émeutiers s'avancent en criant : Vire la
ligne! t armée est pour nous! Mais F officier Commande le feu;
àouie ou quinze des agresseurs tombent et le reste s'enfuît «1
criant : « Nous sommes trahis, la troupe est fidèle. » Aussitôt, les
cris : AuA armes !éq font entendre, le tocsin yonttë, tes barri-
cadé* fc'élèVeht, notamment dans h <fr ânde-ftue et éafte la rot
paris et Lyon. 3sï
An Mail, dafls le cours d'Herbouville, & la Grande-Cflte et dans
toutes les rues qui avoisinent le Jardin-des-Plantes. Aux Bernar-
dines, un feu de tirailleurs, partant des cheminées, des croisées,
des barricades commence de tous côtés contre la caserne, dans
l'intérieur de laquelle la ttoupe s'est retirée, et d'où elle répond
par un fende mousqueterie et bientôt par la canonnade.
C'est alors que, vers onze heures, le général Magnan envoie le
lieutenant-colonel de Villiers ordonner aux troupes de Caîfaîreet
de Montessuy de prendre la position dé la Croit-Rousse à revers*,
de concert avec une batterie d'artillerie. Lui-même, à ta tête
d'une colonne d'environ 2,500 hommes, gravit le chemin qui,
sous la protection du fort Saint-Jean, du bastion numéro 3 et des
Bernardines, conduit de la Saône au plateau de la Croix-Rousse.
Onze compagnies du 17e léger tiennent la droite de la colonne.
Le colonel Gresy a tenu à honneur de réhabiliter son dra-
peau et a obtenu pour son régiment le poste le plus dangereux.
«^Yous avez une tache à laver, dit le général Magnan aux soldats
du 17e léger. » Ces braves gens répondent aux cris de vive la
République, et, sous la conduite du général d'Arbouville, s'élan-
cent à l'attaque des barricades de la grande place. Une fusillade
très-vive part des maisons : mais rien ne peut arrêter l'ardeur du
U'Jéger.On sent dans l'exaltation des soldats une fureur inusitée:
ce n'est pas seulement un ordre qu'ils exécutent, c'est une ven-
geance qu'ils tirent, c'est une éclatante réparation qu'ils achè-
tent au prix de leur sang. Quelques soldats du 17* léger sont der-
rière les barricades : l'insurrection les a placés là par un calcul
honteux. Trois d'entre eux sont saisis et passés par les armes.
Le capitaine Mortel, celui-là même qui s'est laissé surprendre si
malheureusement le matin, combat les insurgés en homme qui
cherche la mort : il la trouve sur une barricade et tombe en di-
sant : a Je devais mourir aujourd'hui ; je n'ai qu'un regret, c'est
de ne pas avoir succombé huit heures plus tôt. »
Pendant cette vigoureuse attaque, le 6e léger, sous les ordres du
colonel O'Keiffe exécutait avec succès ce mouvement combiné
qui prenait les insurgés entre deux feux. Ceux-ci débusqués de
toutes parts et ne pouvant plus gagner la campagne, se jetèrent
par des rues détournées sur la rampe que le général Magnan ve-
380 HISTOIRE DE FRANCS. (1840.)
nait de gravir et tomberont entre les mains d'un eseadren des
guides* Plus de 700 furent faits prisonniers. La lutte avait duré
cinq heures.
Ainsi se termina cette folle tentative d'un parti qui, malgré son
évidente minorité, impose au pays des agitations sans fin et de
sanglants sacrifices. A Lyon comme à Paris ces factieux qui se qua-
lifient de peuple avaient i peine réuni 5,000 combattants. La
population lyonnaise proprement dite n'avait en rien participé à
la. lutte ; et cependant la minorité insurrectionnelle n'en conti-
nuerait pas moins à usurper audacieusement le nom de la France.
t .
RÉPRESSIONS, RÉPARATIONS. 319
■" ' ' jp' 'i ii ■' , ■■ I ' . ,"„ I If,.
HvmBm
CHAPITRE XVI1L
BÉP1B8SI0NS, lfiPAlATIOK*.
PomnriêH jiididaire*, protestations contre les signatures de l'appel ans traet ;
reiuerdments à la garde nationale, à l'armée, an général Ckananniaf. —
Meemre» réprtmvee. Apre* l'anarchie» la dictature ; anepenaioa de six jour»
naux; rétablissement da double commandemeBt du général Changarnier,
siispension des articles 64 et 67 de la loi dn 23 mars 1831 ; MM. Lagrange,
Cherras et faragnav-d'Hifflers , le 18 brumaire; dissolution de gardes na-
tionales; loi provisoire snspendant les clabs; dwnansVs nombreuses en anv
torisation 'de poursuites, »la terreur Manche, la majorité criminelle* encore
des violences parlementaires; bris de presses dans la journée du 13 juin, dé*
net passionné, M Victor Hugo, arrêt de non-lie* ; interpellations sur l'état
de siège, sur les affaires étrangères ; V. Estancelin et les eosaques, cossédie
de patriotisme; nécessité de modiler le règlement, adoption d'un nouTean
régime disciplinaire ; projet de loi temporaire sur la presse, M. de Monta-
lembert, tableau de la situation sociale ; M. Jules Favrc attaque le projet,
•nruaents rétrospectifs, M. Dnfanre, les Trais ennemis de la RépeÂlique,
M. Pierre Leroux et les jésuites, m sodalissse • la namale, M. Thiers jus*
tifie la loi ; discussion des articles, effeneee au président de la République,
distribution, colportage, adoption de la loi ; projet déterminant les formes et
coédition» de l'état de siège, dictature militaire, dictature parlementaire,
dwrneaiun, M. Dntâure, vote delà loi ; renvoi deseeeusés da 13 juin devant
la hante cour de justice. — Meewree réparatrice*. Officiers généraux mis à
In retraite, pétition de M. de Castellane , MM. Fabvier, Cherras et Cavai-
guac ; proposition tendant à modifier la loi dn 1 4 avrif 1 832 sur l'avancement
sWne Pâmée, prise en ednsi&rsxien ; projeu de lm ^
projet portant maintien des cours et tribunaux et autorisant une institatioa
nouvelle de la magistrature, adoption ; école d'administration, liquidation ;
loi sur renseignement public, projet de M. de FaRoux; proposition relative
• Tassninlssement des logements, M. Metun ( du Mord); srimasénjeu da
M. IUeeff~iftollc.e**T m psnmsninu * pnsjsm sus 1s tenus*!. Il erésntet
ttft HïSTOtHE DE FRANCE. (1849.)
les institutions de prévoyance, iontilité et dangers, spoliation dégnUée, prise
en considération rejetée ; prévoyance et assistance, proposition de M. Meloa
(d'I Ile-et-Vilaine), M. Victor Hugo, attitude nouvelle, suppression de la
misère, adoption.
La justice poursuivait tous ceux qui venaient de lever haute-
ment l'étendard de Ht révolte ; mais combien de complices de
l'insurrection nouvelle n'avaient-ils pas échappé: dans son réqui-
sitoire demandant autorisation de poursuites contre les représen-
tants compromis, le procureur général avait fait ses réserves au
sujet d'une instruction commencée sur la proclamation insurrec-
tionnelle signée par plus de cent représentants. M. Grandie de-
manda leeture de ces noms. Les protestations affluèrent : le pla-
çprd des ArU-et-Métiars fui désavoué par un grand nombre de
représentant* MJcMisle& Ce ptaeivd, te n' était qu'an* «ttche
sans pnbKtité, un appel i ht réttrite qui «gardait la Jesrfee. Hais
le manifeste publié dans les journaux socialistes, ce manifeste
qui déclarait les représentants de la mqj*rtt*S criminels et dédias
de leur mandat» ee manifeste qu'on pouvait ddteveuer pendant la
lotte delà veille, portait-il des signatures autorisées? Des repré-
sentants, nia hors la loi, pouvaient-ils siéger à *Alé de ceux qui
tas avaient eneoniMaié») M* Félix Maitt répondit par an argu-
ment étrange. Tous avez, dit-il, on m* l'assure, la pièce originale
avec les signatures manuscrites. Alors r pourquoi demander des
déHMMft t (Mtfduiaee la pièce ai voua levez. L'Assemblée eaavrit
de l'ordre da joareet aMigealit«peetaele<4^itiia). Le lendemain,
elle votait des remerciements à la garde nationale, à l'armée et
an fendrai Changarnier. Un membre de la gauohe demanda la
dttrion» Ud v#te «namiiefat la «téfjease» La Mantagnea'aMaL
Lé profit ie plus clair des tastifrmtons, c'est la perte de quel-
ques libertés : à l'anarchie il n'y a qu'une réponse, la dictature.
■osa ssjsjavHWNi asjGMBawsjnt sa «mb/v* m^Sf m •amws» va ^rMnavvnwie nav
«vpvns, la nananpwea neveewnpffne e» eenMSv*) fB rfiw f^AHiait*
que et ta tribune des peupîei fanent suspendus par arrêté du
frounsif aaicatiC» Va déctpl.réfciklU le tfénéfld Chingamiar dans
k 4feM»«mafc*o*alwt è»m**yM'wm*êi*mÊ*m et
RÉPRESSIONS, RÉPARATIONS. ftftt
des troupes de la première division militaire. Mais le décret por-
tait que cette disposition cesserait avec le rétablissement de la
paix publique dans la capitale. Ce n'était pas assez. M. de Mon-
talenibert demanda l'abrogation de Fart. 67 de la loi du 43
mars 1831 sur la garde nationale, article qui interdisait la réu-
nion des deux emplois. La commission nommée se prononça
pour une simple suspension de l'article jusqu'à ce que l'organi-
sation de la garde nationale et la constitution de f armée eus-
sent été réglées par une loi; au lieu de restreindre la mesure I
l'art. 67, elle proposait, en outre, de retendre à l'art. *4> qui
interdit au Gotrternement de réunir les gardes nationales de tout
un département ou <Ttm même arrondissement sous f autorité
d'an seul commandement supérieur, excepté dans le déptfrte»-
ment de la Seine. A ces mesures, MM. Lagrange et Châtra* op-
posèrent leurs défiances, leurs susceptibilités ordinaires. M. fta-
raguay-dHilliers , membre de la majorité, parla, lui aussi, dé
f inconvénient des lois exceptionnelles, des dangers de h dicta-
ture militaire : l'honorable généra) alfa jusqu'à évoquer les sou-
venirs du f8 brumaire. (Tétait là un premier symptôme de scis-
sion dans la majorité : l'union est rare après la victoire.
Défendue par MM. Dufimre et Vérin, la proposition, amendée pat
fa commission, fut adoptée par 832 toix contre 146 ft juillet).
En même temps, M. Dufaure demandait le maintien au detà
du terme d'un an prescrit par la loi de 1631, de la dissolution
ik* **, «* et 12* légions, décrétée tu 40 Jtffti f 640. I/AssemMNfe
ne pensa pas, qu'en présence des derniers événements, il fût
possible de les réorganiser.
H. le ministre de l'intérieur présenta enewe (14 jtrfrr) une loi
protisoiré, suspendant les dubs pendant une année. Le rappor-
teur de la commission, H. Jules de LAsteyrie, contint à Tadop-
tîon du projet, augmenté tf un article portant qu'il sefraft rendu,
flans le délai d'un an, tme lof téndfcaw k i igfeirteuter fe droHde
réunion. Ainsi amendé, le projet ftft toté ila majorité #S 37$
réhi contre 4M.
L'énefglqtie attitude do ■Gorfremeittent A*a**it rencontré «6^-
cmiè opposition pfeiidatrt tes premiers jtttins tj6f Siflfnwtft la fètanK
%vtb ittSWrWWfOTiWIW6 Utt Y 5 jU™. aPHSj m fli^MxSI qWU ^b paHL
332 HISTOIRE DE FRANGE. (1**9.)
publique se raffermissait, le langage des journaux et de la tri-
bune, socialistes devenait plus assuré. La Montagne» bien que
décimée, reprenait courage. Sept représentants seulement,
MM. Suchet, Devjlle, Maigne, Boch, Fargin-Fayolle, Daniel La-
mazière, Vautbier et Pilhes avaient été arrêtés en flagrant délit.
Mais chaque jour révélait des complicités nouvelles, et chaque
jour amenait, par coflséquent, dés demandes nouvelles en auto-
risation de poursuites» Lp 14 juin, MM. Ledru-Bollin, Considé-
rant, Rattier et Boichot; le 15, MM. Menand, Heitzman, Rol-
land, Rougeot, Pflieger, Laodolphe, Avril et Jaoot; le 18, M. F.
Pyat; le 21, M. Malardier; le 23, M. Marc Du&uisse; le 28,
MM. Ronjat,